Calixte marchait d’un pas décidé vers l’eau claire des mers du Nord. Plus ses pieds nus et gelés s’enfonçaient dans le sable fin, plus il sentait son corps attiré vers le large. Lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques mètres de la ligne à partir de laquelle le sable devenait dur et humide, il s’arrêta et se déshabilla, ne gardant sur le lui qu’un caleçon. Il s’accorda un moment de silence et resta immobile, à moitié nu, au milieu de cette nature brute et froide qu’était le Nord de l’Ecosse au printemps. Il ferma les yeux quelques secondes et inspira profondément afin de calmer son cœur qui battait la chamade. Lui qui avait attendu ce moment depuis si longtemps, il n’était plus certain aujourd’hui de vouloir y aller. Une bouffée d’angoisse lui noua la gorge. De toute façon il n’avait pas le choix, il fallait passer par là pour devenir un Ewen. Sans même s’en rendre compte, Calixte se mis à courir vers la mer. Il ne s’immobilisa pas lorsque sa peau entra en contact avec l’eau gelée. Il continua à avancer toujours plus loin vers l’horizon. Seule sa tête dépassait de la surface à présent et ses jambes battaient dans l’eau. Il n’y avait pas beaucoup de vent aujourd’hui et le ciel chargé de nuage gris annonçait des averses en fin de journée. Le garçon, fatigué par l’effort et le froid, s’allongea sur le dos. Il adorait être dans l’eau. Il écouta le bruit sourd des fonds marins. Tout était si paisible ici. Soudain, alors qu’il se laissait balloté par les flots, il entendit la voix d’un homme hurler son prénom.

- Calixte ! Monsieur Calixte ! Mais qu’est-ce que vous faîtes dans l’eau ?! Vous allez attraper la mort ! Sortez !

C’était Anthony, l’homme à tout faire de la famille, qui dévalait le chemin creusé dans la falaise menant à la plage. C’était un homme d’âge mûr, mince et élancé. Il portait son habituel costume en queue de pie noir. Il tenait d’une main sa baguette (prêt à jeter un sort à quiconque s’en prendrai à son jeune maître) et de l’autre une serviette en coton d’un blanc immaculé. A contre cœur, Calixte sorti de l’eau, se sécha et se rhabilla devant le regard courroucé d’Anthony. Ils remontèrent ensemble les marches taillées dans la roche jusqu’à atteindre le chemin de terre menant au manoir des Ewen.

- Cassandre, votre sœur, m’a prévenu de votre escapade. Votre grand-mère va être folle si elle apprend que vous êtes allez nager aujourd’hui. Allons mon garçon, vous devez prendre sur vous. C’est une étape importante de votre vie. Vous ne pouvez pas échapper à ça.

Ils s’étaient arrêtés devant la petite porte de service menant aux cuisines. Anthony le regardait droit dans les yeux, la main sur la poignée de la porte.

- Maintenant vous montez dans votre chambre et enfilez votre tenue de cérémonie. Nous vous attendrons tous dans la salle de réception. Et, Calixte, souriez ! Après tout, on n’a pas quinze ans tous les jours.


Avoir quinze ans ne signifiait pas seulement « grandir » pour la famille Ewen. C’était avant tout entrer dans l’âge de raison et donc être reconnu officiellement comme un descendant. A partir de ce moment-là, on obtenait une place comme futur héritier des trésors, des terres et des richesses des ancêtres. On accédait également à un réseau. On participait aux fêtes mondaines. Et, surtout, toute la famille le considérait comme un sorcier prêt à se battre pour défendre le nom des Ewen. Mais était-il prêt à tout cela ? La seule chose qu’il voulait c’était retourner à Poudlard pour revoir ses camarades et reprendre les cours. Être un élève comme les autres avec des préoccupations d’adolescents, et non d’un jeune aristocrate.

Empaqueté dans son costume trois pièces, Calixte avança le dos droit comme un « i » entre les convives. Certain l’arrêtait pour lui souhaiter un joyeux anniversaire, d’autre lui donnait simplement une petite tape d’encouragement dans le dos. Lorsqu’il émergea enfin de la foule, il se figea devant la scène qui se déroulait sous yeux. Toute sa famille était réunie autour d’un fauteuil en velours rouge, portant, comme lui, des tenues qui semblaient venir d’un autre siècle. L’ensemble des filles et des femmes portaient de gros bijoux voyants et étaient maquillées. Il eut un petit rire en voyant sa petite sœur Céleste qui ne parvenait pas à s’assoir sur le banc à cause de son corsage trop serré. Un peu plus détendu, il alla prendre place dans le fauteuil. Il sorti sa baguette et la plaça en travers de son torse. Il se souvenait très bien de cette même pause qu’avait pris son frère Lewis puis sa sœur Cassandre quelques années auparavant. Face à lui, les invités le regardaient en souriant. Le photographe qui se trouvait au premier rang demanda le silence et dit solennellement :

- Bienvenue à toi Calixte Gareth Ewen dans la famille Ewen. Puisses-tu défendre les intérêts et le nom de tes ancêtres et de tes proches. Puisses-tu tous nous protéger et nous guider. Devient le sorcier le plus fort et le plus loyal, toi, Calixte Gareth Ewen.

Le flash de l’appareil se déclencha et tout se finit dans un crépitement et une lumière aveuglante. Les convives applaudirent avec ferveurs.


Après un repas beaucoup trop copieux, des heures de jeux avec ses frères, sœurs et cousins, Calixte fut assailli par les anciens qui lui racontaient un nombre impressionnant d’anecdotes sur son enfance. Même si son histoire variait d’une personne à l’autre, tous s’accordaient à dire que son calme légendaire le rendait captivant. Lorsque le soleil commença à tomber dans le ciel, les invités rentrèrent chez eux. Le jeune homme en profita pour s’assoir près d’une fenêtre. Son regard se perdit au loin sur la mer dont les vagues léchaient à présent la falaise sur laquelle reposait le manoir. Il fermât les yeux et plongea dans ses pensées.


Calixte avait eu une enfance heureuse et épanouie avec sa fratrie et ses parents. Il se souvenait de ses premiers vols sur le vieux balai de son grand-père qui hurlait en courant derrière lui « Regarde devant toi Calixte ! Lève les yeux nom de nom !». Il se rappelait également des premières apparitions de magie. Sa famille s’était réunie dans le salon pour la lecture d’une histoire par grand-père Gareth. Cependant, ni Calixte, ni aucune personne dans la salle ne semblait s’intéresser à la voix lente et plate de leur aïeul. Le jeune garçon avait alors proposé de leur raconter une histoire qu’il avait lui-même inventé. Il commença son récit et la pièce sembla plonger dans un autre temps. Plus il avançait dans les péripéties, plus une lumière semblait émanée de ses mains. Soudain des petites particules lumineuses se mirent à voler autour de lui et former les images de son conte. Personne n’osa couper le petit garçon dans ce moment magique de sa vie.

La seconde fois fut beaucoup plus douloureuse. C’était une journée d’été et un vent chaud balayait l’herbe verte autour du manoir. Lewis et Calixte était étendu par terre et regardaient le ciel en silence. Anthony, le majeur d’homme, les surveillait en baillant. Ils s’ennuyaient affreusement. Soudain Lewis lança au hasard « C’est bizarre que tes pouvoirs ne soient toujours pas apparus. Si j’étais toi, j’aurais peur d’être un cracmol ! J’en ai déjà rencontré. Ils sont tellement tristes et seuls … Tu sais, les miens sont apparus quand j’étais en danger. J’ai failli tomber dans le lac où grand-père m’amenait souvent. Mais au moment où j’allais toucher l’eau, mon corps est resté suspendu en l’air. »

La peur au ventre à l’idée d’être un cracmol, Calixte n’avait pas réfléchi plus de deux secondes. Il s’était levé et avait couru jusqu’au bord de la falaise d’où il avait sauté sans se poser de questions. Il savait au fond de lui qu’il ne risquait rien. Il avait entendu cette petite voix qui lui disait « Saute ! ». La chute avait été longue. Il tournait dans les airs et plus il se rapprochait du sol, plus il ralentissait. Il tomba doucement sur le dos dans le sable, comme si deux bras l’avait déposé dans son lit. Il apprit plus tard qu’Anthony avait failli faire un arrêt cardiaque et que Lewis avait été puni pendant 2 semaines. Depuis on l’appelait l’Enfant de la Falaise.

Calixte était le troisième enfant d’une grande famille de sang pur. Son père était un écossais à la chevelure et à la barbe rousse. C’était un homme de grande taille qui aimait beaucoup porter des robes de sorcier taillées sur mesure. Il avait un cou fin autour duquel pendait les armoiries de la maison Ewen attachées à une chaîne en or. Conor Adrian Ewen était un père amical avec ses enfants, aimant avec sa femme et dévoué envers ses parents. C’était un homme loyal et investi dans son travail au ministère de la magie. Il s’était marié à Serinity Valeria Hewitt après être sortis ensemble pendant 4 ans. Contrairement à son mari, Serinity était une femme douce et calme. Elle avait de longs cheveux blonds qui volaient derrière elle dès qu’elle marchait. Passionnée par les textes anciens, elle était historienne et arpentait le pays à la recherche d’indices et de mythes pour écrire ses livres. Le couple s’était installé dans le manoir de famille (non sans aucunes protestations) et avait eu cinq enfants : Lewis, Cassandre, Calixte, Céleste et Ulysse. Toute cette famille vivait sous le même toit que les parents de Conor ainsi que son frère, sa femme et leur fils Terence.

Malgré les quelques farces de ses ainées concernant son acceptation à Poudlard, Calixte avait reçu comme tous les autres enfants de Grande Bretagne, sa lettre d’admission à l’école de sorcellerie. Il avait eu un pincement au cœur en quittant sa famille mais était très impatient de découvrir cette vie dans le grand château. Concernant sa maison, il savait que ses parents souhaitaient le voir entrer à Serdaigle (comme eux et sa grande sœur) mais savait aussi que Serpentard serait une maison acceptable comme ça l’avait été pour son frère. Il était donc monté dans le train sans se poser de question, avec un calme olympien et une ambition de devenir autre chose qu’un Ewen.

[U.C.]