Cela faisait quelques semaines que Salazar Shafiq se comportait en résistant modèle.
Il s’efforçait à ce que rien ne puisse faire penser aux aurors ou aux élèves suspicieux qu’il était un néo-mangemort à la solde de Blackman, enfoncé jusqu’au cou dans son soutien à l’ancien directeur et dirigeant du pays, ayant approuvé voire théorisé les idéaux pro sangs-purs.
La seule différence avec un ancien membre du conseil de sécurité mangemort, c’est que Shafiq ne s’était jamais mouillé dans une torture ou une dénonciation ouverte. Bon, peut-être avait-il assisté à quelques séances de punitions corporelles, comme pour Perrin O’Riordan, mais il n’avait jamais participé, laissant les autres se salir les mains. Pour les cours, ses idéaux ont forcément transpiré durant les leçons données aux Cinquièmes et Septièmes Années, mais pas pour les autres. Il n’avait rien à modifier pour ces cours de rattrapage donnés aux Quatrième Années.
Car oui, désireux de montrer à tous qu’il était un enseignant compétent et à l’écoute des élèves, ainsi qu’une façon de souligner que sa présence était indispensable à la Ferme, le professeur d’Histoire de la Magie avait ouvert des cours de rattrapage, en plein air, à toutes les années selon les jours de la semaine, dans le but affiché et louable de les faire tous monter à la classe supérieure. Oui, tous, même les nés-moldus. Surtout les nés-moldus. Car lorsque les aurors auront réuni suffisamment de preuves et de témoignages, le néo-mangemort ne se faisait aucune illusion sur le sort qui l’attendait.
Sa seule solution était donc de limiter au maximum les témoignages compromettants et d’encourager, au contraire, les témoignages à décharge. Les cours de rattrapage faisaient partie intégrante de sa tactique de « remontée d’opinions favorables ». Et quoi de mieux que de satisfaire des élèves qui ont peur pour leur passage, de distraire ceux qui ont affreusement besoin de penser à autre chose qu’à leurs blessures et qu’à la guerre, ou de ceux qui ont été sevrés de cours durant une année entière et qui ont tout à rattraper ? Ne limitant pas sa fausse générosité, il organisait même des cours doubles pour les plus déterminés !
Pour l’instant, le professeur n’avait vu ni Heather Tiesenhausen, ni sa petite protégée, Saskia Frowein. Par contre, il avait eu le déplaisir de voir la petite Joanne Griffith qui ne se privait pas de poser un nombre incalculable de questions, monopolisant la parole, sachant que cela exaspérait son professeur, et tentant d’acculer Shafiq. En voici une qui témoignera contre lui, il le savait pertinemment. Mais durant ce cours de Quatrième Année, il visait une élève en particulier qui pourrait témoigner en sa faveur, et dont le témoignage comptera pour beaucoup, suite à son histoire mouvementée : Tracy Bennet. Elle semblait avoir avalé tous les mensonges de Salazar sans émettre le moindre doute. Il fallait la convaincre de l’aider.
« … pour la semaine prochaine, vous me réviserez donc la fin de la Guerre des géants et ses conséquences pour le monde sorcier. Ce sera la dernière révision. Dans deux semaines commenceront vos examens. »
D’un coup de sa baguette, Shafiq retransforma le tableau noir en table et fit se ranger ses craies dans la boîte en bois qu’il avait confectionné. La classe de fortune se résumait en quelques chaises, dans les champs, avec quelques draps rapiécés flottant dans l’air pour se protéger du soleil d’août. Beaucoup d’élèves étaient simplement assis en tailleur, les blessés occupaient prioritairement les chaises, et tous n’avaient pas de quoi écrire. Ils se passaient les notes entre eux pour réviser. Bucolique, amusant à court terme, mais pénible à moyen terme. Cependant, au lieu de décroître, ses cours se peuplaient au cours des semaines. Il n’y avait pas grand-chose à faire à la Ferme, et les blessés commençaient à sortir de l’infirmerie pour grossir les rangs. Certains, par contre, mettaient un point d’honneur à ne pas venir, refusant de cautionner la présence de Shafiq. Systématiquement, un petit groupe venait perturber le cours aux sons de « Shafiq, démission », « Shafiq Azkaban ! », et autres joyeusetés. Le professeur tentait tant bien que mal de ne pas faire attention à ces provocations.
« Mademoiselle Bennet, pourriez-vous rester un instant, je vous prie ? J’ai à vous parler de votre copie précédente sur le sort de coussinage. »
Shafiq vit la tomate arriver vers lui. Il aurait pu l’éviter, mais ne bougea pas d’un pouce. Avec un son mou, la tomate bien mure atterrit sur la joue du professeur tandis qu’une voix amplifiée par le sort sonorus et probablement trafiquée lança : « Shafiq a du sang sur les mains ! »
Les responsables de ce petit attentat s’étaient sûrement cachés parmi les arbres pas loin d’ici. La tomate a été dirigée par un sort, de sorte que personne ne puisse savoir d’où elle venait. Merveilleuse mise en scène.
Lentement, le professeur sortit un mouchoir et s’essuya la joue devant l’impressionnable mademoiselle Bennet, tandis que les derniers élèves ayant assisté à cet acte ne partent, totalement indignés pour la plupart que quelqu’un ait pu faire ça !
« Il y a aussi d’autres choses que j’aimerais que nous parlions… Etes-vous sûre de vouloir rester à mon cours malgré la haine dont je fais l’objet ? J’ai peur que cela ne vous fasse remonter de bien mauvais souvenirs… »
La période qu’elle avait manquée était peut-être plus facile à rattraper pour Tracy que celle que les autres nés-moldus, toujours était-il que trois mois de connaissances à emmagasiner représentait une sacrée paire de manches. Les cheveux noués en un rapide chignon, ses lunettes de lecture vissées sur les yeux et un léger pull rayé noué autour de ses épaules, la jeune Serdaigle avait bien sûr répondu présent à l’appel de leur professeur d’histoire de la magie, bien décidée à se dépasser afin que son retard devienne rapidement de l’histoire ancienne. Assise aux côtés d’Alaska, qui avait également fait le choix de réussir son année, elle lui adressa un signe d’encouragement avant que le cours ne commence, enthousiaste à l’idée de pouvoir partager cette expérience avec elle. Même si, en attendant, elles allaient éprouver une certaine difficulté à tout reprendre… Heureusement, le professeur Shafiq se montrait extrêmement pédagogue, énonçant les évènements avec une clarté remarquable, si bien qu’elle n’éprouvait presque aucune difficulté à les synthétiser dans le petit carnet de notes réservé à cet effet. Le temps, clément, leur permettait d’assister au cours en plein air, lui octroyant une atmosphère bien plus familière que dans les locaux de Poudlard… Rédigeant consciencieusement presque chacune des paroles de l’enseignant, Tracy pouvait reconstituer mentalement une bonne partie des faits, aidée par les cours auxquels elle avait pu assister lors des premiers mois, ainsi que par les quelques ouvrages prêtés par Heather. Néanmoins, après une heure entière d’écoute prolongée, les dates commençaient à s’emmêler les unes avec les autres, et elle commençait à peiner à se souvenir de chaque phase de combat, confondant les offensives des gobelins avec celles menées par les géants… Et les interruptions de quelques irrespectueux venus se plaindre ouvertement de la présence du professeur parmi eux, ne venant arranger en rien sa concentration… Elle soupira, raturant sa dernière phrase, s’apercevant de son incohérence avec le reste du cours. Pourquoi ne laissaient-ils pas tomber… ? Sa présence parmi eux prouvait justement bien qu’il n’avait rien à voir avec les mangemorts… « … pour la semaine prochaine, vous me réviserez donc la fin de la Guerre des géants et ses conséquences pour le monde sorcier. Ce sera la dernière révision. Dans deux semaines commenceront vos examens. » La dernière… ? Elle sourcilla. Non… ! Ce n’était pas suffisant… Bien sûr, elle aurait achevé de rattraper son retard dans les quelques prochains jours, mais il fallait davantage bien davantage… à quoi bon s’acharner pour seulement devenir une élève acceptable ? Elle ne pouvait pas se satisfaire d’avoir acquis un niveau moyen… Elle manqua de lever la main pour tenter de renégocier le nombre de séances, mais se dit finalement que ce serait peut-être malvenu, alors que d’autres n’avaient pas eu la chance d’assister aux six premiers mois de cours, contrairement à elle. Les appels provocateurs se multipliant tandis que les autres élèves rangeaient leurs affaires, et Tracy se sentait de plus en plus embarrassée en les entendant… Il y en avait vraiment qui n’avait rien de mieux à faire. Elle fourra son matériel dans son sac en bandoulière, et s’apprêtait à prendre la sortie, avant d’être interpelée par l’enseignant.
« Mademoiselle Bennet, pourriez-vous rester un instant, je vous prie ? J’ai à vous parler de votre copie précédente sur le sort de coussinage. » Surprise, elle s’arrêta net et changea de trajectoire, se questionnant sur le motif qui poussait son professeur à user de son temps pour s’entretenir avec elle. Y avait-il quoi que ce soit à redire de sa copie… ? C’était impensable, elle y avait porté une attention toute particulière… Elle avait passé des heures à tout détailler, et l’avait montrée à Heather pour obtenir son approbation avant de la déposer, s'étant attardée sur toutes les effets qui différaient entre le sort de coussinage et "Aresto Momentum". Etait-elle plus en retard qu’il n’y paraissait… ? Peut-être que tous ces diagnostics idiots que lui octroyaient les psychomages finissaient par la rendre tout simplement inattentive, au point qu’elle passe à côté d’éléments capitaux… Elle s’approcha donc, réticente, avant de sursauter violemment, s’écartant sur le côté après avoir aperçu un projectile qui vola jusqu’au professeur. C’était vraisemblablement une tomate, que l’un des élèves avait délibérément envoyée sur le professeur Shafiq… Un mélange d’indignation et d’empathie la prit alors que ce dernier en retirait les traces de sa joue. « Il y a aussi d’autres choses que j’aimerais que nous parlions… Etes-vous sûre de vouloir rester à mon cours malgré la haine dont je fais l’objet ? J’ai peur que cela ne vous fasse remonter de bien mauvais souvenirs… » Elle était surtout prise de court par l’acceptation stoïque et incomparable de ce dernier… Comment faisait-il pour faire face à tant de mépris et d’irrespect sans même ciller, sans même tenter de leur faire comprendre qu’il était de leur côté… ? Elle s’en retrouvait désemparée, ne sachant que lui répondre. Elle aussi, avait tenté de clamer son innocence. Qu’elle avait agi par crainte, et qu’elle s’était retrouvée prise au piège de son propre mensonge. Naïa et Keagan n’avaient pas voulu en savoir davantage, avant de lui régler son compte… « Bien sûr, je le souhaite. » déclara-t-elle avec fermeté, refusant de donner raison à ceux qui s’octroyaient le droit de faire justice eux-mêmes, avant d’ajouter : « Ils n’ont pas à vous traiter de cette façon. La colère fait souvent faire des choses stupides. » Ils le lui avaient prouvé lorsque la vérité avait éclaté à son sujet, maintenant c’était à lui d’en faire les frais, et malheureusement, elle ne pouvait pas y changer grand chose… Néanmoins, si ces quelques cas isolés finissaient par le pousser à bout, elle ne pourrait sans doute plus compter sur lui à l’avenir… « S’il vous plait, ne renoncez pas à vos cours pour une poignée de querelleurs. » C’était un peu égoïste, sa motivation l’était en tout cas… mais elle n’avait jamais appris aussi rapidement, et aussi rigoureusement ! Elle devait le remercier de la volonté et de l’exigence qu’il mettait à leur profit… il était impensable que cet homme puisse être un mangemort, alors que c’était quasiment grâce à lui qu’elle passerait en cinquième année, et pouvait de nouveau envisager la tête de classe. « Vous vouliez me parler, professeur… ? » termina-t-elle poliment, un peu gênée, espérant ne pas être allée trop loin.
A l’appel de son nom, la jeune fille parut surprise. Tracy Bennet était une bonne élève, et comme beaucoup d’entre eux, une angoissée de l’échec. C’était une ficelle sur laquelle il fallait tirer avec parcimonie et avec tact. Mais une ficelle bien utile, dont il ne fallait pas se priver non plus… Le meilleur moyen pour la retenir sans surprendre personne était bien la copie sur « l’histoire du sortilège de coussinage et son évolution pratique de 1820 à 1918 », sujet qui n’intéressait objectivement pas grand monde, et qui n’inciterait personne à rester pour écouter le rapport du professeur.
Et puis, la tomate est arrivée, pile au bon moment. Le sort, la direction, le timing, Shafiq se félicita intérieurement de la parfaite réussite de sa mise en scène. Un fruit un peu lent à arriver, mais dans un sens, tant mieux, cela prouvait à l’impressionnable et naïve serdaigle que son professeur était courageux et stoïque. Nettoyant son visage avec son mouchoir, le mangemort n’eut pas besoin de regarder l’adolescente pour savoir qu’il avait visé juste : elle devait être d’autant plus révoltée par ce qu’elle jugeait comme une injustice qu’elle-même a dû subir des vexations, des tortures, une tentative de meurtre… La couleur rouge du fruit qui s’était étalé sur le visage du professeur avait dû tellement la choquer qu’elle allait tomber dans le piège du mangemort les pieds joints et en faisant le saut de l’ange !
La question faussement inquiète de Shafiq, bien que puant l’hypocrisie à plein nez, avait été prise très au sérieux par miss Bennet, qui ré-affirma plus que tout de vouloir assister à son cours et affirma d’un ton indigné que les anti-mangemorts n’avaient pas à lui faire subir de vexations. Quand on sait tout ce que les mangemorts avaient fait subir aux »sang-de-bourbe », l’affirmation de la née-moldue ne manquait pas de piquant.
Tracy allait même plus loin que ce qu’avait pensé le professeur, puisqu’elle lui enjoignit de ne surtout pas renoncer à ces cours. La perche était tellement grande que Salazar la saisit de suite, jouant toujours le sorcier humilié mais digne.
« Vous êtes gentille de m’encourager à continuer, mais rassurez-vous : je n’ai aucune intention d’arrêter. Sauf si on m’en empêche en m’emprisonnant bien sûr… »
Quitte à jouer la carte du martyr, autant aller jusqu’au bout…
« Je m’inquiètes bien plus pour ces élèves manifestants que pour moi-même. Pas de recul, pas d’esprit d’analyse. Ils souffrent de la même haine que les mangemorts : ils cherchent un responsable et sont prêts à le lyncher quand ils pensent l’avoir trouvé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils deviennent précisément ce qu’ils ont juré de combattre. Quel avenir, pour eux ? Oui, je m’inquiète pour ce lanceur de tomates. Quelle sera sa prochaine étape ? Que lancera-t-il, et sur qui ? Je le plains. » Et voilà : désintéressement, empathie, stoïcisme… une vraie figure christique ! « Je dois rester, je dois continuer. Non pas pour moi, mais pour mes élèves. Ceux qui m’aiment, et ceux qui me haïssent… Ceux qui sont en difficulté, ou ceux qui sont comme vous, mademoiselle Bennet. »
Jetant un sort à son mouchoir pour le rendre de nouveau propre, Shafiq sortit une pile de parchemins.
« J’ai beaucoup aimé votre analyse, votre comparaison entre le sort de coussinage et le sort aresto momentum, et l’idée de ce brave Elliot Smethwyck de l’adapter aux balais… Très détaillé. Je me suis régalé à lire votre copie. Cependant, j’aurais une remarque. Un léger détail, un anachronisme qui ferait tiquer n’importe quel spécialiste de la matière… »
Salazar ménagea son effet… Plus ce détail paraîtra gros aux yeux de la bleue-et-bronze, plus elle sera convaincue que son cher professeur lui est indispensable pour s’améliorer.
« … Vous avez écrit que le jeu du Virenvol était très pratiqué par les enfants et que le sort de coussinage améliorait ce jeu d'enfants, en le rendant bien moins dangereux et en rassurant les adultes. C’est tout à fait vrai. Le seul petit détail, c’est qu’au dix-neuvième siècle, le virenvol était pratiqué aussi par… des adultes. »
Posant le parchemin sur sa table bancale, Shafiq s’y adossa, les deux mains sur le rebord de ce bureau improvisé. « Conclusion : les adultes n’avaient plus la sensation de danger, ils se désintéressèrent de ce sport, et il tomba en désuétude dès 1830. Malgré quelques survivances, il finit par disparaitre des compétitions officielles. Vous avez oublié la fin d’un sport. »
Salazar leva la main en signe d’apaisement. « Ce n’est rien, rassurez-vous. Rien de rien. Ça aurait pu être une conclusion, la dernière pointe qui aurait transformé une « très bonne copie » en « excellente ». Cette petite différence, rares sont les gens qui s’y connaissent suffisamment pour vous l’apprendre. Mais moi, je le peux. » Il allait pouvoir ramener la ligne maintenant que l’appât était suffisamment gros pour qu’une perfectionniste comme Tracy Bennet puisse vendre père et mère pour le garder comme professeur. Soupirant, il baissa les yeux et déclara :
« Hélas ! Sans aide, il y a de fortes chances pour que ce soit la dernière fois que je vous dispense mon savoir. Des gens comme les élèves chahuteurs, il y en aura, dans le jury. Et au procès, je risquerai bien plus que des tomates… »
« Vous êtes gentille de m’encourager à continuer, mais rassurez-vous : je n’ai aucune intention d’arrêter. Sauf si on m’en empêche en m’emprisonnant bien sûr… » Elle en éprouva une certaine satisfaction, qui s’estompa quelque peu lorsqu’il passa à la seconde partie. De toute évidence, sa situation ne s’était pas améliorée depuis la fois dernière… Et l’idée qu’elle avait d’Azkaban n’était pas spécialement rassurante. D’un côté, elle avait envie de se montrer optimiste, tout en veillant bien à rester à sa place, et à ne pas se montrer trop familière. Même s’il ne le laissait pas beaucoup transparaître, l’enseignant semblait relativement affecté… et elle comprenait bien pourquoi. Pourquoi tant d’acharnement, pour un professeur qui faisait bien son travail… ? Il se donnait tellement de mal pour eux, et sans lui, son niveau en histoire de la magie ne serait certainement pas ce qu’il était. Et en aucun cas, il ne s’était montré réfractaire alors qu’elle était une née-moldue… « Vous devriez leur parler… prendre les devants avant qu’ils ne vous attaquent en justice. » déclara-t-elle, ne sachant trop si elle était bien placée ou non pour donner un conseil de la sorte. Peut-être se montrait-elle trop utopiste, et les choses n’étaient pas aussi simples qu’elles en avaient l’air… Mais elle connaissait mal le système de justice magique. Lorsqu’elle rentrerait à la maison, elle pourrait demander à Louise ce qu’il en était… « Je m’inquiètes bien plus pour ces élèves manifestants que pour moi-même. Pas de recul, pas d’esprit d’analyse. Ils souffrent de la même haine que les mangemorts : ils cherchent un responsable et sont prêts à le lyncher quand ils pensent l’avoir trouvé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils deviennent précisément ce qu’ils ont juré de combattre. Quel avenir, pour eux ? Oui, je m’inquiète pour ce lanceur de tomates. Quelle sera sa prochaine étape ? Que lancera-t-il, et sur qui ? Je le plains. » Elle comprenait son point de vue, sans pour autant… l’accepter. Eprouver de la compassion pour ceux qui ambitionnaient une place de bourreau n’était pas la solution. Elle voulait bien croire, comme lui, qu’il s’agissait d’un cercle vicieux, de colère de vengeance, piège insoluble et tourbillon néfaste dont ils ne parviendraient à se défaire. Mais on n’y mettait pas pour autant fin en trouvant des circonstances atténuantes aux uns ou aux autres. Une fille comme Naïa Rosenberg faisait souffrir les autres parce qu’elle y éprouvait un plaisir démesuré, tout simplement, et un garçon comme Keagan Fassbach ne voyait en la vengeance que la seule issue pour retrouver la paix avec lui-même. Elle n’avait pas de temps à consacrer à les plaindre, et se disait que le professeur Shafiq ferait bien d’en faire autant. « Vous devriez davantage penser à vous, professeur. » répliqua-t-elle, impassible « Ceux qui lancent des tomates auront bien le temps de méditer sur leur erreur. Vous, vous devez utiliser le temps que vous avez pour les en convaincre. » ajouta-t-elle doucement. La sensation des mains autour de son cou ne disparaitrait jamais réellement, ni la peur de se sentir à nouveau prise au piège.
« Je dois rester, je dois continuer. Non pas pour moi, mais pour mes élèves. Ceux qui m’aiment, et ceux qui me haïssent… Ceux qui sont en difficulté, ou ceux qui sont comme vous, mademoiselle Bennet. » Satisfaite de faire partie de ceux qui valaient la peine de continuer à mener ce combat, elle esquissa un demi-sourire. Cela voulait bien dire qu’il avait remarqué sa volonté, et qu’il croyait en elle, alors… ? C’était un bon leitmotiv pour continuer dans ce même sens : s’il ne cherchait pas à la dissuader, elle pourrait donc effectivement passer en cinquième année, et peut-être même avec de bons résultats si elle redoublait d’efforts. Et si son professeur plaçait des attentes en elle, pour rien au monde elle ne le décevrait, désireuse de faire ses preuves et de lui montrer qu’il ne s’était pas trompé. Il passa donc à l’analyse de sa copie, qu’elle redoutait, de peur d’avoir fait un hors-sujet… « J’ai beaucoup aimé votre analyse, votre comparaison entre le sort de coussinage et le sort aresto momentum, et l’idée de ce brave Elliot Smethwyck de l’adapter aux balais… Très détaillé. Je me suis régalé à lire votre copie. Cependant, j’aurais une remarque. Un léger détail, un anachronisme qui ferait tiquer n’importe quel spécialiste de la matière… » Finalement c’était plutôt un bon bilan… quoique, à présent qu’il avait signalé la présence d’un détail, elle tenait absolument à savoir ce qu’il en était. Peut-être n’était-elle pas allée assez loin dans ses révisions pour livrer une copie de qualité supérieure… « … Vous avez écrit que le jeu du Virenvol était très pratiqué par les enfants et que le sort de coussinage améliorait ce jeu d'enfants, en le rendant bien moins dangereux et en rassurant les adultes. C’est tout à fait vrai. Le seul petit détail, c’est qu’au dix-neuvième siècle, le virenvol était pratiqué aussi par… des adultes. » Elle sourcilla un instant avant d’approcher sa main du rouleau de parchemin, relisant ses écrits. Effectivement, elle était passée complètement à côté, et regrettait déjà de ne pas s’être suffisamment renseignée à propos du Virenvol… Le professeur Shafiq la rassurait comme il le pouvait, mais elle aurait en effet voulu pouvoir faire davantage.
« Conclusion : les adultes n’avaient plus la sensation de danger, ils se désintéressèrent de ce sport, et il tomba en désuétude dès 1830. Malgré quelques survivances, il finit par disparaitre des compétitions officielles. Vous avez oublié la fin d’un sport. » Elle accueillit la remarque comme si elle venait de détruire des semaines entières de travail, non seulement scolaire, mais également sur elle-même : pourquoi ça ne fonctionnait pas… ? En étant raisonnable, elle se rendrait bien compte que quelques semaines seulement ne permettaient de remédier à toutes les erreurs d’inattention susceptibles de menacer une copie, mais plus que jamais, le niveau d’exigence qu’elle se donnait était plus élevé. Pour le coup, elle ignorait tout de la situation de son professeur, consciente seulement qu’elle n’était pas bonne : comment son travail était-il considéré à la Ferme ? Personne ne l’obligeait à leur donner cours, ni à les pousser à se dépasser. Et pourtant… il était là, à faire ce qu’il pouvait pour des élèves qui ne lui manifestaient aucune reconnaissance. Elle devrait veiller à ne plus laisser ce type de faute passer au travers. « Ce n’est rien, rassurez-vous. Rien de rien. Ça aurait pu être une conclusion, la dernière pointe qui aurait transformé une « très bonne copie » en « excellente ». Cette petite différence, rares sont les gens qui s’y connaissent suffisamment pour vous l’apprendre. Mais moi, je le peux. » Sans doute, après trois mois dans les cachots, aurait-elle du se satisfaire d’une « très bonne copie ». Mais ça ne lui convenait pas. Et si elle devait employer toute cette année à éradiquer ce genre d’erreurs, alors elle voulait bien s’y mettre dès aujourd’hui. Comme il le soulignait, il pouvait lui faire remarquer ce genre de nuances, et c’était également pour cette raison qu’elle avait besoin de lui, et de ce qu’il pouvait lui apprendre. « Merci de votre aide. Je ferais attention à ce genre de détails la prochaine fois, j’ai du passer à côté dans mes lectures. » répondit-elle en reprenant en main sa copie, même si désormais, elle avait du mal à la considérer autrement que comme un tissu d’erreurs. Il lui faudrait sans doute relire « Le Quidditch à travers les Âges » pour être bien sûre de ses dates… « Est-ce que vous en avez à me conseiller… ? » demanda-t-elle, incertaine de pouvoir se permettre ce genre de requête en dehors du cadre des cours. Sa volonté d’avancer plus rapidement encore ne pourrait être comblée qu’en l’assouvissant, et comme son professeur le lui avait précisé, il était le seul qui pourrait lui permettre d’accéder au niveau qu’elle convoitait.
« Hélas ! Sans aide, il y a de fortes chances pour que ce soit la dernière fois que je vous dispense mon savoir. Des gens comme les élèves chahuteurs, il y en aura, dans le jury. Et au procès, je risquerai bien plus que des tomates… » La dernière fois… ? Non… non, ce n’était pas possible, il devait y avoir erreur… Il était l’un des meilleurs, et en quelques semaines, il lui avait apporté tellement qu’elle avait du mal à concevoir que quelqu’un d’autre puisse le remplacer, et lui apporter autant… Et puis, le sort qui l’attendait était bien trop pénible à envisager pour qu’elle puisse rester impassible, alors qu’au final, il n’avait rien fait… « J’espère que ça n’arrivera pas… » répondit-elle comme un murmure. « Y a-t-il quelque chose que l’on peut faire pour vous… ? » Elle ne voyait pas trop, ce pourquoi elle avait fini par lui poser la question, peu certaine de pouvoir lui apporter son aide. Cela valait tout de même le coup de demander…
Le piège se refermait, et mademoiselle Bennet y plongeait avec délice… Elle semblait réellement choquée de la fameuse tomate lancée sur son professeur, réagit aux flatteries de son enseignant par des sourires gênés, et devant sa copie sur le coussinage, elle apparaissait comme vraiment inquiète. Elle approcha même sa main de sa copie pour vérifier ses écrits. Le point de détail sur le virenvol, qui était, de base, un jeu qui ne cassait pas trois pattes à un canard, et dont tout le monde se moquait, était devenu pour Tracy un élément si important qu’il modifiait tout son excellent devoir.
En réalité, mis à part le fait que Shafiq avait besoin de l’adolescente pour sa future défense, il appréciait cette mentalité. Lui-même recherchait l’excellence, le point de détail qui pouvait tout faire chavirer. Aussi comprenait-il fort bien le comportement de la serdaigle, ayant été un peu comme elle à son âge.
Maintenant qu’il approchait des vingt-sept ans, il avait eu le temps de prendre un peu de recul sur ces choses-là, mais la petite Bennet, ayant passé la fin de son année au cachot, torturée, ayant risqué de mourir, et sevrée de toute connaissance, ne risquait pas d’avoir pris le moindre recul, bien au contraire : étudier signifiait pour elle : être vivante. Devenir la meilleure devait aussi être sa réponse aux fidèles de Blackman, dont Shafiq, ironiquement faisait partie : cela signifiait qu’ils avaient tort sur toute la ligne.
Son excellence scolaire ne troublait pas Shafiq et ne lui faisaient pas douter de ses croyances : il avait toujours encouragé l’éducation des nés-moldus. Ils les considéraient comme des sous-sorciers, à cause de leur naissance, mais n’avait jamais douté de leur puissance magique ni intellectuelle.
Quoi qu’il en soit, le professeur Shafiq a su se rendre indispensable auprès de la petite, qui bientôt réclamera des conseils et des précisions à son professeur comme si c’était une drogue dure. La peur de l’échec combinée à la perspective de devenir excellente si elle l’écoutait, tout cela formait un cocktail détonant sur Tracy. Elle lui demandait déjà des lectures plus précises, prête à grappiller n’importe quelle information du puits de science qu’était son enseignant.
« Oh, il y a plusieurs ouvrages, certains connus, d’autres moins, et d’autres… pas toujours autorisés de par leur contenu subversif ou apocryphe par rapport à l’Histoire officielle. Vous comprendrez que, même si je possédais ce genre d’ouvrages, je ne vous les montrerais pas. Mais ils sont une vraie mine pour tous ceux qui veulent confronter les versions des « vainqueurs » à celles des « vaincus ». »
L’appât était grossier mais intéressant : des livres qu’elles ne connaissaient pas, possédant des informations dont elle n’avait jamais entendu parler, et ouvrant des perspectives qu’elle n’avait jamais soupçonnées. Si les manœuvres précédentes n’avaient pas encore mis Shafiq sur un piédestal, celle-là devrait inciter la serdaigle à bâtir un temple en son honneur. Jouant celui qui n’avait rien dit de particulier, le professeur se contenta de ranger ses fiches, en déclarant : « Pour l’heure, vous devrez vous contenter « d’Histoire de la Magie Moderne » et des ouvrages sur la guerre des Géants. Un des sujets tombe toujours dessus. Révisez la Révolution Industrielle pour le Poudlard-Express, et ensuite… détendez-vous. Je tiens à ce que vous affrontiez vos épreuves reposée et sereine. »
Y a-t-il quelque chose que Tracy pouvait faire pour lui ? Oh oui, beaucoup de choses… Salazar attendait cette question depuis le début, mais tenta de ne pas paraitre triomphant, déguisant son sourire de satisfaction en sourire blasé. Ce qui n’était pas facile !
« Eh bien… peut-être. Je ne sais si c’est à moi de le suggérer, ou si vous en aurez la volonté, mais… je vous avoue que ces derniers temps, j’ai besoin de soutien. »
Pour faire croire à son histoire, Salazar-le-comédien baissa les yeux et les épaules, comme s’il était voûté par le poids de la calomnie.
« ….Alors peut-être… je ne sais pas, une pétition… des témoignages, un comité de soutien, tout ce qui pourrait faire comprendre à vos camarades et à la communauté que je ne suis pas ce qu’ils s’imaginent. J’avoue ne pas avoir la force d’organiser une telle opération, mais vous peut-être… »
Il n’aurait plus manqué qu’une larme pour compléter le tableau, mais Shafiq n’était pas allé jusqu’à cacher des oignons, et puis la mise en scène se suffisait à elle-même… pas la peine d’en faire trop.
« Oh, il y a plusieurs ouvrages, certains connus, d’autres moins, et d’autres… pas toujours autorisés de par leur contenu subversif ou apocryphe par rapport à l’Histoire officielle. Vous comprendrez que, même si je possédais ce genre d’ouvrages, je ne vous les montrerais pas. Mais ils sont une vraie mine pour tous ceux qui veulent confronter les versions des « vainqueurs » à celles des « vaincus ». » Gardée en haleine, Tracy s’attendait à ce que son professeur ne s’en tienne pas là, et évoque une autre possibilité, selon laquelle il pourrait néanmoins lui en parler au cours de l’année, ou au moins citer quelques titres, mais il n’en fut rien. Certes, elle comprenait bien qu’il aurait des ennuis s’il possédait ces ouvrages dans sa bibliothèque, mais quand une opportunité pareille se représenterait-elle ? Et puis contenu subversif… ça pouvait être tout et n’importe quoi. Bien sûr, si ce genre de livre tombait entre de mauvaises mains, ce pourrait se révéler problématique, mais avec un avertissement, peut-être qu’elle pouvait y prétendre… ? Non, elle ne pouvait se permettre d’insister, leur professeur en faisait déjà bien assez pour elle… En tout cas, avoir été privée d’accès à la bibliothèque ces derniers mois la rendait ivre de toute nouvelle connaissance qui pourrait lui être apportée. Mais elle devait déjà faire preuve de patience auprès d’Heather, qui ne lui cèderait certainement pas les siens aussi facilement… Pourtant, il ne s’agissait là que d’une question de confronter des versions de l’Histoire… ce ne devait pas être si terrible, si… ? « Je vois… il n’existe aucun autre moyen d’y jeter simplement un oeil… ? » Elle ignorait si elle pouvait se permettre de demander. Il n’y avait pas de mal, non ? Son professeur lui répondrait sûrement qu’il avait été bien clair sur les moyens mis à leur disposition, et qu’elle devrait s’en tenir là, mais peut-être connaissait-il dans ce cas une librairie un peu plus spécialisée que Fleury & Bott, ou un autre repaire à écrits plus partagés.
« Pour l’heure, vous devrez vous contenter « d’Histoire de la Magie Moderne » et des ouvrages sur la guerre des Géants. Un des sujets tombe toujours dessus. Révisez la Révolution Industrielle pour le Poudlard-Express, et ensuite… détendez-vous. Je tiens à ce que vous affrontiez vos épreuves reposée et sereine. » Elle se retint de grimacer, laissant son expression faciale demeurer totalement neutre. Elle n’avait pas besoin de se reposer, elle avait besoin d’accumuler le plus d’informations possibles et de passer à autre chose. Les psychomages avaient évoqué le fait que ces obsessions soudaines, dont elle faisait tout à coup une priorité absolue, ne lui étaient guère bénéfiques, mais à quoi ressemblerait-elle en se laissant vivoter entre les différentes activités proposées par la ferme ? « Histoire de la Magie Moderne » était relativement intéressant, mais mais guère surprenant… C’était plus ou moins un condensé de ce qu’ils apprenaient déjà en classe, avec quelques détails supplémentaires. Elle avait besoin de quelque chose de plus pointu, qui lui permettrait de combler les attentes de son professeur, et de lui rendre une copie irréprochable la fois prochaine. « Je vous remercie, professeur. Je m’y attèlerais sans tarder. » abandonna-t-elle, un peu amère. Il faisait de son mieux pour l’aider, alors elle devait au moins lui montrer un peu de reconnaissance. « Je peux vous demander un conseil, professeur ? Quelque chose qui n’a rien à voir avec la matière. » tenta-t-elle malgré tout, un peu incertaine, et songeant que ce serait sûrement malvenu.
« Eh bien… peut-être. Je ne sais si c’est à moi de le suggérer, ou si vous en aurez la volonté, mais… je vous avoue que ces derniers temps, j’ai besoin de soutien (…). J’avoue ne pas avoir la force d’organiser une telle opération, mais vous peut-être… » Elle réfléchit à ce qu’il proposait alors, et se retrouva un peu sceptique. Sa cote de popularité n’était certainement pas au mieux depuis son entrée dans les cachots, et une telle opération serait sans doute laborieuse à mettre en place… et surtout, quel crédit accorderaient les autres à une pétition qu’elle ferait circuler, alors qu’elle était déjà catégorisée comme traîtresse au sein du château ? Pour un professeur que l’on accusait de la même chose, il y aurait peu à parier que la manoeuvre fonctionnerait… « Je ne pense pas pouvoir être en mesure de prendre en charge ce genre d’initiatives… » réfléchit-elle à voix haute, un peu confuse. Et puis, en ce qui concernait la création d’un quelconque comité, elle était bien trop timide de manière générale pour arriver à présider quoi que ce soit… « Mais une lettre, adressée au ministère, est-ce que vous pensez que ce serait faisable ? Il y a des élèves en particulier que vous connaissez qui pourraient apporter leur témoignage ? » Elle ne savait pas auprès de quel département, mais il pourrait toujours l’aiguiller… Elle avait envie de l’aider, mais il paraissait tellement mal qu’elle se sentait mal de ne pas pouvoir faire davantage.
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