Si l’enfer avait un nom, il porterait sans doute celui de Tracy. Depuis que la résistance avait eu lieu, sa vie ordonnée comme du papier à musique ressemblait à un véritable cauchemar. Il avait fallu que les élèves se rebellent, et tout s’était fichu par terre. La lettre incendiaire de sa meilleure amie l’avait littéralement fait éclater en sanglots, mais elle avait eu la décence d’atteindre les toilettes des filles et de se savoir isolée avant de se répandre, ce qui aurait au moins pour mérite de ne pas être humiliant publiquement. Elle avait tenté un pas vers Perrin qui était vraisemblablement en train de se détacher, et Dan avait opté pour ne plus répondre à ses courriers. Selon son souvenir, elle ne s’était jamais sentie aussi seule et perdue. Il lui restait toujours le bord des pro sangs-purs, mais… ce n’était pas pareil. Malgré l’amitié qu’elle portait à Narcissa, aux jumeaux Rosenberg, à Aniek et Nathan, cette dernière tenait malgré tout qu’à un fil. Si son identité venait à éclater au grand jour, Tracy savait pertinemment qu’il ne lui resterait plus personne, et sa bande n’éprouverait jamais le besoin de la revoir une fois qu’elle se retrouverait aux cachots. Elle avait eu un espoir pour Rhea, mais cette dernière lui avait clairement fait comprendre qu’elle était tout à fait apte à disparaître de sa vie comme ça l’enchantait. Et tandis qu’elle s’était rendue en métamorphose le coeur lourd, la Serdaigle contenait l’étendue de sa contrariété débordante… du moins, elle essayait. La chaise vide qu’occupait d’ordinaire son ex meilleure amie laissait sous-entendre que cette dernière n’était pas encore sortie de l’infirmerie… c’était mieux comme ça. Sa présence manquait énormément à Tracy, mais pas autant que sa colère de se retrouver ainsi abandonnée. Comment pouvait-elle lui faire une chose pareille ? Bien sûr qu’avec le recul, elle les comprenait plus que quiconque… Ils avaient bien raison de lui en vouloir de son comportement objet envers les nés-moldus. Mais comment pouvaient-ils se prétendre être ses amis… ? Dan, qui lui avait avoué être indifférent aux sort des sangs de bourbes et qui avait sans arrêt insisté sur le plaisir qu’il éprouvait à la côtoyer… ! Perrin, qui s’était montré adorable, et qui était de plus en plus distant… et cerise sur le gâteau, Rhea qui lui crachait au visage, reniant leur amitié de quatre ans. Tracy n’avait pas la moindre envie d’être en classe : elle avait envie de remonter dans les toilettes pour se morfondre et se plaindre auprès de Mimi, avant d’aller se fourrer dans ses draps, épuisée, et écrire des pages et des pages de journal intime dans lesquelles elle appuierait sur le fait qu’elle les détestait, tout autant qu’ils étaient.

Néanmoins, en rayant sur chacune des pages de son agenda les mots gentils et lettres épinglées de ses « prétendus anciens amis », elle tomba sur la page du jour qui soulignait qu’elle avait un rendez-vous qu’elle ne pourrait manquer. En effet, Narcissa lui avait proposé de la rejoindre un peu plus tard après son cours, et avec toutes ces histoires de trahison, Tracy en était venue à oublier qu’il s’agissait d’aujourd’hui. C’était bien ce qui lui fallait… Voir Cissy lui permettrait de se rendre compte qu’elle avait fait le bon choix, qu’elle avait bien fait de ne pas plier face à ceux qui menaçaient de la laisser tomber à cause de son camp. Aucun d’eux ne la comprenait, de toute façon. Et dire qu’elle commençait à peine à renouer avec Elijah… lui aussi allait-il l’abandonner ? Elle préférait ne pas y penser, et rangea précipitamment ses affaires à la fin du cours avant de foncer directement dans son dortoir, montant quatre à quatre les marches. Elle, si organisée d’ordinaire, n’hésita pas à déverser le contenu de son sac en bandoulière sur son lit à baldaquins, se formalisant peu des pots d’encres et rouleaux de parchemins froissés. Ses doigts tremblants s’emparèrent simplement de son nécessaire à couture, dont elle aurait besoin au cours de cette séance improvisée, et de son carnet de croquis sur lequel elle avait esquissé avant cette stupide révolte quelques esquisses de nouveaux modèles de chemisiers, qu’elle n’avait même plus envie de mettre en oeuvre. Elle en était désormais persuadée en se regardant dans le miroir : ce rendez-vous avec Narcissa était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Peu importait que leur amitié ne tienne qu’à un mensonge, au moins elle pouvait compter sur quelqu’un qui aimait passer du temps à coudre avec elle sans lui reprocher tous les quarts d’heure ses opinions politiques au sein du château. Et puis de ce qu’elle savait, la Serdaigle avait elle aussi ses propres problèmes, comme sa dispute avec Anthea l’avait récemment laissé sous-entendre… Et puis Tracy n’était pas aveugle, elle avait bien deviné que depuis la soirée de confrontation au cours de laquelle ils avaient prêté allégeance à Blackman, la relation entre elle et Zach, leur préfet, s’était brusquement dégradée… leurs situations étaient quelque peu similaires, finalement. Peut-être auraient-elles l’occasion d’en parler, en tout cas il était temps de rejoindre son amie, aussi elle sortit rapidement du dortoir pour gagner les étages inférieurs.

« Cissy ! Je ne t’ai pas fait attendre j’ose espérer ? » lança-t-elle en débarquant dans les salles inutilisées, qui correspondaient à leur lieu de rendez-vous. Tracy avait fait ce qu’elle avait pu pour camoufler toute trace de contrariété sur son visage : son amie avait sans doute bien d’autres soucis en tête que celui de devoir jouer les psychologues après une dispute d’adolescentes. « Wawh, c’est ton nouveau modèle ? C’est splendide, tu vas y ajouter des motifs ? » ajouta-t-elle en scrutant le nouvel ouvrage de sa camarade. Il s’agissait d’une ravissante tenue d’hiver qui n’était certes de toute évidence pas achevée, mais Tracy l’aimait déjà suffisamment pour savoir qu’un tel vêtement ne la laisserait pas indifférente si elle tombait dessus dans les rayons de Gaichiffon. C’était aussi en ça que Narcissa l’impressionnait quelque peu, elle était tellement douée de ses doigts qu’à côté, elle appréciait tout à coup beaucoup moins ses propres créations, ne pouvant s’empêcher de se mettre en comparaison. « Comment tu vas sinon ? » continue-t-elle en s’installant, mettant en ordre son matériel de couture de manière à achever l’écharpe à tapisserie médiévale sur laquelle elle travaille depuis quelques temps. « L’ambiance est devenue… encore plus bizarre depuis la rébellion… tu trouves pas ? »

‒ T’en fais pas, je suis quelqu’un de patiente. »

Tracy s’en satisfit et s’installa sans plus tarder. Qui avait besoin d’amis sangs-mêlés qui vous tournaient le dos à la moindre occasion quand on en avait une telle que Narcissa ? C’était en tout cas ce que se disait la Serdaigle qui ne s’était pas départie de sa colère. Peu importait, ce serait toutefois bien agréable de coudre un peu en compagnie de son amie. De toute manière, elle était l’une des dernières à lui rester en ce moment. Quelque part, elle se sentait proche d’elle. Ça ne passait pas par les paroles, oh que non. Ces dernières échangeaient de la sympathie et des banalités, voire des horreurs sur le compte des sangs de bourbes, mais il y avait quelque chose qui se passait bien au-delà. Exagèrerait-elle en songeant à une sorte de lien, de connexion sous-jacente, silencieuse ? Bien sûr, Narcissa serait sans doute l’une des premières à lui tourner le dos si son secret éclatait au grand jour, et ne hausserait sans doute même pas un sourcil si les jumeaux Rosenberg décidaient de lui régler son compte. Mais tout comme elle, sa camarade vivait un moment de schisme au sein de ses relations, notamment avec Anthea qui était montée sur ses grands chevaux, et Zach qui jouait les effarouchés. Leur situation était un peu la même désormais… Et même si elle prétendait le contraire en déclarant ne pas avoir besoin de sa meilleure amie, Rhea lui manquait déjà. Pourquoi s’acharnait-elle à ne rien vouloir comprendre ? Elle ne se rendait absolument pas compte de l’enjeu : elle risquait de tout perdre ! De se retrouver aux cachots, dépouillée de tous ses effets personnels, et de se voir retirer jusqu’à l’usage même de sa baguette ! Quant à sa bande d’amis pro sang-pur, à laquelle elle était liée dès le premier jour à l’école, cette trahison ne passerait pas comme une lettre à la poste… ce furent en tout cas les pensées qui traversèrent Tracy pendant qu’elle observait discrètement son amie. « Merci ! C’est vrai que j’en suis très satisfaite. Je pense en ajouter mais il ne faut pas que je le surcharge. Ce modèle est avant tout un cardigan alors je pensais plutôt à décorer les boutons ! Mais avec quoi ? Des flocons seraient trop peu originaux. »

Quelque part, Tracy n’était guère étonnée. Ce genre de modèles correspondait au style très élégant de sa camarade. Dans le temps, elle avait souvent vu cette pimbêche de Lily Potter lui servir de mannequin. Cette fille n’avait pas le moindre intérêt en soi, mais il était vrai qu’elle portrait gracieusement les créations de son amie, et était magnifique dedans. En tout cas, le modèle de cardigan était absolument ravissant, et la Serdaigle n’eut aucun mal à se dire qu’elle se procurerait volontiers un article du genre s’il venait à être accessible ou commercialisé. Elle aussi faisait de cette ambition un rêve secret. Les études qu’elle suivait pourtant si assidument ne lui serviraient pas : sitôt sortie de Poudlard, Tracy plaisait à s’imaginer laisser tomber l’aspect scolaire de sa vie pour démarrer sa propre entreprise. Oh, ce serait fastidieux bien sûr, d’autant plus qu’elle redoutait de ne pas posséder l’aisance nécessaire à ce genre de projet, mais il n’empêchait que c’était son projet à elle ! « Ce serait pourtant très joli avec des flocons. » se permit Tracy à l’attention de son amie avant de se raviser. « Enfin pas beaucoup, le modèle simple est déjà superbe. » il s’agissait de ne pas insister davantage, si la jeune fille ne voulait pas rajouter de motifs, elle n’allait certainement pas la forcer à le faire. Elle sortit à son tour son écharpe, dont le tissage demandait beaucoup de patience et de rigueur : la finesse des détails et les décorations aux alentours ne pouvaient se permettre d’être bâclées.

« Je fais aller. Disons que je serais plus tranquille s’il n’y avait pas des abrutis pour cracher leur venin dans mon dos. Ils se prennent pour des petits héros, c’est comme s’ils pensaient devenir plus forts en me critiquant ouvertement ou non… » Tracy ne put s’empêcher d’approuver d’un hochement de tête. Elle comprenait certes le comportement de leurs camarades. Mais elle refusait de le cautionner pour autant : pourquoi ne se contentaient-ils pas de garder leur mécontentement pour le directeur et ses sbires ? C’était bien beau de vouloir chercher des responsables dans la masse, mais il fallait peut-être cesser de vouloir leur reprocher en permanence de se conformer au règlement de l’école. Puisque c’était après tout leur seul problème… Leur affiliation au Directeur. Les choses avaient mal tourné lors de cette rébellion, mais c’était eux qui l’avaient voulue ! Certes, il avait été insupportable d’assister à la séance de torture de la petite Joanne… Mais s’ils avaient dans l’idée qu’ils pourraient la sortir de là de cette manière, alors ils se plantaient, tous autant qu’ils étaient, et en beauté… Ils étaient totalement impuissants, et la Serdaigle s’était faite à cette idée depuis bien longtemps. Pourquoi tenter de voir plus loin alors que l’évidence était juste là ?

« Je ne suis on ne peut plus d’accord… tu te rends compte qu’ils viennent nous reprocher à nous de nous être défendues ? Faudrait qu’ils se souviennent déjà que c’est les Shiver qui ont lancé les hostilités en premier et qui les ont entraînés dans cette punition… Bientôt, on va devoir s’excuser d’obéir au règlement intérieur au rythme où ça va… » répondit-elle évasivement en se concentrant sur l’avancée de sa broderie de feuillages.

Ces paroles étaient toutefois un peu décalées de la réalité… N’importe qui se serait formalisé de la violence qu’avait du subir la petite Gryffondor, et il était plutôt normal de vouloir aller à l’encontre de règles qui encourageaient une hiérarchie basée sur le statut sanguin. Et les cris avaient été particulièrement durs à supporter… Mais il s’agissait de ne jamais reconnaître cela devant les autres, autrement elle devrait en payer les conséquences et les regards noirs qui suivraient. « Et tu as raison, l’ambiance a changé. Je crois que le sortilège Doloris a calmé les ardeurs de ces élèves et profs stupides. Sérieusement, à quoi pensaient-ils ? Sauver ces sang-de-bourbe de notre supériorité ? C’est lamentable. Enfin, je m'égare... et toi, Tracy, comment vas-tu ? » La discussion dérivait, et la Serdaigle dut se mordre l’intérieur des joues pour s’empêcher de laisser paraître son appréhension. Cela confirmait bien ce qu’elle pensait déjà. On ne lui pardonnerait jamais cette trahison, on ne lui pardonnerait jamais d’être des leurs. Alors aussi longtemps qu’elle le pourrait, cette information demeurerait dissimulée. Et ce serait pour le mieux, totalement pour le mieux.

« Ça va très bien. Rhea et moi avons coupé les ponts. C’est tant mieux, je ne puis m’embarrasser plus longtemps d’une sang-mêlé aux idéologies douteuses dans mon cercle relationnel. Sinon je vis la situation de la même manière que toi… La direction a bien réagi, j’espère qu’ils se montreront plus fermes encore la fois prochaine. » avança-t-elle avec prudence.

Toujours mesurer la portée de ses propos lorsqu’elle s’adressait à ses amis. Et ce n’était clairement pas le moment de défendre ceux qui avaient du faire face aux conséquences de cette rébellion. Une pointe d’amertume s’enfonça en elle : et dire que dans le tas, il y en avait même qui n’étaient même au courant des évènements, des nés-moldus surtout. Ç’aurait pu être elle, tout comme eux elle aurait pu être piochée au hasard pour faire office d’exemple…

‒ « Peut-être que je pourrais lancer un sort permanent sur les boutons pour que de fines paillettes argentées se mettent à apparaître et à scintiller autour du flocon s’il neige pendant qu’on le porte ? »

C’était une fantastique idée ! Elle plaisait beaucoup à Tracy, encore davantage même que celle du flocon, ou que celle du vêtement tout simple. Cela donnerait un effet enneigé à l’habit qui serait absolument à ravir. Narcissa avait tellement de talent… parfois la Serdaigle se surprenait à éprouver un soupçon d’envie à son encontre, comme s’il était impossible pour elle d’arriver à un tel niveau… Elle ne se dévalorisait pas pour autant, elle était bien consciente qu’elle était tout à fait capable de faire des choses de ses mains, de jolies choses à en croire certains, mais il était vrai que Cissy était indubitablement douée. Comme si elle était capable de parvenir, en un claquement de doigts, à ce qu’elle était capable de faire après des heures de travail et de préparation - et bien sûr un sens du style tout à fait unique. « Wawh, ce serait superbe ! J’aimerais tellement pouvoir porter un cardigan comme ça ! Si on pouvait aller à Pré-au-Lard, je t’aurais accompagnée pour rencontrer la vendeuse de Gaichiffon… peut-être qu’elle aurait pu mettre le modèle en magasin. » proposa Tracy en se rendant néanmoins compte que cette possibilité était à exclure. Elles avaient voulu un gouverné par l’idéologie des pro sangs-purs, elles l’avaient eu, et depuis il n’était plus question de sortir de l’école, ou de se rendre où que ce soit. La logique voulait que la Serdaigle ne s’en plaigne pas. Après tout, c’était elle qui avait voulu tout ça… enfin pas exactement les conditions actuelles, elle n’avait ni demandé la torture, ni l’enfermement, mais elle avait joué le jeu de l’exclusion des nés-moldus comme les autres. Elle n’était pas responsable directement de ce qui était arrivé mais elle ne pouvait prétendre y être étrangère.

« En effet. Ils nous reprochent l’échec de leur connerie de rébellion ! S’ils voulaient être utiles, ils n’avaient qu’à réfléchir avant de vouloir foncer tête baissée. Les choses seraient tellement plus simples si nos anciens amis comprenaient qu’ils suivent la mauvaise voie… »

« Anciens amis ». Ça y est, elle y était, elle avait aussi plongé. Désormais, lorsqu’elle toiserait Rhea dans les couloirs, ce serait uniquement de la rivalité, des paroles sèches dissimulant toute la rancune qu’elles se vouerait… Cette idée avait toutefois quelque chose de déplaisant, au moins qu’elle lui donnait presque envie de pleurer. Heureusement qu’elle avait de la retenue, et qu’elle était capable de ravaler ces sentiments aussi embarrassants qu’envahissants. Parce que Tracy voyait bien comment Cissy se comportait avec ses anciens amis ! Combien de temps cela faisait-il qu’elle n’avait pas adressé la parole à Zach ou Anthea, hormis pour se balancer des insultes ? Elle avait beau les voir tous les jours ou dans la salle commune, rien n’y changeait, et c’était à se demander si l’un des trois tenterait un jour une approche pacifique. A moins que tout cela ne soit définitivement terminé. Le coeur de Tracy se serra en songeant que le camp qu’elles avaient choisi était un camp difficile. Un camp qui exigeait que l’on laisse derrière certaines personnes, et nul ne faisait exception visiblement. Pourtant, elle avait été conciliante, même s’il avait fallu qu’elle écarte Fursy d’entrée de jeu, elle l’avait joué de manière plutôt pacifique en invitant quelques sangs-mêlés à la soirée de Noël qu’elles avaient organisée… « Oui, ce serait tellement plus simple… je ne comprends pas pourquoi ils s’obstinent à vouloir jouer les héros. Peut-être qu’ils ont enfin compris que les prochains seraient les sangs-mêlés. » affirma Tracy qui pourtant n’était sûre de rien. Comme si elle pouvait tenir ce genre d’information de quelqu’un plus haut placé…

« J’ai la même chose avec Anthea. On fait bien de s’en éloigner, ça évite les problèmes. Après, il est évident que ça reste difficile de s’y adapter en sachant que chacune est dans notre classe. Je la vois tous les jours et même si elle m’ignore, ça m’agace quand même. L’autre fois, elle est venue me régler des comptes. Elle a comparé Blackman à Hitler, ce sale moldu, tu te rends compte ? Quelle conne. »

Tracy leva les yeux au ciel en écoutant le descriptif que Cissy faisait de sa meilleure amie. Quelque part… elle avait raison de se montrer aussi dure et exigeante, et elle savait elle-même qu’elle devrait en faire autant. Cela lui épargnerait d’être déçue en permanence de tout le monde… Il y avait bel et bien un moment où il fallait couper le cordon, mais si ça faisait mal au coeur de la Serdaigle. Se recentrant sur sa broderie pour éviter d’y penser, elle écoutait avec attention chaque parole de son amie, tandis qu’elle avançait pas à pas son travail minutieux. La précision était de mise, et chaque détail devait être absolument fidèle au modèle de tapisserie qu’elle avait imaginé. « Elle en a pas marre à force ? » demanda Tracy. « Je veux dire, sérieusement. Elle pense qu’elle fait quoi, en se contentant de montrer son opposition, que ça marche comme une asso’ caritative ? Elle devrait y penser d’ailleurs quand elle se comportera comme une garce à la prochaine soirée. Ça te dérange pas d’ailleurs qu’elle continue quand même de causer à Naïa malgré ce qu’elle peut balancer ? » C’était peut-être rajouter de l’huile sur le feu, mais au fond c’était la vérité : Anthea choisissait visiblement ses ennemis avec stratégie.

‒ « J’aurais bien aimé, moi aussi. J’ai toujours adoré leurs modèles et les stylistes sont de vrais pros ! Dommage que notre allégeance ne nous donne pas certains privilèges… » C’était drôle qu’elles évoquent leur droit de sortie comme étant un réel problème alors qu’aux cachots, d’autres étaient carrément privés de leur liberté de se mouvoir librement dans le château, d’assister à des cours… Mais elle ne pouvait tout de même pas s’en formaliser à voix haute. De quoi aurait-elle l’air ? Elle était censée oublier qu’elle appartenait à cette race de sangs de bourbes, et ne surtout pas se prendre de pitié pour eux : c’était le prix pour échapper aux sanctions qui la menaçaient… Et si cela impliquait de se plaindre de ne pas avoir droit à certains privilèges, et bien ce n’était en rien un problème. Quelque part, il y avait quelque chose d’intimidant chez Cissy. C’était une fille intelligente, Tracy avait pu s’en rendre compte rapidement à son contact : et si la Serdaigle paraissait être davantage dans le mépris, c’était peut-être pour mieux camoufler son procédé d’analyse. S’il y avait bien l’une des leurs qui pouvait comprendre et finir par voir clair dans son jeu, c’était bien elle, et elle l’impressionnait notamment pour cette raison. Préférant se recentrer sur leur activité commune, Tracy baissa les yeux vers l’ouvrage de son amie : évidemment qu’elle finirait par obtenir sa place à Gaichiffon. Peut-être parviendraient-elles à se coordonner à l’avenir pour réaliser des photos ensemble, et soumettre quelques uns de leurs modèles au magasin quand elles en auraient l’occasion, puisqu’elles seraient peut-être amenées à travailler ensemble à l’avenir…

« Patience, très chère. Notre heure viendra. Lorsque le château sera dépourvu de toute menace « intérieure », nous redeviendrons les maîtres à bord. » déclara-t-elle, les yeux baissés sur ses aiguilles.

Les maîtres à bord, mais toujours à la solde de Blackman… Et cette option ne ravissait pas Tracy pour autant. Cela dit, même parmi les pro sangs-purs, aucun n’avait le pouvoir de faire prendre la tangente à ce directeur. En contrepartie de pouvoir rejoindre le camp des privilégiés, il fallait également apprendre à ne pas s’imposer. Ne pas faire de vague. La direction les autoriserait autant qu’ils le voudraient à tyranniser les autres élèves, mais aussitôt qu’il serait question de rébellion ou de quoi que ce soit d’autres, les soucis commenceraient à se cumuler. « Quand on est stupide, il n’y a plus d’espoir, c’est tout. » La Serdaigle hocha la tête. Elle ne savait plus très bien au final : étaient-ce réellement les autres qui étaient stupides ? Leurs intentions étaient bonnes au fond, mais il n’empêchait qu’ils s’y prenaient trop mal. Il s’étaient montrés impulsifs, avaient agi avec hâte, sans préparation au préalable, sans même se coordonner les uns avec les autres… c’était du travail d’amateur, elle en convenait. Elle ne savait pas si à un moment donné elle sera amenée à rejoindre ou non les résistants, si les tortures commençaient à s’insérer dans les habitudes, et que l’horreur devait la gagner quotidiennement… Toujours était-il qu’elle ne pouvait se risquer à approcher un groupe aussi désorganisé dans un tel climat anxiogène. Pour l’heure, traîner avec Narcissa, Naïa et les autres représentait moins de risques pour elle… C’était même plutôt agréables, ils étaient sympathiques lorsque le statut sanguin n’était pas en jeu. Mais qu’en serait-il si la vérité venait à se faire connaître ? Elle préférait ne pas même l’imaginer. Si son interlocutrice apprenait qu’en face d’elle se tenait une née-moldue, elle ne donnait pas cher de sa peau.

« Elle a toujours été comme ça, à ouvrir sa gueule quand quelque chose ne lui plaît pas. Elle déteste les injustices et elle a une opinion très manichéenne des choses. Le truc, c’est que les sang-de-bourbe ne vivent pas une injustice, ils n’ont que ce qu’ils méritent alors son jugement est erroné. On ne peut plus rien pour elle… Elle peut très bien continuer de parler à Naïa si elle le veut mais, en tout cas, j’ai confiance en elle et je sais qu’Anthea ne l’influencera pas. » Approuvant ces mots à son tour, Tracy adressa un regard entendu à son amie. Oui mieux valait qu’elle se préserve de la vérité : cette dernière était un peu trop difficile à accepter. Elle ne connaissait pas Anthea personnellement, et cette dernière ne lui avait pas particulièrement donné de raisons de l’apprécier. Elle avait sûrement beaucoup de qualités pour que Cissy veuille en faire sa meilleure amie, et que cette relation ait duré un temps… mais à l’instar de Zach, elle s’était comportée avec elle dans la plus grande prétention. Il y avait toutefois peu de chances que Naïa se laisse influencer, comme le disait si bien la Bleue & Bronze… La seule personne qui pourrait éventuellement dicter ses agissements était son frère jumeau. Peut-être avaient-elle un passé commun toutes les deux, mais peu importait la nature de leur relation actuelle, il ne fallait certainement pas douter du fait que c’était la soeur des Rosenberg qui menait la barque. Et c’était également pour cette raison que Tracy était consciente du danger que son amie représentait. Si elle tombait, ce serait Naïa qui l’achèverait.

« Oh ça, il y a peu de chance en effet. Je ne connais personne de vivant hormis Loki qui pourrait amener Naïa à agir contre notre intérêt commun. C’est fou que les autres Serdaigles continuent à s’imaginer qu’ils ont encore une chance… S’ils sont aussi amoureux des nés-moldus qu’ils n’aiment à le faire croire, ils n’ont qu’à déménager pour vivre avec eux. On aura plus de place. » déclara Tracy qui venait de terminer l’une de ses broderies.

Malgré la rudesse des propos qu’elles échangeaient, elle devait bien reconnaître que cet échange était tout de même relativement agréable. Si elle surveillait constamment ses mots et leur poids dans la conversation, il n’aurait plus manqué qu’elle soit une réelle sang pur pour que tout devienne réel. « Pour ce qui est de la soirée, elle m’a grave déçue. Je ne la pensais pas comme ça, d’ailleurs… j’ai cru voir que tu étais un peu bizarre quand Anthea a débarqué comme ça, à côté de Milo et de Rioghmachin ‒ je retiens jamais son nom. Comment ça se fait ? » Néanmoins, l’affirmation qui venait de tomber fit courber l’échine de Tracy. Mince… C’était si visible que ça ? C’était un problème, elle aurait largement préféré que personne ne remarque. Oui, elle s’était montrée un peu bizarre… elle avait invité le Poufsouffle pour profiter de sa compagnie, et non pour assister à une séance publique d’échange de salive entre lui et la première poule venue.

« Je sais pas comment expliquer ça… Enfin en ce qui concerne Dan. Je crois qu’il me plaisait. Enfin un peu. Et avant toute cette histoire de délation et qu’il ne rejoigne la résistance avec les autres héros du dimanche. » répondit-elle évasivement en se rendant plus concentrée que jamais sur son travail de couture, de manière à ne laisser transparaître aucune émotion.

Tracy regrettait quelque peu qu’elle et Narcissa ne soient pas de simples amies comme il en existait bon nombre à Poudlard. Ce genre d’amitié qui reposait uniquement sur le plaisir de se côtoyer l’une l’autre, sur des sorties récurrentes le temps d’un après-midi à Honeydukes, ou à passer du temps au salon de thé pour échanger à propos des derniers commérages en date ou sur les nouvelles tendances. Cette image d’elles deux, assises à une table rustique, deux remplies de chocolat chaud au parfum de réconfort, s’affichait parfois dans sa tête lorsqu’elles déblatéraient à propos des sangs de bourbes et de leur condition soit disant trop bonne pour ceux qu’ils représentaient. Et s’ils n’y avait pas eu de pseudo hiérarchie ? Si rien ne les contraignait à se comporter comme des pestes, leurs conversations ne se limiteraient qu’à se montrer leurs croquis personnalisés, donner leurs avis respectifs sur les nouvelles sorties en vitrines… Tracy avait même souvent eu envie de lui demander de l’accompagner lorsqu’elle se rendrait à Gaichiffon pour demander un stage, ou du moins pour proposer certaines de leurs créations à la vendeuse, qui pourrait tout au moins leur donner un avis qui les ferait progresser. Elles avaient la chance d’être liées par la même passion, c’était trop dommage de la laisser se flétrir au profit d’idées reçues… Mais après tout, c’était ces mêmes idées qui les avaient rapprochées, et qui les tenaient encore unies aujourd’hui : alors le choix était fait… Elle avait eu le loisir de voir avec quelle rapidité elle avait exclu Zach, Anthea et les autres de son existence, et refusait obstinément le même sort. « Sûrement. Et encore, je suis sûre qu’il en faut beaucoup pour changer Naïa. On a pas de souci à se faire pour notre amie, je pense. C’est clair que je ne vois pas ce que foutent encore ces Serdaigle dans notre dortoir. Ils disent compatir avec les sang-de-bourbe et les plaindre mais ils restent bien lotis dans leurs draps. Quelle bande de nazes. » Se redressant sur la table sur laquelle elle était assise, jambes croisées, l’échine de Tracy se courba. Elle ignorait d’où lui venait la force de supporter ce pénible discours, et pire, de s’y être faite, mais en choisissant l’option contraire, c’était le risque de se passer d’un soutien qui lui était primordial. Les mots étaient durs, mais c’était le prix pour continuer à entretenir cette amitié, et heureusement, la raison agissait à la place des émotions plus primaires. Elle s’était à la fois très bien entourée, et à la fois… très dangereusement. Si elles devaient apprendre un jour à son sujet, Narcissa et Naïa n’hésiteraient pas une seconde avant de la massacrer, mais en attendant, elles demeuraient l’option la plus sécuritaire. Tant pis si cela impliquait de passer des minutes entières à se plaindre de leur condition soit-disant désagréable, consistant à devoir cohabiter avec des sangs-mêlés, alors qu’au final leur sort était tout de même des plus appréciables comparé à ceux qui en patissaient plus sévèrement dans les cachots.

« C’est vraiment pas juste que ce soit à nous d’être la minorité en haut. Qui s’est fait au règlement sans histoire entre eux et nous ? Ils attirent au contraire plus d’ennuis à leurs amis que nous. » se plaignit-elle en grimaçant.

Suite à une erreur de manipulation, elle venait de se rentrer une aiguille dans le doigt. Ce n’était pas si douloureux, mais elle porta aussitôt le bout de son index à la bouche pour en suçoter l’extrémité un peu saignante. Cela arrivait lorsqu’elle s’emballait un peu… Même si la conversation allait bon train, et les confortait l’une et l’autre dans leurs idées respectives, elle ne devait pas pour autant relâcher son attention, aussi elle planta directement l’aiguille dans l’ouvrage pour le poursuivre. Elle avait bientôt fini le lierre, et allait bientôt s’attaquer au dragon qui devait terrasser un lion. Entre temps, elle jeta un regard au cardigan de Narcissa qui avançait lui aussi à bon rythme, et qu’elle serait ravie de porter un jour si l’occasion se présentait. Mais à la place, la discussion s’orientait sur Dan, qui était pour l’heure un sujet aussi sensible qu’épineux, à commencer par la complexité de la requête qu’il lui avait formulée par lettre. « Je vois. Je suis navrée qu’il t’ait déçue, ça arrive ce genre de choses. Mais ce que je ne comprends pas, c’est la raison pour laquelle il a monté toute cette histoire pour cette mioche de onze ou douze ans. Elle a quoi de spéciale à ses yeux ? Il la déteste ? » Pour le coup, elle ne savait pas si elle était la mieux placée pour lui répondre… Elle avait eu droit à quelques explications un peu globales, sur le comment du pourquoi. C’était plus ou moins la même chose qu’elle… Il avait voulu rejoindre le côté des plus forts, mais il s’était rétracté en cours de route. Et il l’invitait justement à en faire de même, ce qui posait tout de même chez elle certaines interrogations, ainsi qu’une crainte de l’avenir d’autant plus certaine…

« J’en sais rien, il devait simplement la considérer comme une stupide petite sang de bourbe qui n’avait rien à faire d’un vif d’or dans ses affaires. Mais depuis qu’il traîne avec ce Poufsouffle qui lui met des idées tout droit issues de la résistance en tête, j’imagine que ça l’a influencé… » mentit-elle en gardant le visage grave, et concentré sur son affaire. Elle risquait de mettre Dan en danger si elle s’étendait davantage, alors mieux valait ne pas trop en dire pour l’heure, et aviser ensuite, en fonction de la situation, lorsqu’elle en saurait davantage.

« Honnêtement, je préfère vivre dans une minorité de qualité plutôt que de me fondre dans une masse d’abrutis, tu ne crois pas ? Ils regretteront tous leurs actes. »

C’était… un point de vue. Certes, plutôt déplaisant, et auquel elle ne pouvait se faire malheureusement, même si elle laissait aisément sous-entendre le contraire. Il avait fallu qu’elle apprenne à dissocier complètement ses idées de son rôle, et malheureusement, c’était son rôle qui primait sur le reste. Tout comme elle avait enterré Amelia il y avait des années maintenant, en la remplaçant par Tracy. Si elle avait eu un peu de mal à se faire à ce changement dans les premiers temps, elle s’y était désormais accoutumée, même si ce n’était pas dans le plus grand des plaisirs. Ses premiers pas dans un monde où le sang régissait la réussite sociale et les affinités, ainsi que le droit à la connaissance n’était guère aisé, et elle avait été bien hésitante, mais désormais le travail avait été fourni pour qu’elle devienne aussi déterminée que pouvaient l’être Narcissa ou Naïa. Alors bien sûr, d’un point de vue extérieur, elle pouvait paraître horrible, aussi bien que ses deux amies étaient dures comme le marbre… Et cela impliquait de laisser quelques personnes en chemin, notamment Rhea, peut-être même Allen s’il continuait obstinément à vouloir insérer la cause des nés-moldus dans toutes leurs conversations… Il ne fallait pas se fourvoyer, Tracy adorait le jeune homme, et il avait mis une grande patience à son service pour lui enseigner le vol avec plus de délicatesse que n’importe quel enseignant n’avait pu le faire jusqu’ici, mais il s’aventurait dans une pente trop dangereuse avec elle… Malheureusement, il ne semblait pas s’en rendre compte, malgré ses nombreux avertissements et mises en garde. Tout comme Elijah, il semblait équipé d’un sens de la justice suraigu qui le poussait à agir déraisonnablement, sur le coup de l’impulsion. L’idée d’une « élite » comme le sous-entendait Narcissa avait quelque chose d’un peu effrayant, mais c’était déjà un peu le cas à l’école avec la hiérarchisation mise en place… « Non, tu as parfaitement raison, nous au moins on sait se tenir déjà ! Ça doit être un problème d’éducation au fond… En fait, ça se voit directement, chez qui on trouve des ancêtres d’une lignée respectable, et chez qui… ils sont absents. » En fait, ça ne devait pas tant se voir que ça puisque jusqu’ici, personne ne s’était rendu compte qu’elle n’en avait pas parmi ses propres ancêtres. Les seuls parents sorciers qui se rapprochaient plus ou moins de sa famille actuelle, c’était sa belle-mère et ses enfants, ce qui faisait tout de même assez peu comme bilan… Mais il était justement préférable que nul ne sache, et qu’ils se cantonnent à écouter ses élucubrations mensongères.

« Le Poufsouffle en question, ce n’est pas Milo de Baskerville ? Il est dans ma classe et même si je n’aime pas les gens en général, je ne suis pas aveugle. Je les vois parfois ensemble, comme deux bons amis. »

Son amie soulevait là un point intéressant… Ainsi, ils étaient donc bien amis ? Dan lui avait soutenu que non, qu’ils n’étaient même pas proches, mais en même temps, la version de la Serdaigle concordait mieux avec ce que Tracy avait eu le loisir d’observer jusqu’à maintenant : après tout, le Poufsouffle l’avait agressée lors de la rébellion de peur qu’elle ne s’en prenne à Milo, d’après ses propres aveux, et c’était à son bras qu’il s’était rendu à la soirée qu’elles avaient organisée ensemble… Il avait beau le nier, il existait indubitablement un lien entre eux, et elle peinait un peu à comprendre lequel, qu’est-ce qui était si fort entre eux pour que Dan se sente investi de la mission divine de devoir prendre soin de lui et veiller constamment sur son camarade, alors qu’il prétendait qu’ils n’étaient même pas amis… C’était un comportement un peu étrange, mais même avec elle il agissait assez bizarrement, devait-elle reconnaître. Alors quant à savoir à quoi s’en tenir avec lui, elle était encore loin du compte, même s’il avait tenté de lui apporter des précisions dans cette très longue lettre qui en disait beaucoup trop, et qui la travaillait encore à l’heure actuelle vis à vis de sa conscience… « Si, c’est lui. Il est souvent impliqué dans des affaires de résistance, j’ai l’impression. T’as pas remarqué le « Traître » sur le dos de sa main ? Ce genre de trucs, c’est pas pour rien généralement. Alors non, je ne sais pas à quoi il jouait en traînant avec lui. » Elle avait bien compris le sous-entendu… SelonCissy, Dan dissimulait quelque chose, et appartenait à l’autre camp, ce qui rendait son acte plus incompréhensible encore. Même elle avait du mal à distinguer le vrai du faux dans cette affaire, et pourtant, ce n’était pas faute d’y mettre de la bonne volonté… Elle reporta donc son attention sur leurs ouvrages respectifs avant de s’extasier devant le rendu temporaire de son amie, qui brandissait son vêtement devant elle pour observer le résultat. « Il est trop beau ! Porte-le pour voir ? » suggéra-t-elle, curieuse de voir ce que ça donnerait sur son amie. Elle avait également hâte de voir ce que donnerait le résultat avec le sortilège qu’elle avait évoqué en début de conversation, concernant les flocons de neige.

« Tu m’étonnes. Mais bon, même chez les lignées respectables, il y a des éléments qui se perdent en cours de route. Vois-tu, j’aime beaucoup Elijah mais il n’a pas choisi la bonne voie. C’est regrettable. J’espère que ce n’est pas irréversible et qu’on pourra le convaincre. » Comment répondre d’une autre manière que par l’affirmative ? L’éthique de leur dialogue était fortement douteuse… Mais il était bien trop tard pour revenir en arrière. Et Tracy ne préférait même pas imaginer ce qu’il en aurait été si Cissy avait du apprendre la vérité à son sujet. Elle ne se tiendrait même pas devant elle en ce moment, et prendrait sans doute la tangente dans le couloir avant de l’insulter de tous les noms, et se demander comment elle avait pu devenir amie avec une fille aux origines aussi souillées… C’était quelque chose qu’elle gardait toujours à l’esprit : elle pouvait tout perdre, du jour au lendemain. Tout était prétexte à ce que la déchéance la fasse chuter de son piédestal. Et elle l’aurait bien mérité… nombreux seraient les nés-moldus à se réjouir de son sort après le comportement qu’elle avait pu avoir avec eux, Niamh notamment. Puis Fursy qu’elle avait abandonné en cours de route, à cause de ses origines sanguines… Elijah était peut-être le seul qui avait gardé un tant soit peu d’intégrité en demeurant fidèle à ses valeurs. Mais lui, il ne risquait pas de finir aux cachots au moindre faux pas, il était réellement un sorcier ! « C’est navrant en effet, et pourtant je tente désespérément de le ramener sur le chemin de la raison… ! Mais être sorti avec des sangs de bourbes n’arrange rien, elles ont sûrement du l’influencer. » Or, elle savait parfaitement qu’il n’y avait pas eu d’influence extérieure, ou Octavia qui avait soufflé des idées noires… C’était simplement que le jeune homme restait entier, et malheureusement, cela impliquait qu’il s’engage dans des combats qui le dépassaient. Il s’agissait là d’idéaux bien louables, mais qui malheureusement perdraient tôt ou tard la bataille, Tracy le savait pertinemment. Ceux qui composaient la résistance ne pouvaient pas gagner, c’était un fait avéré, et la seule option qu’elle avait pour tenter de limiter les dégâts était de tenter de prévenir ceux qui s’y aventuraient du danger qu’ils courraient.

«J’ai vu le tatouage, en effet, mais… Milo de Baskerville, le résistant… Excuse-moi mais ça me fait tellement rire ! C’est un froussard de première classe. Si je lui mettais une mouche sous le nez pendant son sommeil, il s’enfuirait de son lit en hurlant. Tu m’étonnes que les rébellions soient un désastre si l’autre camp possède un tel mec pour la logistique. » Tracy ne manqua pas d’étouffer un rire à son tour. Elle ne connaissait pas si bien que ça le préfet de Poufsouffle, il se comportait toujours de manière un peu bizarre avec elle, en la toisant d’un drôle d’air… Et elle comprenait pourquoi, leurs divergences d’opinions étaient bien plus qu’évidentes. Il ne devait certainement pas apprécier que des filles comme elles se permettent de se moquer du sort des nés-moldus… mais au point où elle en était, elle préférait s’en contreficher. Si elle commençait par être atteinte par chaque élève qui se permettait de la juger, elle ne s’en sortirait certainement pas, alors mieux valait s’imperméabiliser au regard des autres, et seulement se préoccuper de celui des amies qui lui restaient encore. Même Rhea avait décidé de quitter le navire, et même si ça la rendait atrocement contrariée, elle devait s’y faire. Sinon, elle était bien partie pour s’embourber dans les ennuis jusqu’au cou… « C’est pas peu dire. Quelle bande de losers… Quand je pense qu’ils ont osé s’en prendra à nous dans la Grande Salle. » pouffa-t-elle en se remémorant le sinistre épisode de la rébellion. Elle avait notamment très mal pris que Dan ne se permette de l’agresser même s’il avait tenté de lui en expliquer les raisons, et elle se souvenait que d’autres élèves avaient eu l’audace de s’attaquer à Narcissa après qu’elle ait été pétrifiée. Peut-être que la cause était juste, mais ils s’y prenaient atrocement mal ! Elles étaient toujours des élèves, mais pas des mangemorts, et représentaient un risque bien moins important.

En attendant, Narcissa s’était levée pour lui montrer son ouvrage final, et Tracy avait bien hâte de découvrir le résultat. Elle réalisé un tour sur elle-même, et se tourna vers elle pour lui demander son impression : « Alors ? ». Il n’y avait pas à dire, c’était effectivement du très beau travail ! Et elle n’était pas peu fière de partager cette passion avec la Bleue & Bronze qui se révélait comme toujours très talentueuse, en plus d’être suffisamment gracieuse pour porter le vêtement à la perfection? Elle aussi avait follement envie de l’essayer, mais était suffisamment réaliste pour savoir que ça ne conviendrait probablement pas, sa silhouette était loin d’être aussi harmonieuse… « Alors t’es superbe. Je le resserrerais juste un tout petit peu au niveau de la taille pour qu’il soit parfaitement ajusté. Il faudra que la gérante de Gaichiffon voit ça, on le lui montrera si on peut retourner à l’extérieur. » Et elle ne le disait pas seulement pour lui faire plaisir, c’était sincère. Comme quoi, si l’on en oubliait les conflits du sang et les diverses polémiques qui animaient Poudlard, elles auraient réellement pu partager une belle et vraie amitié, honnête et basée sur les simples points communs qui les ralliaient…

‒ « J’espère que tu y arriveras, alors. Je n’aime pas le savoir près de ces personnes infréquentables… » Elle l’approuva d’un signe de tête : effectivement, elle pensait bel et bien la même chose, mais pour des raisons différentes. Ce n’était certainement pas raisonnable de la part de son demi-frère de côtoyer d’aussi près des nés-moldus. Non seulement parce que le règlement stipulait très bien que c’était formellement interdit, qu’ils allaient au delà d’ennuis certains, mais également parce que c’était une mauvaise chose pour elle. S’afficher publiquement en compagnie de Niamh donnait l’air d’être insignifiant, mais ça ne l’était clairement pas. Si leur lien familial finissait par être dévoilé, Tracy ne donnait pas longtemps aux mangemorts pour s’intéresser à son cas. Heureusement, sa cousine semblait l’avoir mieux compris que lui, et elle pouvait l’en remercier. Elle ne s’était pas montrée très correcte vis à vis de la Poufsouffle, c’était chose certaine, et elle doutait que cette dernière ne lui pardonne un jour. Se le pardonnerait-elle elle-même ? Pour s’assurer de l’amitié de Naïa et Narcissa, elle avait fait et dit des choses dont elle n’était pas très fière, à des personnes dans la même situation qu’elle, et qui ne méritaient pas tant de hargne. Elles avaient suffisamment de problèmes comme ça… Mais c’était la crainte d’être découverte qui la gouvernait désormais, et qui faisait taire ses scrupules. Si elle s’était montrée plus humaine, la situation serait-elle différente… ? Sans doute pas… Leurs dossiers étaient sans doute méticuleusement étudiés, et en s’affichant à côté des personnes les plus loyales au système actuel, elle gagnait des points aisément. C’était pourtant la couverture parfaite, jouer les pro sangs-purs, accorder de l’importance à la hiérarchisation de l’individu… Si bien qu’elle-même ne s’y reconnaissait plus.

« D'accord, je vais faire ça. Merci de ton avis et c’est bien ce que je comptais faire lorsque nous pourrons nous rendre à Pré-Au-Lard. Mmh, et toi, tu as bientôt fini ? Je dois avouer que j’en pensais pas moins que toi au sujet de ton écharpe. La tapisserie médiévale est très tendance, surtout si on se fie aux créations récentes des plus grands couturiers sorciers ! » Elle apprécia le compliment de la part de la Serdaigle : si elle reconnaissait des influences, et que son travail était en accord avec les tendances actuelles, elle pouvait effectivement s’en réjouir, d’autant plus qu’elle savait cette dernière de très bon goût. Pourquoi s’obstinait-elle donc à persister dans ces préjugés douteux… ? Elle avait pu recevoir l’enseignement du professeur Breckenridge, et se rendre compte de ses propres yeux qu’il n’avait rien d’un pro sang-pur. Alors pourquoi Cissy, si ce n’était pas lié à l’éducation ? Elle l’avait toujours connue relativement hautaine, mais la vérité à propos de ses convictions n’avait éclaté qu’au moment de la prise du château. Après tout, elle était l’amie de Zach, d’Anthea et d’Aimie auparavant… Comment avait-elle pu camoufler d’aussi noires idées pendant aussi longtemps, sans que personne ne se doute de rien… ? Enfin, après tout, elle faisait bien la même chose de son côté, et dans l’autre sen. Quatre ans s’étaient écoulés, au cours desquels personne ne s’était interrogé à son sujet, ni élève ni mangemort, et Candice, Elijah et Niamh étaient parvenus à tenir parole. Il fallait espérer que ça continuerait, se disait-elle alors que Narcissa contemplait son travail. Il allait de soi qu’elles ne seraient sûrement plus jamais amies si cette dernière venait à apprendre, trop fidèle aux valeurs qui l’animaient pour s’y dérober. C’était parce qu’elle était soit disant de sang-pur qu’elle voulait bien l’approcher, et la donne changerait sans doute du tout au tout si elle n’avait jamais prétendu être ce qu’elle était.

« Merci, ça fait plaisir. » répondit-elle avec sincérité. « Ça sera parfait pour la fin de l’hiver. Au vu du sort qu’on nous réserve, on ne sera sûrement pas dehors très souvent, mais j’ai tout de même la sensation qu’il sera très froid. Même en intérieur. »

Tout comme l’atmosphère qui régnait dans les étages actuellement, dans les regards que s’échangeaient désormais les élèves qui ne savaient plus exactement à quel saint se vouer, ou qui espéraient simplement échapper à une sanction mémorable, ou alors qui, tout simplement, refusaient finalement d’accorder leur confiance sans certitude… La fin de l’hiver allait être pénible, avec Rhea qui avait dressé un mur entre elles, et avec l’impression qu’elle était plus seule qu’elle ne l’avait jamais été. « On devrait peut-être gagner la Grande Salle, histoire de s’assurer une bonne place à notre table pour le dîner. J’ai pas envie de me retrouver entre Thompson et Quincey, personnellement… et toi ? » lança-t-elle alors qu’elle rangeait ses affaires dans son nécessaire à couture, et pliait son écharpe presque entièrement achevée. Cette conversation lui avait assuré une bonne chose : mieux valait continuer de ne rien laisser paraître, elle avait trop à perdre dans cette histoire.