Genoux remontés jusqu'à la poitrine, menton posé sur ses mains jointes, Malia regardait sans le voir l'étang devant elle. Pourtant elle aimait bien l'endroit, elle l'avait repéré presque dès les premiers jours. Calme, tranquille, un havre de paix somme toute, et une inspiration sans fin pour la dessinatrice en herbe qu'elle devenait, comme en témoignait son éternel carnet à croquis, abandonné à ses pieds. C'était étrange qu'elle ne puisse trouver refuge qu'ici, elle qui, sans être la plus extravertie des camarades, avait toujours été quelqu'un de dynamique et relativement enjoué (quand elle ne râlait pas). Mais il fallait croire que son petit séjour à l'ombre en avait eu raison, pour ça aussi. Elle ne supportait plus d'être enfermée, même la vue d'une porte fermée et de quatre murs autour d'elle lui foutait la chair de poule. La foule et le bruit non plus, ça n'était pas encore ça. Etat criant de stress post-traumatique, ça passerait avec le temps, lui avait-on dit. Pour peu qu'elle arrive à décoincer la situation ... Malia avait l'impression d'être coincée dans un entre-deux, perdue entre une angoisse permanente et une amertume grandissante contre à peu près la moitié du monde. En fait plutôt contre tous ceux qui avaient laissé pourrir la situation. Elle savait qu'ils avaient fait au mieux, mais avec les morts, les blessés... rien n'était de leur fait, et pourtant elle arrivait à ressentir ça, en plus de sa haine brûlante contre les Mangemorts.

Son vrai problème, ainsi qu'elle y songeait actuellement, c'était qu'elle n'arrivait pas à se sortir de cette situation : non pas qu'elle se complaise en petite victime, mais elle se sentait agressée par toute la prévenance des adultes présents autour d'eux, et comme un mécanisme de défense elle se renfermait. Même avec le psychomage qu'elle voyait, elle n'avançait que par petites touches. Pourtant, elle aurait voulu parler des mois d'humiliations et d'esclavage dans les cachots, de la terreur le jour de leur libération face aux excès de violence, et de la honte d'être restée aussi bêtement inutile, juste après. Elle aurait aimé aussi pouvoir parler des cauchemars qui la tarraudaient toutes les nuits, de cet état de qui-vive et de peur en permanence... Mais ça restait bloqué au fond de sa gorge. Ca couvait, c'était prêt à sortir, mais ça ne bougeait pas, ça faisait comme une grosse boule douloureuse. Alors elle disait n'importe quoi pendant les séances, ce qui lui passait par la tête, comme d'habitude. Qu'elle avait repris un kilo, c'était chouette, mais elle avait encore du mal à manger beaucoup, que retrouver un lit, un vrai, c'était génial, qu'elle était rassurée, ... que des conneries. Ca l'avait fait rire deux minutes, l'autre jour, de voir l'expert s'entêter à vouloir mener la conversation alors qu'elle ne faisait qu'en sortir. Juste deux minutes, parce qu'après elle se sentait coupable.

Malia finit par sortir de ses pensées, et délia ses jambes pour s'assoir plus à son aise, et récupéra son carnet, reprenant le dessin abandonné. Griffonner toute la journée ça l'avait sauvée. Ca lui occupait les mains et empêchait ses pensées de tourner en boucle dans son esprit. Outre les paysages nouveaux qu'elle s'était empressée de croquer, revenaient souvent les visages des membres de sa famille. Ca ne rendait leur absence que plus vive, mais ça l'aidait. Un peu. Ce soir, elle s'était occupée de croquer le petit étang, depuis le temps qu'elle y pensait ! Comme pour se souvenir, une fois que tout serait fini, qu'elle avait quand même connu des instants d'apaisement.

Soudain, un bruit près d'elle la fit sursauter avec violence. Tout son corps se ramassa, comme si elle s'apprêtait à s'enfuir, et le carnet tomba une nouvelle fois à terre. Mais elle se détendit légèrement en reconnaissant de qui il s'agissait. Danni ! Depuis leur séparation dramatique, au milieu des escaliers, elles ne s'étaient guère croisées. Daniela devant sûrement être au chevet de Keagan, et Malia eh bien... évitant l'infirmerie comme la peste, par crainte de ce qu'elle pourrait y voir. En fait, malgré son empressement pour savoir si tous ses amis et connaissances allaient bien, elle n'avait pas été très sociable ces derniers temps, et le regrettait à présent. La jeune fille accueillit son amie d'un fin sourire. A bien y repenser, est-ce qu'elle l'avait seulement vue une fois depuis leur arrivée ici ? « Danni, enfin ! Je veux dire... Je suis désolée je suis pas allée... je voulais... Euh, bref, ça me fait plaisir de te voir. Comment ça va ? Et Keagan? L'Auror vous a bien trouvé au moins ? Enfin oui, je suis bête sinon tu ne serais pas là... » Confuse entre sa joie de la voir, sa culpabilité quant à son effacement et son désir de savoir si son aide avait bel et bien été utile, Malia avait tenté de dire plusieurs choses à la fois, se perdant dans des questions absurdes et des phrases brouillonnes. Un poil trop spontané, sans doute. Comme toujours.

Malia se força à se rassoir calmement dans l'herbe, histoire de perdre cette attitude de proie traquée, et s'autorisa même un léger sourire face au comique de situation. Si on pouvait parler de comique. N'empêche qu'elles n'avaient pas l'air fines à s'effrayer mutuellement de la sorte ! « Regarde moi ça comme on est devenus psychotiques, toutes les deux ! » Lança -t- elle en guise de réponse, son regard sombre se teintant d'une vague lueur amusée. C'était bien le cas, et franchement, il n'y avait pas de quoi rire ! Mais c'était plus fort qu'elle, comme un moyen d'auto-défense. Même si c'était encore bien trop tôt pour plaisanter là-dessus, elle espérait au moins que ça détendrait un peu l'atmosphère. Elle nota la présence du bégaiement qui n'avait sans doutepas grand chose à voir avec leur petit moment de panique, mais ne dit rien, de peur de froisser son amie. Malia reprit son précieux carnet que lui tendait Danni, encore ouvert à la page du dessin tout juste achevé. Elle reçut le compliment avec un sourire ravi (et une certaine fierté). Le dessin, ça avait toujours été son truc, alors forcément, commencer sur un sujet comme celui-là l'aidait déjà à se détendre davantage. A tel point qu'elle se permit de se fendre d'une nouvelle petite taquinerie. « Excuse-moi, je suis preeeesque sûre que tu as voulu dire quelque chose comme "plus douée que Keagan", n'est-ce pas ? Ta langue a dû fourcher !» S'exclama -t-elle avec une moue faussement compatissante, avant de pouffer légèrement. Mine de rien, ça faisait un bien fou de parler avec autant de légerté. Et ça rendait la présence de Danni d'autant plus appréciable et précieuse en cet instant. Elle l'avait appris en quelque jours ici, il n'y avait rien de plus réconfortant que la présence de ses plus proches amis, comme la Poufsouffle, comme il n'y avait rien de plus angoissant que l'absence de leurs nouvelles. Cette pensée fit surgir dans son esprit le visage de Cheryl, qu'elle n'avait pas encore réussi à voir, c'était à en devenir dingue !

"Moi aussi je suis contente de te v..voir... J'ai eu du mal à te t..trouver. Et t'excuse pas... J'aurais d..dû venir te voir avant mais je suis restée avec Keagan la plupart du temps... Il va mieux m..mais il souffre encore... il le dit pas mais je le c..connais. Mais il est f..fort, il va aller bien." Malia hocha distraitement la tête, se sentant un peu coupable encore une fois pour avoir joué les absentes pour la plupart de ses amis, en totale contradiction avec ce qu'elle s'était dit quant à leur présence à ses côtés. « Ouais, je fuis un peu la foule... et tout ce qui implique d'être enfermée entre quatre murs... » Souffla -t-elle comme seule explication. Elle n'avait pas à en avoir honte, au fond. Après huit mois parquée dans un cachot moisi avec beaucoup trop de personnes, n'importe qui rêverait de grands espaces... Quant à Keagan... Malia le revit tomber dans les cachots, la tête en sang, en une fraction de seconde, et elle se rembrunit. Mais les nouvelles restaient ô combien rassurantes ! -Bien sûr qu'il ira bien ! Et toi et moi aussi, on ira mieux bientôt ! Enchaîna -t- elle pour se sortir de ces pensées sombres, tâchant au mieux de se montrer optimiste. Intérieurement, elle se promit de passer voir Keagan, au moins pour prendre des nouvelles, et cesser de faire l'autruche. Puis Danni l'enlaça soudainement, pour la remercier de son aide dans les cachots. Malia se crispa une minuscule fraction de seconde, n'étant plus vraiment à de tels contacts physiques, avant de lui rendre bien chaleureusement son étreinte. « C'était normal ! Et il te doit beaucoup à toi aussi ! Moi j'étais trop pétrifiée pour agir, et sans toi je ne sais pas s'il aurait pu être évacué du cachot aussi rapidement... donc si j'ai pu être utile, c'est tant mieux. Ca aura bien été la seule fois, dans tout ce merdier. » Répondit-elle, sa voix trahissant la pointe d'amertume et de honte qui l'habitait encore. Elle s'en voulait encore pour son accès de terreur, en plein milieu d'une bataille, et pour son inutilité notoire au début, alors que d'autres se jetaient déjà sur les munitions pour aider. « Ils ont organisé l'évacuation des blessés grave en quatrième vitesse. J'ai eu tellement peur qu'ils ne pensent pas à regarder en dehors des zones de batailles que j'suis tombée sur l'un d'eux. Il a dû me prendre pour une sauvage, mais bon ! » Ou une débile, vu qu'elle avait dû s'y reprendre à trois fois avant de se faire comprendre.

"Et t..toi, comment tu vas ? Et ne me sors p..pas les salades que tu dois certainement servir aux psychomages ! Je te connais !" A ces mots, Malia pouffa, avant d'écarquiller de grands yeux innocents. -Moi, raconter n'importe quoi ? Au contraire, miss Cooper, ce serait bien mal me connaître ! C'était un peu pour retarder l'échéance. Quoique trop impulsive, la Gryffonne n'était pas la plus enthousiaste à l'idée de s'étendre sur ses sentiments profonds. Enfin, au moins Danni la connaissait, ce ne serait pas un de ses psychomages qui traduisait ses silences et les banalités qu'elle balançait par de profondes psychoses. « En fait je sais pas trop comment ça va. Physiquement, je vais bien, je crois. Hormis toutes les carences et les traces des huit mois dans les cachots, j'ai pas été blessée pendant la bataille, rien du tout, pas même une écorchure. Maintenant, j'ai l'impression de ne plus être en état de supporter quoique ce soit, la moindre sensation d'enfermement, la foule, le bruit... J'ai peur pour un rien, je fais des cauchemars un peu trop souvent, et tous les matins, il me faut une éternité pour me calmer et me dire qu'on est plus dans les cachots. Mais ça, ça va passer, pas vrai ? » Et tout ça, ça faisait des jours qu'elle n'arrivait pas à en sortir une bribe aux psychomages ! Après un léger silence, Malia reprit, la voix un peu plus basse. « Tout ça, j'ai beaucoup de mal à en parler. Et puis aussi, ma famille me manque tellement, c'est atroce. Surtout ma jumelle Galatea, et mon père. Et ils ne savent toujours pas ce qui s'est passé! Ca me tue de penser qu'ils continuent à s'inquiéter, ou pire, qu'ils pensent que mon absence de nouvelles est volontaire. Déjà que Gala me reproche chaque année mon absence... » Elle soupira lourdement, croisant les bras derrière sa nuque pour s'allonger dans l'herbe. Plus que tout, ça la blesserait énormément d'être confronté au regard déçu des membres de sa famille. « Et toi, comment ça va ? Tu n'as pas répondu à ma question, tout à l'heure. »

Malia hocha la tête distraitement, en la laissant la rejoindre dans l'herbe. Des circonstances atténuantes, c'était le moins qu'elle puisse dire. Il n'y a pas si longtemps, elles étaient encore en train de moisir dans les cachots de Poudlard... Mais tant qu'ils étaient en plein coeur du cauchemar, trouver le courage chaque jour de s'accrocher à ce qui lui restait, lui semblait aujourd'hui bien plus facile que de rassembler celui nécessaire à remonter la pente. Elle soupira avec son habituelle moue fataliste, avant de lancer un maigre rictus à Danni, signe qu'elle se rangeait à son avis. La discussion dévia sur le dessin qu'elle venait d'achever – seule occupation réellement apaisante à ses yeux – et Malia éclata de rire lorsque son amie rentra dans son jeu, faisant mine de reconnaître sa supériorité en la matière. « Au moins tu as admis que tu te trompais, et faute avouée à moitié pardonnée n'est-ce pas ? » Renchérit-elle en singeant le même air supérieur que Daniela. Ca lui faisait chaud au coeur d'un coup, et ça éloignait les pensées sombres de son esprit, le temps d'un instant. Après un dernier regard sur le croquis, elle referma soigneusement le carnet avec un sourire léger et presque joyeux aux lèvres.

Evidemment, elles ne restèrent pas bien longtemps sans parler des événements de ce fameux soir de rébellion. Cela eut l'inconvénient d'alourdir un peu l'ambiance, mais Mali se doutait bien que ce devait être nécessaire. Après tout, c'était encore avec ses amis, ceux qui la connaissaient le mieux, qu'elle arrivait à extérioriser tout ce qu'elle ressentait depuis ; la preuve avec Danni. Son amie chercha à la rassurer, à la sortir sans doute de ce soudain accès de dévalorisation. Ca lui arrivait souvent, d'avoir ce genre de pensées. De refaire le film à l'infini et de se demander cruellement si elle n'aurait pas pu faire mieux, si les choses dans son entourage proche auraient pu se passer autrement si elle avait su réagir "mieux". Mais l'entendre d'une voix amie et sincère était autre chose que de se l'entendre dire de la part d'un psychomage qui ne faisait que répéter qu'ils avaient agi comme ils le pouvaient compte tenu de leur état et de l'urgence. Rien de neuf sous le soleil. La Gryffondor lui sourit avec reconnaissance. C'était un beaume un peu léger pour les blessures mentales, mais au moins ça n'avait rien de paroles creuses. Savoir qu'elle avait été utile à quelqu'un la rassérénait un peu. Mais la suite des paroles de Daniela lui rappelèrent qu'évidemment, elle n'était pas la seule à rejouer le scénario en y ajoutant des tonnes de "si". Avec douceur, Malia entoura ses épaules de ses bras pour la réconforter. « Ne pense pas à ça. Keagan est bien vivant et avec les soins qu'il va recevoir, il sera très vite sur pied. Et quand bien même ça ne se serait pas passé comme ça... Tu aurais trouvé un moyen, j'en suis sûre ! Tu es bien trop têtue pour abandonner comme ça, n'est-ce pas ? » Répondit-elle, terminant sa tirade sur un ton plus léger.

Vint le sujet du bégaiement. Entendre Danni buter sur les mots de la sorte la renvoyait déjà quelques temps en arrière, et Malia grimaça avec compassion. En plus de tout le reste, son amie n'avait certainement pas besoin d'une telle régression. « C'est vrai que ça doit être sacrément emmerdant pour toi. Mais si c'est lié à la peur de l'autre soir... Il n'y a pas de raison que tu n'arrives pas à le gommer une nouvelle fois, surtout que tu as déjà réussi à le surmonter, non ? Je t'aiderai si tu veux, tiens ! » Lui assura -t- elle avec force. Elle même n'y voyait absolument rien de risible, mais elle se doutait bien que c'était loin d'être agréable pour Danni, et que cela avait déjà engendré quelques moqueries et autres mesquineries dont on se passerait bien.

Ses pensées et la conversation dévièrent lentement vers leur état respectif. Outre les conséquences du lourd traumatisme, les pensées de Malia étaient presque uniquement tournées vers ses proches et sa famille en particulier. A tel point que ça en était douloureux, que ça rajoutait de l'impatience à la souffrance latente du quotidien. Et elle entretiendrait presque ce mal en s'abîmant chaque jour les yeux en contemplant les croquis du Moulin, de ses parents, de l'Afon Tawe... Quand ce n'était pas les cauchemars qui venaient la hanter, c'était eux qui lui apparaissaient en rêve, aussi sûrement que si leur image avait été imprimée sur l'intérieur de ses paupières. "Oui ça va p..passer.. avec le temps. Y'a pas de raison. T'es une lionne et moi un.. euh.. un b..blaireau." La métaphore eut le mérite de la faire sourire. Vu son état de loque avancée ces derniers jours, "lionne" n'était pas vraiment l'animal auquel elle aurait pensé pour se décrire, mais soit. Et si le conseil était toujours le même, Danni avait raison. Le temps serait sûrement leur précieux allié. « Les blaireaux mangent les serpents ! Et tu es forte, tu y arriveras aussi. » Fit-elle remarquer en passant, après que Danni se soit confié sur ses propres maux. Les mêmes que les siens. Au moins elle comprenait parfaitement son ressenti.

Elle ricana aux derniers mots de son amie. « Promis, vos dernières volontés seront exaucées madame ! Mais, tu ferais quoi si ce n'était pas possible, toute évanouie que tu serais ? Tu leur ronflerais à la figure ?» La taquina -t- elle en affichant un petit sourire mutin. Puis avant que la conversation ne retombe, elle demanda : « Et sinon, tu as testé les activités de la ferme, déjà ? » Pour sa part, elle avait pour l'instant, un peu boudé son "plaisir".