Les moments qui restaient gravés dans la tête d’Irina étaient peu nombreux et à chaque fois parfaitement justifiés par un événement marquant. Ces mois de juillet et août venaient grossir la petite liste de la jeune femme qui ne se souvenait pas avoir vécu tant de moments aussi forts et marquants. Celui qui était survenu en premier avait pour cadre une île japonaise et Irina n’avait qu’à fermer les yeux pour se souvenir de la sensation des lèvres de Mattheus sur les siennes pour la toute première fois. Un instant qu’elle n’avait pas rêvé mais qui restait tout de même dans son esprit à l’état d’onirisme. Dès son retour en Irlande, elle avait attendu quelques jours avant de se décider à parler de Mattheus à Bianca, un instant redouté qu’elle n’avait pas su comment formuler jusqu’à se rendre à l’évidence : Bianca n’était plus une toute petite fille, elle était capable de comprendre non seulement beaucoup de mots simples, mais également une quantité d’autres un peu plus complexes. Elle s’était d’ailleurs trouvée soulagée et sincèrement heureuse d’avoir énoncé clairement à la personne qui lui était la plus proche un fait intangible et formel : elle était profondément amoureuse et ne s’était pas attendue à ce qu’un tel cas de figure lui tombe dessus.

Le second fait marquant était celui du moment où sa fille avait ouvert sa lettre, lui rappelant mille et uns souvenirs de son propre passé et de celui de ses neveux et nièces. Sa petite fille avait sa lettre lui étant expressément adressée, elle irait à Poudlard dès la fin de l’été et Irina avait du mal à se mettre l’idée dans le crâne. Bien sûr, elle était heureuse que la petite vole de ses propres ailes dans le monde des sorciers, mais elle s’inquiétait aussi beaucoup intérieurement pour elle : se ferait-elle des amis ? Serait-elle satisfaite de ce que le choixpeau déciderait ? N’aurait-elle pas trop de mal à suivre le cours ? Irina ne disait rien de tout cela à voix haute, préférant laisser la petite un peu tranquille et s’enthousiasmer. Elle avait largement mérité de le faire et d’idéaliser comme elle le souhaitait sa rentrée prochaine.

Bien sûr, Irina avait deviné que Bianca serait également euphorique à l’idée d’aller acheter ses fournitures scolaires. Elles avaient fixé le moment fin août, après avoir passé de superbes petites vacances et de jolis moments en amoureuses. Irina partageait l’euphorie de la jeune fille (bien que la cachant évidemment le plus possible), mais pour une toute autre raison : Mattheus devait les rejoindre. Se retrouver à Londres, à trois, en public et potentiellement en présence d’élèves de l’école qui ne manqueraient pas de les reconnaître était un cas de figure qui sortait un peu du cadre habituel qu’ils s’étaient fixé. Pour une fois, ils sortiraient de la zone de confort sécurisante de Lucan (par Merlin, ce qu’elle avait aimé ça le voir débarquer chez elle, à Lucan… !) et la jeune femme ne savait pas encore comment se passerait la journée, ce qui ne l’empêchait en rien d’avoir envie d’atteindre Londres au plus vite.

En ce matin du jour J, la petite était dans sa chambre. Ce qu’elle y faisait exactement ? Mystère. Irina se vit obligée de dire, après avoir tourné en rond plusieurs fois dans la cuisine et le salon : « Bianca ! Je suis prête ! » Elle laissa quelques minutes se passer avant de perdre patience et ajouter : « Ne crois pas que l’avion va nous attendre, c’est loin d’être le cas… ! » Elles n’étaient pas en retard, mais Irina était fidèle à elle-même et ne tenait pas en place. Pourquoi avoir opté pour l’avion plutôt que la poudre de cheminette ou le transplanage ? Parce que la distance était trop grande au goût de la jeune prof pour déplacer la petite et qu’elle avait une peur bleue qu’elle se perde dans le réseau des cheminées. L’avion était sympa aussi pour faire un petit déplacement, non ? Irina n’avait encore pas entendu Bianca s’en plaindre et verrait par la suite.


Et contre toute attente, le trajet se passa à merveille jusqu’au Pub qui allait leur ouvrir le passage sur la plus belle allée sorcière et marchante de Londres : Le Chemin de Traverse (Irina dût quand même faire taire Bianca à plusieurs reprises pour qu’elle ne parle pas de « baguette magique » et « d’ingrédients de potions » dans la rame du métro qu’elles avaient empruntées). La liste ne quittait évidemment pas les mains de Bianca et Irina savait qu’il n’y avait que très peu de chances qu’elle la perde. Après avoir fait quelques pas sur le sol pavé de l’avenue, Irina s’arrêta et déposa un baiser sur le front de la petite, agissant très vite pour ne pas lui laisser l’occasion de se défiler ; elle reprit ensuite la parole pour lui demander : « Alors ? On commence par quoi ? » Irina pensa encore une fois qu’elle pouvait croiser ici des tas d’élèves de l’école qu’elle avait côtoyé l’année précédente et qu’elle continuerait de voir au cours de l’année qui s’annonçait, mais elle avait bien du mal à y penser, se fixant exclusivement sur Bianca, l’imaginant déjà dans la Grande Salle au beau milieu des autres élèves de Poudlard. Son bébé, son petit trésor tant délaissée au profit du boulot… à Poudlard… La jeune prof peinait à y croire. Mattheus était aussi bien présent dans sa tête et son premier réflexe fut de jeter un œil sur la petite foule de sorciers déjà présents en ce milieu de matinée. Il n’y était pas, du moins, pas encore dans son champ de vision et Bianca la faisait déjà avancer vers l’endroit de son choix.

Le voyage jusqu’au Chemin de Traverse se passa sans encombre et dans la joie et la bonne humeur. Bianca était excitée à l’idée de repartir avec tout ce qui était inscrit sur la fameuse liste de fourniture et son état faisait rire Irina intérieurement. La gamine avait tout le loisir d’avoir hâte, l’arrivée à Poudlard était une étape dont on se souvenait généralement longtemps. Comme la jeune femme l’avait imaginé, l’allée commerçante était bondée et de nombreux élèves qu’Irina avait eu l’occasion de côtoyer l’année dernière devaient probablement se trouver là pour les mêmes raisons qu’eux. Elle ne chercha néanmoins pas d’emblée à reconnaître quelques visages mais en rechercha un en particulier…. Celui de Mattheus qu’elle ne trouva malheureusement pas tout de suite. Selon ses dires, Bianca voulait commencer par sa baguette magique et c’est sans attendre qu’Irina se mit au rythme de sa fille pour atteindre la boutique dont tous les futurs élèves de Poudlard rêvaient en premier. La jeune femme avait encore du mal à croire que Bianca aurait sa propre baguette, son objet précieux qu’elle devrait soigner et utiliser à bon escient dans sa future vie de sorcière indépendante. Sans pouvoir s’en empêcher, elle chercha de nouveau Mattheus dans la foule qui était de plus en plus compact au fur et à mesure qu’ils avançaient avant de poser les yeux sur la petite qui venait tout juste de fêter ses 11 ans. Elle lui semblait petite, encore jeune mais pourtant si grande et capable. Irina avait presque envie de pleurer, mais Bianca la détourna de l’idée en lui posant une question sur Mattheus. « Dans le mile ! Je ne l’aperçois pas encore, mais en effet, il va nous rejoindre. » Là commençait l’instant d’angoisse.

Irina avait réussi à se persuader que tout se passerait bien, que Bianca ne dirait pas de grosse bêtise face à Mattheus et qu’elle ne le questionnerait pas trop sur sa condition. En retour, elle espérait aussi qu’il ne s’agirait pas d’une occasion pour le jeune homme de se rendre compte qu’il ne souhaitait pas d’une femme avec un enfant… Tant de questions qu’elle n’avait plus le loisir de se poser. Elles avaient toutes les deux atteint la boutique et, dans le même temps, elle apercevait déjà Mattheus qui fendait la foule. Bianca n’avait rien remarqué et c’est avant qu’elle ne prenne la peine d’ouvrir la porte de la boutique d’Ollivander qu’elle lui glissa : « Attends…chérie… » Il fut là après quelques secondes et Irina n’eut même pas le réflexe d’analyser la réaction de Bianca tant elle était surprise de voir avec quelle facilité il avait réussi à les identifier. Irina le laissa s’approcher, sentant son cœur s’arrêter de battre pendant une fraction de seconde. Un baiser de sa part et c’était le début de la folie dans le corps et l’esprit d’Irina… Le petit cadeau qu’elle serra immédiatement dans ses deux mains lui donna un sourire qu’elle se força à maîtriser un peu, légèrement gênée par la présence de sa fille qui ne l’avait finalement jamais vu si proche d’un homme. « La maison à Lucan pour les jours qu’il nous reste, puis, mon bureau à Poudlard si le fleuriste leur a donné un coup de pouce pour tenir plus longtemps… » Dans un nouveau sourire, elle ajouta porta les fleurs à son visage pour en sentir le parfum et ajouta « Merci…c’est adorable… » N’était-il pas adorable ? C’était la question silencieuse qu’elle posa à Bianca, consciente que la petite n’avait pas l’âge de répondre à une telle question et qu’elle n’avait pas non plus son mot à dire. Le truc était qu’elle avait l’impression d’être chanceuse de l’avoir, Lui. Il était d’ailleurs charmant ; la vision de sa personne avait cruellement manqué à la jeune femme et ce constat s’imposa encore plus fort que ce qu’elle avait imaginé. En pinçant discrètement les lèvres et sans manquer une seule réaction de chacun d’eux, elle laissa Mattheus s’adresser à la petite. Forcément, sa réplique fit naître un sourire sur le visage d’Irina qui attendit que Bianca lui ait répondu pour dire à son tour : « Future prodige et… pour l’heure, je dirais « excitée du jour » ! » Elle lança un petit regard complice et mesquin à Bianca avant de se tourner vers Mattheus. « On était sur le point d’entrer chez Ollivander pour le grand moment de mademoiselle, tu nous accompagnes, bien sûr ? C’est peut-être notre occasion d’être à trois puisque je vais être happée par la boutique de Quidditch dans peu de temps, et vous, par la ménagerie magique… » Elle roula les yeux, conscience qu’ils avaient sûrement tous les deux compris le ton humoristique de sa réplique. Ils pénétrèrent ensuite assez rapidement dans la boutique et Irina, Bianca toujours aussi excitée et pressée d’avoir entre les mains SA propre baguette. C’est après quelques pas effectués dans la boutique que la jeune prof dit à sa fille : « Va te présenter, princesse. On te rejoint dans trois minutes, j’ai deux trois petites chose à dire à Mattheus. » Dans un hochement de tête, elle encouragea la jeune fille à avancer toute seule. Normalement, Bianca n’avait peur de rien et n’était pas du genre à être intimidée, mais Irina se méfiait quand même de la réaction que pourrait avoir sa fille. En continuant de scruter Bianca du coin de l’œil, elle se pencha vers Mattheus pour lui glisser, près de l’oreille. « Tu n’es pas anxieux à la perspective de cette rencontre ou… tu le caches à merveille ? » Elle laissa un sourire s’installer sur son visage avant de reprendre : « Tu te rends compte qu’il va y avoir une prolifération d’élèves de Poudlard et qu’on ne sera pas libres de nos gestes … c’est bien triste, parce que tu m’as horriblement manqué. » Elle laissa un silence de quelques secondes s’installer et ne se laissa pas abattre et ajouta : « Tu as pensé à moi combien de fois par jour depuis qu’on s’est quittés ? » Une question digne d’une adolescente mais Irina l’assumait pleinement, elle en avait des tas, du même style. De son côté, rares avaient été les moments où elle n’avait pas pensé à lui et à la perspective de le retrouver. Elle savait qu’ils allaient devoir de restreindre au niveau des paroles, des gestes et des attitudes qu’ils auraient l’un envers l’autre, mais elle avait fini par se dire que c’était un plus et qu’ils auraient tous le loisir de continuer leur petite mascarade de phrases dissimulées et pleine de sous-entendus. Leurs retrouvailles n’en seraient que plus belles, plus intenses, Irina en mettait sa main à couper et avait hâte que l’année scolaire démarre pour tout un tas de raisons liées à Mattheus. En attendant, il fallait aussi qu’elle se concentre sur Bianca qui était sur le point d’avoir une baguette magique, difficile tant la passion amoureuse que lui inspirait Mattheus était forte, mais faisable. C’était le jour de Bianca, Irina n’avait pas la moindre envie de l’oublier.