Le crépuscule venait de s’emparer de toutes les derniers luminescences du soleil, lorsque les élèves quittèrent le banquet en étant repus. De bons mets avaient accompagné des boissons douces et sucrées pour les papilles, comme d’habitude. L’ambiance festive ne s’évanouissait jamais, excepté lorsque les plus fêtards commençaient à regagner les escaliers dans la bonne humeur. Certains professeurs avaient également semblé être au paroxysme de leur forme, étrangement à ce que l’on aurait pu penser. Dans des gestes pourtant assez lents, une jeune fille reprenait ses affaires non pas dans la hâte, mais dans une lenteur qui créait un contraste face au dynamisme de la plupart des adolescents.
Contrairement à ces fourmis actives, la dénommée Erika Feuerwald n’avait pas passé une journée lui permettant de pouvoir hurler de joie, ou de se détendre en souriant. Au contraire, sa soirée semblait être déjà déterminée par une myriade de devoirs à rendre pour les jours à venir, et la pression se faisait ressentir au fil des heures. La jeune fille n’était certainement pas le genre de personnes à s’y prendre le plus tôt possible, et son côté procrastinatrice refaisait toujours surface. Repoussant à demain ce qu’elle pouvait faire le jour-J était une de ses spécialités, et aujourd’hui, elle avait consacré une bonne partie de son temps à effectuer une dissertation pour le professeur Lyard. L’échéance se tiendrait au lendemain, et elle avait encore bien d’autres choses à accomplir avant de pouvoir regagner la douceur et le confort de son lit. Les paisibles soirées amusantes lui manquaient ces temps-ci, et elle soupçonnait même la présence d’un cruel mal de crâne survenant à cause de son emploi du temps.

« En sixième année, tu auras un emploi du temps super léger, ne t’en fais donc pas pour tes occupations. » avait dit la voix réconfortante d’Aiyana Griffith, il y a quelques mois.

Malheureusement, sa grande sœur de cœur s’était en partie trompée. En effet, le nombre d’heures avait diminué depuis la cinquième année, mais ce n’était qu’une pénible illusion qui vous réjouissait dès le départ, pour ensuite mieux vous enfoncer dans un gouffre intellectuel. Telle était la réalité : l’emploi du temps favorisait un bon nombre de temps libre, mais la surcharge de travail confiée par les enseignants relevait d’un caractère sadique. Ce temps libre, comme les élèves l’appelaient, n’était que des heures vides dédiées au travail personnel tant la liste de tâches était grande. Quittant à son tour les douces odeurs de nourriture qui se dégageaient de la Grande Salle, Erika salua une dernière fois des amies qui se rendaient en salle sur demande. Cela ne lui faisait pas plaisir de rater une « party » au profit de ses études, mais elle devait le faire si elle ne souhaitait pas que Lyard, ou Pelvenche ne lui attribue une note déplorable.

Descendant les escaliers menant aux cachots dans un calme olympien, elle soupira à l’entente des rires lointains de la salle commune de Serpentard. La lanière de son sac de cours était fermement tenue par une de ses mains, et de l’autre, elle se la réchauffait en la plongeant dans l’une de ses poches. Se souvenant du mot de passe de la semaine, l’entrée du quartier général des vipères s’ouvrit à elle dans quelques grincements. L’atmosphère habituelle verte et froide l’accueillit, et elle ne tarda pas à vouloir s’installer quelque part. Il lui fallait une table éloignée du bruit incessant des plus jeunes élèves, puisqu’elle ne supporterait pas d’étudier à proximité d’une cacophonie perturbante.

Finalement, ce fut une voix masculine, grave, et familière qui attira son attention vers l’Est de la pièce. Un fin sourire se dessina sur son visage de poupée, tandis que des mots crus et impolis s’échappèrent des lèvres d’un jeune homme aux cheveux de blé. Visiblement, la curiosité d’un première année l’amena à commettre l’interdit, autrement dit, à se jeter droit vers la gueule d’un loup très occupé à ses propres affaires. S’il y avait bien une chose à savoir au sujet de Derek Fall, c’était bien qu’il détestait être dérangé par des personnes qu’il n’appréciait ou ne connaissait pas. Il fallait également avouer que le petit garçon ne s’était pas montré bien futé, avec ce manque d’adresse perceptible dans le port de sa boisson.
Aussitôt qu’il fut grondé par le cinquième année, il ne se le dit pas dire une seconde fois pour déguerpir ailleurs. Au passage, il jeta un léger coup d’œil à Erika qui passa juste devant lui ; elle se contenta de lui adresser un sourire faussement aimable. Son ombre réduisit ensuite la distance entre elle et Derek, ne se situant bientôt plus qu’à quelques centimètres de son cuir chevelu. Malheureusement, il dut se méprendre puisqu’il lança à nouveau une série d’exclamations peu courtoises en pensant que le garçon avait dû se montrer suffisamment borné pour ne pas l’avoir écouté. Qu’il se rassure, cependant.

« Ouh la, tu t’adresses à la mauvaise personne. Je crois bien qu’il a eu peur de toi, il est parti avec ses copains à l’autre bout de la salle. » dit-elle, en retrouvant un sourire sincère.

Erika dut bien avouer qu’elle ne s’attendait pas vraiment à apercevoir Derek en pleines études, au beau milieu de tous ces rires omniprésents. D’une part, on pouvait comprendre que la bibliothèque était fermée, et qu’il n’avait nul autre refuge que cette salle commune.

« Puis-je m’installer ? J’ai aussi des devoirs à terminer, et les effectuer en ta compagnie me ferait plaisir, Derek. » poursuivit-elle d’une voix modulée.

« Was du heute kannst besorgen, das verschiebe, nicht auf Morgen »

Erika avait toujours trouvé drôle le côté râleur de Derek, qui lui permettait de s’imposer devant n’importe qui. Il n’était certainement pas du genre à se laisser faire, et quand quelque chose ne lui plaisait pas il le faisait savoir. Etait-ce un trait de son caractère qu’elle appréciait ? Sans doute. Il savait où il allait, et il n’était pas un individu incapable de prendre des décisions rapidement : au contraire, il détestait les indécis. Du côté de notre héroïne, les choses étaient peut-être différentes de ce côté. Si elle prenait tout de même le soin de réfléchir avant d’agir, elle restait quelqu’un de patient tant que les résultats estimés sont présents. Toutefois, cela ne changeait pas grand-chose entre eux deux, puisqu’ils s’entendaient très bien. La jeune fille avait d’ailleurs l’étrange impression qu’il était prêt à la protéger de personnes indésirables, et cela ne pouvait que jouer en sa faveur.

Après que le garçon se rendit compte de son erreur, il lui rendit son sourire avant de l’inviter à s’installer auprès de lui. Le calme était alors revenu dans la salle commune, et seules les portes grinçantes faisaient frémir les oreilles ; à croire que les rires s’étaient étouffés d’un coup. Ce n’était finalement pas plus mal pour commencer à travailler, mais la question était de savoir si Erika y parviendrait en sachant que la fatigue ne tarderait pas à faire surface. Pas très adepte des boissons magiques vous permettant de tenir debout jusqu’à pas d’heures, elle ne pouvait compter que sur sa propre résistance. Plusieurs fois, elle avait eu l’envie de lâcher quelques bâillements, mais elle dut se retenir de le faire devant ses connaissances. Ses yeux ne trahissaient pas spécialement son besoin de sommeil, mais elle se trahirait certainement par quelques soupirs d’agacement après l’accomplissement de ses travaux.

« Merci. » dit-elle toujours avec sourire, avant de poser son sac sur une chaise à proximité.

Sans plus attendre, elle en saisit le contenu et le disposa dans un coin de sa table. Sa dissertation en histoire de la magie était désormais achevée, mais elle n’avait pas entamé de relecture sérieuse. Quelques fautes discrètes y étaient sûrement disséminées, cependant, elle ne désirait plus entendre parler de l’expansion du commerce magique britannique pour le moment. Jetant un léger coup d’œil aux affaires de son ami, l’allemande constata qu’il venait de sortir un manuel de potions qui lui était bien familier. Elle aimait beaucoup les potions, que ce soit de manière théorique ou pratique. Elle trouvait qu’il s’agissait d’un domaine primordial à tout sorcier, et qu’il n’était pas aussi complexe que la métamorphose par exemple. Mélanger des ingrédients, faire de son possible pour obtenir la bonne couleur de la mixture, respecter les doses avec précision relevaient véritablement d’un jeu d’enfant pour la Serpentard.

Ce fut d’ailleurs avec fierté qu’elle avait obtenu son Optimal dans cette matière, en plus de la défense contre les forces du mal, des soins aux créatures magiques, histoire de la magie et des sortilèges et enchantements. Le reste n’avait été que des Efforts Exceptionnels, excepté en Astronomie où elle s’en était sortie avec un Acceptable. L’Arithmancie s’était en plus révélé être la meilleure de toutes les options. Erika ne l’avait choisie qu’au cours de sa troisième année, puisqu’elle s’était faite exclue de l’option Etudes des Runes suite à une mésentente avec le professeur Greyback.
Alors qu’elle semblait être noyée dans ses anciens souvenirs, Derek l’a ramena à la réalité en lui demandant l’objet de son devoir. Un manque cruel d’enthousiasme vint ponctuer sa réponse, prouvant qu’elle ne trouvait pas forcément la motivation de gratter avec sa plume.

« Je viens de finir l’Histoire de la magie. C’est une dissertation sur l’expansion du commerce magique britannique. Si tu veux, tu peux jeter un coup d’œil mais je doute que tu puisses tenir jusqu’au bout ; c’est un sujet très barbant, crois-moi ! Mais là, je vais m’attaquer à la Botanique. Il y a quelques jours, on a eu affaire à de sales spécimens, et la vieille peau de Weirdbird désire qu’on lui fasse un compte-rendu complet de notre expérience. Je dois rendre tous mes devoirs pour demain, et ça me promet une superbe soirée… » déclara-t-elle en tirant une petite grimace, la main gauche se tortillant une mèche de ses cheveux.

Vint alors un fin soupir, soulignant clairement qu’elle ne mentait pas. Ce n’était pas quelque chose d’inhabituel pour elle de tout faire la veille, mais elle regrettait souvent de ne pas avoir l’envie de s’y prendre plus tôt. Cela lui aurait certainement permis de mieux pouvoir s’organiser. On pouvait bien dire que les garçons étaient plus désordonnés que les filles, mais dans le cas d’Erika, elle s’en sortait assez mal. Relativisons tout de même, puisque malgré cela, elle parvenait à obtenir de très bons résultats scolaires. Elle le devait notamment à son excellente mémoire auditive.

« Et toi, tu dois faire quoi aujourd’hui ? »

Tout en posant sa question, elle sortit sa plume et son encrier. Ce fut d’ailleurs soudainement à ce moment précis que le silence se fit submerger par un raffut insupportable. Nos deux amis tournèrent la tête par curiosité, désireux de connaître la raison de ce vacarme infernal. Erika pensait bien qu’à ce rythme, Derek se ferait entendre une fois de plus en tant que monsieur ronchon. C’était un surnom qu’on lui avait étiqueté depuis un bon moment, et qui faisait gentiment sourire la rouquine. Au moins, il n’était pas de ceux qui se laissaient piétiner dessus.

« Aaaah, c’est dégoûtant ! C’est des boules puantes ? » se fit entendre une voix féminine perçante près d’une autre table.

Des boules puantes ? C’était mauvais signe. Il était hors de question qu’Erika ne respire un air facétieusement empoisonné d’une odeur aussi fétide que les trolls des montagnes. Remontant le col de son pull au niveau de sa bouche, la belle tenta de limiter les dégâts sur sa respiration pulmonaire.


« Dire que ces sales gosses appartiennent à Serpentard… Désolant. »

De loin, on aurait dit des jeunes Gryffondor découvrant l'art de rire pour tout et n'importe quoi. Balayant désormais le décor jusqu'à poser les yeux sur son jeune ami, l'allemande se doutait bien qu'il n'allait pas rester de marbre. La suite des événements risquait d'être bien intéressante. Ses lèvres tapies sous son pull, elle esquissa un petit sourire narquois dans l'ombre en supposant bien que ces enfants allaient en mordre la poussière.

« Was du heute kannst besorgen, das verschiebe, nicht auf Morgen »

Dans la pénombre du soir, les rares fenêtres de la salle commune ne laissaient plus la moindre lumière naturelle parvenir. Cet endroit était assez particulier à Poudlard : on y avait accès par les longs couloirs des cachots, et l’antre des serpents se situait plus loin dans les profondeurs. En première année, on apprenait tous que cette salle donnait sous le Lac Noir, ce qui offrait de sublimes lueurs vertes et bleues à l’orée du matin. Certains prétendaient y avoir vu d’étranges créatures effrayantes, et ils se réjouissaient toujours de cet exploit pourtant non avéré.

Après avoir jeté un bref coup d’œil aux extérieurs, alors que Derek tenait son devoir, Erika le dévisagea à nouveau. Elle percevait clairement que le sujet de l’histoire de la magie ne le passionnait pas autant qu’aller insulter des nés-moldus faibles, mais cela l’amusait un peu de le voir lire quelque chose d’ennuyant. Il s’empressa même de lui rendre son devoir, avant de sourire à l’idée de lui révéler l’objet de son devoir. Visiblement, le professeur tenait à ce que ses élèves répertorient les ingrédients d’un filtre de confusion, ainsi que le mode opératoire de sa préparation. Ce n’était pas quelque chose de bien difficile en soi, et cet aveu rendit l’allemande bien nostalgique de sa cinquième année. Cela n’avait pas été simple de survivre à la pression constante des BUSE en juin, mais l’ensemble des cours ne s’était pas avéré tant cela si ardu quand on savait travailler un minimum. Erika, qui repoussait ses devoirs au lendemain, avait toujours réussi à s’en sortir sans devoir se plonger dans une pile incommensurable d’ouvrages. Il suffisait simplement de savoir écouter, et retenir les choses du mieux qu’on le pouvait. Par conséquent, apercevoir les nés-moldus être premiers de classe grâce à leur lecture incessante ne pouvait que la faire ricaner ; elle parvenait à être dans le top 5 de sa promo rien qu’avec sa mémoire.

Observant le parchemin tendu par son ami, la Feuerwald le survola en prenant en compte les consignes essentielles. C’était un devoir qui serait certainement bouclé en moins de vingt minutes.

« Das weiß ich*…je l’ai eu l’an dernier. Honnêtement, cela te servira pas mal pour tes BUSE, j’ai en effet eu quelque chose de similaire à l’examen. Il suffit juste d’un peu de par cœur. » affirma-t-elle avec détermination, oubliant même qu’elle venait de commencer sa phrase en allemand.

Spoiler:

Alors que la cacophonie bouleversant l’harmonie générale de la salle commune en énerva plus d’un, Erika pensait voir Derek se lever pour aller châtier l’auteur de cette abominable plaisanterie. Toutefois, il n’en fut rien. Elle l’observait silencieusement, attentive aux moindres détails de sa réaction future. Il semblait avoir abandonné l’initiative de pousser une protestation, et au contraire, il l’observa presque avec un air confus, lui posant des questions de manière bien étrange. Plissant doucement les yeux, notre protagoniste le scruta en cherchant à comprendre la raison pour laquelle il venait de lui répondre ceci. Est-ce qu’il allait bien ? La boule puante était-elle simplement une boule puante ? Le doute s’installa doucement dans son esprit.

« Oui, c’est certain. » se contenta-t-elle de murmurer avec scepticisme, toujours dans sa réflexion.

Même Derek semblait ne plus être en accord avec son propre corps. Ses expressions oscillaient rapidement entre la grimace et l’agacement, prouvant de plus en plus qu’il n’était pas dans son état normal. Après cela, il était certain qu’il était sujet à quelque mauvaise farce. Il avait plus l’air d’un pauvre Serdaigle prônant le travail acharné plutôt qu’un Serpentard maniéré. Enfin, il avoua à son tour que quelque chose d’inhabituel le touchait, et son air désespéré fit tristement grimacer la rouquine, qui était d’accord pour l’aider à trouver le coupable.

« Ne t’en fais pas, tu pourras te venger. Finite incantatem ! » déclara-t-elle en souriant un peu pour le rassurer, avant de lever sa baguette.

Malheureusement, cela ne fonctionna pas, ou du moins, pas longtemps. Une seconde plus tard, le sort toucha à nouveau Derek. Balayant la salle commune du regard, Erika tenta de dénicher l’être facétieux qui osait perdre son temps avec un tel niveau de gaminerie. Parmi les personnes présentes, on comptait surtout des élèves de troisième année qui jouaient aux échecs versions sorcier. Quelques autres jeunes riaient encore de leurs boules puantes, et des septièmes années étaient concentrés sur leur dissertation. Apparemment, personne ne regardait en leur direction.

« Il va falloir que l’on se bouge, Derek. A mon avis, la personne a dû filer en direction des escaliers et du dortoir. Il n’y a personne d’apparemment nuisible ici. » lui dit-elle sur un ton à la fois aimable et sévère.

Elle n’aimait pas vraiment l’idée qu’un imbécile puisse s’amuser à prendre le contrôle des autres. Après tout, cela aurait très bien pu être elle, la cible du mauvais sort.

« Finite, tenta-t-elle une seconde fois avant de constater son échec. Ah, tu m’en vois navrée. On va vraiment devoir retrouver ce crétin. »

« Was du heute kannst besorgen, das verschiebe, nicht auf Morgen »