« On doit y aller, Cissy !
‒ J’arrive, j’ai presque fini ma coiffure !
‒ Ah et n’oublie pas que tu dois dire à Shaelyn que le cadeau vient de toi !
‒ Oui, oui… »

A vrai dire, je suis bien plus préoccupée par la tresse qui fait le tour de mon crâne et que je ne trouve pas très bien faite que par le cadeau que ma tante a acheté pour ma cousine. Je ne sais pas pourquoi elle tient tant à vouloir lui faire croire que c’est moi qui l’ait choisi et qui ai eu l’idée… Sans doute pour lui faire plaisir et lui faire croire que je pense à elle après les épreuves qu’elle a vécu ? Ca ne m’étonnerait pas de Tante Daisy, elle a toujours été aux petits soins de moi, Anthea et Shaelyn lorsqu’elle nous voyait. Elle est stérile et m’a donc toujours considérée comme sa fille étant donné que j’ai perdu ma mère à l’âge de deux ans. Je dois dire que pour moi, elle représente beaucoup de choses et je lui voue un profond respect, ainsi qu’une affection que je n’ai jamais ressenti pour quiconque d’autre. Daisy est désormais tout ce qu’il me reste et je crois que j’ai l’envie d’être le plus proche d’elle possible maintenant que j’ai perdu mon père. C’est ironique, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais été en phase avec lui et ses absences ont empiré notre relation depuis bien des années. Pourtant, j’ai comme un grand vide en moi alors même qu’il n’a jamais essayé de me combler comme un père le ferait à sa fille. Je ne sais pas pourquoi cela me peine autant de le savoir dans l’au-delà… Est-ce cela l’amour parental ? Je me suis torturée l’esprit avec ce genre de pensées, ces derniers jours et je n’ai pas encore trouvé la solution au problème.

Tournant sur moi-même pour mieux m’observer sous tous les angles grâce aux différents miroirs stratégiquement disposés dans ma chambre, j’inspecte minutieusement ma coiffure. Ma couronne tressée est parfaite et je n’ai aucun cheveu rebelle qui vient tout gâcher. D’un sourire satisfait, je finis par vérifier mon maquillage. J’ai récemment acheté un nouveau rouge à lèvres et je pense que c’est l’occasion idéale pour le tester une première fois. Il est plutôt foncé et je trouve qu’il me vieillit pas mal, me rendant encore plus féminine. Quant à ma tenue, j’ai décidé de porter l’une des dernières créations de ma collection été.

Lorsque je descends les escaliers pour rejoindre Daisy au rez-de-chaussée, celle-ci m’accueille avec un sourire espiègle.
« Mais dis-moi, c’est le Ministre de la Magie en personne que tu viens voir ? »
Je ris doucement avant de prendre un air suffisant.
« Je veux juste impressionner Shaelyn. Et puis ce nouveau rouge à lèvres est génial.
‒ Mmh, effectivement, je dois bien l’avouer. »
Nous nous sourions de manière complice avant que je ne lui prenne le bras. Dans un ploc sonore, nous disparaissons de notre manoir en transplanant. Lorsque l’on réapparaît, le vent souffle et me procure des frissons. Le paysage a changé, le soleil de Manchester faisant place au temps lourd, gris et assez glacé de Birmingham. Pour un mois d’été, je trouve cela étonnant.

D’un pas pressé, nous franchissons les grandes grilles menant au jardin frontal de ma cousine et de ses parents. Je contemple les rangées de fleurs et d’arbres fruités avec intérêt et je me dis que ce serait un lieu idéal pour pique-niquer quand le soleil reviendra. Au bout de l’allée, nous parvenons à la hauteur de l’entrée. Je laisse ma tante frapper. Quelques instants plus tard, tante Miranda nous ouvre et nous accueille chaleureusement.

« Daisy ! Narcissa ! Entrez donc. Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse aussi froid, aujourd’hui. Par Merlin ! »
Nous nous hâtons d’entrer dans la maison et je découvre un décor qui m’est à la fois familier et lointain. Cela fait un bail que je ne suis pas venue ici. Depuis l’an dernier, je crois. Pourtant, rien n’a vraiment changé à part de la décoration supplémentaire et je constate que c’est toujours aussi bien entretenu et nettoyé. Je fais la bise à tante Miranda avant que celle-ci ne reprenne la parole en pointant les escaliers du doigt :
« Shaelyn est dans sa chambre, tu peux monter, ma grande.
‒ Merci. » Je réponds avec amabilité et sourire.
Je suis sur le point de m’en aller quand Daisy me rattrape :
« N’oublie pas ceci. »
Elle me tend le petit paquet que je dois offrir à Shaelyn et je la remercie d’un signe de tête distingué.

Enfin, j’emprunte les escaliers pour monter à l’étage avant de m’engouffrer dans un long couloir. Mes yeux se baladent parmi les différentes portes menant à différentes pièces et je me rappelle que celle qui est à côté de la chambre de Shaelyn appartenait autrefois à Rosalie, sa sœur. Un sentiment bizarre me parcourt aussitôt quand j'observe le palier et je le chasse illico presto.

Toc toc toc.

« Shae ? »

Le temps de Birmingham reflète bien l'état d'âme de Shaelyn. Assise sur sa fenêtre en saillie elle n'est exceptionnellement pas entrain de lire, pourtant c'est là son coin lecture habituel et en général elle aime garder ses habitudes telles qu'elle sont. Mais depuis son retour du ministère elle a comme l'impression de perde ses repères, sa maison lui semble tellement étrangère après ne pas avoir été dans sa propre chambre pendant dix malheureux mois... elle n'y retrouve plus son bien être habituel. Il faut dire qu'au ministère ils lui avaient bien torturé son âme hors de son corps, tenue en otage avec d'autres élèves, beaucoup de né-moldus, elle avait l'impression qu'on l'avait jeté dans une poubelle où elle n'appartenait pas sans autre choix que de subir. Sa chambre, si spacieuse, lui donne pourtant l'impression d’étouffer et elle sent bien le besoin d'être à la fenêtre pour se sentir moins enfermée. Alors pour une fois, elle coud dans son coin lecture. Une aiguille à la main elle ajoute un bouton à son chemisier avec précision, son geste est bien fluide et précis, mais le tremblement de sa main est également remarquable. La veille elle avait décidé que pour cette rentrée elle créerait sa tenue elle même et voilà qu'elle arrivait déjà à bout de son chemisier blanc crème, orné de reflets nacrés en forme de roses ajoutés magiquement. Elle avait fait cette création sur un coup de tête, un petit croquis avait suffit pour commencer à le coudre, depuis déjà plus d'un an elle consacre de plus en plus de temps à la couture, même si son punching-ball est toujours accroché au même endroit dans le coin le plus sombre et le moins décoré de sa chambre et qu'elle n'hésite pas à s'en servir souvent.

Sa mère l'avait forcée hier encore à aller à Sainte-Mangouste. Shaelyn n'a aucune envie de faire des visites régulières, surtout pour voir un psychomage, elle n'en voit pas l'utilité et l'idée de parler a une personne qui veut en savoir le plus sur elle pour soi disant l'aider ne l'enchante pas du tout. Mais elle sait bien que sa mère se fait énormément de soucis, elle a eu très peur de perdre sa seconde fille lors de ses 10 mois d'horreur, alors Shaelyn a accepté de se rendre à l'hôpital espérant que les visites ne se fassent pas trop régulièrement... Mais pour aujourd'hui le programme est plus calme, Narcissa et Daisy sont censés venir rendre visite aux Caldwell. D'ailleurs lorsqu'elle avait appris que Stanislas Breckenridge est décédé elle avait ressenti une profonde tristesse pour sa cousine ainsi qu'un grand choc. Le père de Narcissa était un homme fort et respectueux, la Serdaigle le connaissait un peu, bien qu'il n'était pas toujours présent lors des réunions familiales et elle n'arrivait pas à imaginer un homme comme lui mourir si tôt. Mais cette pensée lui échappa soudain lorsqu'elle sursauta et se piqua le doigt avec son aiguille. Narcissa et Daisy viennent d'arriver à l'entrée de la maison, Shae savait qu'elles n'allaient pas tarder a arriver mais pourtant elle avait été surprise, observant les deux filles avancer tranquillement son cœur commence à s'emballer, elle ne saurait expliquer cette réaction et se dépêcha de lancer un simple Episkey sur sa blessure mineure de peur de tâcher sa robe bleue, même si ce n'est qu'une petite gouttelette de sang. Son cœur pourtant ne se calme pas et elle commençait à se sentir mal, ses mains tremblant un peu plus. Des bruits se faisaient entendre en dehors de sa chambre et elle comprenait que Cissy n'allait pas tarder à arriver. Elle inspira un grand coup, se concentrant tant bien que mal sur le bouton de son chemisier, elle se sentait comme étrangère à elle même, sans vraiment savoir comment expliquer cela.

Toc toc toc.

« Shae ? » la voix familière de Narcissa retentit et elle se dépêcha de poser sa création pour aller ouvrir à sa cousine.

« Cissy ! » s'exclama-t-elle, forçant un sourire naturel. Elle passa un bras autour de la blonde la serrant brièvement dans les bras. Elle ne l'avait pas vu depuis la dernière bataille de Poudlard et s'était beaucoup fait de soucis pour elle, elle était donc vraiment heureuse de la revoir enfin. « Entre, installe toi. » dit-elle avant de se replacer sur les coussins de sa fenêtre en saillie, laissant cette fois-ci une place à sa cousine.

Les tremblements de ses mais ne cessaient pas et elle avait de plus en plus l'impression d'être étrangère à son environnement, mais elle n'en montrait rien à Narcissa, se contentant de l'inviter à s'asseoir d'un regard.

« Comment tu te portes depuis... la libération ? » demanda-t-elle avec sérieux et un brin de nostalgie. « Désolée, Rosalie ne sera pas là elle doit être en ville je ne l'ai pas vue aujourd'hui... » lança-t-elle finalement. Elle ne savait pas d'où lui sortait cela mais ça lui semblait naturel, pourtant elle trouvait ça bizarre et secoua brièvement la tête reprenant son chemisier sur ses genoux. « Tu veux boire quelque chose ? » demanda-t-elle tentant de reprendre ses esprit.

Lorsque Shaelyn m’ouvre la porte, elle m’accueille d’une manière plus chaleureuse que d’habitude, criant mon nom avec sourire avant de passer un bras autour de mes épaules et de me serrer brièvement contre elle. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de contact avec elle mais je dois avouer que cela ne me déplait pas alors je lui rends la pareille. Après tout ce qui s’est passé cette année, je crois bien que je ne dis pas non à ce genre d’amicalité. Nous en avons bien besoin. Elle me sourit toutefois de manière étrange, comme si elle se forçait à étirer les lèvres. Il n’est pas bien difficile de comprendre qu’elle ne peut pas être aussi heureuse après ce qu’elle a subi. Daisy m’a tout raconté le soir où je suis rentrée à la maison ; Shaelyn a tenté de fuir l’école pendant la bataille mais des Mangemorts l’ont arrêtée et emmenée au Ministère, là où elle a dû subir un interrogatoire des plus horribles pour obtenir des informations sur la rébellion menée. Ils n’y sont pas allés de main forte en employant le Doloris plusieurs fois pour la faire parler alors qu’elle ne savait pas grand-chose. Daisy m’a donc demandé de me montrer compréhensive par rapport à ma cousine et de ne pas la brusquer. J’ai approuvé même si je n’ai jamais eu l’intention de la nuire de quelque manière qui soit. « Salut. Je t’ai manquée, on dirait. » Je réponds avec un peu de sarcasme mais également de l’amabilité. J’ai l’impression que cela fait très longtemps que je ne l’ai pas revue et ça me fait plaisir de l’avoir en face de moi. Elle me dit d’entrer et de m’installer. Je la suis, mon regard scrutant le décor de sa chambre spacieuse. J’ai oublié à quel point c’était bien rangé, ordonné et bien agencé. Sa fenêtre en saillie a toujours été son coin de lecture même si je peux voir, près du rebord, une chemise délicatement posée et que je n’ai jamais vue sur elle. Sûrement une de ses nouvelles créations. Cela doit faire un an qu’elle s’y est mise et je dois dire qu’elle fait des progrès même si je reste la meilleure dans ce domaine.

Shaelyn replace les coussins et je la rejoins suite à son invitation, m’asseyant sur l’un d’entre eux tout en profitant de la vue sur son grand jardin. Ici, on se sent plus libres et ce point de vue offert jusqu’à l’horizon m’inspire bien des choses, loin de tout ce que l’on a vécu. « Comment tu te portes depuis... la libération ? » Me demande-t-elle sérieusement. Je porte mon attention sur elle, constatant que ses mains tremblent pour une raison qui ne m’est pas vraiment inconnue. Elle me paraît encore secouée et franchement nerveuse malgré la volonté qu’elle met à prendre un ton différent de ce que montre son corps. « Ca va, je me suis remise de mes blessures. C’était ennuyant à la ferme et j’avais hâte de rentrer. » Je n’ai pas été précise sur ma réponse, j’en conviens. En vérité, il s’est passé beaucoup plus de choses que ça entre ma rupture avec Anthea et Zach, ainsi que ma discussion avec Tracy qui m’a été l’un des seuls réconforts de cet été. Mais je n’ai pas envie d’aborder ça tout de suite, surtout de moi-même. Ce sont des choses assez compliquées pour une personne comme moi qui n’aime pas se confier et puis, je me doute bien que ma cousine n’a peut-être pas le moral pour ça.

« Désolée, Rosalie ne sera pas là elle doit être en ville je ne l'ai pas vue aujourd'hui... » Me lance-t-elle subitement.
J’arque d’un sourcil, la regardant comme si elle venait de se transformer en une harpie. Ai-je bien entendu ? Rosalie ?
Qu’est-ce qu’elle me sort, celle-là ?
Je suis sans voix durant quelques instants, réfléchissant à la manière dont ses tortures avaient bien pu la rendre aussi loufoque et à côté de la plaque ? Sa jumelle avait perdu la vie il y a bien des années et personne n’abordait le sujet avec elle. C’était quelque chose de sensible que j’avais toujours respecté.
« Tu veux boire quelque chose ? » Reprend-t-elle après s’être secouée la tête.
J’ouvre la bouche mais je prends quelques secondes avant de répondre :
« Juste de l’eau, alors. »
Je l’observe de façon dubitative avant d’ajouter, de façon perplexe, sans mâcher mes mots :
« Quelque chose ne va pas, Shaelyn. Tu viens de dire ‘Rosalie’. Ta sœur n’est plus là. »