Ce devait être la énième fois qu’elle se retournait dans son lit ; le sommeil se refusait à elle. Ouvrant finalement les yeux, Opal porta son regard sur le haut de son lit baldaquin. Le dortoir autour d’elle était paisible et silencieux. Mais elle n’arrivait pas à fermer l’œil du tout. Énervée de tourner sous les couvertures, elle décida de se lever, repoussant d’un mouvement furieux les draps. Elle quitta ensuite la chambre d’un pas léger, presque trop habitué, cherchant à ne déranger personne. Prendre l’air lui ferait sûrement le plus grand bien et permettrait de remettre en place les idées qui s’affolaient dans sa tête. Ce n’était pas le nouveau couvre-feu ou les tableaux fouineurs qui allaient la faire changer d’avis. Elle savait se faire discrète lorsqu’il le fallait après tout.

Elle descendit les escaliers dans le noir, préférant éviter d’attirer l’attention avec la lueur de sa baguette et connaissant si bien l’endroit, elle savait exactement où poser le pied. Son chemin vers la porte était cependant plus lent qu’ordinaire. Plongée dans ses pensées, elle avançait avec automatisme, sans aucune presse dans ses mouvements. Trop occupée à se prendre la tête sur ses problèmes plutôt que de se concentrer sur la route. Elle voulait justement se changer les idées, ce n’était pas gagné.

Plusieurs choses la préoccupaient ces dernières semaines. Opal n’était pas de celle à s’inquiéter facilement et elle préférait amplement ignorer ce qu’il se passait plutôt que s’en inquiéter. Cette fois-ci par contre, elle n’arrivait plus trop à faire la part des choses. Les cours, ça allait, mais elle ne se concentrait pas aussi bien. Il y avait souvent une arrière-pensée qui la faisait décrocher un moment et une attention divisée était néfaste pour lancer un sortilège...

Elle n’avait pas répondu aux formulaires d’orientation de l’école, car devant certaines questions, elle n’avait pas su quoi répondre. Elle ne voulait pas y penser. Elle ne savait pas. Et ne voulant pas se casser la tête là-dessus, elle l’avait mis de côté et oublié. En vérité, elle refusait de s’avouer que la fin de ses études approchait et que la suite commençait à l’inquiéter. Que voulait-elle faire ? Elle avait parfois des pistes de solution, mais tout s’embrouillait bien vite dans sa tête par la suite. Elle avait pris peur et n’avait pas continué à répondre aux questions.

Puis, il y avait Jasper et Emerald. Elle s’inquiétait pour eux. Ils n’avaient pas eu une rentrée aussi tranquille qu’espérer et elle savait que son frère l’avait encore en tête. La preuve était bien ce mot qu’il lui avait envoyé avant Halloween. Elle avait peur de ne pas pouvoir le faire changer d’avis une fois qu’il serait décidé. Elle n’avait rien entendu à ce sujet d’Emerald et elle espérait que sa sœur se porte bien malgré tout.

Les pensées tourbillonnantes lui donnaient mal à la tête. Elle ralentit à son arrivée dans la salle commune jusqu’à s’arrêter complètement. Un soupir las lui échappa. Elle essaya de mettre tout ça de côté pour se concentrer sur son intention du moment. Sortir prendre l’air. Où devrait-elle aller ? Une fois dans les couloirs, elle ne devait pas hésiter. Elle ne comptait pas aller trop loin ce soir, simplement se vider l’esprit au grand air. Par où serait-il préférable de passer ? Elle s’approchait sans presse de la porte lorsque son attention fut attirée ailleurs. Le bruit derrière elle la fit faire volte-face rapidement et elle retourna nez à nez avec un visage qu’elle connaissait bien.

– Marlon ?

Le chuchotement la quitta avant même qu’elle n’y réfléchisse. Il se tenait là, devant elle. Elle se dit qu’il allait certainement essayer de la dissuader de sortir. Pas seulement parce que son rôle de préfet le suggérait, mais aussi parce que c’était un peu ce qu’il se passait régulièrement entre eux. Un petit jeu de qui allait convaincre l’autre cette fois. Cependant, Opal n’avait pas trop la tête à jouer. Elle était même énormément contente de tomber sur lui et de ne plus se retrouver seule avec ses pensées. Le regard qu’elle posait sur lui était un mélange de soulagement et détresse. Elle essaya rapidement de camoufler le tout sous un sourire, décidée à penser à autre chose.

– Une balade nocturne pour toi aussi ?

Son ton était léger. Une touche d’amusement semblait teindre les mots, mais sa sincérité habituelle n’y était pas. Elle était quand même plus détendue maintenant qu’elle se retrouvait accompagnée et elle ne voulait pas l’inquiéter à nouveau avec ses problèmes. Elle allait faire de son mieux pour se calmer et se vider la tête.

Les pensées tourbillonnantes incessamment dans sa tête semblaient faire halte au moment où elle se retournait pour regarder derrière elle. Aussi surpris que la jeune fille, son esprit analysait maintenant la phrase prononcée dans son dos et le visage de celui devant qui elle se retrouvait maintenant. Ça ne lui prit qu’une fraction de seconde, le temps que son nom quitte ses lèvres, et elle tentait de reprendre contenance. De se montrer sous sa facette habituelle. Mais c’était bien plus difficile qu’elle aurait pensé. Elle aurait dû se douter qu’il le verrait tout de suite. Dans ses yeux, dans ce demi-sourire. Cette sincérité, cette touche d’amusement avec laquelle elle prenait la vie se faisait bien pâle dans ses pupilles en cette soirée.

Elle le vit lorsque son expression changea. De la moquerie légère et habituelle qu’ils partageaient normalement, cela passa à un visage présentant une pointe de sérieux et d’inquiétude. Elle sut tout de suite qu’il avait deviné. Qu’il avait compris dès que son regard s’était posé sur son visage cachant tant bien de mal une anxiété qui la bouleversait rarement. Il savait que ça n’allait pas.

Elle aurait réellement souhaité embarquer dans ce petit jeu. Un sourire à moitié confiant et à moitié innocent se serait étiré sur ses lèvres et elle aurait répliqué avec légèreté et amusement. Cherchant à le convaincre. Lui expliquer ses raisons de la laisser sortir. Raisons cachant mystère et aventure qui faisaient briller ses yeux de curiosité. Et pourquoi pas même l’attirer dans sa recherche de découvertes à travers les couloirs calmes d’une nuit froide de novembre ? Par contre, son cœur n’y était pas ce soir.

Elle tentait pourtant de garder un ton léger. Inquiéter son ami n’était pas dans ses intentions et elle préférait profiter de sa présence, se changer un peu les idées en pensant à autre chose. Elle chercha à savoir ce qu’il faisait ici à cette heure tardive et elle apprit que dans le cas de son ami, ce n’était pas pour une promenade nocturne. Le regard pâle d’Opal se porta sur le fauteuil là où était posé un épais bouquin. Il se faisait tard pour réviser, se dit-elle. Y avait-il une autre raison qui le poussait à lire ses notes si tard dans la nuit ? Elle n’eut pas le temps de lui demander cependant que la question lui était retournée. Elle haussa légèrement les épaules, ses lèvres s’étirant en un triste sourire.

– Pas tout à fait. Je… n’arrive pas à dormir, soupira-t-elle honnêtement. À quoi bon le cacher ? C’était la vérité et elle n’avait aucune nouvelle aventure à présenter pour sa cause. Autant lui dire ce qu’il en était. J’ai pensé qu’une balade me changerait les idées. Mais tu sais, je ne suis pas contre t’aider dans tes révisions.

Un véritable amusement pointa le bout de son nez l’espace d’un instant. Elle se détendait un peu, enfin. Décidant qu’elle ne souhaitait pas rester debout au milieu de la salle, elle s’approcha d’un divan et se laissa tomber de tout son long. Son regard se porta sur le plafond et son sourire s’effaça de nouveau pour une neutralité un peu morose. Un lent soupir lui échappa avant même qu’elle ne puisse le retenir. Sa voix s’éleva de nouveau dans le silence après quelques secondes. Elle était si douce que si Marlon n’y portait pas attention, il manquerait peut-être certains mots. Mais elle était certaine qu’il l’entendrait. C’était son meilleur ami après tout.

– Est-ce que ça t’arrive d’avoir les pensées tellement confuses que tu ne sais pas comment les prendre une à une ? On dirait que je me sens un peu noyée en ce moment. Je ne sais plus trop comment m’y retrouver.

Son regard n’avait pas quitté le plafond. Comme si elle murmurait plus pour elle-même et la nuit. Mais elle avait conscience de cette oreille pour l’écouter. Malgré tout et malgré les quelques fois où elle s’était confiée à lui, elle se sentait toujours un peu étrange de le faire. De mettre en mots, et surtout en voix, ces confusions qui la noyaient. Et comme bien souvent, elle ne lui laissait pas le temps de répondre. Déjà, elle se redressait, voulant chasser l’étrange incertitude qui s’emparait d’elle de nouveau, et elle pointa le livre de métamorphose. La première et plus accessible chose pour changer le sujet qu’elle avait pourtant amené d’elle-même. Son regard se posa sur Marlon.

– Tu étudies tard dans la salle commune. Pourquoi ?

Elle l’imaginait déjà la reprendre pour cette fuite continuelle dont elle avait l’habitude de faire preuve. Ne pas montrer ses faiblesses aux autres. Faire comme si tout allait bien. Sourire et continuer. Comme elle faisait toujours. Pourquoi était-ce si difficile d’avouer ses inquiétudes à voix haute ? Peut-être parce que c’était comme les accepter ? Admettre qu’elles existaient réellement. Chercher leurs fondements et leurs raisons d’être. Se brouiller l’esprit dans plus de questions et devoir y faire face. Opal détestait s’inquiéter. Pourquoi plus les années avançaient, plus il se faisait difficile de garder cette insouciance qu’elle aimait tant ?

Une partie d’elle voulait simplement se vider l’esprit, passer à autre chose l’espace d’un instant, aussi court soit-il. S’éloigner d’inquiétudes qui lui serraient le ventre et profiter de la caresse nocturne sur son visage. Et une autre partie se disait que ce n’était peut-être pas une mauvaise idée que d’en parler. Que ça lui ferait peut-être du bien. Pourtant l’hésitation de les mettre en mot ne la quittait pas tout à fait. Chose certaine, elle avait bien fait de rester dans la salle commune plutôt que de s’avancer dans les couloirs sombres. Moins de risque d’ennuis et c’était beaucoup plus confortable d’être allongée dans la salle commune avec Marlon à ses côtés. Elle se sentait moins seule contre les pensées qui s’affolaient dans sa tête.

Son regard était resté rivé sur le plafond alors qu’elle lui partageait à demi-mot sa confusion. Elle avait l’impression que ses pensées essayée de nouveau d’envahir son esprit, de prendre toute la place dans sa tête déjà un peu mêlée et elle ne voulait pas ça du tout. Alors, dans un élan, elle s’était assise et son regard pâle s’était posé sur son ami, souhaitant qu’il puisse la distraire pour un temps. Elle changea de sujet brusquement et put remarquer la confusion glissée dans le regard du garçon. La subtilité était un art qu’elle ne maitrisait pas totalement, mais elle n’essayait pas de cacher sa tentative pour changer le sujet du soir. Marlon lui répondit malgré tout et elle hocha la tête, se disant qu’elle aurait dû y penser. Comment n’y avait-elle pas pensé ? Était-elle si absorbée par ses propres réflexions qu’elle en oubliait la réalité d’un de ses amis proches ? Elle se sentit honteuse l’espace d’un moment de n’avoir pas réalisé l’évidence par elle-même.

Elle pouvait imaginer que ça ne devait pas être la joie d’avoir Finnbjorn comme compagnon de dortoir. Tout le contraire même. Elle n’avait jamais réellement eu à faire à lui — elle avait vite compris qui éviter à Poudlard dans ses premières années — mais elle le connaissait. De nom. De réputation surtout. Elle l’avait aperçu lors des soirées de Gryffondor. Et elle en avait entendu un peu plus depuis qu’elle se tenait avec Marlon, elle savait que se tenir loin de lui et son groupe était une excellente idée.

Elle n’eut pas le temps de répliquer quoi que ce soit à son explication rapide — elle aurait voulu, car elle se sentait comme une bien piètre amie — que déjà il enchainait. Il revenait sur le sujet qu’elle avait brièvement abordé avant de le mettre de côté sans plus de cérémonie. Cherchant à se cacher derrière quelques banalités. Le sourire qui étira ses lèvres se fit légèrement embarrasser alors qu’elle sentait la vulnérabilité la faire réagir comme une enfant. Cependant, elle ne le coupa pas ; elle n’essaya pas de changer de sujet. Elle l’écouta attentivement. Ses yeux pâles dans lesquels paraissait un sérieux qui lui était rare étaient posés sur le Gryffondor, cherchant réellement dans les mots partagés une solution, ou même un réconfort quelconque.

Elle hocha la tête d’un mouvement lent, laissant les mots s’ancrer en elle. Elle ne savait pas si elle pouvait appliquer cette méthode, mais elle ne perdait rien à essayer. C’était déjà un pas vers l’avant. À l’instant, elle était grandement contente d’avoir son ami avec elle. Un petit silence suivit les mots. Silence durant lequel Opal réfléchit, ses yeux fuyant vers le plafond une nouvelle fois et ses doigts pianotant sur le cuir du divan sous elle. Ce fut Marlon qui reprit la parole et les iris d’Opal trouvèrent le visage du Gryffondor.

C’était un regard légèrement curieux qu’elle porta sur lui. Sentait-elle une hésitation chez lui ou était-ce son imagination ? Est-ce qu’elle lui donnait l’impression de ne pas vouloir se confier parce que c’était lui ? Ce n’était pas du tout le cas. Il était l’un des premiers à qui elle voudrait partager ses problèmes. Par contre, c’était quelque chose de difficile pour elle. Aussi proche soit-elle de la personne, elle ne voulait pas montrer sa faiblesse. Comment pouvait-elle lui expliquer ? Car elle ne voulait pas le laisser penser qu’il n’était pas assez important.

– Hey Marlon… Je te fais confiance, tu sais. C’est juste que… je sais pas trop comment mettre en mot mes pensées. Et… pour être honnête…

Oh là là. C’était beaucoup plus difficile qu’elle ne pensait. Où était son assurance habituelle ? Elle se mordit la lèvre un instant en réfléchissant, puis continua, non sans une certaine réticence, cherchant un peu ses mots :

– J’ai un peu… peur ? (Un petit rire fatigué quitta ses lèvres. Aucune joie, simplement pour évacuer un peu de stress) Ç’a l’air idiot dit comme ça, mais... j’ai l’impression qu’en le disant à voix haute, ça rend mes inquiétudes fondées et… j’aime trop pas ça. Ha ha… Ça fait aucun sens c'que je dis.

Elle enfouit son visage entre ses mains soudainement. Pourquoi se sentait-elle anxieuse à l’idée d’en parler à voix haute ? Elle n’avait pas l’habitude d’être celle au cœur de la discussion, celle qui parlait de ses problèmes. Elle avait l’habitude d’être celle qui écoutait, qui épaulait, qui encourageait. Cette fois, c’était différent de ses petits soucis sans importance desquels elle discutait normalement.

Finalement, elle jeta un coup d’œil à Marlon avec une pointe de timidité qu’on ne lui connaissait pas. Ils avaient passé beaucoup de temps ensemble depuis l’année dernière, mais elle n’avait jamais réellement eu d’inquiétudes autres que les cours et ses choix pour la 6e année. Il y avait bien eu les problèmes à l’échelle de l’école, mais c’était différent. C’était partagé entre tous les élèves. Cette fois, c’était personnel. Elle et sa famille. Et elle était un peu perdue. Elle ne voulait pas trop inquiéter ses amis non plus avec ça. Pour certains, ça pouvait paraitre banal, rien du tout. Alors que pour elle, c’était un poids immense sur ses épaules.

– Et… si on y allait chacun notre tour ? Je t’explique une de mes inquiétudes, et tu me parles d’une des tiennes après. Comme ça… j’aurai pas l’impression de t’infliger mes problèmes alors que tu dois aussi avoir les tiens.

Elle laissa retomber ses mains et jeta un nouveau coup d’œil au Gryffondor, cherchant à jauger ce qu’il en pensait, s’il allait accepter sa proposition. Car elle n’était pas la seule à avoir des soucis. Marlon aussi devait avoir son lot d’inquiétudes avec tout ce qu’il se passait. Peut-être qu’elle pourrait l’aider à alléger ses pensées en même temps qu’il l’aiderait elle ? Et elle se sentirait moins mal de l’embarquer dans ses problèmes s’il lui partageait un peu des siens aussi.