Je me sentais pitoyable et ce sentiment me rappelait celui que j’avais éprouvé au Lac Noir, quand je lui avais dit que je l’aimais. Pourtant, la scène n’était pas la même. Certes, je lui faisais face pour lui dire la vérité ‒ ou du moins essayer de lui dire ‒ mais cela prenait une tournure bien moins positive que lorsque je lui avais parlé la dernière fois. Le perdre et ne plus faire partie de ses amis était la pire chose qui pouvait m’arriver. J’étais certaine que je n’aurais pas pu le supporter. Hélas, je ne l’avais pas beaucoup aidé à se souvenir de moi en prenant les distances et je le savais bien. Le voir agacé par mes agissements me faisait mal. J’essayais de me justifier un maximum pour lui faire comprendre que je n’avais pas voulu lui faire de mal et que je souhaitais juste passer à autre chose sans pour autant l’oublier à jamais. Mais cela s’avéra moins simple que prévu…

Déjà, j’avais été incapable de prononcer le prénom de Daniela une deuxième fois. J’avais eu peur qu’il ne prenne mal le fait que je lui dise que sa présence me rappelait toujours mon échec et que tout était de sa faute. Vis-à-vis d’elle, je ressentais toujours une profonde amitié mais c’était controversé par une autre part de moi qui était dégoûtée par elle. Beaucoup s’amuserait à dire que mes histoires de cœur sont des histoires de gamines et que j’allais affronter des choses bien pires dans la vie mais très franchement, ils ne pouvaient pas se mettre à ma place. Déprimer autant sur des mois, c’était l’équivalant d’un vrai marathon de moldus… Je préférerais même faire un triathlon infernal une fois par semaine plutôt que de vivre un chagrin d’amour et de devoir l’affronter en direct dans le retour de la peine et de la culpabilité. Sincèrement, j’arrivais à trouver un point positif à ce fichu sort qui me collait à son dos ; au moins, je n’avais pas à devoir le regarder droit dans les yeux en lui disant tout cela. L’impact était légèrement différent, je n’aurais pas été aussi révélatrice si je savais que son regard scrutait le mien. C’était bizarre… sans doute un effet psychologique. Un peu comme les commères qui savaient ouvrir leur gueule dans le dos des gens mais qui jouaient les faux anges en face. Oui, heureusement que je pouvais observer son épaule, sa joue ou tout simplement la porte fermée qui nous faisait face.

« Laisse tomber Phoebe, la culpabilité c’est mon domaine, t’as pas à t’excuser. Juste… j’croyais vraiment que tu ne laisserais pas de côté notre amitié. ‘Fin je me doutais que c’était dur mais en ce moment, j’pensais que peut-être le fait de ne plus nous voir t’avait permis de passer à autre chose, que tu voudrais qu’on retraîne ensemble. Un jour. Peut-être, si j’arrive à sortir des cachots. »

Je n’avais pas à m’excuser ? Je le trouvais beaucoup trop gentil et je devinais qu’il ne devait pas le penser totalement. Après tout, s’il s’était un peu énervé face à moi, c’était qu’il reconnaissait que j’avais mes torts dans cette histoire. Peut-être voulait-il simplement que cette petite dispute ne vire pas en un énorme clash ? C’était ce que je voulais aussi éviter et de toute façon, ces propos me rendaient plus triste qu’en colère. Comment pouvait-il croire que cela n’allait pas me faire culpabiliser ? Ca aussi, c’était de mon domaine ! J’eus du mal à avaler, le poids de mes mauvaises pensées pesant bien trop pour que mon corps se comporte normalement. Mon rythme cardiaque venait de s’accélérer et j’avais l’impression que je n’allais pas tarder à blêmir.

« Mais je ne veux pas la laisser de côté ! Keagan, jamais je ne voudrais t’oublier ! C’était pas dans mes intentions, je te le jure ! Je voulais juste oublier mon échec sentimental mais pas ta personne. » M’empressai-je de répondre, alarmée et en laissant tomber une larme sur son épaule.
Je voulais me reprendre mais je n’y arrivais pas, je me laissais avoir par mes émotions, une fois de plus. Un petit silence régna avant qu’il ne reprenne.

« Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu me pardonnes ? »

Il fut un temps où je m’étais posée la question de savoir si j’allais pouvoir le pardonner. Je m’étais demandée ça en octobre, au beau milieu de la salle commune, pendant que Chuck me réconfortait encore et encore. Son aide m’avait été précieuse même s’il n’avait pas cessé de me dire que l’amour, c’était de la merde et qu’il valait mieux ne pas trop s’en rapprocher. J’avais tenté de me persuader que c’était le sentiment en lui-même le coupable mais je n’avais pas pu m’empêcher d’être rancunière envers lui. Aujourd’hui, je lui en voulais un peu mais je savais bien que je ne pouvais pas m’en prendre à quelqu’un parce que son cœur lui dicte d’aller vers une autre personne que moi. Qui serais-je pour lui en vouloir ? Je ne peux pas le forcer à m’aimer, ce n’est pas ça l’amour. D’un fin soupir résigné, je lâchai sur un ton calme mais toujours hésitant à cause de mes larmes qui coulaient en secret.

« Rien, Keagan… Il n’y a rien que tu puisses faire…ce n’est pas ta faute. Tu n’as rien demandé, c’est moi qui ai commencé toute cette histoire… J’aimerais que… que tout redevienne comme avant. Mais c'est dur. »

 

△everleigh

   

J'espérais qu'il me croit. Vraiment. Tout ce que je lui avais dit sur le fait de ne pas vouloir abandonner notre passé commun était vrai et m'imaginer perdre tout cela m'achèverait. C’était fou comment cette journée plutôt banale venait de virer à une heure de lamentations de ma part. Mais pour récupérer ce qui restait de ma complicité avec Keagan, j’étais prête à tout. Je ne voulais rien laisser derrière, à l’exception de mes ressentis. Cela devait sûrement être possible de renouer comme avant, non ?

Il me paraissait gêné par mes déclarations. Il faut dire que le sujet était assez délicat et même si je ne voulais pas l’embarrasser avec tout ça, je savais bien que cela était nécessaire. Je lui avais donc dit qu’il n’y avait rien qu’il puisse faire pour se faire pardonner parce que justement, il n’était pas en tort. Je n’allais pas faire de lui un bouc émissaire même si je pouvais ressentir une rancune qui n’était pas vraiment justifiée… C’était tout simplement moi le problème, pas lui.

J’essayais de me ressaisir pour ne pas pleurer davantage et risquer de tâcher son vêtement ‒ je n’avais pas envie qu’il me prenne pour une madeleine ‒ et heureusement que Keagan choisit ce moment pour prendre la parole. Cela me permit de me concentrer sur autre chose et justement, ce qu’il disait avait une connotation bien plus positive que ce dont je m’attendais.

« Oui, moi aussi… Mais la situation actuelle nous prouve que ce n’est pas si facile. On n’va pas se renvoyer la faute éternellement Phoebe, tu es celle qui a eu le courage de… de dire les choses. Je n’veux pas qu’on se déchire. On ne peut pas faire en sorte que ça redevienne comme avant, mais on peut essayer d’améliorer les choses. T’en penses quoi ? On essaie ? »

Ce qu’il venait de dire me flattait et je ne serais pas surprise si mes joues s’étaient mises à rougir. Il n’avait pas tort sur le fait que nous ne cessions de nous renvoyer la faute mais j’étais sûrement trop bornée pour le responsabiliser de cette affaire. Je n’arrivais pas à me détacher du fait qu’il n’ait rien fait de fâcheux et que tout venait de moi. Certes, j’avais eu le courage de tout lui dire en face mais au bout de combien de temps ? Mon hésitation m’avait menée à lui mentir bien trop souvent… des petits mensonges sans gros impact mais des petits messages quand même ! Je soupirai doucement, entrant dans une profonde réflexion. En tout cas, une chose était sûre : j’étais heureuse qu’il soit prêt à passer à autre chose, ou plutôt à les améliorer. Nous ne pouvions pas faire en sorte que tout redevienne comme avant après de tels événements mais nous pouvions toujours progresser ensemble et cet espoir, j’avais également l’envie de ne pas le perdre. En regardant la situation dans un autre angle, il ne suffisait pas de grand-chose pour que nous puissions être les très bons amis d’antan. J’avais juste à accepter définitivement le fait qu’il soit avec Daniela et m’intéresser à autre chose qu’à l’amour. Est-ce que c’était possible de remplacer ça ? De mettre ce sentiment de côté pour une autre occasion, un autre garçon ? Je n’en savais que trop rien. Ce n’était pas le domaine dans lequel j’avais eu le plus d’expérience mais il fallait bien un jour que je me résigne à ne plus ressentir quelque chose pour Keagan. Et pour cela, il était nécessaire que je fasse un effort. C’était peut-être une question de volonté, après tout.

« Ok, je reconnais que passer son temps à s’excuser, toi et moi, ne va pas faire avancer les choses. » Dis-je sur un ton moins hésitant.

Je souris doucement avant de taper dans la main qu’il tendait par-dessus son épaule. J’avais pris ma décision et même si des questions demeuraient sans réponse, la majorité de mes doutes venait de s’envoler ou plutôt de se transformer en certitudes. Aller de l’avant permettra de mieux panser mes plaies. Ressasser le passé, esquiver la source du problème ou m’éloigner d’une personne que je chérie ne m’aura pas fait du bien, au final.

« Je veux bien essayer de faire des efforts. Je repense à tout ce que tu m’as dit et je crois que je commence peu à peu à me rendre compte de certaines choses. Bon, il y a sûrement beaucoup de boulot à faire sur moi-même mais j’ai pas envie de lâcher. Ou tout simplement de te lâcher. » Ajoutai-je en concluant par un enthousiasme perceptible.

Le pacte était scellé, maintenant. Je me sentais étrange mais pas comme toute à l’heure. J’avais comme l’impression d’être requinquée, d’être dotée d’une volonté forte et de fer qui m’avait quittée depuis bien trop longtemps…

 

△everleigh

   

Je l’avais surpris avec ma dernière réplique et cela m’amusait de le voir presque pris au dépourvu. C’était fou comme je me sentais mieux maintenant que nous avions conclu cette discussion un peu trop épicée à mon goût. Et pourtant, je trouvais que tout cela s’était fait de manière trop simple… Est-ce que c’était réellement possible d’avancer ensemble, côte à côte, comme auparavant ? J’aimais croire que oui. Peut-être que oui, cela allait se passer comme ça. Mais je savais aussi que l’affaire n’était pas pour autant terminée à cent pour cent. Comme je lui avais dit, j’avais encore un travail à faire sur moi-même et derrière cet enthousiasme dans ma prise de décision, je me rendais compte que tout se ferait de façon progressive. Il ne faudrait pas forcer les événements mais y aller doucement mais sûrement.

« C’est… c’est très bien Pho’. Moi non plus je lâche rien, promis. »

Je me sentais encouragée et c’était plaisant d’entendre ça, en plus du fait qu’il n’allait rien lâcher lui non plus. D’un coup, je me sentais de nouveau importante pour lui. Comme si Keagan serait toujours là pour me tirer vers l’avant, peu importe les épreuves que je puisse subir. C’était un sentiment merveilleux qui me soulageait d’une grosse partie du poids qui me tombait depuis un bail sur les épaules. Pourtant, ce n’était que de simples petits mots et on pourrait presque croire qu’ils étaient hésitants mais cela me procurait tellement de choses positives… Je voulais m’y accrocher. Je savais qu’ils faisaient partie de la solution de mes problèmes et qu’à ses côtés, je serai un peu plus forte. Quant à lui, je savais que mes dernières paroles l’avaient également rassuré puisque ses muscles s’étaient détendus. Je pouvais le sentir contre moi. C’était embarrassant, certes, mais c’était une sorte de signal qui me détendait également et qui me rappelait que quelques minutes pouvaient suffire à balayer des mois de psychanalyse inutile. Durant quelques secondes, j’en oubliais presque qu’il fallait que l’on trouve un moyen de nous décoller.

Le silence régna alors, de nouveau. Cela commençait à devenir une habitude, j’avais l’impression, mais ce n’était pas un calme similaire à celui de toute à l’heure. Notre petite dispute était désormais loin et la tension froide entre nous s’était dissipée. Keagan fut le premier à reprendre la parole un peu nerveusement.

« Phoebe ? Dis-moi… euh… comment ça va vous, le quotidien ? Tout le monde va bien ? »

C’est vrai qu’il ne pouvait pas avoir autant de nouvelles qu’il le souhaiterait même si le courrier restait un moyen de communication qui leur était accessible. Il faudrait d’ailleurs que j’en envoie une à Oliver pour lui faire part d’une idée à laquelle je pensais depuis un moment. J’en profiterais également pour prendre ses nouvelles. Avec sa sœur Jill, les choses devaient être dures à vivre mais, au moins, ils pouvaient se soutenir l’un et l’autre sans être séparés. C’était une bien maigre consolation mais c’était ce qui me permettait de ne pas me faire un sang d’encre pour lui en permanence.

« C’est de plus en plus dur depuis notre dernière rébellion ratée. Ca été un fiasco terrible… Je regrette d’y avoir participé et en même temps, je me dis que ça redonne un peu d’espoir quand même de voir des élèves se lever contre les Mangemorts… Je fais souvent des cauchemars depuis que j’ai reçu l’Endoloris mais ce n’est rien contrairement à ce que vous vivez, je le sais très bien… »

Je soupirai. Il m’arrivait beaucoup trop souvent de repenser à cette soirée où nous avions fait n’importe quoi dans la Grande Salle. C’était encore récent, cela s’était passé le mois dernier. On avait osé faire du mal à Joanne qui avait été accusée injustement d’un crime qu’elle n’avait pas commis. Des élèves, notamment Snow Shiver, avaient manifesté leur mécontentement en jetant des sorts n’importe comment. Moi, j’avais proféré des insultes à l’égard des Mangemorts et on nous l’avait tous fait payer en nous ramenant dans les salles inutilisées pour nous enchaîner les Doloris. J’avais beaucoup souffert et j’avais pu trouver le réconfort uniquement lorsque mon cerveau avait décidé de m’évanouir complètement à cause de la douleur.

« Mais Anoushka m’a l’air d’aller bien. Hunter m’a l’air de la rendre heureuse même si vous ne l’aimez pas, toi et Louna. Enfin, j’imagine que c’est ce qui est important pour elle et que ça doit lui permettre de rester en forme en sachant que vous vivez durement dans les cachots. Arabella va bien et Maximilien aussi… Il était avec moi lorsqu’on nous a torturé mais bon, c’est quelqu’un de fort. Lily déprime mais elle reste quand même un bon pilier qui nous permet de garder le sourire ! Elle m’a beaucoup aidée, je dois dire. Quant à ma sœur, Morwen… on se parle de moins en moins et ça me fait mal qu’elle m’ait trahie pour rejoindre le camp de Blackman. Je ne l’ai pas vu venir… »

Je soupirai une nouvelle fois, plus fortement. C’était désespérant, ce sentiment de ne pas connaître entièrement un membre de sa famille.

« Chuck est fidèle à lui-même. Lui aussi, il m’a beaucoup aidée et j’ai l’impression que l’on a plus souvent passé notre temps à parler de mes soucis plutôt qu’aux siens. Je devrais sans doute l’écouter un peu plus, car je devine qu’il n’est pas toujours dans son assiette à cause de ce qu’il se passe dans le château. Son ex Sloane est avec vous dans les cachots et il culpabilise à mort. Il se sent totalement démuni… Quant à Zach et Edward, je les aimais pas de base et je t’avouerais qu’avec ton meilleur ami, on faisait tout pour ne pas vous le montrer. Mais s’il y a un seul point positif à cette dictature, c’est que cela m’a permis de me réconcilier avec eux. Je n’aurais jamais cru qu’Edward puisse être quelqu’un d’aussi sympa et cool ! » Avouai-je en prenant un ton plus posé à la fin de mon dialogue.

 

△everleigh