A quel moment avait-il abandonné son but premier ? Cette question flotta un instant dans l’esprit de Maxton, avant de disparaître, comme chassée par plus important. Plus entêtant même. Il ne se souvenait plus quelle avait été sa destination. Il était uniquement conscient que ses jambes le portaient vers une zone du château pour laquelle il n’avait a priori aucun intérêt. Pourtant, il avait la sensation profonde et inexplicable qu’il devait s’y rendre, que c’était important. Vital, même. Il aurait dû savoir que son instinct était en berne depuis des mois et qu’il n’aurait pas dû s’y fier. Il aurait aussi probablement dû se rappeler que dans son océan de lectures, aucune histoire commençant avec un pressentiment irrépressible ne connaissait de dénouement heureux ou facile. Lui qui autrefois avait été aussi observateur, pourquoi avait-il laissé cette capacité s’émousser ?

Ou plutôt, pourquoi préférait-il se complaire dans l’aveuglement ?

Il s’arrêta devant la salle de duel, comme si son impulsion venait de prendre fin. Il suffisait d’entrer pour apprendre ce qu’il faisait là. Il suffisait d’entrer pour mettre fin à son envie d’avancer. Mais il n’était pas fou et le traquenard de Blaze de l’an dernier tournait toujours dans sa tête. La prudence ne coûtait rien. Il déplia machinalement la carte du maraudeur. Il n’y avait rien. Aucun être vivant dans cette salle. Alors il y entra, fermant doucement la porte derrière lui avant de faire face à un tableau. Sa manière d’occuper l’espace lui était propre, indescriptible. Ce n’était pas une question de dimension. Il occupait l’espace, voilà tout. Il occupait son esprit aussi, mais il ne le comprendrait que bien plus tard. Pour l’instant, seule comptait la fascination teintée d’appréhension. Il ne se souvenait pas de cette toile et sa mémoire ne le trahissait pas.  Il s’avança encore.

Le détail de cette forêt humide étaient louables de réalisme. Il avait presque l’impression de se trouver dans cet environnement, d’en sentir l’odeur. Mais ce n’était que le fruit de son imagination … non ? A son intérêt, une forme de malaise commença à l’étreindre. Le personnage du tableau était caché par un masque aux allures inquiétantes. C’était le moment où il aurait probablement été bien inspiré de tourner les talons. Par pur esprit de contradiction, il s’avança encore, hésitant à frôler la toile du bout des doigts. Il s’arrêta au dernier instant. Il n’y avait eu aucun mot de prononcé mais il craignait de l’offenser. Ce n’était qu’une image peinte pourtant.

- Qui êtes-vous ?

Son ton valait presque une sommation avec une assurance qu’il était loin de ressentir. Mais il était curieux, beaucoup trop. Et ce portrait était intriguant, beaucoup trop.

- Je ne vous ai jamais vu et pourtant je vous trouve familier.

C’était une impression presque dérangeante tant elle allait à l’encontre de sa mémoire. Mais il était sans doute trop anxieux. N’était-il pas perpétuellement angoissé pour sa sœur jumelle ? Cela devait rejaillir sur d’autres sphères de son existence. Du moins cela n’aurait pas été surprenant.

Alors que sa main s’arrêtait à quelques centimètres de la toile, la légilimancie infiltra son esprit comme l’aurait fait un parasite. Evidemment, il ne s’en rendit pas compte. Il eut simplement l’impression que l’étrange homme au masque de cerf du tableau occupait autant l’espace que lui et que cela était devenu un tête à tête. Il n’en montra pas réellement de surprise. Il n’avait jamais connu que des tableaux animés, même si celui-ci dépassait de très loin l’épaisseur des toiles qu’il croisait habituellement. Peut-être avait-il été un esprit plus puissant de son vivant ? Ou cela venait sûrement de l’école. Poudlard semblait détenir un type de magie très particulier.
Une voix retentit, lui susurrant des mots qu’il avait envie d’entendre. Elle ne répondit à aucune de ses questions, comme si cela n’avait pas d’importance. Ce qui en avait les cajoleries subtiles qu’il déployait pour attirer son attention. Entre caresses et flatteries, l’équilibre était délicat. Est-ce que le dessin parlait ou est-ce que la voix retentissait dans sa tête ? Le masque l’empêchait de voir les lèvres de son interlocuteur bouger. Probablement qu’il aurait dû s’en préoccuper. Ce n’était pas la même chose de se laisser bercer par des paroles que de leur laisser la mainmise sur son esprit. Ce sursaut de lucidité dura une seconde. Une brève seconde. Puis il choisit de s’asseoir en tailleur en face du portrait comme pour lui dire qu’il lui accordait de l’attention. Comme un signe de soumission implicite aussi.

Il le comprenait, lui. C’était le premier à le comprendre. A entendre sa fatigue, son besoin de pouvoir démesuré pour la protéger. Là encore, pendant une seconde, il eut pour réflexe de se demander pourquoi, comment, il connaissait sa sœur.

- Vous connaissez Bluebell ?

Il tenait trop à elle pour ne pas tiquer. C’était la seule chose qui pouvait le faire réagir. Mais il continua de cette voix entre apaisement et fermeté à lui dire qu’il savait comme il était isolé. C’était le premier aussi à entendre son étrange solitude dans un monde où il vit pourtant en duo. Est-ce que ce tableau aussi se sentait seul ? Aussi seul que lui quand il n’arrivait pas à démêler ses émotions, ni à absolument tout dire à sa seule alliée ? Il en aurait ressenti une profonde empathie. Ce n’était pas le sentiment qu’il lui était le plus familier.

- Comment pouvez-vous savoir que tout ira bien ?

Il n’y a pas son arrogance habituelle dans sa voix, seulement de la curiosité. Un besoin démesuré de le croire aussi. Bluebell avait besoin de se raccrocher à lui pour espérer, mais lui, avant cette discussion, il n’avait que peu de prises auxquelles se raccrocher.

- Comment je peux avoir le pouvoir suffisant pour que tout aille bien ? Et pourquoi voudriez-vous m’aider ?

Hypnotisé par la toile, il se laissait bercer par ses propos. Tout semblait simple, limpide. Peut-être trop. Mais, il lui avait promis le pouvoir et il en avait assez besoin, assez envie pour être ferré.

- Qui étiez-vous ?

Ce n’était pas une répétition de sa question première. Il avait compris qu’il avait été puissant, important. Alors peu importait ce qu’il était à cet instant, ce qui était intéressant, c’était le passé. Et comment il était arrivé jusqu’ici.

Maxton n'arrivait pas à comprendre comment le portrait lui répondait exactement. C'était presque comme s'il lui envoyait des émotions, des sensations et qu'elles se traduisaient si naturellement dans son esprit qu'il entendait comme un chuchotement. C'était apaisant. Non, c'était même hypnotique. Il restait là, à se laisser bercer de jolies paroles, son sursaut de méfiance très vite jugulé. Après tout, ce murmure était rassurant. Il lui susurrait qu'il avait vécu les mêmes choix que lui dans le passé, qu'il le comprenait. Il savait à quel point le pouvoir était nécessaire, mais surtout ce qu'il coûtait. Il n'y avait que les faibles qui pensaient le pouvoir comme une panacée, une solution universelle sans sacrifice. Il n'y avait rien de plus faux. Comme s'il existait un principe d'échange équivalent, il fallait abandonner quelque chose d'une valeur suffisante pour obtenir le pouvoir attendu. Il n'était pas en mesure de connaître la portée de ce qu'il avait cédé. Difficile à évaluer en même temps. Il était presque certain d'y avoir perdu tout espoir de sérénité.

Mais il pouvait lui apprendre des raccourcis, un royaume stable à la place de sa construction vacillante, le pouvoir de les protéger sa soeur et lui pour un temps presque infini et sans plus dépendre de personne. Il était bien incapable de résister à une telle proposition. Il en avait bien trop besoin et il ne risquait rien. Ce n'était qu'une toile et lui un humain en pleine possession de ses moyens. Il n'y avait qu'à abdiquer et accepter.

- Que dois-je faire ?

Une reddition sans condition. Sans illusion non plus. Tout pouvoir avait un prix, mais tout enseignement également. Il ne croyait pas une seconde que le tableau allait donner dans l'altruisme. Chacun devait poursuivre un but. La question était désormais de savoir ce que pouvait bien désirer une peinture.