Les élèves changèrent de place, chacun allant retrouver le binôme que je leur avais attribué. Les chaudrons furent mis en place sur leur brûleur et les postes de travail grouillèrent d’outils nécessaires au dosage ou au découpage des ingrédients. Les petites rumeurs de discussions brisaient le calme qui avait précédé l’exercice mais je tolérais ces conversations tant qu’elles ne perturbaient personne et qu’elles se faisaient à voix basse. Ils avaient besoin de coopérer, après tout.
Pendant ce temps, je m’occupais de la surveillance de mes propres chaudrons destinés au cours des septième année ainsi que de l’élaboration du plan précis de la prochaine dissertation qu’ils auraient à faire.

Les quinze premières minutes se déroulèrent dans une atmosphère pleine de concentration de leur part et on entendait plus que le bruit des pilons qui écrasaient la poudre de pierre de lune. Peu à peu, une odeur délicate dominée par l’Ellébore parvint jusqu’à moi. J’attendis encore un peu avant d’aller faire le tour des rangs.
A première vue, je n’allais pas faire face à une catastrophe puisque l’ensemble des mixtures semblait mijoter tranquillement. Cela dit, je préférais m’assurer de l’entièreté des résultats avant de m’en satisfaire. Je passai près du chaudron de Savannah Caldwell et de son camarade Oliver Adams qui eurent droit à un hochement de tête approbateur. Ils n’étaient pas les meilleurs dans ma matière et j’en venais même à soupçonner la chance ou le hasard de les avoir bien aiguiller. Pas de quoi en faire un plat, en somme. Cela étant, s’ils parvenaient au bout de toute la recette, peut-être nourrirai-je un peu plus de considération à leur égard ? Je dis bien peut-être.

Ce qui m’intéressa davantage actuellement fut le fruit des efforts de quelques élèves de ma maison et également ceux de l’autre jumelle Caldwell et de sa partenaire Lemaire.
« Bien, les filles. Tout a été suivi à la lettre, ce qui ne m’étonne pas de vous. »
Vint ensuite le tour de Tracy Bennett et de Lennox-Blackwood dont le travail fut identique à ceux des premiers binômes que je venais d’inspecter.

« De même pour vous deux. » Dis-je tout en remuant leur mixture pour mieux la contempler.
Mon tour des rangs me mena par la suite à la table de Jill Adams et de Perrin O’Riordàn ‒ décidément, il y avait un bon paquet de jumeaux dans cette promotion ‒ dont la potion était bien moins réussie que celle des autres. Je la touillai doucement, constatant avec une grimace perceptible qu’elle était trop épaisse et que l’odeur de l’Ellébore dominait beaucoup trop. C’était néanmoins rattrapable et j’aurais pu m’attendre à pire, en réalité. Il suffirait simplement d’équilibrer le dosage d’un autre ingrédient pour compenser l’erreur.

« Nous avons là le début d’une potion de sommeil éternelle, commentai-je sur un ton strict. Vous l’avait trop chauffée et vous avez ajouté bien trop d’Ellébore. Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Vous gratterez donc la corne de licorne jusqu’à en obtenir 40 grammes et vous la remuerez trois tours de plus, est-ce clair ? »

J’attendis ne serait-ce qu’un hochement de tête avant de passer à la suite. Spencer Mortensen et sa voisine n’avaient pas non plus réussi leurs étapes à la perfection, obtenant une substance bien trop liquide. Je leur conseillai donc d’ajuster la cuisson jusqu’à obtenir une potion plus consistante tout en étant minutieux sur le temps afin d’éviter l’altération des effets du philtre. Je savais Mortensen suffisamment doué et responsable pour réparer cette erreur et cette confiance se traduisit par une prise de parole de ma part moins sèche qu’avec miss Adams et le garçon O’Riordàn.
Cinq minutes plus tard, je terminai mon inspection par celui de Megan Euston et de la fameuse enquiquineuse du jour, Victoire Gardner-Oaken. Il n’y avait rien à leur redire pour l’instant mais l’intervention inutile de tout à l’heure de la Gryffondor ne me donna nullement l’envie de les encourager plus que cela. Je me contentai de passer devant elle sans ne rien dire.

« Les débuts sont prometteurs dans l’ensemble mais je jaugerai de votre rigueur une fois que vous aurez abouti à la dernière étape de la recette. En attendant que ces potions ne mijotent durant environ une heure, vous commencerez votre introduction sur la corne de licorne à l’aide des informations que vous avez assimilées depuis le début de votre scolarité. Sur ce, on ne perd pas de temps ! »

2ème partie:

Une heure durant, les élèves se concentrèrent sur l’écriture de l’introduction de leur sujet d’argumentation portant sur la corne de licorne. L’exercice n’était pas bien difficile et d’autant plus que l’introduction devait tenir sur un maximum de trente centimètres. En temps normal, une demi-heure suffisait à pouvoir le construire mais comme ils débutaient leur année de BUSE, je pouvais leur permettre de prendre un peu plus de temps. Quand enfin ils durent reprendre la pratique de leur potion ‒ qu’ils avaient surveillé de temps aux autres pour s’assurer que tout était en ordre ‒ les bruits parasites des ustensiles utilisés reprirent mais sans pour autant perturber le calme général et les chuchotements obligatoires pour qu’ils réussissent ensemble leur préparation.

De nouveau, une bouffée de chaleur se répandit dans la classe au rythme des cuissons de chaque chaudron et les effluves des différents ingrédients mélangés dominaient de nouveau. Les résultats finaux ne tardèrent pas à arriver lorsque je me levai une deuxième fois de mon bureau, prête à procéder à la dernière inspection du jour. Le premier binôme qui attira en premier lieu mon attention fut celui de Bennett et de Lennox-Blackwood dont la potion laissait échapper une légère vapeur argentée, exactement comme dans un véritable philtre de paix. L’odeur laissait présager qu’elles avaient effectivement mené l’exercice jusqu’au bout sans anicroches et lorsque je contrôlai sa teinte ainsi que sa texture, j’eus la confirmation de leur réussite. D’un air satisfait, je déclarai en observant avant tout Tracy Bennett dont je soupçonnais le talent d’y être pour quelque chose avant celui de sa binôme :

« Excellent ! Voilà un philtre de paix exemplaire que je conserverai bien dans ma réserve. »

J’inscrivis un Optimal sur le parchemin que je tenais d’une main et je passai à la suite. La potion de Gardner-Oaken et d’Euston était toute aussi appréciable, ce qui suscita, une brève approbation de ma part. Je n’aurais certainement pas loupé la Gryffondor si elle n’avait pas réussi son travail et j’aurais pris du plaisir à la recadrer encore une fois. Pour cette fois, elle s’en tirait avec de la chance.

« Parfait. Rien à vous redire non plus. L’année ne devrait pas être compliquée pour vous si vous continuez sur cette lancée. » dis-je en inspectant Lemaire et Caldwell.

Celle de l’autre Caldwell ainsi que d’Oliver Adams avait régressé en qualité, ce qui ne leur valut qu’un simple Acceptable et une grimace désappointée. Toutefois, à côté de la lamentable production qui allait s’ensuivre, le chaudron de ces deux premiers était presque à la hauteur. La mine dépitée, l’autre jumelle Adams semblait observer sa potion avec une expression de honte. Et elle pouvait en effet se sentir honteuse. Au fond, je ne m’étais pas attendue grand-chose du binôme de O’Riordàn mais j’avais osé espérer qu’ils éviteraient de frôler la catastrophe.

« Vous êtes au bord de la calamité, si vous n’avez pas déjà plongé dedans, et c’est tout de même incroyable ! M’exclamai-je, sourcils froncés visiblement fâchée. C’est à croire que vous avez mélangé l’ordre de certaines étapes tant c’est brouillon là-dedans. Êtes-vous en cinquième année ou en première ? Je me le demande bien ! J’accepte éventuellement des erreurs en cours de route mais pas des bêtises telles que celle-ci qui ne doivent pas faire surface à ce niveau de votre scolarité ! J'enlève cinq points pour Poufsouffle et Gryffondor. »

Les fusillant du regard avec colère, je poursuivis mon coup de gueule pendant encore une petite minute durant laquelle je leur fis clairement comprendre qu’ils avaient intérêt à se remettre très vite en question. Ce discours n’avait certes rien d’encourageant mais les reprendre de façon sévère les bousculerait, je l’espérais, suffisamment pour qu’ils ne réitèrent plus leurs étourderies indésirables. A l’issue de cette inspection et après avoir fait disparaître le contenu du chaudron de ces deux cancres, je conclus mon tour des rangs qui s’avéra plus prometteur et qui contribua légèrement à apaiser mon humeur. Sinéad O'Riordàn et Spencer Mortensen étaient, par exemple, parvenus à rectifier leur erreur et à aboutir à un rendu qui n'était peut-être pas aussi parfait que celui de Lemaire ou de Bennett mais qui restait très convenable malgré tout et qui répondait aux attentes.

Plus globalement, les résultats n’étaient pas des meilleurs puisqu’il y avait eu une majorité de moitié réussites mais, au moins, la seule catastrophe à recenser ne venait que d’un binôme. Le premier chapitre de cette rentrée était loin d’être le plus ardu du programme et j’attendais donc à ce qu’ils finissent par maitriser rapidement la concoction du philtre de paix en progressant au cours des prochaines séances. J’admettais des difficultés dans la préparation de l’antidote au poison d’Actée en épi mais pas pour le philtre de paix qui restait assez basique si on exceptait la rigueur dont il fallait faire preuve pour gérer la précision des étapes. Mais cette rigueur, ils avaient tous eu le temps de l’assimiler lors de leurs quatre dernières années d’études.

De retour près de mon bureau, je m’éclaircis la gorge et repris la parole :

« Je vous donnerai vos notes jeudi matin. Pour la plupart, vous semblez sur la bonne voie mais quant à autres, ils feraient mieux de se montrer bien plus à la hauteur la prochaine fois ! Je rappelle que des erreurs aussi déplorables ne vous permettront pas de décrocher votre BUSE et que ne pas y remédier dès maintenant vous pénalisera d’autant plus lorsque nous étudierons des potions toujours plus complexes les unes que les autres. »

Je jetai un léger coup d’œil à des notes que j’avais prises et qui étaient posées sur un coin de ma table.

« Quoi qu’il en soit, pour l’heure, je vous prierais de bien vouloir nettoyer et ranger votre matériel. Je ne veux rien voir traîner ! Pendant ce temps, j’inscrirai au tableau toutes les consignes que vous devrez respecter concernant votre sujet d’argumentation portant sur la Corne de Licorne. Tout oubli sera pénalisé par une exclusion de classe ainsi que par un retrait de points ou une retenue en fonction de qui a l’habitude de récidiver. »

Sur ces derniers mots, les élèves eurent le feu vert pour s’exécuter tandis que, d’un mouvement de baguette, je venais de faire apparaître tout ce que j’attendais de leur devoir à me rendre. Nombre de centimètres de parchemin, façon de présenter les parties relatives aux propriétés magiques, les aspects à évoquer en priorité et d’autres informations annexes leur seraient communiqués.

Notes & Barème:

Rangeant mes propres notes dans le fond de mon sac, je n’aperçus pas aux premiers abords la fine silhouette d’une de mes élèves venir s’approcher de mon bureau. Ce qui attira mon attention fut son léger raclement de gorge avant qu’elle ne m’interpelle. Je levai la tête vers elle, le visage assez fermé bien que je sois curieuse de voir ce que Tracy Bennett souhaitait me demander. Des élèves de son acabit venaient parfois me voir en fin d’heure pour approfondir des notions spécifiques en Potions et je m’attendais donc à ce qu’elle ait quelques questions à me poser au sujet du Philtre de Paix ou bien de la Corne de Licorne. Toutefois, il s’agissait d’autre chose.

« J’ai bien lu votre réponse à mon courrier, et si le temps m’a manqué pour y répondre, j’en ai bien pris note. »

Je m’étais donc trompée quant à ses intentions. Avec les premiers cours à mener et toutes ces potions à concocter d’avance pour les semaines à venir, j’avouais avoir mis de côté mon échange épistolaire avec cette jeune fille. Elle avait quémandé un accès à la réserve dans le but d’affiner ses connaissances en vue d’éventuellement s’orienter plus tard dans la médicomagie. J’avais évidemment refusé cette requête parce que les connaissances en médecine détenues dans les grimoires vieux de plusieurs siècles étaient obsolètes et en plus de cela, étudier les malédictions et tout ce qui pouvait toucher de près ou de loin à des magies sombres ne devait, à mes yeux, pas être mis à la vue d’un élève n’ayant même pas obtenu ses BUSEs. J’étais déjà très réticente à l’idée d’autoriser Andrea Sevenoaks à se rendre à la Réserve mais je lui avais octroyé son accès uniquement parce qu’il travaillait sur une thèse vérifiée par Magnus. Pour ce qui était de Bennett, je préférais amplement me charger de lui transmettre mon savoir en lui prêtant les ouvrages adéquats qui lui permettraient déjà d’accumuler un bon nombre d’informations utiles pour sa formation à venir. Comme je le lui avais dit, les virus et les maladies contagieuses constituaient déjà un domaine très riche à explorer pour une sorcière de son niveau.

« Je serais enchantée de pouvoir bénéficier du savoir de votre bibliothèque personnelle si vous le voulez toujours bien. Votre invitation à approfondir la théorie de la potion de régénération sanguine tient-elle toujours ? »

Elle ne semblait pas renfrognée par mon refus et cette maturité de sa part ne pouvait qu’aller en sa faveur. Visiblement, sa soif de savoir était réelle et sincère et il n’y avait nul besoin que j’aille le vérifier moi-même d’une quelconque façon. Ce n’était pas comme si l’idée m’avait traversé l’esprit, de toute façon. Bennett ne faisait pas partie des élèves dont je me méfiais, loin de là.

J’acquiesçai donc naturellement à ses interrogations avant de porter mon sac sur mon épaule et de lui répondre en niant tout à fait le fait que cette histoire m’était sortie de la tête depuis un petit moment.

« Elle tient toujours, évidemment. Je vous avais donné rendez-vous pour aujourd’hui, si je ne me trompe pas. Vous me suivrez jusqu’à mon bureau pour que nous soyons plus tranquilles et que je puisse vous montrer les ouvrages en question et que nous commencions à explorer les sujets qui vous intéressent. Cependant, je ne sais pas si je vous ferai pratiquer dès ce soir, cela dépendra de votre vivacité d’esprit. »

Je jetai un coup d’œil aux autres élèves qui terminaient de nettoyer leur poste de travail avant de quitter la salle. Toutefois, un gros doute me prit.

« Avant cela, me permettez-vous de vous demander de vérifier que vos camarades ont bien nettoyé leur matériel ? Ils sortent un peu trop rapidement de la salle à mon goût. N’hésitez pas à les reprendre. Pendant ce temps-là, je vais ranger vos préparations. »