Il y avait un peu de bruit, dans le compartiment où Violet s’était posée, mais la sorcière était bien trop concentrée sur sa lettre pour y faire attention. Elle aurait préféré s’installer dans un coin plus calme, mais le Poudlard Express était toujours bondé d’élèves de toute année, excités par la perspective des vacances d’été. La Serdaigle avait donc dû faire avec. Elle connaissait les jeunes gens qui l’entouraient seulement de nom, et après les avoir ignorés à plusieurs reprises lorsqu’ils lui posaient des questions, ils avaient semblé finalement décider d’arrêter d’essayer de l’inclure dans leur conversation. D’une oreille distraite, cependant, elle entendait parfois des bribes de ce qu’ils disaient. C’était généralement pour parler des deux mois à venir, ce qu’ils avaient prévu de faire pour les vacances et s’ils allaient au voyage organisé par l’école. Violet, elle, n’était pas très enjouée par la fin de la période scolaire. Elle aimait bien étudier et apprendre, alors les cours ne la dérangeaient pas ; mais surtout, elle n’était jamais vraiment très enthousiaste à l’idée de retrouver sa famille. Certes, quand ils n’étaient pas en train de se disputer, ses parents pouvaient avoir un bon fond, de temps en temps, et si on cherchait un peu. Mais c’était tellement, toujours, trop, trop bruyant, et trop agressif, et trop violent. Elle avait beau appris à passer outre les cris en se réfugiant pour lire dans sa chambre à chaque vague de disputes, c’était tout de même très étouffant, comme vie, et elle n’était pas sûre de pouvoir supporter ça encore longtemps.

« Si seulement je pouvais simplement rester à Poudlard, pendant ces deux mois », griffonnait-elle sur le morceau de parchemin devant elle. « Tu imagines, avoir le château pour moi seule ? Le rêve ! ». Si ces mots, qu’elle adressait à son amie Gwendolyn, semblaient être écrits sous le ton de l’humour, c’était pourtant réellement ce à quoi Violet rêvait. Si elle pouvait revenir quelques mois en arrière, ou simplement se rendre directement deux mois en avant, pour retrouver l’école, elle le ferait. C’était bien mieux que d’aller chez ses parents, ou même que de participer au voyage scolaire. Celui-ci lui permettrait de souffler un peu et changer d’horizon, certes, mais elle n’était pas tellement du genre social et n’appréciait pas vraiment les sorties en groupe, alors devoir passer plusieurs semaines avec la moitié de l’école ne l’enchantait pas vraiment. Démoralisée, elle termina son mot pour Gwen, puis attrapa la patte de Keith, son hibou, pour qu’il puisse l’apporter à la Serpentard. Puis, en attendant la réponse, elle récupéra son livre qu’elle avait mis de côté et continua sa lecture, sans oublier d’ignorer le débat endiablé sur les meilleures boutiques de Pré-au-Lard qui faisait rage dans le compartiment. On pouvait la trouver bizarre, à garder les yeux rivés sur son bouquin tandis que le monde autour d’elle s’agitait, mais ça lui était bien égal. Au bout d’un moment, de toute manière, elle devenait invisible à leurs yeux. À force d’ignorer tout le monde, on finissait toujours par l’ignorer, elle. Et ça lui allait très bien comme ça.

La réponse de Gwen arriva rapidement, et elle marqua sa page avant de poser son livre pour lire la lettre. Elle répondait à ses questions, puis finit par lui demander pourquoi elles s’écrivaient alors qu’elles étaient dans le même train, et par lui proposer de venir la rejoindre. Il fallait dire que le mode épistolaire n’était pas déplaisant, pour Violet, car elle avait toujours largement préféré lire et écrire que parler à voix haute. Cela dit, l’idée d’être dans un wagon plus tranquille était tentante. Elle ne manquerait à personne ici, de toute façon. Elle rangea donc ses affaires et se leva, entraînant Keith et bousculant quelques élèves toujours en train de discuter haut et fort au passage. Elle ne savait pas précisément où était installée Gwen, mais son hibou le savait, à force de faire des allers-retours avec leurs courriers, alors elle le suivit simplement. Arrivée devant le bon compartiment, elle ouvrit la porte et trouva son amie penchée sur un calepin, en train d’écrire. Elle ne lui avait pas menti, dans son message : elles seraient tranquilles ici, il n’y avait personne d’autre autour d’elle. Si seulement Violet avait fait l’effort de chercher un peu plus, elle aurait trouvé cet endroit calme et se serait posée là ; mais elle avait abandonné trop rapidement. Elle entra et s’assit sur la banquette en face de Gwen.

« Salut. »

Elle trouvait toujours plus difficile de s’exprimer à l’oral qu’à l’écrit. Avec un demi-sourire, elle parvint néanmoins à ajouter :

« Tu avais raison, on est plutôt bien ici. J’aurais dû penser à te rejoindre plus tôt. C’était l’enfer, où j’étais assise. »

Tapotant distraitement du doigt contre la banquette – elle ne savait jamais quoi faire quand elle ne lisait ou n’étudiait pas – elle observait le paysage défiler par la vitre à sa gauche, redoutant le moment où ils arriveraient à la gare de King’s Cross et où elle devrait rentrer chez elle. Elle décida finalement de ne pas y penser et se changea les idées en ajoutant :

« Au fait, ne t’en fais pas pour les résultats de tes BUSEs, tu es une bonne élève, tu ne devrais pas t’en être trop mal tirée. »

La Serpentard avait l’air très concentrée sur sa lettre, car elle la salua sans un regard lorsqu’elle rentra pour s’asseoir en face d’elle. Ça ne dérangeait pas Violet cependant. Au contraire, si elle était occupée, alors elle se sentirait moins coupable de faire autre chose elle-même. Elle n’était pas très douée pour la papote, il fallait dire, et préférait largement lire dans son coin que de se préoccuper des autres. Mais Gwen finit par relever la tête, ce qui convainquit la Serdaigle de briser le silence, en amenant le sujet des BUSEs que son amie venait de passer. Celle-ci lui sourit, lui disant qu’elle ne s’inquiétait pas, et Violet hocha la tête d’un air entendu, ne sachant qu’ajouter d’autre. L’année prochaine, ce serait son tour de passer les examens, et même si elle avait entendu beaucoup d’élèves rapporter la difficulté apparemment très haute et le niveau de fatigue qu’ils avaient subi, elle avait plutôt hâte de voir ce qu’il en retournait. Pour elle qui n’avait jamais réellement eu de problème avec les cours, ce serait du gâteau, non ? Voir ses efforts récompensés par des résultats exemplaires serait largement satisfaisant.

Elle se tira de ses pensées sur l’avenir pour voir que Gwendolyn était en train de l’observer en silence. Avait-elle dit ou fait quelque chose de mal ? Non, pourtant, alors pourquoi la fixait-elle ainsi ? Finalement, elle posa sa question, lui demandant si elle avait apprécié la soirée de la veille. Violet eut besoin de réfléchir avant de se souvenir de quoi elle parlait. Oh, le bal. Quiconque connaissait un tant soit peu la Serdaigle pouvait se douter que ce n’était pas vraiment son moment favori de la saison. Elle aurait largement préféré le passer dans son dortoir, à lire un livre ou à commencer à s’intéresser aux cours de cinquième année. Elle haussa les épaules, répondant honnêtement :

« Bof, pas vraiment. Les fêtes ne sont pas trop mon truc. Je suis venue assister à la remise de la Coupe et je suis partie dès que j’ai pu. »

Du coin de l’œil, elle observa son amie remettre sa robe sur ses genoux. Mais Violet était plus intriguée par cette lettre qu’elle gardait sur ses cuisses. Elle semblait lui causer beaucoup de fil à retordre, et la Serdaigle la sentait préoccupée par ce simple bout de parchemin. Curieuse de comprendre ce qui la consternait ainsi, elle finit par demander :

« C’est pour quoi, cette lettre ? Ou est-ce que c’est une des histoires que tu écris ? »

C’était peut-être très indiscret, mais les lacunes sociales de Violet l’empêchait un peu de savoir quand est-ce qu’elle dépassait la limite. Elle n’avait pas beaucoup d’amis, alors c’était difficile de ne pas mettre les pieds dans le plat parfois avec les rares qu’elle avait. Tant pis, dans le pire des cas, Gwen lui dirait. Mais en même temps, c’était plutôt intriguant, il fallait bien le dire.

Sa présence au bal de fin d’année semblait avoir beaucoup intrigué Gwen. Violet ne comprenait pas ce qui la rendait si curieuse, elle-même se fichait bien généralement des petites histoires de ses camarades, mais elle se souvenait que, bien contrairement à elle, la Serpentard adorait les ragots. Eh bien, malheureusement, rien de bien intéressant de ce côté-là, en tout cas : Violet s’était simplement rendue à la fête pour la remise des prix. Elle avait aussi tenu à être là pour souhaiter une bonne continuation à son frère Edward, qui quittait Poudlard cette année-là, même si elle n’avait pas eu vraiment l’occasion de le voir finalement. Elle avait salué quelques amis, dont Gwen, puis elle était partie pour s’isoler dans son dortoir, à l’abri de la foule. La jeune blonde lui fit la remarque qu’elle avait dû partir avec Jasper et Violet répondit simplement :

« Peut-être, je n’ai pas vraiment fait attention. Je suis juste retournée dans ma chambre. »

L’avantage du bal, c’était que beaucoup d’élèves y avaient assisté et que, par conséquent, elle avait trouvé le château bien vide à ce moment-là, ce qu’elle avait bien apprécié. Le reste de la soirée avait été plus calme que jamais, une bonne manière d’après elle de terminer l’année. La discussion changea de sujet pour s’intéresser à ce morceau de papier que Gwendolyn tenait sur ses genoux. Une réponse, d’après elle, à une lettre qu’elle aurait envoyée quelques mois plus tôt à propos de la situation des grades à Poudlard. Elle n’expliqua pas qui était ce correspondant, mais il semblait ne pas vouloir aller droit au but. Violet saisit le parchemin qu’elle lui tendit et commença à lire la première phrase à voix haute. Pas plus avancée, elle la relut dans sa tête cette fois-ci, tentant de comprendre le sens. Gwen avait raison, elle avait lu des bouquins du dix-huitième siècle plus simples à lire que cette lettre-là.

« Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sait y mettre la forme. C’est qui exactement, ce type ? »

Peut-être qu’en sachant avec qui elle échangeait, elle pourrait y voir plus clair sur ces lignes qui s’affichaient devant ces yeux. Voyons, avec un peu de concentration, elle pourrait sans doute réussir à déchiffrer le message. Mais vraiment, qui s’exprimait ainsi ? La Serdaigle appréciait lire des phrases bien faites avec de jolies figures de style, mais là, c’était d’un autre niveau. Ça n’était même pas vraiment beau à lire, c’était plutôt comme si un très mauvais écrivain amateur avait voulu se mettre à la prose en exagérant sur les fioritures. Beaucoup de mots pour pas grand chose. Enfin, c’était un casse-tête comme un autre, et ce n’était certainement pas Violet qui allait se dégonfler devant un message codé.

La première phrase n’avait vraiment pas beaucoup de sens ; celles d’après n’étaient pas mieux. En revanche, si elle regardait l’ensemble du texte, elle remarquait un champ lexical commun autour du sang. Non pas celui qui coule dans les veines, mais plutôt des origines. Elle n’était vraiment pas certaine de cette découverte cependant, car même en l’ayant notée, elle n’était pas plus avancée. Elle en fit part néanmoins à son amie :

« Il fait plusieurs fois référence aux origines, à la généalogie. Regarde, il parle de progéniture, puis d’ascendance, de racine, et là, il a même mis le mot originellement. Bon, ça ne m’aide pas vraiment à comprendre mieux, mais c’est déjà un début, j’imagine. »

On ne savait jamais, même si Violet était un peu perdue, peut-être que Gwen saurait quoi faire de cette information. En tout cas, ce mystère commençait à l'intriguer de plus en plus, et elle était plutôt curieuse de découvrir réellement de quoi il en retournait.

Ce mystérieux interlocuteur était donc apparemment un écrivain en herbe, quoique les mots rédigés sur sa lettre puissent laisser penser qu’il n’y connaissait rien à l’écriture. Gwendolyn avait raison, s’il tournait ses phrases dans son livre de la même manière que dans ses lettres, il ne trouverait pas beaucoup d’éditeurs qui oseraient le publier. Il y avait beaucoup de mots pour ne rien dire, et le sens semblait simplement être porté disparu. En revanche, elle comprenait mieux ce qui avait poussé la Serpentard à entrer en contact avec lui. S’il avait écrit sur l’histoire de Poudlard, il devait forcément avoir des informations supplémentaires susceptibles de satisfaire sa curiosité. Dommage qu’il avait le talent d’écrivain d’un crapaud, son bouquin aurait pu être intéressant à lire, s’il était un jour publié. Mais Violet avait déjà eu mal à la tête rien que sur ces quelques lignes sur ce parchemin, ça ne disait rien de bon à propos de son livre. Elle approuva la remarque de son amie :

« Ouais, je ne crois pas qu’il puisse trouver quelqu’un qui accepte de publier un ouvrage incompréhensible. Ce n’est ni agréable à lire, ni même très joli. »

Il y avait des mots dans tous les sens, et ça rendait son texte plus chargé qu’autre chose. Ce n’était même pas poétique, c’était simplement… laid. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire là-dessus. Enfin, elle n’était pas là pour critiquer l’écriture d’un inconnu, surtout alors qu’elle ne l’avait pas en face d’elle. Il s’agissait au moins d’essayer d’en comprendre le sens, ce qui n’était définitivement pas une tâche simple. Violet nota un champ lexical au travers des phrases, mais ça n’était sans doute encore qu’une figure de style pompeuse pour se donner des airs. D’après Gwen, tout cela ne répondait pas à sa question initiale. Quand elle lui demanda si elle pensait que l’école avait déjà subi autrefois des histoires de ségrégation, Violet laissa finalement tomber la lettre qu’elle trouvait d’une inutilité sans nom et répondit plutôt avec ce qu’elle savait de l’histoire de Poudlard :

« Et bien, je sais qu’il y avait eu des discriminations contre les nés-moldus il y a cinq ans, sous Blackman. Avant ça, je ne crois pas qu’il y ait eu quoi que ce soit d’officiels, même si les sorciers qui ne venaient pas d’une famille de sang-pur ont souvent subi des mauvais traitements au détour d’un couloir. Et puis, bien sûr, il y avait Salazar Serpentard, au fondement de l’école, qui aurait voulu n’ouvrir les portes qu’aux élèves issus d’une lignée de sorciers ; mais les autres fondateurs n’étaient pas d’accord, alors il n’a pas obtenu gain de cause. En dehors de tout ça, je ne vois rien d’autre. »

Ce n’était toujours que des faits qu’elle récitait, lus dans les manuels d’histoire de la magie. Quoique l’ère de Blackman ait été assez récente pour qu’elle ait pu entendre de vrais témoignages de la part de son grand frère sans qu’elle n’y ait assisté elle-même. Elle se demandait cependant où Gwen voulait aller avec toutes ces interrogations. Soupçonnait-elle l’existence de quelques histoires cachées sur Poudlard qui mériterait d’être dévoilées ? Tout cela sonnait presque complotiste – cela dit, ça avait aussi attisé la curiosité de Violet, qui avait toujours été plutôt avide d’en apprendre toujours plus sur le passé. Elle demanda finalement :

« Pourquoi toutes ces questions sur ce sujet-là, en fait ? Tu penses qu’il y a anguille sous roche ? Ou tu voudrais écrire un article sur le système des grades ? »

Cette histoire de lettre intriguait Violet plus qu’elle ne l’aurait pensé. Qui était ce type, pourquoi répondait-il à des questions simples avec autant de complexité, et qu’est-ce que Gwen cherchait réellement en lui demandant son opinion ? Pour cette dernière question, la Serpentard avait au moins une réponse à lui donner. Elle trouvait curieux, voire même complètement effarant, qu’il y ait une telle instabilité au niveau de la direction de l’école. En effet, les réformes et les changements dans le règlement intérieur de Poudlard s’étaient enchaînés, ces dernières années. Il y avait de quoi se poser des questions, l’école était largement bien moins sûre et prospère récemment par rapport aux décennies précédentes. Depuis le décès de Dumbledore, la direction de Poudlard avait été bien mise à mal, et aucun sorcier digne de ce nom avait vraiment réussi à reprendre le flambeau de manière permanente. Il était vrai que le système des grades cette année était bien dérangeant, voire carrément discriminatoire et scandaleux ; mais ça n’avait malheureusement pas été la pire chose que Poudlard ait connu ces derniers temps.

Ceci étant dit, Violet était plutôt du genre à laisser couler et à s’occuper de ses affaires. Elle aimait l’Histoire pour sa culture personnelle, et parce qu’elle la trouvait fascinante par moments, mais en-dehors de cela, elle se mêlait rarement de ce qui ne la regardait pas. Alors tant qu’elle pouvait continuer d’étudier et d’apprendre de nouvelles choses en cours, elle ne s’occupait pas trop de tout ce qui se passait autour. Elle concevait que Gwen avait assez de curiosité pour aller jusqu’à envoyer une lettre à un mystérieux historien pour obtenir des réponses, mais elle-même n’était pas prête à faire de même. Haussant les épaules, elle finit par lui répondre :

« Ouais, j’imagine. C’est vrai qu’on a eu quelques années difficiles, dernièrement. C’est à se demander combien de temps durera le directeur actuel avant qu’un autre ne prenne sa place et change de nouveau tout le système. À ton avis, qu’est-ce qu’on aura, comme réforme, la prochaine fois ? »

Elle eut un demi-sourire taquin, avant de reprendre son visage impassible. Ça lui était bien égal, en vérité, tant qu’on ne touchait pas à ses livres et à ses cours. Mais ça semblait tenir à coeur à Gwendolyn, alors elle décida de ne pas le mentionner. Au lieu de quoi, elle jeta un nouveau coup d’oeil au parchemin qu’elle avait reposé, celui qui contenait la lettre douloureusement écrite par cet auteur si incompétent. Même après une énième relecture, elle n’était pas plus avancée. C’était définitif, il n’y avait rien à tirer de ce torchon. Elle en fit la remarque à voix haute :

« En tout cas, ce n’est pas dans cette lettre que tu trouveras tes réponses. Le gars ne sait même pas de quoi il parle, ou alors, il le retranscrit très mal. Tu ferais mieux d’aller demander à quelqu’un d’autre. »

Après tout, un historien qui savait s’exprimer et écrire correctement, ça devait bien se trouver quelque part, non ?