Les jours qui suivirent la disparition de son père arboraient un ciel gris. Gris, comme une des peintures que son père avait fait et qu'il avait accroché dans le couloir de l'entrée de la maison familiale. Gris, comme la monotonie de ses journées sans la personne de qui il était le plus proche. Izaak avait six ans lorsqu'il découvrit le gris qui accompagne le grief d'une perte. Un gris profond, le genre de gris qu'on oublie pas, pas celui qui se veut neutre.
Il était né entouré de son père et de sa mère. Sa mère travaillait au Ministère de la Magie, l'importance de sa position entraînait des absences proportionnelles et Izaak n'avait besoin que des doigts d'une main lorsqu'il voulait compter les journées qu'ils avaient vécu ensemble. Son père avait joué le rôle de la mère comme du père, le magizoologiste avait laissé tomber ses voyages pour élever son fils. Il passait ses nuits d'insomniaque à travailler sur ses ouvrages, qui contaient ses voyages, ses découvertes, ses recherches. Izaak voyait en son père le bleu d'une mère tropicale, le vert d'une jungle à l'autre bout du monde. Il se perdait dans les rêveries qu'entraînaient les histoires que lui racontaient son père avant d'aller dormir. Rien n'avait préparé le petit Izaak à perdre son père suite à une des seules journées qu'il avait passé en tête à tête avec sa mère. À leur retour à la maison, les pièces avaient été dévastées, les ouvrages de son père avaient été volés et l'homme n'avait plus jamais été revu. Le deuil avait été difficile à faire, et chaque jour, Izaak se prenait à attendre devant la fenêtre un signe, n'importe quoi. Mais rien ne vint. La poignée de la porte d'entrée refusait de s'abaisser et de faire apparaître l'homme qu'il avait toujours admiré.

J'aime bien ce gamin. Je le trouve très gentil. Et quand il aura appris à casser un œuf il fera peut-être des trucs extraordinaires. En attendant je couche avec sa mère et j'essaye d'éviter les disputes.

Aussi triste que la vie puisse être, tout fini par être mis de côté. L'homme continue de vivre, il n'oublie pas mais il n'y pense plus. Les souvenirs douloureux sont rangés dans un coin de la mémoire, n'attendant qu'une occasion aussi futile soit-elle pour resurgir.
Le fantôme de son père réapparut lorsque sa mère lui présenta un autre homme, trois ans après. Izaak avait alors neuf ans, et s'il ne comprenait pas encore tout, il n'était pas difficile pour lui de voir que l'homme n'était pas n'importe qui. Les regards que sa mère lui jetait n'avait rien à voir avec les regards qu'elle lançait au libraire qu'ils croisaient chaque week-end. L'homme avait le crâne dégarni, le ventre rond et sentait la cigarette à plein nez. Il prenait cet air condescendant que prennent tous les hommes qui ont atteins des postes bien placés dans le domaine de l'économie ou de la politique. Izaak n'avait jamais bien compris ce que sa mère lui trouvait. Et à chaque discussion qu'il avait le malheur de rejoindre, l'homme lui rabâchait ô combien l'enfant était intelligent et qu'il serait destiné à de grandes choses. Izaak avait envie de lui cracher au visage sa boisson, à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, mais il avait été bien éduqué et avalait le liquide avec difficulté.
La présence de l'homme au sein de la maisonnée se faisait de plus en plus régulière et, pour éviter l'haleine fétide de l'homme, Izaak gardait le nez plongé dans ses vieux livres qui sentaient infiniment meilleur. Il profitait de la bibliothèque bien remplie de son père pour lire des ouvrages qui n'étaient pas de son âge, mais qu'il déchiffrait un dictionnaire à la main. Si son père n'était plus là pour enrichir sa vie, qu'à cela ne tienne, il le ferait tout seul. Il apprenait déjà la solitude et l'autonomie, mais celles-ci semblaient lui seoir à ravir.

Comment diable un homme peut-il se réjouir d'être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se débattre dans le trafic pour trouver une place, où essentiellement il produit du fric pour quelqu'un d'autre, qui en plus lui demande d'être reconnaissant pour cette opportunité ?
Un être libre, c'est rare, mais tu le repères tout de suite, d'abord parce que tu te sens bien, très bien quand tu es avec lui.

Un an avant de rejoindre l'école des sorciers, Izaak découvrit le bleu. Fatiguée de le voir se glisser sous son lit pour lire —le garçon avait un amour étrange pour les coins exiguës où il se sentait en sécurité—, sa mère l'avait sommé encore et encore de sortir de la maison et d'aller s'amuser avec les enfants de son âge. Il avait donc mis les pieds dehors, un livre coincé sous le bras et il découvrait le bleu du ciel. Il quittait la monotonie de la maison familiale pour planter ses pieds dans le sable chaud et rencontrait le bleu de la mer houleuse écossaise. Il s'installait dans le sable et se laissait enlacer par les rayons du soleil qui cognait l'été.
La solitude lui convenait, mais à force de s'installer aux mêmes endroits, il découvrit les autres enfants du quartier. Plus âgés que lui, moldus pour la plupart, mais ils avaient cette insouciance qu'Izaak n'avait connu que dans les yeux de son père. Il restait toujours à l'écart, se perdant dans la contemplation des vagues, s'oubliant dans la lecture d'un livre encore trop compliqué pour lui. Mais ses nouveaux amis — Izaak ne les considérait pas comme ça — semblaient accepter cette partie de lui, le silence qui le caractérisait, le calme qui les berçait lorsque, fatigués, ils s'allongeaient à côté du garçon. Et pour la première fois depuis longtemps, l'écossais goûtait aux joies de la sérénité. Il avait trouvé, en ces personnes, le confort que la seule famille qu'il avait ne réussissait plus à lui offrir.

Un matin de juillet, alors qu'il rejoignait de nouveau la plage pour y passer la journée, il tomba sur des adolescents bruyants. Il s'était caché derrière un mur —ce n'était pas un couard, mais il évitait le contact humain en règle générale, les relations lui donnaient encore du fil à retordre— et les avait observé un moment. Devant un mur, ils avaient sortis des bombes et coloraient les murs. Leurs dessins n'avaient rien de très jolis, certains donnaient envie à Izaak d'arracher le mur comme on arracherait une feuille. Mais la forme d'art que sont les graffitis lui rappelaient son père et ses peintures. Il avait profité que les adolescents soient partis en courant, laissant leur bombes alors que des silhouettes s'étaient dessinées un peu plus loin, pour attraper quelques bombes et partir en courant.
Ce jour là, pour la première fois depuis longtemps, il ne mis pas un pied sur la plage. Il passa la journée, un tissu sur le visage, à peindre sur des murs vierges. Si une police de l'art avait existé, il était certain d'être condamné, mais il éprouvait un plaisir inexplicable à produire des œuvres d'art ratées mais interdites. Il découvrait l'adrénaline de ne pas suivre les règles, il se régalait dès qu'il sentait son rythme cardiaque s'emballer alors qu'il bravait les interdits.

Comme n'importe qui vous le dira, je ne suis pas un homme très affable. Les gens affables me donnent envie de dormir. J'ai toujours admiré les méchants, les hors-la-loi, les fils de pute. Je n'aime pas les petits gars rasés de près, portant cravate et nantis d'un bon boulot. J'aime les hommes désespérés, les hommes aux dents brisées, aux vies brisées et aux manières brusques. Ils m'intéressent. Ils ménagent plein de surprises et d'explosions. Les pervers m'intéressent davantage que les saints. Quand je suis avec des ratés, je me sens bien, étant moi-même un raté. Je n'aime pas la loi, la morale, la religion, les règlements. Je refuse d'être modelé par la société.

En entrant à Poudlard après l'été de ses onze ans, Izaak découvrit le noir. Pendant sa première année dans l'école des sorciers, il découvrit le noir des cachots de Poudlard. Il découvrit le noir uniforme des robes de sorciers, et pour la première fois de sa vie, fut contraint d'être rangé dans la masse. Il n'était plus qu'un apprenti sorcier comme les centaines d'autres qui logeaient dans l'école. Il ne pouvait plus se cacher derrière ses livres, il était parfois obligé de les lâcher et de se mélanger à la foule d'autres élèves. L'adaptation avait été longue, il s'était longtemps senti enfermé et si enrichir sa culture personnelle lui plaisait, il ressentait souvent le besoin irrépressible de s'évader et retrouver sa solitude d'antan.
Jusqu'au jour où il rencontra celui qu'il considéra longtemps comme son seul ami. Un garçon de cinquième année qui, comme lui, ne pouvait supporter de recevoir des ordres. Enfermés comme des lions en cage, le duo était l'un pour l'autre comme un échappatoire. Ils enchaînaient les quatre cents coups. Izaak découvrait alors les couleurs de l'amitié, des couleurs qu'il ne saurait décrire. Ils s'étaient battus à de nombreuses reprises, les langues se déliant plus vite que les pensées ne filaient. Izaak ne l'avait jamais dit, jamais, mais il avait trouvé en ce garçon un sentiment comparable à celui qu'il avait ressenti envers son père. De l'affection. De la chaleur, comme le foyer d'une cheminée en hiver. Il avait voué, pour celui qu'il considérait comme son mentor, une admiration sans faille bien qu'il ne fut pas parfait. Malgré leur écart d'âge, ils avaient trouvé en l'autre une âme sœur.
Le garçon répondait au nom de Narcyz, un nom qu'on ne voit nulle part ailleurs. Mais Narcyz n'était pas un animal qu'on pouvait domestiquer, il était un chat sauvage et bientôt exprima son envie de quitter l'école. Lui, n'était pas une tête. Il ne souhaitait pas apprendre ni s'enrichir. « A mon avis, c'est ça qui déglingue les gens, de ne pas changer de vie assez souvent » déclarait-il souvent, reprenant les mots de Bukowski. Il le rassurait, « t'inquiète pas, j't'écrirai ! »
Mais il n'écrit jamais, et ce fut donc à la fin de sa troisième année qu'Izaak comprit que les relations, peu importe leur nature, n'étaient jamais faites pour durer. S'il était d'une nature persévérante et déterminée, les relations humaines étaient pour lui trop compliquées et pour la première fois de sa vie, il abandonnait.

La famille d'Izaak est décousue. Il n'a jamais connu ses grands-parents paternels qui sont décédés à la suite d'un accident de voiture lorsqu'il était encore un nouveau-né. Ses grands-parents maternels, quant à eux, décidèrent de couper les ponts avec leur fille lorsqu'ils apprirent qu'elle se mariait avec un magizoologiste itinérant, un peintre qui se souciait plus de son bonheur que de l'avis des autres. Il n'a jamais rencontré que son père et sa mère.
L'année 2023 marque la dixième année de la disparition de son père. Et si une partie d'Izaak veut continuer à croire qu'il est en vie, il est partagé entre la colère de penser que son père ait pu le laisser tomber et ne jamais lui donner de nouvelles, et le deuil.
Bien que les années aient passé, il est toujours en froid avec son beau-père qu'il ne considère pas comme tel. Il le considère plutôt comme un nuisible, une vermine et il lui est arrivé de lui faire quelques farces discrètes, que personne d'autre que l'homme n'a pu remarquer. Il ne rentre d'ailleurs pas à la maison pour Noël, ne souhaitant pas fêter une quelconque fête avec sa famille, mais chaque été lui parait être un calvaire sans nom. Les relations avec sa mère sont tendues, ils n'ont ni les mêmes valeurs ni la même mentalité. Deux semaines passées ensemble débouchent toujours sur des disputes que sa mère engendre. Elle met ça sur le compte de l'adolescence, mais ne semble pas comprendre qu'elle et son fils sont simplement tout à fait différents.
Izaak a un petit frère et une petite sœur de cinq ans, des jumeaux dont le père est son bon beau-père. Il ne les considère alors que de simples malchanceux qui ne sont pas nés avec le bon père, mais ne compte pas se lier d'amitié avec eux pour autant.

Izaak n'avait jamais connu le stress de changer de vie fondamentalement. Il connaissait les doutes d'une première fois, l'émerveillement d'un nouveau lieu. Mais c'était la première fois, du haut de ses onze ans, qu'il se sentait stressé et qu'il ressentait une quelconque forme de peur. La peur de l'inconnu était, d'après lui, idiote : pourquoi avoir peur de quelque chose qu'on ne connait pas? Et pourtant, alors que le Poudlard Express filait vers le château de l'école, il ne pouvait empêcher le creux de son estomac d'être tiraillé par la peur. Il ouvrait et refermait ses doigts nerveusement sur un livre qu'il ne souhaitait même pas lire, et son regard se perdait dans les paysages extraordinaires d'Ecosse. Le garçon avait l'impression d'abandonner sa vie pour une toute autre, et si ce n'était pas désagréable, cette idée soulevait des doutes qui rendaient le garçon pourtant inébranlable tout à fait confus. Était-ce une bonne idée de s'engager pendant sept ans dans une vie d'élève ? Sept ans, c'était horriblement long. En fait, c'était bien plus que la moitié de sa petite vie. C'était, cependant, bien plus réjouissant que de passer sa vie avec la vermine qui infestait son foyer. Mais la réjouissance d'années passées dans un château fabuleux comme Poudlard avait ses limites, et voir son voisin ouvrir la fenêtre pour vomir n'avait absolument rien de plaisant. Il avait fini, comme à son habitude, par se plonger dans sa lecture du moment. La Bête Humaine de Zola, qui traitait, ironiquement, de trains.

Son arrivée à Poudlard s'était faite sous l’œil des étoiles. Pas un nuage, ce soir là, n'avait décidé de couper le contact visuel des astres et des élèves. Installé dans une barque qui craquait, au beau milieu d'un lac qui n'avait rien de rassurant —Izaak détestait l'eau et il avait peur que, d'une minute à l'autre, il chavire et finisse au fond du lac— il se perdait dans la contemplation des lucioles du ciel. Malheureusement pour lui, son voisin —le même qui avait vomi ses tripes lors du voyage— s'était remis de ses émotions et n'avait pas sa langue dans sa poche. Il décrivait tout ce qu'ils pouvaient apercevoir, Izaak comprit alors que son admission Poudlard signait la fin de sa tranquillité et de sa solitude. Il avala sa salive avec difficulté tout en se demandant dans quoi il s'était lancé. Il n'avait, à ce moment, aucune idée de ce qui l'attendait mais il ne se doutait pas que les années passées à Poudlard n'auraient rien de semblable à ce qu'il avait connu auparavant.

Une fois les pieds sur terre —les traits de son visage s'étaient alors relaxés—, ils avaient suivit un homme jusqu'à une pièce où une femme tint un discours concernant leur arrivée. Izaak n'avait écouté que d'une oreille, il ne doutait pas que ce n'était que les habituelles règles; qu'il ne comptait de toute façon pas forcément suivre. Il était plus occupé à penser à sa future année, mais la question qui taraudait son esprit —comme à tous les autres élèves à ce moment-là— concernait bel et bien sa maison. Il savait que sa mère avait été Serpentard et son père Poufsouffle. Il ne se voyait définitivement pas rejoindre la maison de Poufsouffle, il considérait qu'il n'avait rien de commun avec eux. S'il avait à choisir lui-même, il hésiterait sans doute avec les aigles et les vipères. Mais lui-même ne savait pas réellement et il était certain que le Choixpeau aurait du mal à le classer. Dans tous les cas, il voulait éviter Gryffondor qui avait cette réputation d'être héroïques. Izaak était loin d'être héroïque, il avait plutôt tout de l'anti-héro, et il ne ressentirait aucune fierté à intégrer une maison d'hypocrites qui veulent simplement avoir leur photo en une de la Gazette des Sorciers.

Sa réflexion fut coupée alors qu'ils entraient, enfin, dans la Grande Salle. Izaak n'avait jamais vu une pièce aussi grande et il se mit à penser qu'une personne myope ne pouvait voir que des tâches blanches à la place des bougies qui lévitaient dans le ciel, tant elles étaient distantes et hautes. Ils remontaient le long des tables sous les applaudissements de leurs camarades plus âgés. C'était la première fois qu'Izaak avait l'attention d'autant de personnes, et bien qu'elles ne le regardaient sans doute pas, il sentait le bout de ses doigts picoter sous l'effet de l'angoisse et de la pression qu'il ressentait à ce moment-là. Il découvrait de nouvelles sensations, de nouvelles émotions, et si ces années risquaient d'être un calvaire, il réalisa qu'elles lui apprendraient sûrement beaucoup sur la vie et sur lui-même.

Vint le moment tant attendu de la répartition. Les noms fusaient. Des enfants aux allures d'elfe de maison, d'autres qui bombaient le torse et levaient le menton comme si le Choixpeau était une couronne à la valeur inestimable qui leur conférait des pouvoirs royaux. Il voyait sur chacun des visages la déception, la joie, ou la frustration. Pour la première fois de sa vie, il n'observait plus les vagues qui écumaient et se jetaient avidement sur la plage. Il n'avait plus, en face de ses yeux, les lettres bien dessinées des ouvrages dans lesquels il se plongeait sans arrêt. Il n'admirait plus les graffitis parfois chaotiques des murs de Peterhead. Il prenait conscience de la diversité des expressions, de la façon intéressante avec laquelle les élèves plissaient leur nez dans l'attente. Il comprenait, enfin, que l'homme est une créature extraordinaire, sur laquelle il y a tant de choses à apprendre.

— Izaak Svensson. Il déglutit avant de se racler la gorge —pensait-il faire un discours ? Lui-même se traita d'idiot après ce réflexe stupide. Il monta alors les marches de l'estrade, les poings serrés. Le Choixpeau Magique avait quelque chose d'imposant, une ancienneté qui ne laissait aucun doute sur sa sagesse bien qu'il ne fut qu'un objet ensorcelé. Les lèvres pincées, comme s'il avait peur que respirer gênerait le Choixpeau, il s'installa sur le siège. Il entendait son cœur battre, le sang pulser dans ses oreilles alors que le regard des autres élèves semblaient le transpercer. Pour la première fois de sa vie, il fut curieux de savoir ce qui se passait dans la tête de ses camarades alors qu'ils posaient leur regard sur lui.