"Il y avait cent quarante-deux escaliers, à Poudlard, des larges, des étroits, des courbes, des carrés, des délabrés, certains avec une ou deux marches escamotables qu'il fallait se souvenir d'enjamber pour ne pas tomber.".
À cette heure de la matinée, les couloirs de Poudlard bourdonnaient de vie. Les portes des salles de classes s’ouvraient les unes après les autres, laissant couler un flot d’étudiants si dense qu’il était difficile d’y naviguer sans se cogner contre quelqu’un. Une sorte de courant naturel se créait dans ce lieu exigu alors que les différentes années se croisaient pour changer d’étages et se rendre à leur prochain cours ou leur salle commune ; certains montants, d’autres descendants en fonction de leur emploi du temps.
Les lèvres pincées et les mains fermement agrippées aux anses de son sac à dos dans l’encadrement de la porte menant à la salle de sortilège, Amalia se préparait mentalement à suivre cette marée humaine en direction du premier étage. Ses cheveux bruns lâchés, rebelles depuis qu’elle s’était levée ce matin, glissaient par moment devant ses yeux, l’obligeant à donner un coup de tête brusque régulièrement pour les dégager sur le côté.
Après quelques minutes, les vagues de jeunes gens finirent par s’espacer et la fillette, qui se tenait maintenant à droite de la porte afin de ne pas gêner les élèves qui en sortaient et y entraient, en profita pour quitter son emplacement et tenter de retracer le chemin par lequel elle était venu, une heure plus tôt. Elle n’avait commencé les cours que depuis quelques jours et naviguer dans les couloirs, même vides, était un véritable défi pour elle. Sans parler du fait de devoir s’adapter à un nouvel environnement, elle devait en plus s’habituer aux escaliers qui bougeaient, à ceux qui changeaient de destination certains jours de la semaine, aux portes qui n’en étaient pas… sans compter que tout semblait changer de place irrégulièrement.
Malgré sa timidité, elle avait fini par se résoudre à demander son chemin afin de trouver la salle où allait avoir lieu le cours de sortilèges. Le jeune homme de quelques années son aîné qui lui avait répondu arborait l’uniforme si impressionnant des Serdaigles, du moins aux yeux de la jeune fille qui ressentait toujours de la rancœur à l’attribution de sa propre maison, Poufsouffle. De ce qu’elle avait vu rapidement avant de tourner son regard vers la pointe de ses chaussures neuves, le visage cramoisi, il devait bien faire une tête de plus qu’elle et avait les yeux et les cheveux châtains. D’une voix tremblante, elle avait réussi, tant bien que mal, à poser ses questions, à savoir : où se trouvait la salle de classe où elle devait se rendre et s’il pouvait lui indiquer le chemin le plus sûr et le plus rapide pour y arriver.
Bien qu’il ait été dérangé dans ce qu’il faisait, ce dont Amalia n’était pas arrivée à déterminer, il lui répondit sans fioritures ni chaleur, se contentant de lui donner la réponse dont elle avait besoin avant de reprendre son chemin. Elle l’avait remercié rapidement, bien qu’il lui tournait déjà à nouveau le dos, et avait suivi ses indications à la lettre. C’était avec un immense soulagement qu’elle avait passé la porte de la classe quelques secondes avant le début du cours.
Bien que ce dernier fut très intéressant, le professeur qui le donnait n’était pas là pour être agréable. Il donnait son cours, éduquait les élèves, donnait des conseils et techniques pertinentes, mais ça s’arrêtait là. Ce n’était pas vers lui qu’Amalia allait se tourner en cas de problème. Heureusement qu’elle avait Alice, non, Professeur Cooper pour ça. Cela avait été une agréable surprise de la retrouver ici et elle était d’une grande aide pour la fillette depuis son arrivée. Rien que le fait de savoir que celle qui était sa directrice de maison la connaissait depuis sa naissance avait beaucoup rassuré Amalia. Au moins, elle n’avait pas à se tourner vers un adulte qu’elle ne connaissait pas et cela lui ôtait un sacré poids.
Ainsi, elle avait assisté à ce cours qui, malgré l’attitude froide du professeur, était très intéressant. Il leur avait donné quelques exercices à faire sur leur temps libre, principalement de la lecture et un petit travail qui consistait à résumer en quelques lignes les points importants du cours. Il devait sûrement vouloir s’assurer que les élèves avaient été attentifs et ne s’étaient pas contentés de suivre les consignes bêtement. C’est donc l’esprit occupé par ses premiers devoirs dans cette matière qu’Amalia pris le chemin de la bibliothèque, ou du moins ce qu’elle pensait en être la direction, alors que son sens de l’orientation était mis à rude épreuve.
Elle avait descendu des escaliers, en avait monté d’autres, avait dû faire demi-tour à cause d’un cul-de-sac, avait emprunté un nouveau couloir, puis un nouvel escalier, bien plus long que les précédents... Elle était épuisée par l’exercice. Alors qu’elle reprenait son souffle, penchée en avant et les mains sur ses genoux, une fenêtre non loin d’elle lui apprit qu’elle avait fini par arriver au premier étage.
*Enfin !* pensa-t-elle en poussant un petit soupir de soulagement avant de tourner son visage vers l’endroit d’où elle venait.
Ce faisant, et après un rapide regard à sa montre, elle estima le temps que lui avait pris le trajet. Son calcul lui fit prendre conscience que cela avait été bien trop long et qu’il allait lui falloir trouver une méthode pour raccourcir ses déplacements, spécialement si elle ne voulait pas arriver régulièrement en retard en cours. Elle prit mentalement note de demander à Azure des précisions pour pouvoir s’orienter dans les couloirs de Poudlard la prochaine fois qu’elle croiserait la jeune Griffonne.
Peut-être qu’il était aussi temps pour elle de demander à ses camarades de classe comment ils se dirigeaient dans ce labyrinthe. Jusque-là, elle avait évité autant que possible de se mélanger avec les autres membres de Poufsouffle, non pas parce qu’elle ne s’entendait pas avec eux… à vrai dire, elle ne savait pas si c’était même le cas vu qu’elle ne leur parlait pas. Non, elle n’avait rien de particulier à reprocher à sa maison et à ses camarades qui la partageaient. Le souci venait d’elle. Elle vivait son affectation comme une faiblesse de sa part. Elle n’avait pas été à la hauteur. Elle n’avait pas été assez bien pour rentrer chez Serdaigle. Voilà ce qui lui rongeait le moral et lui tordait les boyaux depuis son arrivée à Poudlard.
Et même si elle ne le montrait pas, elle se sentait encore plus en décalage avec les autres élèves que tout ce qu’elle avait vécu dans sa scolarité jusqu’ici. Elle savait qu’il lui faudrait un temps d’adaptation mais, depuis le début de la semaine, il lui était déjà arrivé de regretter les bons vieux établissements moldus où les groupes se formaient assez rapidement au cours de la première journée. Bien sûr, elle avait parfaitement consciente qu’elle était l’unique personne à blâmer, rejetant tout contact de la part de ses camarades, mais elle n’arrivait pas à s’y faire… Ce monde était bien trop différent, bien trop…
trop.
Elle ferma les yeux une fraction de secondes tout en retenant sa respiration, le temps de compter jusqu’à dix, alors qu’elle sentait une vague d’angoisse naître dans ses entrailles, enserrer son cœur et le presser si fort qu’elle fut forcée de poser une main contre le mur de pierre pour se stabiliser. Une perle salée naquit au coin de chacun de ses yeux et, les dents serrées, elle s’empressa de les écraser de son pouce et index libres.
*Ça va aller, tout va bien se passer.* se répéta-t-elle plusieurs fois tel un mantra.
*Concentre-toi sur les cours et l’année passera plus vite.*Ce n’était pas la première fois qu’elle vivait cela. Elle avait espéré qu’ici, ce serait différent, mais elle avait déjà éprouvé des crises d’angoisses dût à l’environnement scolaire et elle commençait à avoir l’habitude de devoir se recentrer pour ne pas se faire broyer par ses émotions.
Les dents toujours serrées, elle visualisa mentalement ses livres ouverts et éparpillés sur la couverture de son lit, son chat, Nova, roulée en boule au milieu d’eux. Relâchant enfin l’air qu’elle bloquait depuis quelques secondes dans ses poumons, elle se concentra sur cette vision avant d’ouvrir les yeux à nouveau, une lueur de détermination dans le regard. Elle allait trouver la bibliothèque et les livres dont elle avait besoin puis elle irait se réfugier dans sa chambre pour étudier ses exercices de sortilège. Une chose à la fois. Elle en était capable, elle en était certaine. Son objectif clair dans son esprit, elle reprit sa route, délaissant le pied de l’escalier où elle s’était attardée, d’un pas volontaire.
Malheureusement, c'était plus facile à dire qu’à faire et elle perdit quelques précieuses minutes à chercher la pièce dont elle avait besoin. Passant devant une série de portes, elle fit un tour sur elle-même pour vérifier qu’aucune d’entre elles n’était celle qu’elle souhaitait trouver, ce qui n’était en effet pas le cas. Ce faisant, elle ne vit pas le jeune homme qui passait à côté d’elle en sens inverse, venant d'un couloir perpendiculaire et qu’elle percuta de plein fouet avant de perdre l’équilibre.
Qu’elle ne fut pas sa surprise lorsque, levant enfin les yeux vers l’élève contre lequel elle s’était cognée, elle s’aperçut qu’il s’agissait du jeune Serdaigle qui lui avait déjà indiqué son chemin plus tôt dans la matinée.
Se remettant vite debout, elle tourna son regard vers ses chaussures, le visage cramoisi.
"P-pardon" bégaya-t-elle avant d’avouer, mortifiée.
"Je ne faisais pas attention. Je cherchais la bibliothèque."