Un regard, un soupir, un ennui ferme. À moitié couchée sur sa table, la tête reposant dans le creux de sa main gauche, la droite faisant tourner une plume entre ses doigts, Percy se faisait littéralement chier. Pardonnez sa vulgarité, mais elle ne trouvait pas d'autre mot pour qualifier l'état d'emmerdement dans lequel elle se trouvait actuellement : elle se faisait chier. Le professeur de Métamorphose qu'on leur avait imposé cette année était nul à chier, se répétait sans cesse, se trompait constamment, et faisait dix cours sur le même foutu sortilège. Nan mais c'est bon quoi ! Percy le maîtrisait à la perfection depuis le troisième, pas la peine d'en faire quarante juste parce qu'une pauvre Poufsouffle était incapable de le lancer, filez-lui plutôt des cours particuliers ! Ou un cerveau, ça devrait aider aussi...

Ses paupières se fermèrent toutes seules. Ce n'était pourtant pas le matin, elle était totalement réveillée et avait ingéré suffisamment de sucre pour tenir jusqu'au soir. S'il vous fallait une preuve de plus pour dire que ce cours était chiant, la voilà : Percy ne s'endormait qu'en Histoire et jamais pendant des cours où il fallait se servir de la magie. A sa droite, Brooklyn lui poussa le coude à l'aide d'un cahier et elle se redressa un sursaut, fusillant son voisin du regard. Oui, OK, elle l'aidait pour certaines matières mais ça ne lui donnait pas le droit de la réveiller ! D'autant qu'elle ne dormait pas, elle se reposait les yeux. Mais bref. Le tic tac de l'horloge était insupportablement lent, comme si un imbécile avait lancé un sortilège pour ralentir le temps mais que le professeur parlait toujours aussi vite. L'idiot passait dans les bancs pour corriger des postures, féliciter certains étudiants. Heureusement, il était assez intelligent pour ne pas faire de remarque à Percy, ayant déjà remarqué par le passé qu'elle gérait ce sort. Et, vu la tête qu'elle tirait, valait mieux la laisser tranquille...

Puis se passa ce qu'il devait se passer. Non, je vous arrête tout de suite, l'heure de cours n'était pas encore finie, ç'aurait été trop beau. Non, le petit miracle qui venait d'avoir lieu dans cette salle de classe était encore plus merveilleux : la débile de Poufsouffle venait enfin de réussir à lancer correctement son sortilège ! Alleluia ! On peut changer de sujet, maintenant ? Ces paroles étaient destinées à Brooklyn, la Serpentard n'osant pas les prononcer trop haut pour ne pas se prendre une nouvelle heure de colle pour rien. Mais le professeur, ne l'ayant pas entendue, en décida tout autrement : la fille allait le relancer quelques fois pour être sûre de maîtriser son geste. A bout de nerfs, Percy se laissa tomber sur sa table, le front posé sur ses mains jointes. Que quelqu'un l'achève, pitié !

À la fin du cours, enfin, Percy fut une des premières à remballer plumes, parchemins et baguette pour quitter sa table de fond de classe. Elle n'avait qu'une hâte : filer au réfectoire pour remplir son estomac gargouillant puis profiter de son heure libre en début d'après-midi pour aller régler son compte au punching-ball de la salle sur demande. Oui, ça allait être bien... ça la réveillerait, la pousserait à évacuer le stress des examens et la frustration de ne rien apprendre de nouveau en Métamorphose. Oui, ça serait bien. La première, elle poussa la porte de la classe et s'avança dans le couloir, direction les escaliers. Enfin... c'était là son objectif premier, mais elle changea d'avis à mi-chemin, son regard ayant croisé celui d'une de ses victimes favorites.

Ariel Dawkins. La soeur d'une cracmolle... Oui, Percy adorait embêter cette fille qui démarrait généralement au quart de tour quand elle s'attaquait à cette branche de la famille. Malheureusement, leurs entrevues se faisaient trop rares au goût de la rousse et elle se demandait même si l'autre n'essayait pas de l'éviter la plupart du temps. Ca serait extrêmement lâche mais, de la part d'une Serdaigle, fort peu étonnant. Un sourire cruel aux lèvres, elle s'adossa au mur à un mètre de sa cible et la fixa droit dans les yeux. Tiens tiens... salut Dawkins ! Comment va ta soeur ? Tes parents ne se sont toujours pas décidé à l'abandonner chez les moldus ? C'était à ce monde qu'appartenaient les cracmols, non ? Parmi ceux qui n'avaient pas de pouvoir, qui étaient faibles.

Percy en était sûre ; si un de ses frères avait été cracmol, son père l'aurait déposé devant un hopital moldu ou... l'aurait noyé. Il en aurait été capable ce monstre. J'y pense, je ne t'ai jamais demandé comment elle le vivait ? Ca doit être horrible d'être cracmolle dans une famille de sorciers, non ? Moi à sa place j'aurais fugué depuis looongtemps ! Pas question d'être cette petite chose fragile et honteuse toujours obligée de me cacher. Heureusement, Percy était une vraie sorcière avec de grands pouvoirs et n'aurait jamais à vivre dans une telle misère, constamment moquée et maltraitée. Enfin... elle avait été maltraitée, mais pas pour les mêmes raisons, et elle pouvait le cacher aux yeux du monde. Être cracmolle par contre, c'était quasiment écrit sur le front en lettres fluorescentes.

Ce que Percy préférait dans les joutes verbales, c'était quand l'adversaire avait un minimum de répartie sur laquelle elle pouvait rebondir et déformer à volonté. Elle aimait voir la colère sur le visage des autres tandis qu'elle restait sereine et qu'un léger sourire ironique ou cruel planait sur son visage satisfait. Oui, elle éprouvait une immense satisfaction à voir le visage de ses victimes se figer dans la colère, la douleur ou la haine, les voir avoir envie de la tuer ou de partir en courant, et le regarder rester plantés là sans oser bouger. C'était en général l'effet qu'elle produisait sur les gens : elle leur donnait à la fois envie de la baffer et de s'enfoncer dans le sol en attendant qu'elle ne parte et qu'ils puissent reprendre leur petite vie tranquillement.

Ariel était de ceux qui avaient de la répartie et qui, parfois, arrivaient à lui couper le souffle. Pas pour longtemps, bien sûr, mais il arrivait que Percy ne sache quoi répondre à une telle dose de sarcasme ou de reproches infondés. Et ça l'impressionnait autant que ça l'agaçait. Dans ces moments-là, elle avait à la fois envie de féliciter son adversaire et de lui enfoncer son poing dans l'estomac juste pour le plaisir de lui couper le souffle à lui aussi. Ariel, donc, faisait partie de ces personnes que Percy admirait et avait envie de mettre au tapis, parce qu'elle était capable de transformer sa colère et sa répulsion pour la rousse en sarcasme, ironie et insultes cachées. Un vrai talent qui ne s'apprenait pas. Elle avait ça dans le sang et Percy trouvait ça formidable. Parfois, elle se disait qu'il serait mieux d'avoir cette Serdaigle dans ses alliés plutôt que dans ses ennemis, puis elle se rappelait que, une fois amies, les deux filles ne pourraient plus s'insulter aussi souvent et ce serait vachement ennuyant, alors elle lui lançait une pique sanglante et passait son chemin.

La première réponse d'Ariel arracha à la Serpentard un sourire qui n'atteignit pas ses yeux. Elle, obsédée par une cracmolle qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam ? C'était la sous-estimer que de penser ça, et c'en était presque une insulte, mais Percy souriait. C'était le genre de choses qu'elle aurait pu balancer à un de ses ennemis pour le mettre mal à l'aise, aussi elle-même ne se senti nullement touchée par cette accusation. Oh mais je me fiche de ta soeur, hein ! Crois-moi, elle pourrait crever que j'en aurais rien à foutre. En fait, je te demande ça parce que, malgré tout, elle est quand même plus intéressante que toi et savoir comment tu te portes me laisse dans une indifférence encore plus grande. Mensonge. En fait, elle se fichait autant des deux soeurs, elle voulait juste rappeler à Dawkins à quel point sa famille était merdique, comment ses parents avaient détruit la vie d'une potentielle sorcière en n'étant pas foutus de lui refiler les bons gènes. Mais ça ne semblait pas affecter la Serdaigle, alors elle changea de tactique en disant qu'à la place de sa soeur elle aurait fuit ce monde auquel elle n'appartenait pas.

Encore une fois, Ariel fit preuve d'une répartie sans pareille et en profita pour insulter son adversaire en la traitant subtilement de lâche. Oui, vous avez bien lu : Dawkins, qui ne connaissait rien de la vie de Percy, venait de la traiter de lâche. Ingrat, vous trouvez ? Moi je la trouve plutôt touchante avec son innocence, son insouciance...Et bien oui, pour dire des choses pareilles elle devait penser que le passé de la rousse avait été tout rose et sans obstacle, sans aucune difficulté puisque, selon elle, elle n'aurait pas été capable de les surmonter. Ah, si elle savait... Si elle savait qu'elle avait passé son enfance en totale moldue, qu'elle avait été la femme de ménage de son père dés l'âge de quatre ans, qu'elle avait passé des heures et des heures à se faire insulter, moquer, humilier et que si ses mains étaient aussi douces, c'était parce que sa mère concoctait une potion spéciale qui soignait les cals et les multiples blessures dont elle aurait du encore souffrir aujourd'hui. Mais elle ne savait pas. Elle croyait qu'il n'y avait qu'elle qui avait eu une enfance compliquée avec sa pauvre soeur cracmolle.

Acide, Percy effaça son sourire pour fusiller l'autre du regard. Il y avait tant de choses qu'elle voulait lui balancer à la figure, tant de mots qui lui auraient coupé le sifflet, mais elle se retint. Pas par égard pour elle, non, mais parce qu'elle se révélerait trop, qu'elle en dirait trop sur son passé, son quotidien, son futur, et que la bleu et bronze n'avait pas à avoir ces armes contre elle. Personne ne devrait jamais les avoir. Alors elle se retint, croisa les bras et zappa cette partie de la réponse de Dawkins, par peur d'en dire trop sur elle. Quel courage elle a, c'est bien ! Et quel cran ! Ne sait-elle pas qu'en existant seulement elle apporte le déshonneur sur sa famille, la honte sur ses parents ? Je trouve ça plutôt égoïste en fait, de rester dans une famille de qui on se moque à cause d'elle. Oh, je me doute que tes parents ne disent rien, qu'ils font comme si ça ne les atteignait pas mais... oh qu'est-ce qu'ils doivent la maudire dans son dos ! Et se maudire eux-mêmes pour avoir créé un monstre pareil. La honte. Elle haussa les épaules d'un air indifférent. Mais bon... Je suppose que oui, je devrais prendre exemple sur elle. Je suis beaucoup trop généreuse à mon goût, tu ne trouves pas ?

Généreuse... Non, ce n'était pas le mot pour caractériser Percy, ni celle qu'elle était chez elle, ni celle qu'elle était à Poudlard. Soumise, dépressive et haineuse allaient pour la première condition ; sarcastique, cruelle et libérée pour la seconde. En aucun cas elle n'était généreuse, ne faisait rien pour les autres sans qu'ils l'aient mérité et vivait pour son plaisir, pour sa vengeance à la vie, pour elle. Certes, elle avait deux ou trois amis, un peu plus qu'elle ne le voudrait, mais même avec eux elle ne se montrait pas spécialement généreuse. Elle leur filait des coups de pattes de temps en temps mais attendait qu'ils lui rendent la pareille un jour ; elle était moins peste avec eux mais ne mâchait quand même pas ses mots. Non. Percy n'était pas généreuse. Loin de là. Mais elle aimait l'ironie et attendait avec impatience de voir la tête que ferait Dawkins en entendant ces mots.