@Skyler P. Mills


Après cette première semaine de cours, Maxton profita d’un peu de temps libre durant son weekend pour se glisser dans le parc. La rentrée avait été éprouvante, pour bien des raisons. Tout d’abord, ses vacances n’ayant pas été assez reposantes, il avait l’impression d’entamer cette nouvelle année avec déjà une forme de déficit d’énergie qui l’agaçait. Oh il savait pertinemment que cela allait revenir, mais sa patience était somme toute assez limitée ces derniers temps. Ensuite, les tous premiers jours, il avait ressenti une forme de mélancolie teintée d’anxiété à l’idée d’être loin de Bluebell. Elle avait beau lui avoir offert toutes les promesses qu’il lui demandait, il avait fallu qu’il observe de ses propres yeux que leur retour au château ne changeait rien à leur réconciliation de cet été pour s’apaiser. Son premier réflexe irrationnel avait été de considérer qu’en les replaçant exactement dans les mêmes circonstances que l’an passé, il existait un risque non nul pour que tout s’écroule. Cela n’avait pas été le cas et c’était avec une certaine satisfaction qu’il avait conclu que les nouvelles fondations rebâties sur les ruines de ce qui avait été leur empire étaient solides.

Aussi et face à ce constat, il avait enfin pu profiter de ce qu’il appréciait à Poudlard : une forme de liberté. Etre séparé de Bluebell à leur première répartition avait été un crève-cœur, mais avec du recul, il devait admettre que ne pas avoir été dans sa maison leur avait permis d’apprendre à évoluer en tant qu’individu à part entière et non comme une entité unique. C’était exactement cette sensation qu’il cherchait à retrouver en allant profiter des beaux jours pour lire tranquillement en extérieur.

S’il croisa quelques groupes d’élèves, aucun n’attira suffisamment son attention pour le détourner de son but initial. Grimoire sur des sortilèges qu’ils n’apprenaient pas en cours mais qu’il souhaitait maîtriser en main, il traversa une partie du parc avant de s’installer vers le lac, à une saine distance de tous les étudiants qui pouvaient s’y trouver. Il n’était certes pas le seul à avoir eu cette idée, mais contrairement aux autres, se prélasser au soleil et en compagnie de ses condisciples ne figuraient pas parmi ses projets, aussi, il choisit de s’asseoir sous un arbre éloigné, à l’ombre. Toute la situation était agréable, il y avait suffisamment d’air pour ne pas mourir de chaud, il était trop loin pour entendre les bavardages des autres … Il aurait dû se douter que les moments de calmes n’étaient jamais éternels dans cette école.

Il n’avait pas lu plus d’une dizaine de pages qu’un bruit de pas en sa direction attira son attention. C’était une démarche légère, plutôt féminine. Mais au bout d’une seconde, il comprit très vite qu’il ne s’agissait pas de sa jumelle, il était capable de reconnaître sa façon de se mouvoir entre mille, mais d’une personne qu’il n’identifiait pas. Aussi leva-t-il la tête de mauvaise grâce, agacé qu’on l’interrompe dans sa lecture, quand ses prunelles croisèrent celles de Skyler Mills.

Il resta immobile, se contentant de la fixer. Il savait qu’après le hibou pour le moins lapidaire qu’il lui avait envoyé cet été, elle allait un jour chercher à avoir une explication. Ecrire « Fin de l’accord » sur un bout de papier n’était pas extrêmement parlant. Il n’avait juste jamais essayé de provoquer cette discussion pour simple et bonne raison qu’il se fichait profondément de cette fille.

Comme il l’avait expliqué à Bluebell, il considérait que le lien qui les unissait était purement commercial, aussi, il ne nourrissait aucune rancœur à son égard sur sa vente de l’Exmalum. Il avait accepté ce contrat en connaissance de cause, mais il ne l’estimait pas suffisamment pour décider qu’il lui devait des explications. Elle aurait dû être flattée qu’il accepte de consommer sa potion un temps déjà et cette idée aurait dû adoucir la rupture de leurs échanges. Ce qu’elle avait obtenu était déjà inespéré. Néanmoins, elle était certainement trop bête, comme tous les gens de son espèce, pour s’en rendre compte. Cette dernière s’avança d’un pas décida vers lui et il arqua un sourcil pour manifester une sorte d’étonnement. Sans doute était-ce trop subtil, puisqu’elle se positionna tout de même face à lui, le toisant de sa taille. Ma foi, si cela lui faisait plaisir de rester debout, libre à elle, cela n’avait aucune vertu d’intimidation sur lui. Il la gratifia d’un regard indifférent avant de reporter son attention sur la page de son livre

- Mills, tu dois être égarée, je n’ai jamais mandé ta présence.

Sans relever la tête, cela aurait déjà été lui faire trop d’honneur, il pencha légèrement la tête vers le lac.

- Il semble que Mansfield fasse l’idiot par là-bas, si c’est lui que tu cherches. Quoi qu’on ne vous voie plus ensemble.

Cette pensée lui soutira un rictus mauvais. S’il n’avait rien contre Mills en dehors de son sang souillé, il haïssait Blaze de chaque fibre de son être.

- Ce serait une étonnante preuve d’intelligence de ta part.

@Skyler P. Mills


Une fois que Mills s’était approché de lui, il comprit rapidement que le calme auquel il aspirait risquait de ne pas durer. Elle ne semblait pas avoir envie de rebrousser chemin et ce même s’il l’avait accueillie avec une froideur mêlée d’indifférence. Il aurait dû savoir qu’elle ne maîtrisait pas les codes sociaux les plus élémentaires. En étant accueillie ainsi, la politesse voulait qu’elle s’éclipse. Evidemment, elle resta. Comme tous les sangs de bourbe, il fallait croire qu’elle avait été élevée chez les loups. Et encore, c’était faire insulte à ces pauvres bêtes. Elle essaya de le reprendre avec une arrogance que conférée la bêtise, à laquelle il opposa à nouveau tout son désintérêt

- Jamais depuis la rentrée, non.

Il ne mettait pas une once d’énergie dans la conversation. Cela ne mérite pas qu’il s’anime ou qu’il se défende d’une intention quelconque, après tout il ne lui devait rien. Elle avait été grassement payée, il ne lui avait pas volé cette potion. Ce retour impromptu avait donc quelque chose d’indécent et de pathétique. Abandonner, voilà ce qui aurait été à son honneur, mais elle en était incapable. Preuve encore de sa bêtise, plus elle allait l’agacer, plus avait des chances pour qu’il en parle à Blue et qu’elle fasse de sa vie un enfer. Sa sœur n’était pas connue pour sa mesure et cette nouvelle direction leur laissait une forme d’impunité.

Cette discussion était ennuyeuse parce qu’elle lui volait quelques minutes de son précieux temps, mais c’était sans doute le seul reproche qu’il avait à lui faire avant qu’elle ne sorte une fiole d’Exmalum et ne l’agite sous ses yeux. Ses prunelles s’accrochèrent aussitôt à la fiole pour ne plus la lâcher, exactement comme l’aurait fait un prédateur qui fixait sa proie. Il suffisait qu’il voit le liquide bleu danser devant ses yeux pour en avoir envie et il détestait cela. Il haissait son corps d’envoyer des messages aussi contradictoires à son esprit, il s’en voulait de ne pas être capable de supprimer l’envie qu’il ressentait. Pourtant, intellectuellement, il savait pertinemment qu’il n’en avait plus besoin. Il n’était pas assez malheureux pour que l’étrange potion fasse son effet, il aurait juste réussi à se rendre malade s’il avait tenté d’en ingérer. Pourtant, à dépasser allégrement les doses, il avait tellement pris goût à ce brouillard cotonneux qu’il n’arrivait pas à se détacher entièrement de la possibilité d’en reboire un jour. Juste une goutte lui susurraient ses démons, une toute petite goutte. Juste pour se prouver qu’il ne la supportait plus et n’avait aucun intérêt à la regretter. Avant ce jour très précis, il n’avait plus jamais eu l’occasion d’être en contact avec la potion. Après leur nuit sur la balancelle, Bluebell s’était chargée de détruire son stock alors qu’il dormait encore et ils n’en avaient jamais reparlé. Elle avait fait ce qu’elle devait et lui avait accepté que la colère qu’il ressentait à cette idée n’était qu’une manifestation du manque. Ils n’avaient plus jamais échangé de l’été sur le sujet. Lui parce qu’il ne le souhaitait et Bluebell parce qu’elle devait estimer que tout avait été dit. Elle s’était contentée de le réconforter et de l’aider à chaque fois qu’il s’était senti trop mal durant leurs vacances pour le lui cacher. Il s’était raccroché à elle autant qu’il avait pu vivre cela comme une humiliation. Pourtant, sa jumelle était bien la seule devant laquelle il acceptait d’être en position de faiblesse. Se retrouver dans cette situation sans elle avait donc quelque chose de terriblement dangereux autant que de tentant. Sans elle, il était tout à fait disposé à craquer. En son absence, elle ne saurait jamais qu’il l’avait fait.

Au bout de ce qui lui parut être une éternité, il se força à détacher les yeux de la fiole pour revenir sur le visage de Mills. Ce fut sans doute ce qui le retint d’accepter. Il y avait dans ses yeux une lueur calculatrice qu’il ne connaissait que trop bien, son propre regard arborait souvent la même. Or, jamais il ne lui donnerait la satisfaction de tomber dans son piège. Elle était une née moldu, la lie de l’humanité en somme, alors il pouvait bien lui résister, non ? Il valait mieux que cela. Et surtout, Bluebell ne lui pardonnerait pas.

- Aucune des sommes que tu réclames ne figurait dans notre accord. Ta vénalité aurait dû mieux négocier.

Son ton était tout aussi calme qu’auparavant, mais pour quiconque le connaissait bien, il avait perdu une partie de sa nonchalance. Son corps entier n’était qu’une immense tension, pris entre l’envie de se lever d’un bond pour lui arracher la fiole des mains et les efforts qu’il déployait pour résister à la tentation. Il jeta un bref coup d’œil à la chevalière sur son annulaire, pesant le pour et le contre de s’en servir discrètement pour appeler sa jumelle. Cela aurait été le plus intelligent à faire. Le plus pitoyable aussi. Cela aurait signifié que Mills avait du pouvoir sur lui. Il posa son livre près de lui pour lui lancer avec une pointe d’arrogance

- Maintenant que j’ai refusé, que vas-tu faire ? Te plaindre au directeur ?

L’avantage d’avoir un Sorensen à la tête de l’école était qu’il était certain qu’il serait toujours favorisé face au premier sang de bourbe venu. Evidemment, pour conserver cet avantage, il devait conserver le secret sur sa propre ascendance, mais cela était le plus simple. Personne ne soupçonnerait jamais rien.

- Pars Mills. Tu m’ennuies.

Cela ne manquait pas de dédain mais clairement de conviction. Intellectuellement, il voulait qu’elle dégage. Mais ses pupilles restaient accrochées à la fiole dans ses mains et tant qu’elle restait dans son champ de vision, il n’arrivait pas à partir ou à se montrer suffisamment menaçant pour lui laisser la fuite comme seule option.

@Skyler P. Mills


Maxton se contenta d’un sourire narquois face au commentaire de la jeune fille qui exprimait bien mieux que des mots ce qu’il pensait de son intervention. Sa personne comme ses conseils, peu lui importait, il ne ressentait que de l’indifférence au mieux, voire du dédain. Elle le jugeait stupide, mais dans son esprit, elle ne valait guère mieux. Elle lui avait bradé sa potion tant il était évident qu’il avait été prêt à payer plus quand il lui avait demandé. Elle avait accepté de contracter avec lui alors qu’elle n’avait aucune garantie de son sens de l’honneur. Elle avait fait circuler dans l’école une potion dont elle était la seule à détenir le secret, encore plus depuis que Sasha était partie, ce qui faisait d’elle la coupable idéale à la moindre difficulté. Elle pouvait bien dire ce qu’elle voulait, elle avait autant joué avec le fait qu’il l’avait fait. Et alors que contre toute attente, il avait sincèrement respecté leur relation d’affaires en ne cherchant pas à la piéger, elle venait lui demander des comptes. Elle était suicidaire.

Maxton dévisagea Skyler avec un étonnement qui se transforma en mépris quand elle indiqua que leur directeur n’avait aucune raison de faire de différence entre ses élèves. La candeur qu’elle essayait de feindre ne lui convenait pas. Ils n’avaient été en relation qu’autour de l’Exmalum, certes, mais cela lui avait suffi pour comprendre que Skyler Mills correspondait exactement à ce que son physique disait d’elle. Tout comme il n’y avait rien de naïf dans ses traits, ses actes comme ses paroles étaient rarement innocents. Elle ne pouvait donc pas décemment croire que leur nouveau directeur ne ferait aucune différence entre elle, une née-moldue, et lui, dont le nom des Sherwin lui assurait une confortable légitimité. Peut-être que si son ego avait été un peu moins démesuré, ou un peu moins nécessaire pour sa survie également, il aurait remis en question ce système et sa place après avoir appris l’origine de ses parents. Bien au contraire, il n’était que plus décidé à faire semblant que tout cela n’existait pas. Seuls comptaient son éducation et son nom et si on se fiait à cela, il ne risquait absolument rien. Un rictus moqueur apparut sur ses lèvres

- Aucune raison, bien sûr. Tu veux que nous lui demandions, pour voir ?

Oh oui, qu’ils se rendent dans le bureau de Sorensen, il en mourrait presque d’envie. Que croyait cette petite dinde ? Il avait manipulé les employés du ministère quand il avait à peine douze ans pour assurer sa sœur et lui l’immunité après la période Blackman. Il mentait comme il respirait. Il était capable de lui inventer une histoire crédible en un battement de cils, entremêlant vérité et mensonge pour plus de solidité, dans l’unique but de l’écraser. Et quand il l’offrirait sur un plateau à leur directeur, il n’y aurait rien ni personne pour la défendre elle. Alors oui, il bouillait d’impatience qu’elle veuille pousser le jeu plus loin parce qu’il avait enfermé tellement de colère et de rage depuis si longtemps que l’idée de piétiner métaphoriquement quelqu’un lui était terriblement douce. Même dans ses pires disputes avec sa sœur cet été, il n’avait exprimé qu’un centième de ses émotions. Il avait tout muselé, comme à l’accoutumée, mais à chaque seconde où elle agitait cette fiole devant les yeux, le souhait de lui faire payer au centuple devenait plus irrésistible. Or, il savait qu’il ne pouvait pas se jeter sur elle ou lui lancer un sort. Ce n’était pas la volonté qui manquait, mais il n’arriverait jamais à justifier cela. Par contre, si elle l’amenait vers son terrain en lui offrant une tribune …

Comme renforcer ses pulsions violentes, Skyler ne se conforma pas au congé qu’il venait de lui signifier. Bien au contraire, avec cet air faussement ingénu qui donnait envie au Gryffondor de lui faire ravaler ses dents, elle ouvrit la fiole de potion. A partir de cet instant précis, il put presque sentir le déclic s’opérer dans son esprit, sa raison céder la place dans une ultime révérence au manque et comment ce dernier pouvait manipuler ses perceptions. Il était trop loin, bien trop loin pour sentir l’odeur de la potion. Pourtant, il eut presque la sensation d’en sentir le goût sur ses lèvres. Il avait beau être conscient que son cerveau lui jouait des tours, cela ne rendit pas l’expérience moins effrayante de son point de vue. Quand la goutte de potion roula jusqu’au bord du verre pour tomber sur l’herbe, la scène se déroula presque au ralenti devant ses yeux horrifiés. Horrifiés que l’on gaspille la potion ou horrifiés par la possibilité qu’envisagea son esprit durant un centième de seconde de tenter de rattraper cette fichue goutte. Il s’était cru plus fort, il s’était cru guéri, il fallait croire que non. La réalité était douloureuse à accepter. Son manque à son paroxysme en cet instant était violent à gérer. La chevalière à son doigt sembla peser un peu lourd et il hésita cette fois sérieusement à appeler sa sœur, avant de refouler cette idée. Etre pathétique devant Skyler était une chose, l’être devant sa jumelle en était une autre. Elle savait bien des choses, évidemment, il était la seule dont il avait accepté l’aide. Mais dans tous les secrets qu’il lui avait livrés, jamais il n’avait verbalisé à quel point il avait laissé l’addiction le ronger. Plus par honte que par pudeur, par stupidité aussi, il lui avait laissé deviner les contours de son mal-être sans les lui dessiner précisément, si bien que si elle était la seule personne qu’il pouvait appeler, elle était aussi la dernière personne qu’il voulait décevoir. Leur réconciliation était un fait, ses insécurités n’avaient pas toutes disparu pour autant, tout comme celles de sa jumelle. Cette manière qu’elle avait de le couver était bien la preuve des séquelles. Leur rentrée à Poudlard avait à peine commencé à améliorer les choses. Alors il ne pouvait pas tout détruire une nouvelle fois. Pas comme ça.

Avant même d’avoir réalisé ce qu’il faisait, il bondit sur ses pieds et attrapa vivement le poignet de Skyler pour l’empêcher de renverser plus de potion, les yeux flamboyants de colère

- A quoi joues-tu, Mills ? J’ai respecté les termes de notre accord alors qu’il aurait facile, si facile pour moi d’enterrer mes secrets en te faisant disparaître de l’équation. Mieux, je peux encore le faire.

Sans la lâcher, il tendit la main pour qu’elle lui donne le bouchon afin de refermer cette maudite fiole. Elle savait qu’il ne voulait pas qu’elle soit renversée sur le sol. Il savait qu’elle ne voulait pas perdre sa précieuse création.

- Quelle est la vraie raison de cette conversation ? Pas les gallions, la raison qui te motive à prendre le risque d’épuiser ma patience.

C’était une folie de le pousser à bout. Il ne serait peut-être pas dangereux sur l’instant, mais Maxton n’était pas Bluebell. Sa jumelle se vengerait de manière flamboyante et dans l’instant. Lui passerait une vie entière à lui faire payer de manière plus insidieuse. Selon sa réponse, il se promit qu’il appellerait Blue. Tant pis s’il devait être pathétique à ses yeux pour le reste de l’année, la proximité de la potion était quelque chose qu’il serait incapable de gérer beaucoup plus longtemps.

@Skyler P. Mills


Maxton lisait parfaitement dans les yeux de Skyler qu’elle n’avait absolument pas peur de lui. Sans doute aurait-elle dû. Depuis que sa main s’était refermée sur son poignet, il ne rêvait que de resserrer brusquement sa poigne pour le lui tordre. Que valait un batteur avec une entorse ? Guère plus grand-chose. A vrai dire, il se moquait d’utiliser la violence contre elle, aucune bonne éducation ne le retenait de la frapper. Il était de notoriété publique qu’il ne fallait pas porter de coup à une fille, mais elle, elle était une sang de bourbe et cela changeait tout à son statut. Les règles les plus élémentaires de la bienséance ne s’appliquaient à elle. La seule chose qui le retenait était l’idée que s’il devait quémander l’aide de sa sœur – bien que cette possibilité lui soit affreusement désagréable – si elle le retrouvait à nouveau mêlé dans une scène de violence, elle lui en voudrait peut-être. Il n’en était pas certain, après tout, comme ce n’était que Skyler Mills, mais il ne prendrait certainement pas le risque de vérifier si des séquelles étaient toujours présents.

Seul le geste de la jeune fille consistant à lui remettre le bouchon de liège sans chercher à discuter l’apaisa légèrement. Evidemment, ce n’était qu’un leurre, mais il avait l’impression de retrouver une once de contrôle sur la situation. Pourtant, il était toujours aussi crispé, presque à l’affut, mais s’il arrivait à reboucher cette fichue fiole et à s’en éloigner, il aurait tout gagné. Son regard croisa celui de Skyler et la lueur de contentement qu’il y aperçut quand il posa sa question acheva de le convaincre qu’il ne se méprenait pas sur les intentions de la jeune fille, mais que cela signifiait aussi qu’il s’était engouffré dans son piège. En étant le premier à formuler l’interrogation qui flottait entre eux, il lui donnait l’impression de vouloir négocier une nouvelle fois. Sans doute qu’une part de lui en mourrait d’envie. Est-ce que s’il lui offrait ce qu’elle voulait, elle lui remettrait la fiole de potion ? Elle n’était pas très grande, à peine trois gorgées. Cela lui permettrait de vérifier sa théorie selon laquelle il ne pouvait plus supporter la potion. Et s’il la tolérait, il n’allait pas replonger pour trois malheureuses gorgées … Juste le temps d’en sentir le goût, d’en ressentir les effets …

Reprendre le contrôle sur ses pensées qui dérivaient fut particulièrement difficile. Ce fut la demande de Skyler qui lui permit de s’ancrer à nouveau dans la réalité. Il aurait dû deviner ce qu’elle attendait de lui, ce n’était pas la première fois qu’elle lui réclamait des informations. Ce qui n’avait aucun sens puisque son cerveau était bien incapable de comprendre et traiter les éléments qu’il lui fournissait. Et de toute manière, il ne disposait pas de ce qu’elle lui demandait. Il n’était pas dans le secret des dieux, le seul moyen de l’être aurait été d’interroger Erin, mais l’idée de trahir la Poufsouffle pour répondre à Mills le hérissa littéralement. Dans toute son addiction, il ne lui subsistait que de rares barrières. Sa sœur en faisait partie. Erin aussi, quoi que cela signifie. Il se contenta donc d’un sourire glacial

- Un coup d’avance ? Sur qui, Mills ? Sur ma sœur qui va te faire la peau ?

Il était plus simple de prétendre ne pas comprendre sa question pour la forcer à expliciter sa pensée. Si son souhait était de pouvoir en apprendre plus sur le directeur pour lui mettre des bâtons dans les roues, il voulait qu’elle le verbalise clairement. Sans compter que ce n’était pas un mensonge, il connaissait assez sa jumelle pour savoir qu’elle n’attendait qu’un instant d’inattention pour tenter d’achever Mills dans son sommeil. Que personne ne s’y méprenne, si elle y arrivait, il l’aiderait à planquer le corps. Il resserra légèrement la pression autour de son poignet et ajouta d’un ton mielleux

- Ou alors tu veux nous organiser une nouvelle mutinerie ? Appleton n’est pas Sorensen.

Elle allait s’y casser les dents et il aurait adoré voir cela. Peut-être qu’il pouvait précipiter sa chute en glissant quelques mots sur elle à Finnbjörn. Par certains aspects, il était bien moins subtil que sa sœur et il arriverait sans doute à le manipuler pour lui faire glisser un mot sur Mills à son grand-père. Son regard s’égara sur la fiole à quelques centimètres de ses doigts et l’envie de la lui arracher revint, plus impérieuse.

@Skyler P. Mills

L’espace d’une seconde, Maxton entrevit dans le regard de la brune quelque chose qui le mit profondément mal à l’aise. Le plaisir de la confrontation, presque l’envie de violence, il y avait dans ses prunelles à elle ses émotions à lui, comme si elles s’y reflétaient miroir. Il avait eu la désagréable impression qu’ils pouvaient se comprendre dans une certaine mesure quand il avait passé cet étrange contrat pour sa potion, il en avait une forme de confirmation aujourd’hui. Cette idée le rendait malade. Ses émotions le plongeaient dans une forme d’agacement depuis décembre dernier. Il avait pris l’habitude de les refouler, désormais il devait composer avec, comme si l’absence de l’Exmalum lui laissait comme séquelles des sentiments dont il ne voulait pas ou en tout cas qu’il étouffait plus difficilement qu’avant. Mais comprendre qu’à certains instants de sa vie, il pouvait être au même niveau qu’une née-moldue, c’était intolérable. Ce n’était pas la plus stupide de son groupe, certes, mais elle était une sang de bourbe tout de même. La comparaison n’était pas flatteuse, elle était même inquiétante. Il ne voulait pas tomber aussi bas. Mais il ne souhaitait pas non plus tourner les talons et lui donner l’impression de la fuir. Lui concéder la moindre victoire était impensable. Il lui avait déjà offert une forme d’ascendant dont il se mordait aujourd’hui les doigts. Jamais elle n’aurait osé l’approcher s’il n’y avait pas eu cette potion entre eux. Elle pensait que cela lui donnait tous les droits.

Son regard dériva à nouveau sur la fiole. Evidemment qu’elle croyait cela et dans un sens, elle avait raison. Elle avait un pouvoir indéniable sur lui puisqu’il n’arrivait pas à s’extirper de cette situation, à tourner les talons et à laisser cette maudite potion derrière lui sans en ressentir un puissant regret. Il avait beau être conscient que tout cela n’était qu’une farce que lui jouait son esprit, il était tout simplement incapable de partir de là. Coincé entre ses dilemmes. S’il obtenait la fiole, il allait décevoir définitivement Bluebell, sans parler du coup monstrueux qu’il allait porter à son propre égo. S’il quittait le parc sans la fiole, il était capable de ressentir et de prévoir que les jours à venir seraient sous le signe d’une rechute. Son cerveau mécontent ferait en sorte de décupler les effets du manque. Ce n’était pas mortel, mais pour l’avoir vécu cet été, cela n’aurait rien d’agréable. Devoir le dissimuler aux yeux du reste du monde serait encore plus difficile. Comment faire alors quand aucune des solutions n’était viable ?

Sa réponse lui arracha un ricanement désabusé et il haussa les épaules avant de lâcher

- Trop vague. Je ne suis pas devin, je ne connais pas ton avenir. Demande à ta directrice de maison pour cela.

En réalité, son exigence était trop élevée. Il ne pouvait lui livrer n’importe quel renseignement et surtout il aurait fallu qu’il sache ce qu’il se tramait pour lui apporter une information de qualité. Or, ce n’était pas le cas. Il ne s’était pas passionné pour les intrigues politiques depuis son retour à l’école. Le simple fait de savoir que cette école était enfin menée par un directeur valable était suffisant. Néanmoins sa volonté persistante d’en apprendre plus sur la direction de Poudlard, cette année comme l’an dernier l’intriguait profondément. Elle était en fin de cursus. Elle aurait pu ne rien dire, ne rien faire et terminer paisiblement sa scolarité. Tant que les nés-moldus le pouvaient encore.

Et je te donne de quoi rester maître du tien. Les mots dansèrent dans son esprit, hypnotiques avant que les promesses qu’ils contenaient n’éclatent comme une bulle de savon quand il se rendit compte de leur absurdité. Elle ne pouvait pas le savoir, elle ne le connaissait que trop peu, mais sa peur à lui était la perte de contrôle et avec cette potion, il avait cru dominer la situation pour au contraire sacrifier ce qui lui restait de prise sur sa vie. Il était assez intelligent pour le savoir, tout comme il était assez malin pour y voir le cercle vicieux du mécanisme d’autodestruction qui s’y cachait. A défaut de ne plus avoir de contrôle sur sa vie, il avait pris la main sur le mal qu’il pouvait s’infliger. Et ce n’était qu’en baissant les armes devant sa sœur qu’il avait admis que même là, le contrôle lui avait glissé entre les doigts. Reprendre le contrôle avait été d’endurer cet été sans broncher, d’accepter de dire la vérité à Bluebell pour obtenir son aide, de lui refuser le droit de prévenir le moindre adulte de la situation parce qu’il avait affirmé qu’il était capable de gérer seul. Alors le promettre le contrôle était peut-être la seule chose capable de lui faire réaliser le danger de la situation. Si elle lui avait promis l’oubli, une anesthésie, une brume cotonneuse et confortable, un engourdissement ... N’importe quoi d’autre, il aurait cédé. Là, il avait uniquement envie de fuir et d’aller s’enfermer dans son dortoir pour laisser la honte le consumer. Ses yeux flamboyèrent autant de colère que d’appréhension et il lâcha brusquement le poignet de la jeune fille pour reculer prudemment d’un pas. Le bouchon de liège tomba entre eux, gisant sur l’herbe.

Ce geste fut une nouvelle lutte contre lui-même. Ce qu’avait admis la part raisonnable de son esprit n’était pas encore arrivé jusqu’à son corps. Se forcer à reculer fut presque douloureux tellement ses muscles étaient tendus vers la fiole. Il se pinça l’arête du nez, autant dans un geste machinal que dans une vaine tentative de s’ancrer durablement dans la réalité.

- Je suis déjà maître de mon destin. Je n’ai pas besoin de toi pour l’être. Un accord commercial passé ne définit pas ma vie.

Qui essayait-il de convaincre ? Elle ou lui ? La chevalière était si près de ses lèvres et l’envie d’appeler sa jumelle si forte. Il avait toujours tout géré pour elle, peut-être que lui céder ce rôle encore un peu n’était pas aussi grave que ce qu’il avait pu penser en début de conversation. Il était tellement fatigué et elle avait récupéré des forces. Lui abandonner le devant de la scène était sûrement pathétique, mais c’était aussi si logique. Tellement logique. Alors pourquoi son ego le retenait encore ?

- Négocie mieux, Mills. Dis moi avec précision ce que tu m’offres avant que je ne fasse intervenir ma jumelle dans nos tractations. Parce que toi et moi savons qu’elle ne manquera pas d’apparaître quand je perdrai patience.

Avec une forme de fourberie, il avait commencé à faire intervenir l’idée que Bluebell pouvait arriver à tout moment, pour protéger leur mode de communication. Skyler n’avait aucun moyen de connaître le pouvoir de leur chevalière. Alors si elle croyait qu’ils étaient connectés d’une étrange façon ou qu’il était capable de prévenir sa sœur par magie, il pourrait maintenir leur secret. Il n’avait que le prénom de sa sœur à prononcer, la bague était presque à portée de ses lèvres.

@Skyler P. Mills

Quel idiot il était d’y avoir cru. Maxton avait tellement voulu se penser libéré de la potion et de cet accord avec Mills qu’il n’avait pas réellement imaginé qu’elle puisse venir le confronter et qu’il puisse se trouver à ce point en difficulté. Il ne savait pas si elle était en mesure de percevoir ou non sa faiblesse. Ses failles. Il avait l’impression d’être aussi transparent qu’un livre ouvert et en même temps, il savait très bien qu’il avait parfaitement maintenu l’expression de son visage pour ne pas laisser ses émotions s’y dessiner. Sa présence était la preuve de ses doutes, son indifférence feinte une fausse preuve de son détachement. Que comprenait la brune entre ces signaux contradictoires ? Si elle avait été maligne, elle lui aurait mis la potion sous le nez, littéralement. Il lui aurait suffi de relever son bras et de porter la fiole à ses lèvres pour qu’il lui arrache des mains. Sa résistance ne tenait plus qu’à la distance entre le verre et sa bouche et à l’idée de décevoir sa sœur. Le reste avait été balayé depuis bien longtemps par un esprit aussi malade qu’avide qui lui faisait peur. Etait-ce ainsi que son géniteur ressentait les choses quand il était confronté de l’alcool ? Est-ce qu’il était destiné à lui ressembler éternellement maintenant qu’il s’était engouffré dans ce vice ?

La peur l’étreignit à nouveau et son calme ne persista que grâce à la clémence de ses souvenirs qui lui rejouèrent en boucle les paroles de sa sœur lui promettant qu’il ne lui ressemblait pas. Si elle le disait, il la croyait, aveuglément.

De la distance qu’il avait instaurée entre eux, il la dévisagea, impassible. Evidemment que ses paroles piquaient sa curiosité, qu’avait-elle à lui offrir qu’il n’ait pas déjà essayé ? L’idée la plus folle aurait été un antidote, mais il n’était pas assez idiot pour y croire. Si elle avait eu une telle monnaie d’échange, elle l’aurait déjà énoncé pour prendre le dessus sur la négociation. Il lui aurait offert n’importe quoi pour l’acquérir et il supposait qu’elle en était fort consciente. Quant à sa crispation à la mention de Bluebell, cela ne faisait que lui confirmer que chacun de ses projets était malsain. Voilà pourquoi elle voulait traiter avec lui. Parce qu’il était pragmatique et surtout entièrement empoisonné par l’Exmalum. Il serait prêt à céder pour tout ce qui irait dans son sens et ferait taire le manque. Bluebell entendrait les pièges derrière chacun de ses mots.

Quand Mills partit, il resta debout, strictement à la même place, le souffle court. Pour cet échange qui avait dû durer au plus un quart d’heure, il avait l’impression d’avoir souffert des heures. Ses poumons le brûlaient, ses muscles crispés étaient douloureux … Il aurait dû tourner les talons et rentrer, il le savait. Mais son immobilisme trahissait la peur qu’il avait de faire quelque chose qu’il allait affreusement regretter. La goutte était toujours dans l’herbe avait-elle dit. S’il tournait les talons et qu’il s’y trouvait confronté, est-ce qu’il avait récupéré assez de contrôle pour ne pas tenter de la récupérer ? Il était presque capable d’imaginer toute l’humiliation de la scène et cela le rendait furieux. Même pas contre la Serpentard, mais contre lui-même. Irrationnellement, contre Bluebell aussi parce qu’elle n’était pas là et parce que malgré toutes ses paroles, il avait toujours aussi peur de lui demander de l’aide. Contre leur géniteur, à l’origine de toute cette situation … Oui, à chaque seconde qui s’écoulait, la panique et la peur se transformaient en colère dévorante. La rage était salutaire, elle lui donnait des ressources qu’il n’avait réussi à trouver dans l’indifférence. Alors au bout de longues minutes, il bougea enfin, non sans une certaine raideur. Il avança prudemment vers la goutte qui luisait d’un bleu étrange presque hypnotique et l’observa quelques secondes, avant de l’écraser soigneusement. Il eut l’impression que son esprit aurait pu en pleurer de douleur, mais il ne cessa son geste quand le bleu fut enfin invisible à l’œil nu. Son souffle était aussi saccadé que s’il avait couru à en perdre haleine pour échapper à un cauchemar et peut-être était-ce sans doute ce qu’il venait de vivre. Puis après une nouvelle seconde d’immobilité, il tourna brutalement les talons vers le château pour aller retrouver sa salle commune, non sans promettre dans un murmure

- Je vais te le faire payer.

Oh, pas de chance Mills ! Grâce à cette entrevue, il venait de comprendre que la haine était un sentiment bien plus efficace que le détachement et qu’il ne serait jamais assez fort pour résister entièrement à la potion. L’équation était donc extrêmement simple. C’était la créatrice qu’il fallait museler. Une fois ses secrets arrachés, il la détruirait. A moins qu’il ne se détruise lui au passage.