feat. Amra Cerkezovic
Il a fait nuit si tôt
sur le monde
si tôt sur l’enfant
pas un même un cri ne s’en est échappé
Le jour s’est oublié
abîmé dans des limbes
grises
Elle se souvenait. Ces pièces où trônait un long piano, où ses petits doigts se posaient pour faire résonner d'abord une note, qui s'étalait plus loin, se fracassait en douceur contre les murs de leur grande maison à Kristiansand, filait dans les longs couloirs. Puis la note mourrait, et écrasant ses doigts sur le clavier, le son renaissait, cette fois-ci en accord. Elle se souvenait d'avoir tant peiné, grogné contre les rythmes imposés par quelque musicien trop carré, fuyant préludes et fugues, grognant contre des impromptus et leur douceur blafarde. Elle, déjà, elle préférait les nocturnes aux couleurs changeantes, où le rythme n'était pas marqué une discipline dictée par les fous. Elle voyait dans ces morceaux, ou ces tentatives de morceaux, un écho à son pays de naissance. Elle revoyait si facilement ces paysages où les longues nuits déposaient leurs ombres sur un bras de mer lointain, ou quelques montagnes avoisinantes.
L'air allant qu'elle jouait maintenant faisait écho à ce passé, rappelant les paysages froids et calmes, où chaque ombre dissimulait une vérité que ces moldus pensaient contes. Ces plateaux sans fin, couvertes d'une verdure presque uniforme, qui respiraient le calme et le secret ; ils faisaient pénétrer dans l'âme une émotion douce et triste. Même pour l'indocile qu'elle était, comparé à Londres ou ailleurs, elle pouvait éprouver un indicible bonheur, à s'asseoir simplement à l'orée d'un chemin débouchant sur une de ces étendues, à l'ombre d'un conifère tordu. Devant elle, elle revoyait la haute terre parsemée ici et là de quelques cabanes. L'air était embaumé par le froid environnant, épaissis par une lourde brume et par les émanations de la forêt plus bas. Rien ne troublait les silences. Au moins pour les ignorants.
Chez eux, il était si simple de se perdre dans quelques contemplations. D'un tableau ou d'une fresque. D'un brasier dont elle enviait la puissance, l'aspect vengeur ou simplement la nature, ou bien d'un arbre duquel elle terminait pour le moment les branches si longues qu'elle ne pouvait en voir, alors, l'origine. Car c'était aussi cela qu'ils étaient, purs et puissants, sorciers qui prenaient soin de leur lignée, portant une grande importance à leur pureté. Mais même ainsi, chaque sang avait son lot de soucis.
Le cœur remonte dans la gorge
et remue tout sur son passage
pour se poser
au bord des lèvres
L’œil effrayé roule en tous sens
exorbité
et seuls mes doigts l’empêchent
de s’enfuir
Mes mains ne suffisent plus à
me tenir
me retenir
de tomber
Un battement affolé, un battement manqué, ou peut-être étaient-ce plusieurs. Il était si simple de se remémorer ces moments où dans un élan d'effort -de trop-, le corps, le cœur, faisait des siennes. Maladie infâme, maladie mortelle, incurable. La magie pouvait tout sauver, pensait-elle. Mais peut-être pas directement la nature même de ce qui les composaient, son jumeau et elle. Un destin tragique avait été placé sur leur tête à leur naissance. Mais n'était pas digne, celui qui ne viendrait pas défier un tel affront. Le repousser, toujours un peu plus. S'accorder une survie d'abord, pour retrouver une véritable vie, année après année. Elle le revoyait, Finnbjörn, si calme, à l'accepter en son cœur, à traiter cette maladie comme un compagnon d'infortune. Et elle se revoyait aussi bien, à lui grogner dessus.
La jeune fille n'était pas du genre à rester passive, à simplement consentir à survivre en comptant sur des plantes magiques dont l'effet faiblissait. Alors, elle s'était promis de ne pas simplement tomber dans ces si fades acceptations ; ce n'était pas du déni, juste de la ténacité. Elle était sûre de pouvoir trouver, un jour, un moyen pour tromper ce destin, quel qu'en serait le prix. Cette malédiction, ce trouble, avait beau offrir à son corps des moments de faiblesse où il cédait malgré sa volonté, à plier son corps dans une toux à lui en faire cracher ses yeux, baver ses poumons, elle se battrait. Et si la première fois avait laissé des soupçons d'inquiétude, les remèdes ne fonctionnaient plus, elle restait certaine qu'il y avait un moyen au-delà de ces connaissances-là, pour tromper ce mal. De façon définitive.
Il avait pour chanson
des airs et des suppliques
sans mots et sans paroles
des cris des cris mes cris
Il avait eu l'intelligence de parler, pour leur sauver la vie, son frère si semblable et si éloigné avait prévenu leurs parents, qui avaient eux-mêmes prévenu plus haut, plus vieux, pour rechercher sûrement d'anciens rituels, oubliés de de tous. Réussir là où les plantes ne suffisaient plus. Pendant plusieurs jours, même, ils s'étaient enfermés, et les quelques tentatives d'en apprendre plus n'avaient réussi qu'à rendre la jeune fille rageuse. Elle s'était bien défoulée un peu sur sa jeune sœur, pour déverser sa frustration, ou sa colère contre se propre faiblesse. Cela avait été plutôt efficace, même si elle était parfois pliée en deux, glissant sur ses genoux une main agrippée au tapis rougi, crachant ses poumons.
Puis la convocation sonna. Seulement elle dans un premier temps. Elle s'était dirigée alors dans la cour recouverte de neige, pour voir cette assemblée d'adultes, et Grand-Mère. Au milieu d'un cercle rouge, marquant si distinctement ce sol blanc, un moldu inanimé traînait. Peut-être était-ce l'un des locaux, elle ne savait pas trop. Elle n'avait jamais pris la peine de s'intéresser à eux plus que nécessaire, déjà à l'époque. Déshabillée, on la fit s'allonger au milieu du disque dessiné, presque à toucher le corps juste à côté d'elle, et le rituel put enfin commencer.
Terrible moment. Là, la tempétueuse Erin était devenue sage, seulement secoué par les faiblesses qui prenaient son cœur. Autour de ce duo entre la vie et la mort, Grand-Mère suivit le tour du cercle, allumant des bougies à intervalles réguliers. Dans un instant d'accalmie, elle crut l'entendre psalmodier quelques mots dans un norvégien ancien, puis, comme un thème qui module sur un nouveau, pour changer d'atmosphère, le pouce ridé qui se posa sur son front fut à l'origine d'un changement soudain.
Suffocation et douleur, elle n'avait jamais rien connu de tel. Hurlant à la mort, c'était comme si elle se situait dans le tableau où ces moldus payaient enfin le prix de leurs actes, au milieu d'un immense bûcher. Elle avait beau se débattre, jurer et se tordre comme elle pouvait pour échapper à ce doigt infernal, rien n'y faisait. Les minutes devenaient des heures, et les heures devenaient des jours entiers à son esprit. Puis enfin, ce fut la fin. A son regard brouillé et son corps tremblant, un visage apparut, ridé. Était-ce un sourire, une grimace ? Une main lui tapota doucement la joue, comme pour la féliciter d'avoir tenue, puis son père -sûrement, mais sa conscience n'en était plus vraiment sûre- se rapprocha pour la porter, et la rentrer quelque part dans la maison. Chaque mouvement, chaque bruit, chaque lumière était une douleur terrible. Et pourtant, il repartit aussitôt, la laissant allongée : c'était au tour de son frère.
Les silhouettes indifférentes
arrachent morceau
par
morceau
chaque parcelle de peau
d’émotion
sentiment
Et bientôt de toi ne reste que
des trous
où vivaient autrefois des tourbillons
Ils s'étaient remis.
De toux, il n'y avait plus, de faiblesse non plus. Ils n'étaient plus qu'eux, vivant, et avec un petit quelque chose en plus, ou en moins. Maintenant qu'elle y repensait, Erin ne pouvait plus dire si c'est vraiment à ce moment précis que Finnbjörn et elle avaient eu des chemins si différents. Là où le rituel avait rendu tout plus intense pour la jeune fille, elle avait l'impression qu'il était devenu d'une froideur exemplaire. Le contraste entre cette fratrie jumelle était si marqué, que le rituel ne pouvait qu'en être la cause.
Mais Erin eut beau interroger tant et plus les aînés de la maisonnée, rien n'y fit. Les lèvres étaient closes, et les règles claires. Une fois tous les trois ans, au solstice d'hiver, ils devraient renouveler cet exercice, quitte à ce que ces comportements s'accentuent. Et ses piques sur son frère n'y firent rien. Tout au plus, cela reporta cette nouvelle frustration sur la jeune Judith qui en prit pour son grade. Mais cela ne faisait toujours qu'un obstacle de plus à franchir et à résoudre pour Erin : elle se l'était promis après tout, cette malédiction serait un jour vaincue.
Elle reboucherait les trous de leurs âmes.
Silence.
Il est trop tôt pour les cris
le grouillement incertain des foules
le crissement du goudron piétiné
trop tôt pour
la ville
Seuls les oiseaux
affrontent l’aurore
– et moi, qui racle les restes du sommeil
la couche vide.
De Kristiansand à Londres.
La décision était tombée, terrible héritage qui allait contre leur volonté, mais celle de Grand-Père était la seule qui comptait : c'est à Poudlard qu'ils étudieraient tous. Choix incompréhensible, mais respecté. Alors, les leçons d'anglais s'étaient soudainement accentuées, avec le déménagement chez leur Grand-Père à Londres, même si la jeune Erin s'y plut plus qu'elle n'aurait bien voulu l'admettre. D'autant que cela lui permettait de devancer son frère au moins sur ce point. Mais comme d'habitude, semblait-il, à peine faisait-elle un pas devant lui, la Chance le portait au-delà. Le Fourchelangue. Voilà qui lui valut de nombreux regards sombres.
Dès lors, l'Angleterre lui parut un peu plus fade. A quoi bon être meilleur que son jumeau, s'il ne fallait qu'un coup du sort pour que cela s'inverse. Et cette ville était bien trop bruyante, grise et terne pour véritablement lui plaire. Et bien trop moldue. Ainsi, bien qu'elle ait eu un début prometteur pour cette langue nouvelle, elle ne fit finalement jamais d'effort pour se débarrasser de son accent prononcé, ou de quelques tics de langages qui revenaient vite au galop, dès que son côté sanguin prenait le pas sur le reste. Et dans une capitale telle que celle où ils vivaient désormais, c'était chose commune.
Ici, dans la rue, un moldu qui prenait tout le trottoir qui osait les bousculer sans même un regard alors qu'il aurait dû renifler le sol en leur présence. Là, une pollution omniprésente qui lui faisait amèrement regretter les paysages forestiers de Norvège. Le seul point qui rendait le tout bien supportable était finalement la haine que son cher frère portait à ce lieu et à cet entourage puant. D'autant que Poudlard, aussi ringarde qu'elle avait pu leur paraître commença, au fil des mois, à lui paraître un peu plus attirante. Qui disait des sorciers au sang impur, disait aussi des gens sur qui tester les limites de ce qui pouvait lui être autorisée. Elle en trépignait presque, pouvoir faire jaillir son dégoût, sa colère, un jour. Prochain.
Mais cette jalousie naissance envers ce jumeau qui se démarquait sur de la simple chance, chose contre laquelle elle ne pouvait rien empira quelques années plus tard, peu avant leur rentrée à Poudlard, lors de l'achat des fournitures obligatoires, au Chemin de Traverse. Société trop patriarcale, son frère gagnait à nouveau les préférences de Grand-Père. Pour la simple raison qu'il avait un air un peu maussade, il avait reçu un œuf, un Œuf ! Maudit soit-il... S'il ne l'était pas déjà.
Un éclat dans les yeux
puis d’acier
– en un éclair
il pleut blanc-rouge
Le corps
recroquevillé
craquelle
Poudlard.
Après une première année passée de façon banale -à ne trouver que quelques rares amusements sur d'autres premières années, plus ou moins volontaires-, la seconde avait enfin montré un visage intéressant et exaltant, pour la jeune fille de douze ans. C'était donc un mois après leur deuxième rentrée, que les nouvelles vinrent sous fond d'explosions dans Poudlard. Et c'est sur ces admirables feux que le trio Sørensen avait rejoint ce groupe particulièrement bienvenue pour suivre leurs ordres au pied de la lettre. Et ce fut une année sous un signe de victoire qui s'annonça réellement. Sang-de-bourbes réduits à un statut qui était bien plus propices à leurs compétences et leurs sangs. Ramper devant eux, la tête basse à exécuter corvées après corvées, avec la méthode qui leur convenait : moldue.
Erin était satisfaite. Là, elle pouvait taquiner, balader, s'amuser avec ces êtres pour lesquels elle n'avait guère de considération, se portant au départ volontaire pour les punitions à infliger, dans les mesures de ses compétences. Peut-être n'était-ce que simplement guider un rebelle sur le lieu de sa punition, lui chuchoter doucement, en marchant avec une lenteur calculée, les sévices qu'il allait subir. Ou en faire glisser jusqu'à sa cellule, alors que le corps tremblait encore d'un doloris subi. Toujours est-il qu'elle faisait de son mieux, au départ, pour servir ces moments de plénitude.
Mais avant qu'elle ne put aller plus loin dans ses projets et son exaltation, Finn la freina dans ses ardeurs. Et si cela avait risqué de la faire aller encore plus loin, juste par plaisir de contradiction, Erin prenait cependant très au sérieux de tels avertissements de son frère. Il avait peut-être un don, ou quelques confidences de Grand-Père en plus. Quoi qu'il en fut en réalité, la jeune fille se calma un peu, ne faisant que simplement obéir aux ordres, sans afficher cet éternel air satisfait qui jouissait pourtant au fond d'elle. Elle ne les plaignait certes toujours pas, mais c'était une évolution notable. Et une réussite pour Finn.
Et bien lui en prit sûrement. Car ces moments de félicités, s'ils étaient si bons, n'étaient pas éternels pour autant. Et tandis que le bal de fin d'année avait lieu, loin d'intéresser les jumeaux qui avaient préféré se livrer un énième duel pour le moins intéressant, la révolte finit par arriver. Et sans même qu'Erin ne puisse participer aux combats, comme elle le vociféra à son grand-frère Hannibal tout le chemin durant, la fratrie Sørensen fila vers pré-au-lard, où les attendaient des proches pour les transplaner aussitôt à Londres.
Quel débâcle, quelle honte. Comment pouvaient-ils simplement vouloir garder le pouvoir et faire avancer la société vers ce qu'ils voulaient tous, pour leur place méritée de Sang-Pur, s'ils leur refusaient un tel combat. Alors elle parla à leurs alliés, qu'ils aillent, eux au moins, punir ces moins que rien. Mais l'air morose et l'attitude renfermée de son frère l'inquiétèrent. Elle eut beau parfois lui vociférer dessus, rien n'y fit. Et cet air fut contagieux dès que les premières mauvaises nouvelles arrivèrent. Ce fut un coup dur pour la jeune adolescente qu'elle était, qui prit cela comme une sorte de trahison, ou de profonde déception.
Ses protestations restèrent à nouveau vaines, et seul le visage fermé de Grand-Père, tendu et déçu lui aussi, lui répondit. Peut-être ne voyait-elle finalement que ce qu'elle s'attendait à voir, mais cela accentuait la dissonance qui se créait lentement entre Finn et elle. Mais malgré leur demande de rentrer en Norvège, les mots du Si Respecté Grand-Père furent à nouveau écoutés. Ils retourneraient à Poudlard pour l'année à suivre.
Je suis tombée si loin en moi
que ma voix n’atteint plus mon corps
– il est parti, tout seul, devant,
mû par des cordes invisibles
qui m’empêchent de respirer.
J’ai beau hurler dans ma poitrine,
les mots rebondissent à peine,
plus sourds qu’un battement de cœur
Audience au ministère. A ce renouveau qui se disait ouvert à tous et surtout au sang impur. Convoqués pour répondre de leur parti pris, Erin avait eu tellement envie de leur crier leurs vérités en face. Mais il y avait eu cet ordre, qui la faisait trembler de rage quand elle y pensait. Alors elle fit de son mieux, face à cette assemblée, n'arrivant pas pour autant à cacher ses grimaces ou quelques éclats qui faisaient briller ses yeux ou accéléraient sa respiration déjà lourde. C'était les dents plutôt serrées, qu'elle déclamait les mots qu'on lui avait conseillé de prononcer. C'était par murmure que quelques "Sang-de-bourbe" filaient, Alor qu'elle regardait l'assemblée du coin de l'œil.
Traîtres.
Au sortir de cette audience plutôt catastrophique, Erin se trouva étonnamment calme. Elle avait réussi à tenir, à siffler loin cette colère qui gisait en elle comme une bouilloire chauffée. Maintenant, elle n'avait plus qu'à attendre. La jouer plus fine aurait sûrement évité bien des soucis, à sa famille ou à elle, voire les deux. Mais ce qui était fait... ne pouvait plus vraiment être changé. Et finalement, ils avaient été graciés, tous, même elle. Le soir même, elle avait écrit une lettre pour Grand-Père, pour le remercier. Elle ne doutait pas vraiment que son influence avait été en grande partie responsable du résultat de cette audience.
Et cela l'avait fait grandir un peu. Était-ce cela, la sagesse ? Apprendre d'un comportement, pour ne pas être reprit dans la même tourmente, au moins tant que la situation serait au désavantage de leur sang. Alors l'année qui suivit fut bien plus calme pour Erin. Elle apprenait, en quelques sortes, à se comporter un peu plus comme son frère, plus fourbe, déguisant ses paroles et ses actes derrières de beaux atours de velours pour mieux serrer la main sur ce qui se trouvait au sein de sa paume.
A défaut de la défouler complètement, elle y gagnait toujours une petite satisfaction.
Il ne fallait qu'attendre, après tout, la situation pouvait changer à tout instant.