Allez, je peux le faire.

C’est ce que je me répète comme un mantra depuis que j’ai reçu la convocation à un interrogatoire. Un interrogatoire pour meurtre face aux aurors du ministère. Certes, je ne suis pas suspecte – du moins, je l’espère – mais cela ne rend pas les choses plus faciles.

Mon inexorable optimiste et ma capacité spéciale à ne pas penser me permettent de vivre hors de mon deuil, de babiller et de rire et de traîner Bagheera avec moi pour aller faire mes devoirs, mais il y a toujours un moment où je trouve ça drôle de ne pas avoir vu Sunny de la journée et où je la cherche des yeux parce que je suis presque à court de licornes en sucre et que j’espère qu’elle pourra m’en procurer. Puis je me souviens que Sunny est morte et je veux courir me blottir dans les bras d’Absolem, puis je me souviens que son meilleur ami est mort et je me retrouve dans une serre ou dans un placard ou dans n’importe endroit où personne ne pourra me trouver, la tête dans les genoux, à pleurer à m’en liquéfier les yeux. Je finis avec un cœur ankylosé et une tristesse si persistante qu’elle me poursuit dans mes rêves.

C’est douloureux.

Et maintenant c’est une convocation qui me rappelle à la mort de Sunny et d’Asling, et de Marlow Berkeley, et tout autant que je meurs d’envie de me calfeutrer dans la première salle vide à ma portée pour y verser les larmes que je peine à ravaler, je ne peux pas. Parce que je suis attendue. Parce que, peut-être, je peux aider.

Je peux le faire, j'essaie de me convaincre.

Honnêtement, je ne suis pas sûre que je puisse être d’une quelconque aide aux enquêteurs. La seule chose dont j’ai l’impression de me souvenir, c’est la peur viscérale qui m’a prise aux tripes lorsque j’ai été incapable d’aider Daniela. Et le soulagement, les embrassades et la bonne humeur qui a suivit. Mais ils savent sans doute ce qui est utile à leurs investigations mieux que moi ; malgré mon amour pour les bons policiers, je ne suis toujours qu’une petite fille.

Je peux le faire, je me dis une dernière fois en prenant place face à l’auror-en-chef-dont-je-n’ai-pas-retenu-le-nom.

Max, Daniela et Lucas sont là, et je me sens mieux d’en être consciente. C’est toujours moins dur à plusieurs, comme j’essaie désespérément et avec plus ou moins de succès de le faire rentrer dans la tête de mon frère depuis des années.

Mon ami par le destin prend le premier tour. Tout en me triturant les doigts, je tente de me remémorer les événements comme il les raconte. Je ne sais pas si c’est le recul ou sa voix, mais c’est la première fois depuis la tragédie que j’arrive effectivement à quelque chose avec cet exercice. Je me souviens de mon enthousiasme partagé par tous sauf Lucas et sa rage de dents – j’espère qu’il va mieux -, de Daniela qui m’est rentrée dedans, de nos rires, de la fluctuation dans la force, de ma panique, d’un premier faux soulagement, de ma panique encore, de l’acte altruiste de ma camarade, de ma panique encore, de Lucas sauvant Daniela, d’un deuxième soulagement pas beaucoup plus long, de Max qui a disparu, et la soirée, d’abord fébrile puis lourde et enfin éreintée dans les bras de mon frère.

J’apprends que mon ami a vu un cadavre – celui d’Asling – et a subi une perte temporaire de mémoire et mon cœur se serre pour lui. Je me mordille la lèvre. Pourquoi est-ce que je n’ai pas essayé de discuter des événements avec lui, ou avec Daniela, ou avec Lucas ? je me demande face à une enclume de culpabilité dans mon estomac. Je sais pourquoi, pourtant. C’est qu’un désordre émotionnel tel que je le suis depuis l’événement n’est une aide pour personne, tout au plus un fardeau et je ne veux pas faire peser ce fardeau sur quiconque.

Je suis un rayon de soleil, pas un jour de pluie.

« … d'aller de l'avant tout en acceptant ce qu'il s'est passé, raconte Max, tendu. Je dois faire face à des craintes que je n'avais pas avant et venir ressasser tout cela ne m'aide pas du tout. Je ne vous remercie pas. »

Et moi je ne réfléchis plus, je glisse ma main dans la sienne – merci Viviane, nous sommes côte à côte et je n’ai pas besoin de répandre le désordre pour ce faire – et serre gentiment. Parce que ça, au moins, je peux le faire.

Je suis incapable de parler de Sunny et d’Asling sans fondre en larmes, je suis même incapable de lancer une sort de répulsion réussi, mais offrir mon confort silencieux, ça j’y arrive. Même une petite fille peut soutenir ses amis.

Et j’en ai fichtrement envie. Furieusement envie.

« Je ne me souviens pas de grand-chose de plus, j’enchaîne en donnant toute l’énergie qui n’est pas dirigée vers Max à rester neutre. Sauf que les bulles n’étaient pas percées – ma bulle à tout le moins. J’ai cherché un trou, j’ai même retourné ma bulle, mais on aurait dit que le plastique était perméable. »

Je me mordille la lèvre, cherchant un autre élément. Quelque chose qui puisse avoir de l’importance. Manquer un sort de répulsion n’est pas pertinent, j’insiste mentalement. Puis un détail me saute brusquement à la mémoire et je fronce les sourcils.

« Je me souviens aussi qu’il n’y avait aucun adulte. Jamais. Enfin, je ne me souviens pas en avoir aperçu un après que nous ayons été répartis en groupe. Nous avons tout fait par nous-mêmes. Nous n’étions pas discrets pourtant, nous nous sommes débattus, nous avons crié, mais personne n’est venu. »

Daniela a failli mourir et personne n’est venu, vient sur mes lèvres. Mais je le mords pour qu’il retourne à l’intérieur. Même si c’est vrai, ce n’est qu’une accusation et une accusation ne fera aucun bien. A la place, je propose :

« Ce sont les surveillants et les forains que vous devriez interroger. Eux ont surement plus d’indices sur ce qui s’est passé. Moi, j’ai juste eu peur, et ai réagit aux événements. Honnêtement, j’-j’étais plus perdue qu’autre chose. »

Je me tais, parce que j’arrive à un point où je ne pourrais plus empêcher ma voix de trembler. Tout le long j’ai réussi, fixant un point derrière l’épaule de l’auror, mais les faits commencent à se muer en émotions et il faut que je m’arrête si je ne veux pas déborder. Je ne peux m’empêcher de penser que, pour une fois, Lisbeth serait fière de ma maîtrise de moi. Et pour une fois, penser que ma sœur m’approuverait me réchauffe.

Alors, plutôt que de la décevoir en déblatérant soudain tout ce que j’ai sur le cœur, je cligne des yeux pour en chasser l'humidité et je remets quelques mèches rebelles derrière mes oreilles de ma main libre, juste pour faire quelque chose. De mon autre main, je m’agrippe à Max.

Daniela était là. Avec ses camarades.
Elle n'avait pas l'air bien du tout, mais elle était là.

Plusieurs jours étaient passés depuis la sortie à la fête foraine. C'était encore tôt pour avoir eu l'occasion de mettre en place toutes ses idées embrouillées, sa tristesse, sa colère et son incompréhension. Mais elle était là.
Elle avait beaucoup pleuré les premiers jours en pensant à son amie Sunny qu'elle ne reverrait plus. Maintenant, elle avait séché ses larmes. Mais si Danni réagissait toujours plutôt courageusement sur le moment d'un évènement particulier, qu'il soit triste ou dangereux... le plus difficile restait "l'après".

Le contrecoup était particulièrement terrible en ce qui la concernait, ce qui faisait qu'elle était dans un bien plus mauvais état aujourd'hui que le jour même de la sortie. Elle ne comptait plus le nombre de réveils en sursaut qui coupaient ses nuits alors qu'elle s'imaginait ne plus pouvoir respirer parce qu'elle était sous l'eau et dans l'incapacité de pouvoir remonter à la surface. Tout comme elle ne parvenait pas à à manger une dragée surprise sans penser à son amie avec qui elle adorait partager ces friandises. L'appétit l'avait lâchée si bien qu'elle avait encore perdu du poids... déjà qu'elle n'était pas bien épaisse à la base. Mais elle avait la constante impression d'être sur un rafiot balloté par les flots, lui donner un mal de mer perpétuel.

Mais elle était là. Pour Sunny, Marlow et Asling. Elle savait qu'elle devait aider les Aurors du mieux qu'elle pouvait. Si par bonheur elle pouvait raconter ne serait-ce qu'un détail insignifiant qui pourrait les aider... alors elle aurait fait son devoir.

Assise à côté de Max qui lui-même était à côté de Catherine, Danni regardait droit devant elle. Sa respiration était profonde car elle se concentrait pour calmer les nausées qui l'accompagnaient depuis plusieurs jours. Son teint était livide et son front était en sueur, mais elle tenait bon. L'Auror se voulait plutôt rassurant et ne les brusqua pas, les encourageant à parler. Max prit la parole le premier, expliquant en détail ce qui était arrivé et concluant par un reproche dirigé vers l'Auror. Catherine suivit, ajoutant quelques détails.

"Mes camarades ont à peu près tout dit..." articula Danni tout en continuant de fixer le mur en face d'elle pour s'assurer qu'il ne tanguait pas.

"J'ai cru que ma bulle avait un défaut au niveau de la fermeture quand l'eau a commencé à entrer. Mais la fermeture était coincée, impossible de la rouvrir pour sortir, c'est comme si c'était... un piège. Alors je me suis concentrée pour réparer l'endroit d'où venait la fuite. C'est là que je me suis aperçue qu'il n'y avait pas que ma bulle qui était détraquée. Mais quand on a réussi à sortir, des strangulots nous ont attaqué, Max et moi... nous empêchant de remonter à la surface pour respirer. J'ai essayé de me libérer d'abord mais j'avais une créature à chaque cheville... quand j'en visais une de ma baguette, l'autre essayait de me la prendre. Alors à la place, j'ai décidé de diriger mon sort sur le strangulot de Max pour le libérer. Heureusement, mon sort à fonctionné mais je n'ai plus pu retenir ma respiration. Catherine est venue à mon secours, puis Lucas m'a ramenée à la surface et Max nous a aidé toutes les deux à rejoindre le bord." expliqua-t-elle en reprenant sa respiration tout en essuyant son front du revers de sa main. Reparler de tout ça lui donnait de nouveau envie de vomir.

"Quand nous sommes revenus au centre de la fête foraine, nous avons compris que notre attraction n'avait pas été la seule à être sabotée. J'ai entendu des cris de panique et... et nous avons été séparés. Quand je suis partie à la recherche de Max, j'ai fini par le trouver près d'une autre attraction... Il était au sol... j'ai cru qu'il était mort. On ne m'a pas laissé l'approcher. Les adultes qu'on n'avait pas revu jusque là essayaient de canaliser tout le monde et on m'a forcée à retourner au château. J'ai retrouvé Max que plus tard à l'infirmerie... heureusement il allait bien, je suis restée auprès de lui pendant tout ce temps avant qu'on vienne me poser des questions..." expliqua-t-elle.

Danni inspira longuement tout en clignant des yeux.

"Sans l'aide de mes camarades, je serai morte. Trois élèves n'ont pas eu cette chance. Vous DEVEZ retrouver les monstres qui ont fait ça, monsieur... Vous le devez..." conclut-elle en passant une main sur son visage blême.

La boule dans ma gorge est physiquement douloureuse. C’est la même que celle qui me prend quand je pense à la mère d’Absolem, celle sur laquelle je refuse de m’attarder mais que je sais tout de même mêler culpabilité, impuissance et désillusion. Et la peine bien sûr. Une peine langoureuse.

Daniela prend ma suite, raconte la manière dont elle a failli mourir. Je détourne mon regard du mur pour le fixer sur elle et constater qu’elle n’a pas l’air en meilleure forme que Max et moi. Comment le pourrait-elle ? je songe. Elle a vu la mort en face. Je me mords la lèvre. Tout autant que j’aspire à être une héroïne étant capable d’apporter le bonheur à tout le monde, je ne le suis pas – pas encore, je me promets – et je n’ai aucun pouvoir sur les démons de ma camarade. A tout le moins, je remarque que Max lui a pris la main, et j’imagine avec ma naïveté intrinsèque que nous formons une sorte de chaîne de soutien, et qu’une force mystique coule dans nos doigts noués.

C’est stupide, mais je ne suis qu’une petite fille et ça m’aide.

Doucement, la boule dans ma gorge décroît.

Finalement, c’est au tour de Lucas de prendre la parole et j’ai la réponse à mon inquiétude : il ne semble pas du tout aller mieux. Peut-être sa rage de dent s’est-elle infectée ? J’essaie de voir s’il a dû se faire arracher une dent tandis qu’il laisse sortir son fiel. C’est mieux dehors que dedans, je tempère, mais cela ne fait que peu pour atténuer mon malaise à sa diatribe. Il raconte les événements tellement méchamment et il est difficile pour moi de passer outre l’insulte à ma maison.

Et puis soudain, je réalise qu’il est peut-être le plus secoué de nous tous. Peut-être que ce mépris n’est qu’une énième manière d’endurer tout ce qui s’est passé. Était-il proche d’Asling, de Sunny ou de Marlow Berkeley ? Considère-t-il que, s’il n’avait pas sauvé Daniela, il aurait pu faire quelque chose pour eux ? Je m’en veux de ne pas savoir.

Et quelque part, j’ai l’impression que je ne suis pas autorisée à lui prendre la main, à lui. Que je ne suis pas autorisée à tenter, aussi infimement que je le peux, de le réconforter. Que quelle que soit la force mystique qui passe ou ne passe pas entre Daniela, Max et moi, elle ne peut pas s’étendre à lui.

Il doit souffrir d’être seul.

Visiblement, Max n’est pas arrivé à la même conclusion que moi. Je frotte doucement mon pouce contre sa peau, dans une pâle tentative de l’apaiser, mais il répond à Lucas avec le même venin. Et si je ne peux m’empêcher d’être indécemment heureuse de l’entendre défendre Poufsouffle, je grince des dents – enfin, je taille dans ma lèvre inférieure plutôt – quand il rabaisse son action pour sortir Daniela de l’eau.

J’ai envie de dire quelque chose, mais les mots me manquent. Je ne sais pas comment éloigner la tension, comment dire à Lucas que je suis infiniment reconnaissante de ses actions lors de la fête, comment faire comprendre à Max que ça ne vaut pas la peine d’être en colère.

Là, maintenant, je ne suis pas un rayon de soleil.

La, maintenant, personne n’a aucune raison d’être fier de moi.

En désespoir de cause, je me rabats sur la sortie que mon ami a donnée. Et même si c’est peu probable, j’espère que cela aidera à calmer les esprits et faire oublier cette incartade. C’est tout ce que je peux faire.

« Vont-ils bien ? j’ajoute donc sur la lignée des professeurs absents. Ont-ils été ensorcelés ? Blessés ? Manipulés ? »

Si ça se trouve, nous avons complètement tort en croyant qu’ils n’ont pas été là pour nous aider. Si ça se trouve, ils ont eux aussi été des victimes. Comment n’ai-je pas pu penser à cela plus tôt ? je me moleste. Forcément il y avait une raison qui les empêchait de nous secourir. Forcément le plan de qui-que-ce-soit-qui-a-tout-planifié incluait un moyen de les garder hors-jeu. Et moi, toute terrifiée pour Daniela et pour moi-même que j’étais je n’ai même pas prêté une pensée à ce fait.

Piètre, piètre petite fille.

Lucas fut le dernier à prendre la parole. Danni l'écouta mais ne réagit pas. Qu'aurait-elle pu faire face à une réaction aussi... stupide. Lucas était vraiment très atteint, ça ne valait ni la peine de s'énerver ni la peine de contester... Il n'en valait pas la peine, tout court. Si seulement Danni ne s'était pas sentie aussi mal, elle aurait peut-être trouvé la force de rire devant la bêtise du Serpentard. Mais pour l'heure, la jeune Poufsouffle se contentait de garder son visage dans sa main en attendant que le malaise passe.

Elle sentit alors Max lui prendre la main et Danni la serra doucement, appréciant cette marque d'affection de la part de son meilleur ami. Le contact était rassurant et apaisant, sa présence l'aidait à se sentir un peu moins malade.

Max s'énerva après Lucas et si Danni lui était reconnaissante de prendre sa défense, elle lui serra doucement la main pour tenter de lui faire comprendre que ça ne servait à rien de s'énerver après lui.

"C'est pas grave Max.. laisse-le penser ce qu'il veut..." dit-elle tout bas sans lâcher la main de Max. Lucas était juste pathétique, Max n'avait pas à user sa salive pour lui. Au moins, il fallait reconnaître qu'il ne les avait pas laissé tomber et regarder se noyer sans rien faire... Il fallait au moins lui reconnaître ça.

Catherine eut alors l'intelligence de changer de sujet et Danni lui en fut vraiment reconnaissante, d'autant plus que ses questions étaient pertinentes. Qu'était-il arrivé aux adultes ?

L'auror prit alors la parole pour les apaiser à son tour et Danni fut surprise à ses paroles alors qu'il leur expliquait que les professeurs aussi avaient été attaqués, ce qui expliquait leur absence au moment des évènements.

"Mais je ne comprends pas... Pourquoi ? Pourquoi vouloir attaquer des élèves et des professeurs ? Quel était leur... comment on appelle ça dans les enquêtes policières déjà ? Leur mobile, leur but ? Est-ce que le Ministère a une piste sur cette question ? Doit-on se sentir menacés ? Sommes-nous encore en danger ? Si on comprenait la raison qui est à l'origine de cette attaque... On pourrait plus facilement se protéger... Si vous savez quelque chose, monsieur, vous devez nous le dire."