C’était mieux que rien. Pas du véritable veritaserum, bien sûr, ce genre de produits là ne s’achetait pas dans le petit commerce – quant à en préparer lui-même, n’en parlons pas – et il n’était pas question d’en faire entrer dans Poudlard en contrebande. Certes, le personnel de l’ambassade de Russie n’était pas composé de sorciers impotents, mais jamais son père ne validerait de le laisser entrer à l’école avec des produits illégaux, qu’il se fasse prendre et il allait au-devant de gros problèmes, surtout depuis l’incident avec Silas. C’était finalement le Kot Baioun qui lui avait soufflé l’idée : on trouvait à Pré-au-Lard des équivalents au veritaserum en version diluée, le genre de bonbon qui empêchent de mentir lorsqu’on joue à action ou vérité. Des trucs d’ados, évidemment, mais en quantité suffisante cela ferait peut-être l’affaire et avait le mérite d’être totalement légal.
Nikita s’en était fait toute une réserver. « Tu prépares un interrogatoire ? » avait demandé le vendeur au moment de passer à la caisse, mais heureusement il ne faisait que plaisanter et le jeune homme avait filé sans demander son reste. L’avantage de posséder un dortoir pour lui tout seul était qu’il pouvait librement s’y préparer. Méticuleusement, il avait pilonné et broyé les bonbons jusqu’à obtenir une petite poudre sucrée. La pincée déposée sur sa langue en guise de test avait donné des résultats encourageants. « Le thé au lait est meilleur qu’en Russie » s’était-il entendu avouer, à son grand désarroi et non sans arracher un feulement indigné au Baioun. « Traitre » avait craché le chat avant de disparaitre d’un bond. Cette nuit-là, Nikita était allé se coucher honteux mais satisfait.

Attirer Selene n’était pas la partie la plus compliquée de l’affaire. La proximité de leurs âges les amenaient amenés à se croiser à plusieurs reprises, d’autant qu’elle semblait avoir le béguin pour Kenneth ou l’inverse, ce n’était pas clair à ses yeux, en tout cas se retrouvaient-ils régulièrement dans les pattes l’un de l’autre et Nikita, à la traîne du Poufsouffle, aussi. Le Russe n’avait toutefois pas relâché sa méfiance, même s’il fallait la dissimuler. A ses yeux Selene suivait la même stratégie que lui : pour une raison ou une autre elle cherchait à se rapprocher des Appleton par le biais de leur fils. Terriblement prévisible, le MI6 était décidément décevant. S’il parvenait à forcer leur agente à se révéler, Selene serait très probablement rappelée à Londres. Si en revanche il s’agissait d’une agente dormante alors… peut-être y avait-il moyen de la retourner.

Une lettre avait suffit à l’attirer. Une invitation cordiale à boire le thé – si la jeune fille n’était pas sotte, elle comprendrait la référence au polonium – restait à lui faire avaler un peu du poison. Elle se méfierait forcément de tout ce que Nikita pourrait lui servir, mais la grande passion du jeune homme pour l’espionnage lui avait appris qu’il y avait de nombreux moyens détournés d’inoculer quelque chose à quelqu’un sans être repéré. N’ayant pas de parapluie bulgare sous la main, il préféra la stratégie de la théière chinoise : un récipient spécialement conçu pour pouvoir verser deux liquides différents d’un simple déplacement des doigts sur l’anse. Technique millénaire mais qui plaisait beaucoup au jeune homme et le Kot Baioun avait bien voulu lui en fabriquer une en échange de trois gouttes de sang, du premier poisson qu’il pêcherait, et de grattouilles sur le ventre.

Le plan était prêt et Nikita n’avait plus qu’à attendre l’intéressée. Poudlard ne manquait pas de petits salons cosy et le prétexte de faire goûter à la jeune fille au samovar traditionnel moscovite était suffisant pour que le piège se referme sur elle. Assis dans son fauteuil, les mains jointes et la mine sévère, il avait à coup sûr une vraie mine d’agent du KGB, c’était trop stylé.

- Mrs Paulet, nous vous attendions, articula-t-il lorsqu’elle pénétra dans le boudoir, mais il se reprit devant l’air effaré de la jeune fille. « Heu je veux dire tu enfin je, heu merci d’être venue, ça va ? »

@Selene O. Paulet

Ok il avait foiré son entrée en matière mais ça ne voulait pas dire que tout était perdu pour autant. Il n’avait juste plus le droit à l’erreur. Nikita se réhaussa dans son fauteuil et força un sourire poli en invitant la jeune fille à prendre place dans le boudoir.

- Je t’en prie, c’est un plaisir de partager ces moments de culture et de tradition en toute convivialité.

C’est qu’il devenait bavard, attention à ne pas trop attirer l’attention. Il se releva tandis que Selene s’asseyait et s’en alla près du samovar récupérer la théière qu’il avait laissé chauffer au-dessus. Ses ancêtres seraient sans doute horrifiés de le voir servir ainsi la boisson, mais sa mission était de la plus haute importance, il était prêt à souffrir le froncement de sourcil spectral d’une dizaine de babouchka agacées si nécessaire.

- C’est cela, tu es la première arrivée, confirma-t-il mécaniquement tout en soulevant la théière. Difficile de faire plusieurs choses à la fois, l’empoisonnement requérait toute son attention et il avait toujours été mauvais pour le small talk en anglais. « Je vais nous servir tant que c’est chaud cependant ce serait dommage de ne pas le boire dans de bonnes conditions.

Avec beaucoup de concentration, il versa d’abord une tasse pour la jeune fille, puis décala son pouce sur la hanse pour créer un appel d’air et changer de breuvage ni vu ni connu et se verser une tasse à son tour.

- C’est toujours un plaisir de bavarder entre amis, récita-t-il en allant reposer le récipient sur le samovar. Nous n’avons guère pris le temps de nous connaître depuis notre discussion à l’ambassade. »

Voilà, tout était prêt, le piège venait de se refermer telle une araignée sur un cafard britannique. Il sourit à Selene et porta son attention sur les tasses. C’était laquelle la sienne déjà ?

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1 ; 3 ; 5 = ÉVIDEMMENT il se trompe de tasse.
➤ 2 ; 4 ; 6 = il prend la bonne tasse, Félix Dzerjinski aurait été fier de lui.
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Une sueur froide lui parcouru la nuque. Quel idiot. Mais il n'était plus temps de reculer, il s'empara un peu fébrilement d'une des deux tasses et la tendit à Selene avec une moue crispée.

Tout se passait presque comme il fallait, Selene n’avait l’air de se douter de rien – ou donnait le change – et le piège se refermait avec une précision chirurgicale sur la pauvre et « innocente » jeune fille. Ouais ouais à d’autre. Toujours était-il que Nikita avait tenu la situation bien en main… jusqu’à ne plus savoir dans quelle tasse se trouvait son poison. Il ne pouvait pas se permettre d’hésiter, ou Selene comprendrait que l’invitation était une sorte de traquenard aussi mobilisa-t-il les quelques lambeaux de mémoires qui lui restaient pour rétro-ingénierer ses gestes et, mécaniquement, poussa vers elle la tasse de gauche. Son esprit était vide et à peine entendait-il les paroles de Selene alors qu’il entreprenait de se rasseoir dans son fauteuil, la tasse de droite au creux de ses mains. Pouvait-il envisager de ne pas y boire ? mais alors son stratagème avec la théière tomberait à l’eau. Si Selene réalisait qu’il ne buvait rien, elle refuserait également d’y goûter, elle préviendrait peut-être même les professeurs et alors ce serait la catastrophe. Non il ne pouvait se permettre un tel échec. Nikita trancha la poire en deux : s’il trouvait un goût étrange à son thé, il recracherait le tout et quitterait la pièce sans laisser le temps à la potion d’agir. Il prétexterait un mal de ventre, ou un oubli de devoir à rendre, peu importait, Selene se méfierait sans doute, mais elle n’aurait aucune preuve contre lui, c’était le plus important.

- De temps en temps, balbutia-t-il en reprenant le fil de la conversation. « C’est comme partager une passion. »

Il se fit la réflexion que c’était la seconde fille à qui il proposait du thé pour lui soutirer des informations et qu’il faudrait penser à changer de stratégie pour ne pas se faire repérer.

- Koldovstoretz ne semble plus si loin quand on boit au samovar.

Il scrutait maintenant la jeune fille en portant lui-même sa tasse à ses lèvres. Il s’agissait de déterminer qui d’eux deux avait reçu le poison, le moindre geste suspect pouvait constituer un indice. Selene s’apprêtait à prendre une gorgée quand, au dernier moment, elle arrêta son geste. Nikita déglutit difficilement. L’avait-elle percé à jour ?

- Tu disais qu'il y aurait du lait ?

Bien joué. Du lait. Un prétexte évident, une grossière excuse d’espion anglais, ça crevait les yeux. Il lui adressa un sourire crispé.

- Bien sûr. C’est comme ça que vous le buvez n’est-ce pas ?

Il se releva lentement, mais sans la quitter des yeux. A tous les coups elle profiterait qu’il détourne le regard pour se débarrasser du breuvage, il ne fallait pas lui en laisser l’occasion.

- Tiens… voilà du… lait…

Il tâtonna à moitié sur la table à la recherche du petit pot sur lequel il finit par mettre la main, manqua de le renverser, le stabilisa et le poussa en direction de la jeune fille. Puis il leva sa propre tasse d’un geste mécanique.

- Apprécions ce moment.

Il la porta à ses lèvres et y trempa, avec la prudence d’un chat au-dessus d’un bocal à poisson, la pointe de sa langue. Aucun goût suspect, juste du thé un peu quelconque. Est-ce que cela voulait dire qu’il buvait dans la bonne tasse ? on allait vite le savoir.

- As-tu apprécié ? demanda-t-il. Si Selene était obligée de dire la vérité, elle répondrait forcément que non, puisqu’il avait volontairement beaucoup trop dilué les feuilles dans l’eau, pour obtenir un résultat fadasse. Une espionne experte en thé ne pourrait manquer de le remarquer.