Au petit matin, Jude s'était réveillée en sueur. Dans son rêve, duquel elle venait de s’extirper, sursautant, un peu désorientée, les Mangemorts avaient repris le contrôle de l’école. Mais cette fois, toute l’école était comme des Elfes de maison, assouvissant leurs désirs bestiaux de la chaire, volant la vertu des uns et des autres en grands cris de plaisir, détruisant le mental des élèves, les réduisant tous plus bas que des esclaves, les torturant à chaque jour sous clause de cours éducatifs, cours de sortilèges pour les Mangemorts en devenir, dont les étudiants-esclaves étaient les cobayes pour tester les sortilèges. Jude s’était éveillée sous la peur, voyant son jumeau sous le coup d’un doloris. Se redressant sur les couvertures humides de sueur, transpirant la peur, la jeune Serpentard s’était rapidement levée et avait été sous la douche, une douche brûlante qui allait nettoyer et chasser la peur induite par son cauchemar. Au fond d’elle-même, elle savait qu’elle ne risquait rien, qu’elle était sauve dans l’école, du moins pour cette année, et que son jumeau respirait et dormait paisiblement. C’était ce petit lien psychique, ce lien que seuls les jumeaux avaient, qui permettaient à Jude et Leo de savoir qu'ils allaient bien, chacun de leur côté. Jude, laissant l’eau chaude, presque brûlante la réconforter et la revigorer, se sentait apaisée, les battements de son cœur devenaient de plus en plus réguliers au fur et à mesure qu’elle se concentrait sur ce lien entre eux deux, ce lien qui faisait en sorte qu’elle ne coule pas et qu’elle se sente vivante.

Une fois sa douche prise, ses cheveux séchés d’un vague coup de baguette magique, la jeune fille s’était habillée de vêtements simples et confortable. C’était le premier jour du week-end et le soleil venait à peine de se lever, et dans le dortoir, on n’entendait que la respiration calme des filles qui partageaient l’espace avec elle. Sortant sans faire de bruit, ajoutant son écharpe autour de son coup et plaçant une liasse de partitions dans son sac de cours, la jeune fille sortit en silence jusque dans la Salle Commune. Personne ne s’y trouvait encore à cette heure matinale de la journée. Remontant les cachots jusqu’à la Grande Salle, elle bifurqua juste avant et tourna un couloir jusqu’aux cuisines. Commandant un petit déjeûné aux elfes, composé de fruits, de porridge et de scones, ainsi que d’un thé fort et un verre de jus de citrouille, la jeune fille médita sur une prochaine composition de musique au piano. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas le temps filer. Elle remercia les Elfes et quitta la cuisine qui était agréablement chauffée.

Montant au sixième étage jusqu’à la Salle sur Demande, elle en laissa la porte ouverte. Assise à une petite table, posée juste à côté d’un grand piano à queue, elle notait quelques idées sur une partition vierge, n’attendant que les notes qu’elle y inscrirait à l’aide d’une plume dont elle n’avait pas besoin d’encre. Cela lui prit une grande partie de l’avant-midi, et, enfin satisfaite, elle laissa celle-ci de côté avant de fouiller dans son sac à la recherche d’une liasse de partitions de Betthoween. Installant les feuilles au lutrin sur le piano, elle commença à égrener les notes de « Tempest Sonata 3rd Movement. » Les notes emplirent la pièce, faisant taire tous les autres bruits alentours ainsi que lui visant complètement l’esprit de toutes pensées futiles et désagréables. Elle ne se rendit pas compte que quelqu’un venait de pénétrer dans le petit sanctuaire qu’était la Salle emplie de notes de piano.

Le drap bouge, laissant le froid de cette matinée s'engouffrer dessous. Je grogne légèrement et roule péniblement pour regarder Milo s'enfuir dans la salle de bain. Le fourbe ! Comme si on avait fini les câlins ! Je me sens arnaqué mais au lieu de râler dans le vent, je soupire et m'enfonce lourdement dans l'oreiller en m'étirant. Il fait froid, maintenant. C'est nul. Ce qui ne m'empêche pas d'afficher un sourire débile. J'aime ces réveils. Profiter de quelques tendres minutes avant d'avoir à affronter le reste de la journée. Et puis, c'est pas vraiment de sa faute. Truc de préfets, blablabla... J'ai pas tout suivi. Je suis rarement tout dans ces cas-là parce que je déteste ça. L'idée qu'il passe la matinée avec l'autre cruche de Mandragoran et toute leur clique... Mais bon. Pas le choix. Je ne le vivais pas de la même manière l'an dernier... Peut-être parce que c'était Shiver et que Shiver ne faisait pas le poids. J'avais strictement rien à lui envier, à cette fille. Là, c'est différent... Mais qu'importe. Pas le choix. Jamais le choix. Un nouveau soupir m'échappe alors que la porte s'ouvre à nouveau, laissant planer dans toute la chambre l'odeur délicieuse de mon préfet. Mon sourire s'agrandit, plus débile encore. Ses lèvres viennent se poser sur les miennes, j'essaye de le retenir, ça le fait rire mais il s'échappe malgré tout sur un « à tout à l'heure » étouffé par la porte qui se referme déjà. Bon... Bah voilà... Je me retrouve comme un con. Ses pas résonnent un moment dans l'escalier puis plus rien. Il me faut plusieurs minutes pour trouver le courage de bouger. Attraper mes affaires, me doucher en un temps records et réaliser que j'ai strictement rien à faire de ma journée... Enfin, j'exagère. Il faudrait que j'aille poster la lettre que j'ai écrite à mes parents, hier soir. Je me connais, elle pourrait traîner sur mon bureau pendant des jours avant que je réalise que ce serait pas mal de l'envoyer... Et puis, c'est pas comme si j'avais mieux à faire, de toute façon...

Alors j'enfile mon sweat, remets la tirette de la fermeture correctement, fourre l'enveloppe dans mon sac de cours avec le bordel habituel, coince ma baguette entre mon pantalon et ma ceinture et abandonne mon dortoir désert et silencieux à mon tour. Un vague « bonjour » à l'attention des Poufsouffle présents dans la salle commune et je prends la fuite aussitôt. C'est idiot, je le sais bien, mais j'ai toujours autant de mal à rester ici, à profiter de la présence de tout ce beau monde. Ils me mettent plus mal à l'aise qu'autre chose. Alors quand je le peux, je ne m'attarde pas. Poli, bien élevé, tout ce qu'on veut, mais plus un courant d'air qu'un camarade. Je prends malgré tout la peine de descendre jusqu'à la Grande Salle, histoire de mettre la main sur un semblant de petit-déjeuner. Un café avalé à l'arrache sans même prendre la peine de m'asseoir et une micro-tartine que je termine en trois bouchées à peine. J'essayerai de mettre la main sur Alaska ou Tracy en revenant. Ça fait un moment que je n'ai pas fait autre chose que les croiser. Ce début d'année est étrange. Les gens qui constituaient le cœur même de mon quotidien jusque là le traversent à peine aujourd'hui. Et je n'arrive pas vraiment à savoir si je trouve cela dérangeant ou non. Peut-être un peu. Oui. Je chercherai Alaska. Je la harcèlerai pour qu'elle me raconte les détails de son voyage à Paris et les premières semaines de son retour à l'école. Je suis sûr qu'elle a un tas de choses à dire pour un peu qu'on la pousse à parler... Et je crois que j'ai envie de les écouter. Réaliser qu'elle va mieux, que tout s'arrange. La taquiner sur sa nouvelle couleur de cheveux qui lui va divinement bien. Je vérifie machinalement mais, non, elle n'est pas là. Un haussement d'épaules et je quitte le réfectoire, bien décidé à mener ma mission à son terme.

C'est comme ça que je me retrouve à gravir les étages sous les salutations absentes et répétitives des tableaux que je croise. Tout ça pour une lettre ! Mais c'est important. J'ai rien promis en partant faute de savoir vraiment comment ça allait se passer ici mais je prends soin d'écrire toutes les semaines. Au moins une fois chaque semaine. Même si je n'ai pas grand chose à dire et que je tais soigneusement le peu qui pourrait s'avérer digne d'intérêt. Je ne veux pas qu'ils pensent, tous autant qu'ils sont, qu'il y a un nouveau problème ou que je les oublie. C'est faux. Lorsque je mets le pied sur le palier du sixième étage, prêt à continuer mon ascension sans un regard pour les couloirs qui s'étalent devant moi, quelques notes de musique me parviennent de loin. Je me fige sans vraiment le remarquer. Ça me rappelle les cauchemars récurrents de cet été. L'odeur écœurante du sang et la musique braillante. La même que lors du bal de fin d'année. Toujours. Les réveils en sueur et l'angoisse qui peinait à s'effacer. C'est ce moment que choisit l'escalier pour n'en faire qu'à sa tête. Il doit sûrement penser que je suis trop lent. Alors il s'en va. Il ne reste plus devant moi que le vide qu'il a laissé. Je recule d'un pas, mal à l'aise, et finis par faire volte-face. Plus j'avance, plus la musique est forte. Mais je sais au moins d'où elle vient. Enfin, à peu près. Elle n'est pas seulement là, de nulle part et partout à la fois. On se raccroche à ce qu'on peut... Un autre couloir et le doute n'existe plus : elle prend sa source ici. Mon cœur bat en rythme, c'est perturbant. Mes pas ralentissent, comme s'ils craignaient ce qu'ils pourraient trouver. Pourtant, en dehors d'une porte entrouverte, il n'y a pas grand chose. Je la pousse sans réfléchir. Si elle grince, le bruit est couvert par la musique. Et je reste là, à regarder une fille inconnue jouer sur un piano immense. J'observe de loin ses doigts courir sur les touches, son air absent, trop concentrée sur ce qu'elle fait pour faire attention au reste du monde. Sans un bruit, je sors mon appareil de mon sac. C'est idiot, je ne sais même pas son nom. Mais elle est loin de tout. Et il n'y a rien que j'aime plus au monde qu'arrêter un temps qui n'existe plus. Et quelques secondes plus tard, mon flash éblouit brusquement cette fin de matinée désormais pluvieuse. La discrétion est morte mais tant pis. Au pire, elle me demandera de lui foutre la paix et j'irai enfin confier ma lettre à un quelconque hibou...

Ses doigts effleuraient les touches, créant des mélodies qui imprégnaient son esprit, chassant ses démons qui ne cessaient de s’imposer, intrus qui prenaient un malin plaisir à la tourmenter. S’enivrant du son de la musique qu’elle jouait, la jeune fille était profondément perdue dans ses pensées, n’écoutant que son cœur pour jouer, se noyant dans la musique comme pour s’évader du monde qui l’entourait. La musique envahissant ses oreilles, jamais elle n’entendit la porte s’ouvrir. Sa musique changea du tout au tout, soudainement, sans presque une seconde d’arrêt. Elle s’était rabattue sur un pianiste du nom de Mozart. La composition qu’elle jouait à cet instant était énergétique, joyeuse de son avis et envoûtante. Si elle avait pu, ses yeux se seraient fermés. Elle se sentait bouger au rythme frénétique de ses doigts sur les touches blanches et noires de l’instrument de musique. Puis, soudainement, une lumière inhabituellement forte et semblable à un éclair de par sa couleur jaillit de derrière la jeune pianiste. Surprise, elle arrêta sa mélodie en un instant, en même temps de frapper une mauvaise touche, créant une fausse note. Dire qu’elle n’avait pas sursauté aurait été faux. La Serpentard avait en effet tressailli, puis s’était figée, avant de tourner rapidement la tête derrière elle, dans un mouvement qui aurait pu lui faire se rompre le cou, ce qui fort heureusement n’arriva pas. Clignant des yeux, elle vit l’auteur de la lumière soudaine derrière elle, un visage presque coupable agencé d’un air … comment dire, elle n’arrivait pas à mettre le mot sur ce qu’elle déchiffrait sur le visage du garçon. Dans ses mains, l’engin du crime y reposait mollement. Un appareil photo. Évidemment.

La question demeurait pourquoi. Pourquoi l’avait-il prise en photo ? La jeune fille savait qu’elle pouvait être intense quand elle se perdait dans le piano, frénétique et totalement absorbée par ce qu’elle faisait. Elle battit des paupières et regarda plus attentivement son visage. Joli, mais pas trop son genre. Si elle avait bonne mémoire, elle se souvenait de l’avoir brièvement vu lors de la Rencontre au Ministère. Un frisson parcouru son échine en mémoire de cette journée stressante, épuisante autant moralement que psychologiquement. Heureusement, il y avait eu un bon dénouement pour elle. Il avait les cheveux foncés, un peu en bataille et des yeux tout aussi foncé. Ramenant une mèche de cheveux dans son dos, Jude le détailla rapidement.
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- J’espère que tu as apprécié le spectacle, lâcha t-elle.

C’était stupide, puisque s’il avait un appareil entre les mains, peut-être avait-il apprécié ? Bref, elle ne saurait le dire. Elle avait dit cette phrase au hasard, question d’avoir quelque chose à dire au lieu de le regarder stupidement et d’ainsi perdre la face devant l’autre garçon. Si sa mémoire était bonne, il était chez les Jaune et Noir. Mais elle n’était plus sûre de l’année dans laquelle il se trouvait. Sixième au Septième ? Avec l’année qui venait de passer, elle n’était plus certaine de rien. Tellement de gens avaient manqué de cours, d’autres avaient coulé leur année. Car bon, l’atmosphère que les Mangemorts avaient instauré dans le Château n’avait pas été propice à l’étude et à la joie.

- J’étais un peu perdue dans ma musique, je ne t’ai pas entendu arriver dit-elle avec un sourire d’excuse.

J'ai suivi la musique sans vraiment savoir pourquoi. Pour m'assurer que rien de traumatisant n'attendait au bout... Histoire de bien m'achever si par malheur ça avait été le cas. Et oui, débile un jour, débile toujours. Mais finalement, il n'y a rien d'horrible au bout du chemin, seulement une fille qui joue sans faire attention à rien. Je ne vois pas vraiment son visage. Je ne sais pas qui elle est. J'ai dû la croiser, forcément, on croise tout le monde dans les couloirs de l'école, mais pas assez pour mettre un nom sur ce que j'en vois. Mais je m'en fiche un peu. Je ne suis pas vraiment là pour faire sa connaissance, de toute façon. Machinalement, je fais la seule chose que je sais faire correctement : jouer les apprentis photographes. C'est idiot mais je ne réfléchis pas trop. Je retrouve juste mes marques. Vaguement. C'est encore un peu étrange, ici, mais je fais avec en tentant de ne plus trop y penser. Le flash éclaire brusquement la pièce et la réaction de la fille ne se fait pas attendre bien longtemps. Une fausse note et puis le silence. Sur le coup, je me sens un peu bête, je l'avoue. Mais le mal est fait, de toute façon. Oh, et puis il n'y a pas mort d'homme non plus ! Elle a l'air surpris, presque paniqué, et en un rien de temps elle fait le lien entre l'éclair et ma présence ici. En même temps, ça aurait été une grosse coïncidence sans quoi. Son regard me détaille un instant et je n'apprécie pas vraiment. Néanmoins, j'en fais autant. Et son visage ne m'est pas totalement inconnu. Elle était au Ministère, elle aussi. Un frisson désagréable me court dans le dos. J'aimerais mieux oublier toute cette histoire.

« J’espère que tu as apprécié le spectacle. » Je hausse les épaules. Y'a mieux. Je préférais de loin celui auquel j'ai eu le droit au réveil. Elle croit quoi ? Que je joue les paparazzis parce qu'elle me plaît ? Tu parles ! Je dois avoir plus ou moins tout le château figé sur papier glacé dans mes affaires et il y en a une bonne partie que je n'aurais strictement jamais remarqué de ma vie si le hasard ne me les avait pas foutu sous le nez. Et elle en fait immanquablement partie. Elle n'est pas particulièrement jolie. Des faux airs de Rosenbach, la beauté en moins. « Il aurait pu être pire. » Une façon plus ou moins polie de dire qu'il n'y avait rien d'extraordinaire à l'observer. « Mais j'aurais préféré m'en passer. » Parce qu'il s'agit avant tout de quelques restes de cauchemars qui m'ont embarqué ici. Alors sans le traumatisme sous-jacent, je m'en serais forcément mieux sorti. Toutefois je lui offre un sourire presque amical. Elle n'y est pas pour grand chose. C'est pas elle qui a fait du bal un cauchemar réel. Et je ne parle même pas du carnage. Seulement de la fin du monde. « J’étais un peu perdue dans ma musique, je ne t’ai pas entendu arriver. » Mon sourire s'agrandit. « J'ai cru voir ça, en effet. » Je quitte la porte et avance distraitement dans la pièce. Je ne sais pas depuis combien de temps elle est là mais elle a l'air de s'être installée depuis un moment. « Tu te débrouilles bien. » Plus que bien, même, en réalité. Mais quelle importance...?