Nous sommes mardi soir, à vingt heures quinze, peu après le repas du soir. La salle commune se remplit déjà d’une armada de Serdaigle déjà voués au travail ou à la détente. Pour ma part, la rentrée semble plutôt bien se passer à l’exception du fait que l’on me posait déjà trente-six question au sujet de mon père qui venait d’être nommé professeur. Je n’ai jamais fait attention à ce qu’un enfant d’enseignant pouvait ressentir mais maintenant, je sais à quoi m’attendre. C’est assez lourd, entre les interrogations indiscrètes ou encore les soupçons de favoritisme nullement fondés. Cependant, mon snobisme naturel me permet de les ignorer, de les lorgner et de ne pas être atteinte par ces âneries. De toute façon, si les élèves de ma promotion sont suffisamment stupides pour penser que mon père ne me mettrait que des bonnes notes, ils se mettent clairement le doigt dans l’œil. D’une part, je n’ai besoin de personne pour obtenir une série d’Optimal et d’une autre part, mon père n’est sûrement pas le genre d’homme à octroyer ce type de faveurs. Il ne sait déjà pas s’occuper de moi lorsque l’on est en famille alors ce n’est pas en cours qu’il le ferait. Quoi qu’il en soit, je lui laisse deux semaines maximum pour me venir me voir et me prouver qu’il n’a pas brisé sa promesse ; celle de pouvoir gérer autant sa vie personnelle que professionnelle. Il est temps pour lui de me montrer qu’il est bel et bien un père.

Tout en y réfléchissant, je suis en train de lancer des sortilèges de couture à mes affaires pour qu’ils se mettent à tisser le début d’une nouvelle robe dont j’ai dessiné le croquis il y a peu. Les aiguilles bougent toutes seules, automatiques et sûres de leur mouvement. De mon côté, je saisis un ciseau et je découpe de la dentelle qui servirait à faire des froufrous. Mon inspiration s’avère plutôt puissante ces temps-ci et je dois sûrement cette créativité accrue à la rentrée des classes. Hier soir, j’ai même terminé de confectionner deux ensembles se composant d’un joli haut et d’une jupe. Durant les vacances d’été, je me suis aussi donnée à cœur joie en créant quatre robes, deux pantalons moulants sur un style moldu, une veste assortie à l’une des robes et trois chapeaux. Pour finaliser l’exposition, j’ai simplement besoin d’une mannequin. Et justement, j’en ai une répondant au nom de Lily Potter. Munie d’un appareil photo magique et de mon book ‒ recueil de mon art ‒, je l’attends dans ma chambre, endroit où j’ai fixé le rendez-vous, hier matin. Elle m’a affirmée que l’horaire lui convenait alors je ne m’attends pas à un éventuel lapin.

Quinze minutes plus tard, la porte de mon dortoir s’ouvre et voilà que la frimousse de la jeune Potter me fait face. Je tire une grimace que je ne souhaite pas cacher, symbole de mon mécontentement vis-à-vis de la silhouette moins gracieuse qu’aborde ma camarade de classe. J’ignore ce qu’elle a, mais elle me paraît moins pétillante qu’à l’accoutumée. Samedi, je jure l’avoir vu porter des vêtements particulièrement immondes, semblables à ceux portés par les clochards. J’ai cru vomir, ce jour-là et j’ai manqué d’aller la voir pour la secouer un bon coup. Anthea m’a retenue et m’a vite ramenée vers autre chose. Cependant, je sais que ce soir, je ne la raterai pas. De plus, je devine pertinemment qu’elle n’a pas suivi le meilleur des régimes durant l’été.

Je me lève de mon lit, la dévisage de la tête aux pieds d’un air sévère. Je n’aime pas voir mon mannequin afficher une telle mine pitoyable, ce n’est absolument pas convenable et digne de la profession qu’elle exerce pour moi. Bon, je ne la paye pas mais cela finira par venir si mon stylisme prend une grande ampleur.
« Bonsoir, Lily, fis-je neutralement, avant de prendre un air plus sec. Bon sang, mais qu’est-ce qui t’arrive ?! C'était quoi ces vieilles fringues du samedi ? Coco Chanel se retournerait dans sa tombe. »
Je m’approche d’elle, en l’inspectant de plus près avec une mine stupéfaite. Son teint est plus pâle que d’habitude et j’ai l’impression que ses yeux sont bien trop fatigués. Sans oublier ses hanches…
« Tu as encore mangé n’importe quoi, à ce que je vois. Je t’ai dit de faire attention à ta ligne, ce n’est pas compliqué de manger de manière équilibrée. J’ai besoin d’un modèle au top de sa forme et non pas un légume totalement poisseux. »

Une véritable larve se tient devant moi. Son air boudeur va de pair avec sa mine déprimée et même ses salutations sont tristes. Cela change cruellement de l’habituelle Lily, celle qui m’insupporte et qui me donne envie de la fuir quand elle est à proximité. Elle n’a plus cette énergie qui la caractérise tant et je dois avouer que ce n’est vraiment pas joli. Pas présentable, du tout. Me voilà bien stupéfaite et quitte à choisir, je préfère qu’elle redevienne la fille extrêmement enquiquinante qu’elle est plutôt que cette boule de désespoir. Ce gros pull duveteux doit sûrement être une réplique de ceux que l’on vend au Moyen-Âge, ce n’est pas possible de manquer autant de goûts quand on s’appelle Princesse Lily Potter. Elle semble véritablement atteinte, ces derniers temps. Peut-être que tout le monde ne le trouverait pas si moche que cela mais, pour ma part, je suis tellement pointilleuse que je trouve ça inacceptable.

Je l’accable donc d’invectives visant à lui permettre de se rendre compte de ses bêtises. Je n’ai pas peur de lui dire ce que je pense, ni de la blesser. Elle tout comme une autre personne n’échappera jamais à ma franchise et mes commentaires acerbes. Après tout, je fais cela pour son bien. Son corps est très joli quand elle ne se goinfre pas et je dois donc veiller à ce qu’il soit entretenu. Elle n’imagine pas à quel point on peut devenir horrible en quelques semaines de mal nutrition ou autre. Elle se défend comme elle peut mais cela ne suffit pas.

Le pull de son frère. Qu’est-ce que j’en ai à faire, sérieusement qu’il appartienne à son frère ? Tout ce que je veux, c’est qu’elle fasse plus attention.

« Qu’est-ce que ça peut me faire ? Ton image, Lily ! Tu gâches ton potentiel. »

Je lui réponds avec un ton de reproches. Il est temps qu’elle se réveille dans sa petite tête. Ce pull est bien trop grand pour elle et il ne reflète en rien sa féminité. C’est affreux. Je m’approche d’elle comme pour contempler ce désastre pendant que je lui fais la morale sur son alimentation. Cela ne lui plait pas mais ça, c’est prévisible. Je me doute bien qu’elle ne va pas sourire et très franchement, je préfère qu’elle ne prenne pas cela à la rigolade. Elle semble sidérée par mes propos, sûrement que j’ai touché sa corde sensible et son ego la pousse à opter pour une posture de défense pour se défaire de mes accusations. Un rictus se créé au coin de mes lèvres même si je demeure agacée et épouvantée par son état. Elle nie la vérité et se justifie à travers un sport intensif qui lui aurait permis de ne pas prendre un seul gramme. Elle accuse ce fameux pull et en profite pour m’attaquer. Cela ne me plait pas non plus. Mon narcissisme s’irrite mais je ne me laisse pas abattre. J’ai entendu bien pire à mon sujet après toutes ces années et je dois dire que je suis devenue de plus en plus insensible aux critiques. Autrement dit, la petite Potter ne m’atteint pas. Sans oublier cette langue qu’elle me tire et qui n’a strictement rien de glamour…

N’importe quoi, celle-là…

« Le sport ne fait pas tout. Je fais de l’escrime, je te signale, et sans une bonne alimentation, se dépenser n’a aucune utilité. Tu serais plus crédible à avouer que tu t’es au moins goinfrée durant une certaine période. » Tranché-je avec fermeté tandis qu’elle retire ce fameux vêtement.

J’accorde un dernier regard dédaigneux au pull avant de passer à autre chose. J’observe le corps de Lily et la jauge rapidement. Bon, je pense que malgré les petites formes de ses hanches, cela devrait passer. Elle n’est pas non plus énorme et je pense qu’une personne normale ne verrait aucune différence entre l’ancienne Lily et l’actuelle mais pour l’avoir souvent habillée, moi, je la vois cette petite différence. Elle m’obsède pas mal. Elle m’énerve. Toutefois, il est inutile de poursuivre sur la voie de la colère. Pour une fois, je me sens plutôt diplomate ; Anthea serait fière.

« Bon. J’ai préparé plusieurs robes et tenues pour les shootings de ce soir. Pour commencer, je voudrais que tu enfiles cette robe munie de sa ceinture, cette veste noire ainsi que ces chaussures. »

Je lui montre du doigt les affaires posées sur mon lit, parfaitement mis en valeur. J’ajoute :

« Dis-moi comment tu te sens à l’intérieur et ce que tu en penses. Ensuite, tu prendras des poses comme d’habitude et je ferai les clichés ! D’accord ? » Fais-je avec excitation et même un mince sourire.
C’est comme si j’ai plus ou moins tourné la page sur notre petit accrochage…

Ma Lily, voilà comment tu es ♥:

Hors-Jeu : Navrée du retard, vraiment. :/ Je suis impardonnable !

Je l’ai prise au dépourvue, cela se voit. Lily est un peu hébétée par mes propos assommants et je suis soulagée qu’elle ait ouvert les yeux. C’est vraiment important qu’elle prenne conscience que ses humeurs n’ont pas à interférer avec sa nutrition et le maintien de son corps. Chaque mauvais repas peut commencer à la nuire et, au final, cela nuira à ma productivité. Je n’aime pas cette idée de dépendre de sa capacité à prendre soin d’elle-même mais je n’ai pas le choix. Parmi toutes les beautés originales de Poudlard, Lily est celle qui me convient le mieux. C’est une fille passe-partout, capable d’arborer plusieurs styles différents sans que cela ne choque. De plus, elle semble très à l’aise pour la prise de photos et elle a une grâce naturelle sûrement acquise par son côté princesse. J’ai moi aussi cette grâce et cette beauté mais, malheureusement, je ne peux pas être mon propre mannequin.
Que la vérité la blesse ou non m’importe peu. J’obtiens ses aveux concernant son crime et cela me suffit. J’ai donc raison. Je soupire doucement à l’entente du mot « bonbons ».

Tu m’étonnes qu’elle ait perdu un peu de fermeté…

Je penche doucement la tête sur le côté droit et je l’observe, intriguée :

« C’est mal, les bonbons. Ce sont tes pires ennemis. Comment tu peux aimer ça ? »

Je dois bien avouer que je n’ai jamais aimé les bonbons ou autres friandises de ce genre. C’est trop sucré à mon goût et, parfois, c’est même dégueulasse. Non, vraiment, même toute petite, je n’en mangeais pas énormément. Aujourd’hui, je n’y touche plus depuis de longues années. Quand j’aperçois tous ces élèves de Poudlard en train d’astiquer ces sucreries créatrices de carries, cela me donne l’envie de vomir.

Le ton de la discussion finit par s’adoucir et nous voilà parties sur quelque chose de moins explosif et de plus sérieux. Je lui montre la tenue qu’elle doit enfiler et elle s’exécute avec enthousiasme, effaçant son air boudeur. Voilà qui est mieux et je me permets même un petit sourire lorsqu’elle commence à enlever ses vêtements. Je ne suis pas insensible à ses compliments, bien au contraire. Et elle a raison. Mon été a été très chargé à cause de cela.

« Merci. Pour tout te dire, quand je n’étudiais pas le programme de cette année, je passais mes journées et parfois mes nuits à dessiner des croquis et à les concrétiser. J’ai eu quelques déchets par pur perfectionnisme mais là, je suis plutôt satisfaite. » Dis-je avec optimisme et fierté.

J’attends qu’elle enfile la robe et le reste avant de me prononcer. En tout cas, je devine d’avance qu’elle sera tout à fait en harmonie avec cette tenue. La couleur se marie parfaitement avec ses cheveux et cela met tout son charme en avant. Les photographies seront certainement sublimes et je ne manquerai pas d’utiliser la magie pour les retoucher un peu, dans le but de rendre les couleurs encore plus vives. C’est la base de toute couturière sorcière ! Je me plais dans cette passion. C’est vraiment formidable et j’ai l’impression que chaque nouvelle création est un pas vers le monde professionnel. Je sais que je ne dois pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais je suis sûre d’être capable de révolutionner la mode, un jour. Tout cela n’est que le commencement…

Et si je peux entraîner Lily dans le succès, ce serait un bon bonus pour l’exploiter sur le long terme. Elle m’a l’air pas mal vénale et opportuniste, comme fille. Ce serait un bon programme.
Pendant qu’elle se trémousse pour vérifier que les pans de la robe retombent bien, je l’observe minutieusement. Elle ne cache pas ses émotions, énumérant toute une série de commentaires positifs qui ne font que booster mon orgueil et ma fierté. Pour une fois, je ne suis pas contre son comportement d’hystérique.

« Je le savais que tu allais aimer ! J’ai tout fait pour qu’elle soit adaptée à ton allure et les couleurs rendent vraiment bien. La robe est aussi parfaite que ton visage de jolie poupée, ma chère Lily. Mais attends un peu avant de te déclarer ‘princesse’. Je te montrerai quelque chose de fantastique, après. » Répliqué-je en lui adressant un clin d’œil complice.

C’est dingue de savoir que cette passion commune nous rapproche autant. Je ressens moins d’aversion à son égard dans ces moments-là. C’est étrange, d’autant plus que l’on préfère s’ignorer quand on se croise en cours ou dans les couloirs, habituellement. Tant qu’elle fait la publicité de mes créations dans les couloirs, cela me va tout à fait.

« Bon, il est l’heure pour toi de me montrer tes talents pour les poses classes. Go ! »

Un trépier soutient mon appareil photo sorcier. A la différence des moldus, les photos peuvent s’animer et c’est très utile pour suivre les différentes poses de Lily. Je me penche légèrement sur l’appareil et je la cible avec l’objectif. Puis j’enclenche un bouton au moment où la Serdaigle commence à jouer son rôle.

« Génial, celle-là ! Oui, exactement, tu es très bien comme ça… Tourne-toi un peu vers la gauche, s’il te plait. Ouais, parfait ! Et fais un tour sur toi-même… Voilà, comme ça. Excellent, ça va gérer, je le sens. »

Je commente en lui donnant une série d’instructions pour qu’elle sache ce que je souhaite obtenir comme résultats. Et cela marche plutôt bien. Lily prend cela au sérieux ‒ comme d’habitude ‒ et je me retrouve avec des clichés pas mal sexy. Je relève doucement la tête, lui souriant grandement avant de lever le pouce pour lui dire que tout s’est bien passé.

« C’est nickel. Maintenant, si tu veux vraiment devenir une princesse moderne, je te conseille d’ouvrir le dressing là-bas. »

Je lui montre le meuble en question, situé contre un mur et près de la fenêtre. Elle découvrira la robe suivante d’elle-même…

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