Le calme est revenu, la tempête s’est dissipée. L’obscurité a été chassé par la lumière, l’espoir est revenu et les secours sont arrivés. Je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qu’il s’est passé en l’espace de quelques jours puisque tout a été très flou dans ma tête. Je me souviens avant tout d’avoir tenté de soigner cet idiot de Zach dans la Grande Salle, durant la bataille, puis d’avoir ressenti une vive douleur au niveau du dos et du crâne. Ensuite, j’ai tout simplement perdu connaissance et à mon réveil, je me suis retrouvée bandée de partout telle une momie et couchée sur un lit de malade dans un lieu que je ne connaissais pas. Oui, je ne suis jamais partie en vacances avec les élèves de Poudlard donc cette ferme, je n’y ai jamais mis les pieds.

J’ai trouvé l’endroit franchement moche, vieux et malodorant. Une ferme. C’est tout simplement horrible comme lieu de refuge. Tout ce que je souhaite, c’est rentrer dans mon beau manoir familial et me reposer dans des draps dignes de ce nom. Malheureusement, pour l’instant, ce n’est pas possible. J’ai mis trois jours avant de me réveiller, plongée dans un coma à cause de je ne sais quel sortilège qui m’a causé des grandes écorchures profondes et bien sanglantes. D’après le professeur Burgess, j’ai perdu beaucoup de sang et cela aurait pu être pire si je n’avais pas été secourue à temps. Je l’ai remerciée de m’avoir soignée et j’ai tout de suite voulu prendre le contrôle de mon corps pour bouger un peu et quitter la passivité. Néanmoins, on m’a refusé cette volonté, estimant que j’étais encore dans un état trop vulnérable pour me permettre de marcher correctement. Je devais encore prendre de multiples remèdes avant de pouvoir me mouvoir normalement. Quelques jours supplémentaires ont donc été nécessaires pour que je sois remise sur pied. Ma blessure grave a causé des problèmes aux adultes chargés de nous soigner et l’opération a donc été délicate. Mais je n’ai pas été la seule dans ce cas ; c’est arrivé à d’autres élèves et certains étaient encore entre la vie et la mort.

Cependant, tout cela n’est plus qu’un simple détail à mes yeux. Je me fiche bien de leur sort. Qu’ils meurent, je m’en fiche totalement. Qu’est-ce qui peut être plus difficile à vivre et à oublier que d’apprendre la mort de votre père ? Je ne l’ai pas cru quand je l’ai appris de la bouche de l’un des professeurs qui avait combattu à ses côtés. J’ai accueilli la nouvelle sur un éclat de rire nerveux, partagée entre l’agacement d’avoir l’impression que l’on se foute de moi et la peur que cela ne soit la réalité. Finalement, j’ai dû m’y résoudre… et je m’y résous encore. J’ignore comment réagir, que penser. Peut-être que je suis sous le choc.

On m’a planifié plusieurs rendez-vous avec les psychomages pour parler de mes problèmes mais à vrai dire, j’ai juste envie de les envoyer chier et je crois que c’est ce que je ferai. Je n’ai pas besoin de me confier à qui que ce soit, surtout pas à des inconnus qui se fichent éperdument de mon histoire et qui ne sont là que pour accomplir leur travail. Je tenterai de les esquiver au mieux mais je crois que Burgess ne me laissera pas me défiler aussi facilement et ce n’était clairement pas pour me plaire. J’ai toujours été livrée à moi-même et je crois que rien ne changera cela.

L’air légèrement épuisé, je m’avance vers ma nouvelle chambre. D’autres filles y logent mais je n’y fais pas attention et de toute façon, elles ne tardent pas à descendre manger un morceau dans la salle à manger. Je crois que ma présence ne leur plaira pas mais cela m’est bien égal. Elles ne sont que poussière à mes yeux… tout comme le restant de la ferme. Je me sens tellement étrange. J’ai l’impression que rien ne va plus chez moi et pourtant, je sais qui je suis. Je sais ce que j’ai fait et je sais où je vais… ou du moins, je pense le savoir.

Mes yeux balayent la grande pièce et je me pose doucement sur le bord de ce qui semble être mon nouveau lit. Rien de bien spécial et il m’a l’air même moins confortable que celui de Poudlard mais je n’ai pas le choix.

Je fouille mes affaires que l’on a déjà rangées ici et là, près des armoires et je fais l’inventaire de ce qu’on a pu me récupérer. Durant quelques instants, je me fais un sang d’encre au sujet de mes créations qui forment toute ma passion pour la mode. J’espère qu’on ne les a pas oubliées à Poudlard et qu’on les a pliées correctement. Je n’ose imaginer ce que je ferai loin d’elles…

D’un mouvement nerveux, j’ôte différents objets de mes sacs jusqu’à retrouver, au fond de ceux-ci, mes précieuses manufactures. Je pousse un soupir de soulagement et je me laisse retomber sur mon lit, au beau milieu de tout mon bordel. J’inspire profondément et expire lentement, mon regard océan fixant le plafond avec une tristesse perceptible.

Je n’ai jamais pensé pouvoir ressentir des regrets à l’égard de mes agissements. J’ai toujours tout assumé du début à la fin, consciente de chaque chemin que j’avais pu prendre depuis mon enfance. Des chemins que j’ai toujours considéré comme étant les bons et je ne me suis jamais retournée une fois que je les empruntais. Ce n’est certainement pas la confiance en moi qui manque, ni même ma volonté de fer de suivre mes convictions jusqu’au bout, peu important les pressions exercées sur moi. Pourtant, aujourd’hui, une part de moi semble se briser. Je me sens déchirée en deux et j’ai l’impression que quelque chose m’échappe. C’est insupportable. Je n’aime pas l’échec et j’ai malheureusement le dur sentiment d’avoir fatalement échoué d’abord dans mon rôle d’agent double en premier lieu mais ce n’est pas ce qui me rend si maussade. C’est autre chose. Quelque chose d’enfoui plus profondément en moi et que j’ai toujours voulu noyer et étouffer par simple rancune, colère et narcissisme. Une voix me dicte que j’ai foiré ma vie familiale et que je ne pourrai plus jamais la rattraper. En soi, cette voix n’a pas tort. Mon père n’étant plus de ce monde, notre conflit s’éternisera finalement au lieu d’être résolu. Nous avons tous les deux échoué même si j’estime encore que tout est de sa faute. C’est une manière pour moi de tenir bon, sûrement. Enfin, sur le coup, je préfère ne pas y penser. Si nos relations se sont dégradées dans le temps, c’est bien à cause de lui. Comment peut-on se tenir éloigné de sa fille durant son enfance ? Je ne lui ai jamais pardonné et pourtant, j’ai quand même eu l’espoir que son intégration en tant que professeur puisse un jour changer la donne.

« Je te hais… » Pensé-je, mon expression faciale passant de la tristesse à l’âcreté.

Bordel de Merlin. Comment cela a-t-il pu se produire ? Non, franchement, j’ai du mal à le réaliser. C’est quelque chose qui me semble encore lointain et si irréel. Il y’a une semaine encore, je l’avais brièvement aperçu hors de ses appartements comme toujours, on ne s’était pas adressés la parole. Le plus dégueulasse dans tout cela, c’est qu’il est mort en pensant que je fais véritablement partie de ces abrutis de Mangemorts sans cerveau. Rien que cela, ça me suffit à vouloir faire sauter ce fichu dortoir à coup de confringo. Je ne rendrais pas service aux autres filles mais cela me ferait du bien. Beaucoup de bien. D’un geste lent, je récupère ma baguette magique que l’on a déposé sur ma table de chevet. Ils se sont bien occupés de mes affaires, apparemment, même s’ils ne savent pas vraiment ranger mes vêtements correctement. Je serre ma brindille, évacuant le surplus de colère qui s’accumule en moi à travers elle. Une petite magie s’opère, laissant échapper des étincelles à son extrémité. Le bois de noyer me connait par cœur et il vibre sous l’action de mes émotions en fureur. Une simple formule et je fais exploser tous les objets se situant dans mon champ de vision. J’en meurs d’envie. Je me tâte à le faire jusqu’à ce que je n’entende la porte d’entrée s’ouvrir trop rapidement à mon goût. Je mesure ma surprise, m’évitant un sursaut et je glisse ma baguette sous mon dos en jetant un regard furtif à la nouvelle venue.

Peut-être que cette arrivée vient de nous éviter un grand accident et des gros ennuis me concernant mais cela n’arrange en rien ma colère. Enfin, je finis tout de même par m’adoucir lorsque je me rends compte de qui il s’agit.

Tracy.

J’ai l’envie de me relever pour la voir de plus près. Malheureusement, je n’y arrive pas. Je me contente de l’observer d’un coin de l’œil, elle et sa pile de livres. Par un curieux hasard, son lit est à côté du mien, de quoi creuser la gêne entre nous. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’elle ne se réjouit pas à l’idée de me revoir après la libération de Poudlard. Je lui avais envoyé une lettre assez massacrante peu après son emprisonnement mais j’avais osé espérer qu’elle aurait pris le temps de voir une faille dans mes propos, surtout que j’avais espacé étrangement les phrases pour en faire ressortir les premières lettres à lier.

« Salut. » Fait-elle sur un air trop indifférent à mon goût.
Il faut croire qu’elle n’a pas su voir au-delà de mes mots assassins. Je suis partagée entre la déception et la lassitude de me dire qu’elle n’a pas exploité son intelligence pour deviner le fond de ma pensée.
« Salut. » Je réponds sur le même ton qu’elle, sur mes gardes pour je ne sais quelle raison.

C’est dingue comment je n’aime pas l’air qu’elle prend avec moi. J’ai juste l’impression d’être une simple camarade d’école ou pire, une connaissance parmi tant d’autres. Ce sentiment de me fondre dans la masse parmi d’autres crétins qu’elle peut fréquenter m’horripile. Je vaux bien mieux que cela.

« Sympa, la rouge, c’est nouveau… ? »

Je fronce les sourcils, perplexe. Je ne sais pas pourquoi elle me parle de ça après des mois d’éloignement entre nous deux. Sur le coup, c’est carrément bizarre et c’est sans parler de son attitude que je ne trouve pas très naturelle. Je me relève en m'asseyant sur le bord du lit, jette un coup d’œil rapide à la fameuse tenue rouge que j’avais moi-même cousu, puis je retourne mon attention vers Tracy.

« Effectivement. Je l’ai terminée la semaine dernière. » Je déclare neutralement.

Un blanc s’installe peu après ma réponse. Nous avons beaucoup de choses à nous dire depuis la dernière fois que nous nous étions vues mais ce n’est pas pour autant que nous pourrions en discuter, surtout si elle n’était pas disposée à avoir affaire à moi étant donné qu’elle avait certainement pris mes mots à la lettre. Pour en avoir le cœur net, je décide de lancer une conversation banale mais qui pourrait m’en apprendre pas mal à propos du degré de haine qu’elle devait me nourrir.

« Comment tu te sens ? »

« Une occasion particulière… ? » Me demande-t-elle presque neutralement.

Autrefois, nous aurions eu cette conversation avec bien plus de punch, d’enthousiasme et de curiosité. Autrefois, nous nous serions échangées des tuyaux au sujet des sortilèges de couture, des idées originales et on se serait portées volontaires pour essayer la création de l’autre. On aurait également pris du plaisir à parler de tout et de rien, que ce soit de cours ou même de nos ambitions chez Madame Gaichiffon. Cela remontait à quelques mois et pourtant, je revois nos scènes complices comme si elles ne dataient que d’hier. Ces moments passés ensemble n’ont jamais été factices à mes yeux même s’il m’a semblé que notre amitié s’était tout de même basée sur une base hypocrite au niveau de notre allégeance. Au final, on peut dire qu’elle ne l’a jamais été et que nous avons toutes les deux rejoint ce camp pour des raisons différentes sans croire en la bonne parole prêchée par les Mangemorts. C’est un fait qui nous rapproche bien plus qu’elle ne le pense.

« J’entamais simplement ma collection d’été. » Je réponds sur le même ton qu’elle.

Autant dire qu’être aussi réservée et distante avec elle ne me plait pas mais ce n’est certainement pas moi qui afficherais des beaux sourires face à une personne à l’allure aussi fermée. D’ailleurs, les sourires, ce n’est pas mon truc.

Pensant clore ce sujet qui n’a pas lieu d’être actuellement, j’enchaîne directement en lui demandant comment elle se porte. De toute évidence, pas autant que je ne l’aurais voulu. Vivre dans un cachot rempli de poux et de rats, cela ne doit certainement pas aider à se remonter le moral, ni même à se faire une petite beauté. Dans une autre dimension où les circonstances auraient été différentes, peut-être aurais-je eu la générosité de lui apporter un peu de maquillage et de shampoing de qualité pour qu’elle n’ait pas à se laver uniquement à l’eau, ni même à paraître peu avantageuse devant les autres. Cette idée amusante me fait intérieurement sourire mais je la chasse presque immédiatement.

Ce qui est au moins sûr, c’est que ma fameuse question la prend de court et le contraire m’aurait étonné. Continuer à faire comme si de rien était ne nous apporterait rien d’autre à part forcer l’ignorance entre nous. Ignorer les gens et les snober a toujours été ma spécialité mais Tracy n’est justement pas un « gens » ordinaire à mes yeux alors, selon moi, ce n’est pas la solution. J’ai besoin d’un déclencheur, de quelque chose qui puisse nous amener au cœur du sujet puisqu’évidemment, il y a des choses à éclaircir, des choses à expliquer. Je sais que le moment qui est sur le point d’arriver ne sera pas évident et que je risque de me heurter à un nouveau mur infranchissable pour l’heure mais il y’a derrière une route praticable et ne pas tenter d’y accéder ne résoudrait rien. En tout cas, il est évident que je m’interroge sur son état. Je n’ai pas parlé et pris connaissance des problèmes de Megan Euston pour rien. Cette fille à qui je ne devais rien à la base et qui ne m’intéressait pas à le moins du monde m’avait pourtant permis de me remettre doucement de l’enfermement de Tracy et de continuer ma routine quasi-solitaire sans penser à ma peine de ne plus la revoir. Entre le venin que crachait Naïa et les douces paroles de Megan, je vivais dans un contraste qui représentait parfaitement ma situation dans ce château. Maintenant, tout cela est révolu et il est temps de réparer les pots cassés.

« A merveille ! »
Elle dépose ses béquilles sur une table avant de reprendre :
« Attends, tu veux dire avant que tu m’aies laissée tomber, ou maintenant ? »
Sa colère et sa rancune s’entendent parfaitement, me confirmant bel et bien ‒ avais-je eu encore l’espoir ? ‒ qu’elle n’avait pas du tout interprété mon courrier comme je l’avais prévu. Je soutiens son regard, refusant de briser cette dualité maintenant que je suis sur le point de lui révéler l’envers du décor.
« Tu te méprends complètement. » Déclaré-je un peu froidement, en fronçant les sourcils.
D’une part, je comprends sa réaction. Je n’ai jamais supporté les trahisons et ma nature revancharde m’a toujours contrainte de me venger de ceux qui osaient me causer du tort. Néanmoins, elle s’attaque aujourd’hui à la mauvaise personne et pour moi, cela reste agaçant à entendre. Je n’ai jamais voulu affronter cette Tracy pour la simple raison que je n’ai de base rien à lui reprocher et que tout a été gâché par un Veritaserum. Je me rappelle encore de la manière dont j’avais appris la nouvelle et pas par la meilleure des bouches.

« Et toi ? Un peu déçue, j’imagine… ? »

Je ne réagis pas à son sarcasme et je ne sais même pas si la réponse lui importe puisqu’elle est persuadée de ma fidèle appartenance au camp de Blackman. Je finis par quitter mon lit, me tenant debout dans une stature arrogante alors que je m’approche d’elle, décidément déterminée à régler mes comptes avec elle de façon sérieuse. Je l’ai observé d’un air sévère.

« Déçue de la fin de cette tyrannie ? Pas du tout. Je vais être franche, Tracy. Parce qu’au final, je n’ai jamais été pour Blackman. Les choses ont juste mal tourné, je n’étais pas censée simplement jouer la connasse en compagnie de ses potes, les Mangemorts. Je l’ai fait pour une autre raison que la tienne. »

« A la fois sobre et très personnalisée. C’est élégant. »

Je lui aurais bien répondu par un sourire mais je me retiens. Un compliment de la part de Tracy n’est jamais de refus surtout au vu de son œil aiguisé pour ce genre de choses mais je pense qu’il aurait mieux eu sa place dans une conversation normale. Je ne la remercie donc pas et me contente de l’observer neutralement.

« Tu comptes l’arrêter là ou rajouter quelque chose… ? »
J’hausse les épaules.
« Je vais d’abord le faire porter par une mannequin humaine et je verrai par la suite. »

Une mannequin humaine… Auparavant, c’était Lily Potter qui se chargeait de porter mes modèles et de les faire connaître dans le château mais nous ne nous sommes plus adressées la parole depuis que Blackman a pris d’assaut le château. Par la suite, quand j’étais encore amie avec Tracy, j’avais trouvé deux filles plutôt convaincantes à la base pour remplacer la petite rouquine mais elles ne m’ont jamais vraiment satisfait dans leur manière de se tenir et elles manquaient terriblement de grâce. Et puis quand Tracy s’est retrouvée enfermée, je suis restée seule dans ma passion, portant moi-même mes créations pour les jauger mais ce n’était pas évident pour mes shooting photos puisque je préférais ne pas y apparaître pour constituer mon book. La vérité est donc que je n’ai pas encore un potentiel mannequin sous la main et qu’il faut que je parvienne à en trouver une parfaite. Honnêtement, j’aurais pu demander à Naïa ou à Tracy mais je me doute bien que dévoiler ma couverture ne plaira pas à Naïa et que notre amitié risque d’être compromise. Quant à Tracy, c’est à peu près le même problème mais de façon inverse. Je lui ai dit qu’elle se méprenait totalement à mon sujet. En soi, je ne l’ai pas vraiment abandonnée. Il fallait juste que je joue mon rôle jusqu’au bout et si la lettre était tombée entre de mauvaises mains alors que je lui avouais que j’étais à cent pour cent pour elle et que j’emmerdais les Mangemorts, ça aurait mal fini pour moi.

« Oh, vraiment ? » Répond-t-elle, toujours aussi ironique. « T’as raison, c’est fou ce que ça m’a détraqué les cachots, je croyais que « les mangemorts t’avaient permis t’éviter la grossière erreur de devenir mon amie »… c’est bien ça… ? »

Je soupire tout en levant les yeux au plafond. Ce genre de confrontation m’ennuie puisqu’elle n’a pas lieu d’être. En fait, je me demande ce qu’il se cache derrière sa colère. Est-ce qu’elle me considère toujours comme une amie au fond d’elle et c’est ce qui la pousse à s’énerver autant ? Je ne peux pas croire qu’elle ait oublié tous ces moments partagés ensemble. C’est une idée à laquelle je daigne m’accrocher tout comme Megan l’a fait au cours de ces années alors qu’elle s’est fait abandonner par Tracy.

« C’était juste des mots, ce n’était pas le vrai fond du message. Il était codé. » Dis-je calmement sans la lâcher des yeux.

Est-ce que vraiment tout est terminé entre nous ? Me croira-elle ? A-elle gardé la fameuse lettre qui puisse lui permettre de vérifier ? J’aurais tellement voulu que cela se passe autrement, qu’elle ait eu la curiosité de voir au-delà de mes mots assassins, de la lire et de la relire en se disant que quelque chose cloche. Peut-être en ai-je trop attendu d’elle et de sa perspicacité ? J’ai pourtant pensé que ce serait évident.

La suite n’est malheureusement pas très engageante. J’ai comme l’impression que ma petite révélation lui a donné encore plus l’envie de me tuer. Je retiens un sourire narquois et je la laisse encaisser la nouvelle, toujours demeurant sérieuse pour y apporter du crédit.

« Tu te paies ma tête maintenant ? » Demande-t-elle, consternée.

Elle a du mal à le croire et d’un côté, ça me flatte. Ca me prouve que j’ai bien mené le jeu bien qu’au final, j’ai tellement trempé dedans que je n’ai même pas pu vraiment contribuer à l’autre camp. Est-ce que je dois vraiment m’attendre à ce qu’elle me croie facilement, du coup ? Mmh.

« Absolument pas. Si je voulais me foutre de toi, je l’aurais fait autrement. » Je réplique, toujours dans le calme.

C’est tout de même gros, non ? D’être de sang-pur, de croire en Blackman et du jour au lendemain, de dire à tout le monde que ce n’est pas vrai ? Je suppose qu’un véritable adepte n’aurait jamais pris le risque de le faire en sachant pertinemment que personne ne voudrait l’écouter. Mais pour ce qui est de mon cas, c’est la vérité et je ne peux pas faire autrement.

« Et quelle raison t’aurait poussée à raconter des horreurs avec Naïa et moi, ou à te battre contre nous au bal et dans la Grande Salle, si c’est pas indiscret ? »

« Duke Selwyn a prêté serment avant moi et j’ai pris ça comme une grosse trahison sachant qu’on était amis. Je me suis engagée pour me venger de lui au bon moment et en profiter pour tenter d’aider l’autre camp. Ca n’a pas marché mais Rosenbach savait la vérité à mon propos quelques semaines après Halloween. Et pourtant, tu sais très bien qu’on ne s’aime pas, elle et moi. »

Je soupire une nouvelle fois, grimaçant légèrement :

« Comme je te l’ai dit mon infiltration a été parfaite mais je n’ai pas eu l’occasion de tirer mon épingle du jeu. La rébellion a dû se faire dans un cercle très fermé et même Rosenbach n'en savait rien. Et dans la Grande Salle, un connard d’élève m’a retenue dans un duel, ce qui ne m’a pas laissé le temps de combattre les Mangemorts. D’ailleurs, pour la bouteille, je ne voulais pas viser Zach. Je visais un mangemort, à la base, mais sous le feu de l’action, Zach s’est interposé dans ma trajectoire. Dommage collatéral. »

Je perçois la surprise sur le visage de Tracy avec un mélange d’amusement et de désabusement. Lui apprendre la nouvelle et la voir s’étonner est amusant parce qu’elle pensait tellement le contraire de la réalité que c’en est un peu drôle mais j’aurais tant préféré qu’elle l’ait su depuis des mois. Depuis la réception de la lettre. Ainsi, les choses auraient été facilitées et nous n’aurions pas à nous tenir, l’une face à l’autre, nous jaugeant du regard avec froideur et distance. Elle aurait tout compris dès le départ et la transition post-Blackman se serait faite avec plus de douceur. Hélas, parfois, les choses ne se déroulent point comme prévu et il faut s’adapter à ce type de circonstances. Pour autant, je ne pense pas que j’aurais dû procéder autrement. Pour moi, il était clair que c’était la meilleure façon de le lui faire savoir et je ne suis de toute façon pas du genre à remettre mes actions ou moi-même en question.

« Un code… ? Quel code ? » Demanda-t-elle avec aporie.

Je l’observe sans ciller, me contentant de vouloir lui répondre le plus simplement possible.

« J’ai espacé les phrases en les superposant l’une en-dessous de l’autre pour faire ressortir un mot grâce aux majuscules de chacune. Je pensais que la disposition des phrases différente de ce qu’on fait habituellement t’aurait semblée étrange. Le mot résumait en gros que je te souhaitais de tenir bon dans ces nouvelles conditions dégueulasses et que j’étais donc toujours de ton côté. »

Je détourne la tête vers la porte de la chambre, faisant mine de surveiller si quelqu’un n’arrive pas alors qu’en réalité, je sens une gêne me submerger à l’annonce de ce genre de choses. Être si sentimentale en termes de révélations, ce n’est franchement pas dans mes cordes et je préfère l’éviter en temps normal. J’ai l’impression que cela me rend plus guimauve qu’autre chose et je crois que ma voix a dû retranscrire cet embarras vers la fin.

Bien vite, je me reprends lorsqu’elle sous-entend que je me fiche de sa personne. Je la scrute de nouveau, voyant qu’elle vient de croiser les bras en signe de fermeture et de scepticisme. Mais elle ne sera pas bien fermée longtemps, puisque je compte bien mettre les points sur les i. Après, cela ne dépendra que d’elle mais j’ai conscience, au fond de moi-même, qu’elle n’est pas idiote et qu’elle ne peut pas entièrement nier ce que je dis, surtout avec la preuve à l’appui que je lui apporte. Sur la plupart des points, j’ai bien fait de m’allier à Ashley. Le seul point regrettable de cette histoire est qu’aucun révolutionnaire ne l’aura prévenue des plans visant à renverser l’école.

Tracy m’a donc demandée les raisons pour lesquelles j’ai fait croire à tous que je n’étais qu’une garce parmi toutes celles qui suivaient délibérément les Mangemorts, comme Naïa, par exemple. Je lui ai donc raconté ce qu’il s’était plus ou moins passé avec Duke. Nous étions pas mal amis autrefois. Au départ, je m’étais méfiée de lui à cause de son nom de famille. On ne peut pas dire que les Selwyn soient blancs comme neige au niveau de leur philosophie, eux qui ont trempé dans la croyance de la suprématie du sang-pur depuis le berceau. Leur famille ne s’est jamais approchée des moldus et j’ai donc pensé que Duke était tout bonnement un salopard de la même lignée. Toutefois, il était parvenu à obtenir ma confiance, se faisant passer pour ce qu’il n’était pas. J’avoue l’avoir apprécié et je regrette amèrement d’avoir cru qu’il était un peu différent de son entourage. Il a continué de croire que j’étais son amie durant toute l’année. Au final, c’est lui qui a été bien naïf.

Bouche-bée, mon interlocutrice met un moment avant de pouvoir quitter son mutisme.
« Attends. Tu veux dire que depuis le début… Depuis le début, tu jouais la comédie… ? Ça n’a pas de sens… Comment on a pu passer à côté de ça... ? »

J’acquiesce d’un hochement de tête, cette fois-ci sans pouvoir m’empêcher de sourire finement.

« C’est ça. J’ai plongé dans la tolérance des moldus depuis mon enfance. Toute ma famille est traîtresse à son sang, il n’y a donc vraiment aucune chance que l’on me retourne le cerveau. »

J’essaie de briser ce scepticisme qui teinte son faciès. J’aimerais qu’elle me fasse de nouveau confiance et qu’elle ne me confonde pas avec le monstre qu’est Naïa ou bien les autres traitres. Il y a vraiment une différence entre moi et elle. D’une certaine manière, je dirais que je me suis toujours sentie bien plus proche de Tracy que de Naïa, même si Naïa possède quelques traits de caractère que j’ai également.

« Après, je dois dire que ton jeu était presque parfait. Je ne savais même pas si on était vraiment amies jusqu’au bout puisque tu avais vraiment l’air de croire en Blackman. C’est la même pour moi, je suppose. Je me suis bien ancrée dans le rôle c’est pour ça que personne n’a douté de moi. » Continué-je, ayant quitté mon fin sourire pour une expression plus sérieuse.

Je ne sais pas si elle va me croire en ce qui concerne Zach mais honnêtement, pourquoi lui aurais-je fait du mal alors que, juste après, j’avais couru vers lui pour tenter de le soigner quand un Mangemort lui avait fait un gros trou en plein torse ? Je ne sais même pas comment nos infirmiers ont pu faire pour soigner ça. C’était assez inquiétant et effrayant mais j’étais soulagée qu’il s’en soit tiré d’affaire.

« Rosenbach. Parmi tout le château, c’est à Rosenbach que t’as décidé de parler de ça. »

J’acquiesce une nouvelle fois.

« Et à moi, tu ne pouvais pas… ? J'étais qui, au juste, la seconde Duke Selwyn dont il fallait se venger au début, qui s'est avéré être une moins que rien par la suite ? »

Je soupire intérieurement. Sa voix me laisse entendre qu’elle parait désemparée à l’idée de n’être rien à mes yeux. C’est quelque chose qui me rassure d’un côté. C’est comme si elle voulait compter pour moi. Et ça, c’est quand même quelque chose d’important pour moi, même si je ne pourrais pas le lui dire.

« Pas du tout, je réponds, médusée. T’es pas une moins que rien pour moi, loin de ça. C’est juste que c’était trop risqué d’en parler à des personnes trop proches. D'ailleurs, si je l’avais fait, tu m’aurais dénoncée à cause du véritaserum. Si on avait eu des soupçons sur moi, on aurait jamais pensé à interroger Rosenbach. Et puis, je dois avouer qu’elle a tendance à résister à la plupart des tortures, ce qui est plutôt utile pour qu’elle ferme sa bouche. »

Je croise les bras. Pour moi, il est clair que je n’aurais pas pu mettre Tracy dans la confidence au même titre que Zach. Même ma meilleure amie Anthea n’avait pas été mise au courant.

« J’étais trop absorbée par le contenu, je n’ai pas jugé utile de m’attarder sur la mise en page. »

Le contenu… Il est vrai que je n’y étais pas allée de main morte mais sur le coup, j’ai pensé qu’elle lirait entre les mots, qu’elle ne pourrait pas croire qu’ils étaient le fond de ma pensée. J’ai peut-être tiré des conclusions trop hâtives, en oubliant certains facteurs comme la baisse de son moral, sa peur liée à l’interrogatoire passé, le stress de devoir s’adapter à sa nouvelle vie de prisonnière avec les autres nés-moldus qui n’ont pas dû fêter joyeusement son arrivée pour avoir été aussi lâche durant des mois. J’ai cru que le code serait clairement perceptible mais, au final, il était sans doute un peu trop subtil.

« Tu étais vraiment de mon côté ? Parce que je ne me suis jamais sentie aussi seule que ces trois derniers mois. »

Ces mots agissent bizarrement à l’intérieur de moi. J’ai un peu mal quelque part mais je ne saurai dire si c’est ce qu’on appelle exactement un pincement au cœur. Elle n’est pas la seule à s’être sentie seule. Peu après son emprisonnement, j’ai continué à traîner avec Naïa comme si de rien était et à vivre ma vie en me montrant sous des jours absolument normaux. Comme si rien n’avait changé depuis la disparition de Tracy. J’avais appris la nouvelle par Aniek et je dois dire que cela avait été difficile à encaisser au départ et j’avais fait de mon mieux pour ne pas que la Serpentard ne s’en rende compte. Et pourtant, avec tout cela, je crois que je n’ai jamais autant déprimé de ma solitude. Habituellement, j’apprécie d’être à l’écart des autres, ça me ressource plutôt bien et je me sens mieux avec moi-même. Mais c’est sans doute parce que je savais qu’au fond, je restais quand même entourée et que je finissais par revoir ces amis, que ce soit au dîner ou en cours. Cependant, après avoir rompu les liens avec Aimie, Zach et compagnie, le pilier amical qui m’a été le plus fiable a certainement été Tracy. Quand on me l’a retirée, j’ai fait face à la dure réalité.

« Oui, je l’étais même si je ne l’ai montré à personne, je réponds en cachant au mieux ma gêne. A personne sauf…sauf Megan. J’en suis même venue à lui parler alors que de base, j’en ai rien à carrer de sa personne. D’ailleurs, elle était vraiment inquiète pour toi. »

Megan était venue me voir dans mon dortoir pour me demander la raison pour laquelle Tracy avait changé depuis toutes ces années. Le désir d’être protégée, de ne pas être une victime… je lui avais raconté ça même si je n’étais pas sûre des véritables raisons de Tracy. Après tout, on peut dire tout et n’importe quoi pour dissimuler ses faiblesses. J’avais tenté au mieux de lui répondre et je m’étais même ouvert à elle… je lui avais confié que tout ça me déprimait et me blasait plus que tout. Je me suis sentie si seule que j’en étais venue à me confier à cette « inconnue ».

« Naïa est au courant… ? »

Au courant de ce en quoi je crois vraiment ? De l’égalité de vie entre les moldus et les sorciers ? J’hoche la tête négativement avant de soupirer.

« Non. Mais je me doute bien que tout ne sera plus pareil entre elle et moi. D’ailleurs, au final, elle n’était pas vraiment une amie et je ne crois pas qu’elle soit capable de ressentir de l’amitié. » Avoué-je, sourcils légèrement froncés, en pleine réflexion.

J’ai toujours bien aimé discuter de certains sujets avec Naïa mais pas de tout. Et pour moi, une amitié n’est pas sincère s’il y a des sujets sur lesquels nous sommes vraiment en désaccord ou si des comportements chez l’autre nous insupporte au plus haut point. Le désinvolture de cette fille vis-à-vis des horreurs qu’ont pu faire les Mangemorts, son rire cristallin à chaque souffrance infligée aux nés-moldus ou encore quelques-unes de ses manières m’ont parfois donné l’envie de l’étrangler. Ça n’a pas toujours été simple, au fond de moi, de la suivre dans ses délires de psychopathe. Donc, en effet, je n’appelle pas ça de l’amitié.

Du côté de Tracy, justement, les choses sont différentes. Elle n’a jamais agi en étant d’accord avec le règlement de Blackman et c’est ce qui nous rapproche. C’est assez étrange de se dire que nous ne savions pas la véritable couverture de l’autre et je comprends mieux pourquoi je n’ai jamais su sur quel pied danser avec elle, par simple crainte qu’elle soit ce que je ne voudrais pas qu’elle soit véritablement. Une anti-moldus.

« A force de jouer nos rôles, on a peut-être oublié qui on était vraiment dans cette affaire, dit-elle avec mélancolie avant d’ajouter : Pas étonnant qu’on peine à savoir ce qu’on est réellement l’une pour l’autre, maintenant. »

Je suis entièrement d’accord avec elle, bien que je sois un peu près sûre que je ressens toujours l’envie de lui parler comme on le faisait avant. Ces souvenirs partagés ensemble, moi je ne les oublie pas et même ceux durant lesquels nous passions à travers la salle commune de Serdaigle en nous faisant huer par des gars comme Zach ou Thomas. Les moments durs où on se faisait détester, on les avait passé ensemble et ce n’était pas rien, quand on y repense.

« Sûrement. Mais il y’a quand même eu de la sincérité parmi toute cette illusion, tu ne trouves pas ? » Je lui demande d’un regard insistant, espérant qu’elle le pense aussi.

Parce que je ne pense pas avoir été entièrement fausse avec elle. Si on enlève les médisances à l’égard des nés-moldus et des rebelles, je lui ai toujours dit le fond de ma pensée. Je n’ai jamais été hypocrite avec elle si on enlève les mensonges que j’ai dit en rapport avec mon rôle.

Je continue d’argumenter au sujet d’Ashley et du fait que je ne la considère pas comme une personne sans importance. Ce à quoi, elle répond simplement par l’affirmative, ce qui me fait presque écarquiller les yeux. C’est tout, d’accord ? Nul besoin d’autres explications ? Je dois dire que je suis pas mal soulagée et surprise parce que Zach, lui, ce petit crétin m’avait complètement lâchée malgré mes justifications. L’abruti.

« Et bien… ça fait beaucoup d’un coup. »
Je le sais bien… et il lui faudra peut-être un peu de temps avant de tout bien réaliser, j’imagine.
« Qu’est-ce que tu vas faire… ? »

C’est une question simple et pourtant, je dois avouer que je ne sais pas vraiment ce qu’il va m’arriver. Peut-être que je vais m’en prendre plein la gueule par tout le monde. Oui, il y a des chances. Mais comme à chaque fois, je saurai m’y faire et ce n’est pas comme si j’étais de nature à compter sur les autres ou à m’y attacher grandement. Je me suis toujours limitée à un cercle fermé et cela m’a amplement suffi. Ca me permet en quelque sorte d’ignorer royalement l’avis des autres.

« Zach n’a pas voulu m’écouter. Je pense que je vais juste envoyer chier les abrutis qui me jugeront et ça ne changera pas vraiment de d’habitude, dis-je en haussant les épaules, me laissant tomber en position assise sur le bord de mon lit. En tout cas, ça me soulage que tu sois ouverte à ma version des faits. Ca me rendait un peu malade, cette histoire… et ça me manquait de te parler de notre passion. »

Je souris finement, un peu mal à l'aise de dire ce genre de choses mais plutôt contente de les sortir tout de même.

« En effet, c’est nouveau, que vous vous côtoyiez. Elle m’a écrit, quand j’étais en bas, mais elle ne m’en a pas parlé. »

Le ton qu’elle prend me paraît assez distant, trop impassible. C’est comme si elle était vexée de ne pas avoir été mise au courant. De ce côté-là, je ne pense pas que l’on puisse le reprocher à Megan puisque si je lui avais confié qu’en effet, Tracy me manquait et que je n’avais jamais voulu qu’il lui arrive ce qu’il lui était arrivé, je ne lui avais en revanche pas fait part du rôle que je jouais parce que je ne lui faisais pas pour autant aussi confiance. Après tout, nous venions seulement de nous parler pour la première fois… Mais je me suis doutée qu’au fond, elle avait compris que je n’étais pas aussi méchante que je ne paraissais être et c’était quelque chose d’assez important pour moi, sur le coup. On s’est soutenues mutuellement.
« Elle a peut-être compris que je voulais garder nos confidences et toutes ces faiblesses pour moi-même. » Avoué-je, les yeux observant le sol sur notre gauche.
Par ces faiblesses, j’entends évidemment tout ce que j’ai pu confier à Megan. Ce ne sont pas le genre de choses que je dévoile habituellement et j’ai même du mal à le faire devant Anthea. De plus, je ne pouvais pas ne pas écarter l’éventualité que l’on interroge Tracy à nouveau et si l’on avait appris que je nourrissais de la compassion pour elle, ça n’aurait pas été bon pour moi, j’imagine, non ? A moins que je n’aille trop loin. A vrai dire, en y repensant, j’avais été pas mal paranoïaque en jouant ce rôle. J’avais pensé à trop de détails, tellement trop que j’avais fini par imaginer des scénarios trop farfelus qui, de toute évidence, n’étaient jamais arrivés.

Nous en venons ensuite à parler de Naïa et je relève à nouveau la tête vers Tracy. Je ne lui mens pas quand je lui dis que les choses vont changer entre elle et moi et je crois qu’elle est d’accord là-dessus si j’en juge son rire baigné de sarcasme. Au vu de la manière dont Naïa m’en parlait après son emprisonnement, j’avais bien vite compris qu’elles se détestaient. Mais j’ignorais une information…
« Elle a essayé de me tuer. Tu savais ? »
C’est dit avec une telle désinvolture que je ne la prends pas rapidement au sérieux. Tuer dans quel sens ? Tuer pour un meurtre ou tuer pour engueuler quelqu’un ? Je fronce les sourcils, perplexe.
« Non. Elle crachait dans ton dos mais c’est tout… de ce que je sais. »
Je l’interroge du regard, curieuse d’en savoir plus. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de grave dont j’ignore encore ? Venant de Naïa, je crois qu’il ne serait finalement pas surprenant d’apprendre qu’elle s’était armée d’un couteau pour la poignarder. Elle est tellement cinglée qu’elle en serait capable. Mais tout de même, un meurtre… Je l’avais toujours connue antipathique et justement incapable de compassion mais il y a une nette différence entre l’image que l’on renvoie et les actes.

En tout cas, je crois que mon choix est fait depuis longtemps entre les deux Serdaigle et à mon avis, il ne peut en être autrement. Je vois difficilement Naïa passer outre ma trahison de mes fausses convictions et si mon entente avec Tracy se restaure, alors elle me mettrait dans le même panier qu’elle. Je comprendrais alors parfaitement qu’elle veuille s’en prendre à moi mais qu’est Naïa face à des adversaires que j’ai déjà eu en face ? Elle a de la gueule et de l’audace mais j’ai déjà vécu pire avec Ashley qui, elle, avait bien aimé vouloir me lapider devant toute une classe et un professeur. Je le lui avais bien rendu, en plus.

« Ça l’était. Pour moi, ça l’était. » Dit-elle d’un air presque égaré quand je lui demande si elle est d’accord avec moi. L’emploi du passé montre qu’elle nourrit toujours un peu de doute à mon égard mais, à la différence de Zach, elle ne se montre pas aussi fermée. Elle a sûrement envie d’y croire et c’est ce qui me redonne un peu d’espoir pour une réconciliation. Je me contente d’hocher la tête, lui signifiant que je comprenais sa position. Peut-être qu’au fond, j’aurais voulu que ça se passe de façon plus simple mais il faut croire que l’on ne peut pas demander une confiance aveugle aux gens, même s’ils sont nos amis. Et c’est bien quelque chose que je n’arrive pas à assimiler, moi, qui, pourtant, a du mal à faire confiance aux autres. Je pense que ce n’est pas quelque chose dont je suis prête à me débarrasser. J’ai toujours voulu avoir raison et la moindre contradiction m’agace. Pourtant, je ne peux même pas lui en vouloir comme j’en veux à Zach. Je lui livre ces derniers détails à son sujet et sur ce que je ressens et ça me met assez mal à l’aise. Pourtant, ce que je dis n’est que pure vérité.

« Des fois, je me réveille la nuit. Des choses me reviennent, comme si je les avais refoulées depuis des mois. »
Ce qu’elle a refoulé a-t-il un rapport avec ce qu’elle avait fait durant l’année vis-à-vis d’Elijah, Alaska et compagnie ?
« Si ça t’a rendu malade à ce point, c’est que toi aussi, tu as du te perdre en route. Et maintenant, tu peines à te retrouver. »

Je la regarde plier ses fringues tandis que mes mains jouent avec ma couette. Ce qu’elle me dit me fait réfléchir. Je me serais perdue ? Pourtant, j’ai toujours été sûre de moi. J’ai pris ce rôle à cœur, certes, mais j’ai toujours su qui j’étais en vrai. Hélas, j’ai l’impression qu’elle n’a pas totalement tort dans ce qu’elle dit. Est-ce donc pour ça que je me sentais si perdue quand Megan est venue me parler il y a quelques mois de cela ?
« Peut-être. Tout ce que je sais, c’est que je vais de l’avant avec ce que j’ai. Ce n’est pas comme si j’avais le choix, de toute façon… Mais je me dis que rien ne peut être pire qu’avant. » Dis-je en soupirant.
Il faut se relever après de rudes épreuves. Il faut se rendurcir pour mieux affronter les prochains obstacles. J’ignore sous quelle forme ils se présenteront mais s’il y a bien une chose qui ne changera jamais chez moi, c’est bien ma volonté de fer. Alors si je me suis bel et bien perdue, je ferai tout pour me retrouver.
« Tu m’as manqué, Cissy. »
Cette phrase est ravivante, c’est dingue. Je n’ai tellement pas l’habitude d’entendre ça qu’elle me paraît être tellement salvatrice. Je finis par agrandir mon sourire ‒ bien qu’elle ne puisse guère le voir parce qu’elle est occupée à ranger ‒ avant qu’elle n’ajoute :
« Mais j’ai besoin de prendre du temps pour faire de tout ça une réalité. Peut-être que Zach aussi. »
Du temps… Oui, sûrement. Pour Zach, je ne sais pas. Je n’ai pas envie de le comprendre puisque lui-même a préféré me juger alors il peut bien aller se faire foutre.
Me relevant de nouveau de mon lit, je décide de faire la même chose que Tracy, à savoir ranger les affaires que j’ai sorti n’importe où et qui régnaient dans un grand bordel. M’occuper à ça pourrait sans doute m’aider à méditer.
« Je vois. C’est d’accord, alors. En tout cas, je suis contente d’avoir eu cette discussion, Tracy. »
Il est clair que ça libère...

« Peut-être que ces faiblesses seraient devenues une force si tu avais pu en faire part. » Déclare Tracy avant d’ajouter : « Megan est adorable. Mais elle n’aurait jamais rien su d’une potentielle rébellion. Elle n’est pas taillée pour ça. »

Ce qu’elle dit est vrai pour Megan. Mais c’est sa première phrase qui me rend sceptique. Une force ? Mais comment ? Je n’arrive pas à voir où elle veut en venir, puisqu’à mes yeux, il y a des choses qui ne se disent tout simplement pas. Des choses qu’il faut garder parce qu’elles peuvent vous nuire. C’est pourquoi j’ai toujours voulu être secrète sur ce qu’il se trame dans ma tête. Les choses qui nous peinent et qui nous rendent vulnérables, je considère qu’il ne faut pas les montrer. Certains diront que les amis servent justement à nous rendre plus forts quand on est sur le point de flancher mais même en appréciant beaucoup mes proches, je n’ai jamais voulu leur incomber cette tâche. A quoi bon en parler à Tracy qui devait déjà vivre un gros calvaire dans les cachots. J’ai voulu m’en sortir toute seule comme une grande et, au moins, elle n’aurait pas eu à se tracasser à mon sujet. Ma lettre incendiaire n’a pas dû lui faire plaisir et elle a dû se sentir seule mais j’imagine qu’elle se serait sentie bien plus mal si je lui avais dit que je déprimais de son absence. Ca semble logique, non ? Pour moi, ça l’est.

« Je ne sais pas vraiment si ce serait devenu une force, lui dis-je avec honnêteté. En ce qui concerne Megan, par contre, je suis d’accord avec toi. Mais bon, on a surtout parlé de ce qui nous chagrinait. »

Je n’avais jamais eu l’intention de l’entraîner dans mon histoire d’agent double, ni même de lui demander des informations utiles sur une rébellion en cours. S’il me fallait obtenir des renseignements, je n’aurais pas naturellement pensé à le faire auprès d’elle. Enfin bon, lui parler m’avait tout de même permis de la voir sous un autre angle même si elle ne me paraissait pas être très courageuse comme fille. Elle a des qualités notamment humaines, je le reconnais, contrairement à Naïa.

« Si elle s’était contentée de ça… » Me dit Tracy au sujet de cette dernière, pendant que je referme l’une des poches de ma valise que j’ai remplie de divers objets trainant inutilement sur mon lit. « Je vois le bon côté des choses, c’est comme ça que j’ai réussi mon premier sortilège informulé. J’avais jamais réussi avant. »

La manière dont elle déclare cela laisse penser que ce qui s’est passé entre elle et Naïa était aussi banal qu’un pique-nique dans le parc ou une partie de bavboules dans la Grande Salle. Mais qu’elle parle de sortilège informulé laisse entendre qu’il y a sûrement eu une bataille entre elle. Comment ? Je n’en sais rien. Les nés-moldus ne sont pas supposés avoir leur baguette. Est-ce qu’elle aurait réussi à en voler une ‒ celle de Naïa ? ‒ pour se défendre ? Sur le coup, je ne sais pas vraiment quoi en penser et j’ignore pourquoi Naïa n’avait pas fait l’éloge de s’en être pris à elle. Peut-être parce qu’elle s’était fait prendre à son propre jeu ? Par dignité ?

« Je l’ignorais, elle ne m’a rien dit, je réponds sans cacher mon étonnement. Si tu t’en es sortie alors qu’elle te prenait en grappe, j’imagine que c’est pour ça qu’elle a gardé le silence à ce sujet. »

C’est sûrement ce que j’aurais fait à sa place. Pliant convenablement deux chemisiers, je médite rapidement sur le fait que Naïa et moi sommes si différentes que je ne le pensais à la base. Nous étions ce que j’appellerais des « amies », autrefois. Avant même que Blackman ne soit là. J’aimais lui parler, notamment le soir dans la salle commune et nous tombions d’accord sur bien des sujets, chose plutôt importante pour me fréquenter. Me dire que tout cela a été réel sans que cette amitié ne le soit également me procure une sensation étrange. J’ai l’impression que tout a été aussi factice que ma relation avec Duke, cette année.

Je termine de ranger les dernières affaires qui trainent et je me surprends à être aussi rapide. Je referme ma valise à moitié vide et je lève ma baguette vers mon armoire pour lui jeter un sortilège interdisant le moindre vol. En même temps, j’avoue à Tracy que la seule solution que j’ai sous la main, c’est de continuer à avancer en sachant que rien ne peut être pire qu’auparavant.

« Non en effet, rien ne peut être pire. Qu’est-ce que tu as l’intention de faire maintenant… ? »

Du coin de l’œil, je constate qu’elle a quitté brièvement son activité pour me regarder. Ce que je compte faire ? A vrai dire, pas grand-chose. Mes options ne sont pas infinies et peut-être qu’au fond, je me sens encore un peu égarée ? Comme elle l’avait dit quelques secondes plus tôt, je peinais sans doute à me retrouver.

« Je vais prendre mes distances avec les gens. C’est ce que je faisais déjà mais je crois que j’ai besoin de rester seule un moment pour revenir sur certaines choses… Et voir qui sont mes alliés, par la même occasion. »

Oui, je n’ai pas l’envie de rester auprès de cette population trop présente à la ferme. Dans la solitude, je réfléchis mieux. Je pourrai alors repenser à tous mes actes, à toutes mes décisions et aux conséquences que cela a engendré. Zach m’a dit de me remettre en question mais je ne crois pas que je le ferai. Je veux simplement y repenser sans pour autant regretter ou culpabiliser. On peut supposer que j’aurais pu gérer certaines choses autrement comme le fait de ne rien avoir dit à Tracy mais pour l’heure, il me semble difficile de ne plus être fidèle à mes raisons.

En tout cas, ces dix minutes passées ‒ moins ou plus ? Je n’en sais rien ‒ avec elle à discuter de ce qu’il s’est passé m’a fait grandement du bien. Il subsiste des problèmes non résolus mais j’ai pu m’expliquer avec elle sur mes véritables intentions et c’est, à mes yeux, le cœur de qui importe le plus pour moi.

« Et peut-être que plus tard, on pourra parler de cette nouvelle collection.
‒ Avec plaisir. » Répliqué-je en gardant mon sourire.

{FIN}