« Même pas peur ! » Eh ben prouvez-le ! « C’est ce qu’on va faire ! » Après le cours de soins, si vous vous défilez, vous s’rez rien d’autres que des poules mouillées. « T’as qu’à v’nir avec nous, comment tu vas vérifier qu’on ira bien au bout ? » Le cours de botanique était mouvementé, ce matin. C’était peut-être l’arrivée du week-end qui jouait un rôle là-dedans, ou bien le fait que le cours de métamorphose avait été annulé à la dernière minute, offrant aux élèves de quatrième année un après-midi libéré de deux heures complètes. Autant dire une vie, à cet âge-là. Tout était parti de ces Bubobulbs que les élèves devaient rempoter par groupe de quatre, les maniant précautionneusement pour ne pas faire éclater les pustules pleines de pus. Rosalie avait été appelée juste avant Daria pour former le deuxième quatuor, en compagnie de deux Serpentard qui n’étaient malheureusement pas Artemis. Dommage, c’était toujours plus sympa de faire les parties pratiques avec lui : elle se salissait volontiers les mains pendant que lui prenait toutes les notes et, en échange de quelques bonbons aisément négociés, la blonde repartait avec le cours de son meilleur ami. Pas de cela aujourd’hui, juste les deux garçons arrogants et moqueurs qui agacèrent profondément l’adolescente. De pique en pique, ils en étaient venus tous les quatre au fait que ces plantes, élevées en serre à Poudlard, poussaient également dans la forêt interdite. Lieu de tous les dangers et de bien des fantasmes. Il n’en avait pas fallu bien plus pour qu’un défi stupide émerge des fiertés adolescentes de nos quatre protagonistes. Ni Daria, ni Rosalie n’auraient supporté se défiler et subir les moqueries incessantes des deux idiots. Alors elles avaient clamé haut et fort qu’elles étaient parfaitement capables de se rendre dans la forêt, de trouver un Bubobulb et de le ramener comme preuve de leur courage. Même pas peur, s’étaient-elles exclamées. Même pas peur.

Pour le déjeuner, Rosa avait retrouvé Artemis qui ne jugeait pas du tout que c’était une bonne idée, d’aller se perdre dans la forêt en fin de journée. Que ça n’était pas une bonne idée tout court, d’ailleurs, mais encore moins en fin de journée. Et la blonde, évidemment, n’avait rien écouté. Il était hors de question de perdre la face et d’entendre les rires gras et satisfaits des deux imbéciles. Quand elle rejoignit Daria sur le chemin de l’enclos où se déroulait le cours de soins aux créatures magiques, celle-ci n’en démordait pas non plus. Elles iraient et elles prouveraient à ses deux nigauds qu’elles n’avaient rien de deux pleutres. Et puis alors, ce serait à leur tour de relever un défi pour prouver leur courage. La leçon du jour passa bien vite. Les nuages assombrissaient le ciel et, à quinze heures, quand le cours se termina, il faisait déjà très sombre, quand bien même le soleil ne se couchait qu’une heure plus tard. Le professeur les garda encore quinze minutes, le temps de terminer son explication et de leur donner des devoirs, et puis ils purent s’éparpiller. La plupart des élèves retourna rapidement au château, mais pas Daria et Rosalie. Les deux Serpentard les avaient alors rejointes, l’air bravache et l'œil moqueur. Alors, vous abandonnez ? « Pas du tout ! » s’exclama la blonde en carrant les épaules comme pour donner plus d’aplomb à ses propos. Ce n’était pas une petite forêt de rien du tout qui allait lui faire peur, quand bien même on chuchotait que les loup-garous s’y rendaient à la nuit tombée. Elle était une Gryffondor, courageuse et aventureuse ! « Tu viens, Daria ? » souffla-t-elle à l’adresse de son amie, dardant un dernier regard noir d’inimitié sur les deux imbéciles, enveloppant le bras de sa copine du sien avant de prendre la direction de la lisière. Dans leur dos, elle pouvait sentir leurs yeux rivés sur elles. Ils attendraient probablement qu’elles disparaissent parmi les ombres des arbres hauts et sombres pour s’en retourner dans leur Salle Commune et parier sur le temps qu’elles mettraient avant de faire demi-tour en hurlant.

Devant elle, l’orée de la forêt n’avait pas grand-chose d’accueillant. S’il faisait sombre dans le parc, il avait l’air de faire quasiment nuit dans la forêt. Les arbres étendaient leurs silhouettes immenses au-dessus des deux adolescentes. Rosalie pouvait bien afficher une assurance pleine de courage, au fond d’elle, elle n’en était pas moins impressionnée par l’austérité des lieux… et des légendes qui circulaient à son sujet. « Ils sont vraiment trop bêtes ces deux-là » grommela-t-elle alors qu’elles posaient un pied sur le tapis de brindilles abandonnées par les sapins environnants. « Bon, on peut pas se dégonfler sinon ils vont l’dire à tout l’monde… On y va, on trouve un Bubobulb et on rentre, ok ? » C’était pas sorcier, tout de même. Ça devait se trouver pas trop loin du début de la forêt, ce genre de plante, parce que ça n’avait rien de très dangereux, et que dans l’esprit de la jeune fille, plus on s’enfonçait dans les bois, plus ce qu’on y trouvait était terrifiant. Un Bubobulb, c’était moche, c’était dégoûtant, mais pas terrifiant.

( Pando )

Joignant le geste à la parole, Daria lui emboîta le pas et les deux amies prirent la direction de la forêt interdite, côte à côte, bras dessus bras dessous. Rosalie n’était pas du genre à se défiler, encore moins alors que l’aventure se profilait devant ses yeux dorés. Mais la forêt, tout de même… Les histoires qui couraient au sujet des créatures l’habitant faisaient froid dans le dos. Et autant la Gryffondor adorait les contes et légendes en tout genre, autant elle avait plus de mal avec les histoires d’horreur. Mourir ou perdre un bras, une jambe, se faire grignoter par un loup-garou, tomber nez à nez avec un troll… ça n’était pas vraiment dans ses plans immédiats. Encore que le dernier pouvait être très amusant si elle parvenait à s’en sortir. Les rumeurs disaient qu’une baguette dans le nez était des plus efficaces pour se débarrasser de ces monstres puants, mais la jeune fille n’avait encore jamais eu l’occasion de vérifier. Elles étaient donc là, toutes les deux, sous le regard attentif et railleur des deux autres imbéciles, à relever un pari stupide d’adolescents. C’était une question d’honneur, cependant : elles ne pouvaient se défiler. Quand bien même l’envie était forte, oh que oui.

Tout autour d’elles, les dernières lueurs du jour n’aidaient pas franchement à se sentir rassuré. C’est qu’il faisait de plus en plus sombre et que, dans ces conditions, les bruits de couloir concernant les monstres qui vivaient dans les bois gagnaient en intensité. Le noir avait ce pouvoir-là, et Rosalie n’était pas très pressée de l’expérimenter de plus près. Elle s’exhorta néanmoins à un peu de courage et Daria la suivit sur cette voie. « J’espère que les pustules leur exploseront au visage et qu’ils auront plein de cloques ! » surenchérit-elle avec une hargne renouvelée. Si elle n’avait pas très envie de s’aventurer dans la forêt sombre et réputée dangereuse, elle avait très envie, par contre, de faire ravaler leurs moqueries aux deux garçons et, pourquoi pas, de prendre une petite revanche. Rien de bien méchant, rien que l’infirmière ne pourrait soigner, mais assez pour que les deux copines en retirent une immense satisfaction.

C’était trop tard pour se dégonfler, désormais. Les deux adolescentes s’arrêtèrent devant les premiers arbres, avant que Rosalie ne reprenne la parole. Entrer, trouver un bubobulb, repartir. Ça allait être rapide et sans le moindre danger, parce que ces limaces végétales ne côtoyaient certainement pas les troll et les loup-garous… n’est-ce pas ? « Ouais » approuva Rosalie avec vigueur : c’était sûr et certain, il y en avait pas très loin. Une petite seconde de flottement les sépara du moment où elles reprirent leur marche. La blonde ne comptait pas lâcher le bras de son amie, c’était bien plus rassurant de cette manière, et même un brin réconfortant. Autour d’elles, le vent soufflait et jouait avec les branches des arbres, éveillant les lieux d’une centaine de bruits différents qui paraissaient tous plus angoissants les uns que les autres. Rosalie se força à calmer les battements de son cœur qui s’emballait déjà : ça n’était rien. Elles ne risquaient rien. Parfois, en cours de soins aux créatures magiques, elles allaient même plus loin que là, alors il ne fallait pas paniquer ! « Non, jamais » répondit-elle dans un chuchotement similaire à celui de Daria, comme si parler haut et fort risquait de réveiller des démons sanguinaires. « C’est notre première fois à toutes les deux ! » tenta-t-elle de dire avec un peu plus d’enthousiasme, comme si elles en garderaient à jamais un bon souvenir. Et, en même temps, à part des frissons, que pourrait-on vouloir venir chercher dans la forêt ?

Théoriquement, elles n’avaient pas le droit de faire de la magie ici, mais Rosa tira malgré tout sa baguette de sa poche. Il faisait trop noir et puis, se faire prendre entrain de lancer un Lumos était un moindre mal comparé à une fin définitive entre les crocs d’une bête assoiffée de sang, n’est-ce pas ? Les yeux plissés par la concentration, son nez froncé de la même manière, elle dû s’y reprendre à deux fois avant qu’un faisceau de lumière ne leur offre un aperçu de ce qui les entourait. « Ce sera mieux com… » Sa voix s’étrangla alors que son sortilège se déposait sur un ombre qui lui arracha un glapissement. Mais ça n’était qu’une biche, ou quelque chose qui y ressemblait, et après avoir considéré les deux adolescentes une demi-seconde, l’animal s’échappa en quelques bondissements. Dans sa poitrine, son cœur était reparti de plus bel. « Ok, c’était rien, c’était rien » souffla Rosalie, se rassurant à voix haute, desserrant son emprise sur le bras de sa copine.

( Pando )

Ni l’une ni l’autre n’avait envie de se perdre dans cette forêt : il n’y avait pas besoin de lire dans leur esprit pour savoir qu’elles regrettaient d’avoir relevé ce stupide défi. Mais, entraînées l’une par l’autre, dans un effet de groupe tout à fait adolescent, leur fierté piquée au vif par des garçons abrutis, les voilà qui se dirigeaient vers la forêt interdite, chaque pas emportant avec lui un peu plus de regret. En pleine journée, pourquoi pas, Rosalie aurait peut-être eu un peu plus ce sentiment d’aventure qui la faisait vibrer. Là, avec la nuit qui tombait et le vent qui soufflait doucement et les branches qui craquaient, c’était un véritable conte d’horreur qu’elles allaient écrire. Et Rosalie détestait les histoires terrifiantes, leur préférant les légendes de roi, de reine, de pirates même ! tout, mais pas celles qui finissaient mal, qui vous faisaient sursauter et qui déposaient une pellicule de sueur froide sur tout votre corps. Heureusement, la présence de Daria la réconfortait suffisamment pour qu’elle donne le change et avance d’un air qu’elle voulait assuré. Ils ne se moqueraient pas d’elles deux fois, elle en faisait le serment ! Tout en espérant que ce serait parce qu’elles allaient ramener la plante dont il était question et non pas parce qu’elles seraient mortes dévorées par un Troll. La blonde déglutit et déversa ses craintes parfaitement fondées dans quelques imprécations à l’encontre des deux camarades qui les avaient jetées dans la gueule du loup. « Trop bonne idée ! On pourra même l’accrocher sur le panneau d’affichage ou, mieux, l’envoyer au Croasseur ! » Si elle se souvenait bien, celui ou celle qui était derrière le journal anonyme avait mis une boîte dans le château pour que les élèves puissent déposer leurs contributions. Celle-ci serait parfaite, en première page. Créer un plan aussi machiavélique avait quelque chose de réconfortant, comme si parler de la suite la rendrait réelle et leur éviterait de rencontrer des problèmes mortels entre les arbres hauts et serrés de la forêt.

Encore fallait-il trouver les bubobulbs. Et la forêt était immense en même temps que très dangereuse, il fallait qu’elle trouve un moyen rapide, intelligent et si possible aussi sécuritaire que possible de mettre la main sur la plante répugnante avant de filer ici. Un Accio ne pourrait-il pas faire l’affaire et leur éviter des recherches compliquées ? Daria lui demande alors si elle est déjà venue dans la forêt interdite et la blonde avoue que nous, trop occupée à faire attention à tout ce qui l’entoure pour se draper dans toute la magnificence d’un mensonge fabriqué de toutes pièces qui lui donnerait une allure plus cool encore. Au final, ce n’est pas plus mal, car Daria lui fait savoir qu’elle est contente de partager cette première fois avec elle, réchauffant un peu le cœur de la Gryffondor. « Moi aussi ! » L’idée de faire venir à soit les plantes s’évapore entre ces considérations narcissiques et finalement, quand Rosalie tire sa baguette, faisant fî du règlement et des sanctions qui planaient au-dessus de sa tête, c’est pour éclairer le chemin devant elles. Si elles pouvaient ne pas se blesser en trébuchant sur une racine, c’était pas plus mal. La faible lueur éclaire quelque chose, une ombre, furtive, qui les fait sursauter toutes les deux. Aussitôt, Daria sort sa baguette pour faire un peu plus de lumière, donnant l’impression à la blonde qu’elles se protégeaient d’un halo de lumière… alors qu’elles donnaient juste des indications claires et précises sur leur position à tous les loups-garous qui pourraient avoir envie d’un goûter.

La question de son amie laissa la jeune fille perplexe, quelques secondes. Elle avait bien une idée, entendu des histoires sur la forêt et ce qui la peuplait, mais elle n’était pas certaine que ce soit vraiment ce que Daria avait envie d’entendre. « Ben… j’ai entendu des histoires mais… je sais pas ce qui est vrai ou pas » fit-elle à voix basse, comme pour éviter d’alerter de potentielles créatures menaçantes. « On… on peut essayer un Accio peut-être ? Tu crois que ça peut marcher ? » demanda-t-elle après une seconde de silence causée par l’angoisse qui monta en flèche quand un craquement se fit entendre. C’était rien, rien du tout.

( Pando )

Prévoir une vengeance contre les deux imbéciles qui avaient envoyé les deux copines dans la forêt interdite leur donnait un air bravache et un courage de surface. Ça leur évitait de penser aux arbres qui se resserraient autour d’elles et qui étaient plus grands et plus menaçants à chaque pas qu’elles faisaient. Ça leur évitait de trop réfléchir à ce qu’elles risquaient de croiser dans cette forêt, alors que la nuit tombait lentement et que le froid leur gelait le bout des doigts. Ça leur permettait de penser à autre chose, et ça n’était pas négligeable. « J’pense qu’ils auront trop honte. Puis tout le monde saura que c’est eux, s’il nous arrive quelque chose, ils sont quand même pas si bêtes ? » Le doute était permis mais, dans tous les cas, l’envie de vengeance était trop présente. Au diable les représailles, il fallait leur coller la honte de leur vie pour que plus jamais ils ne remettent en doute le courage des deux jeunes filles ! Daria, au bout de son bras, s’arrêta brusquement et la blonde tourna vers elle un regard interrogateur : elle avait vu quelque chose ? elle savait où trouver un bubobulb ? La bouche grande ouverte, Rosa hésita. « Naaaaan… j’sais pas ? » C’était possible et particulièrement fourbe. Mais fourbes, elles pouvaient l’être aussi. « Si ça arrive on aura qu’à dire qu’c’était leur faute : ils nous ont menacées et si on relevait pas l’défi, ils ont dit qu’ils nous jetteraient du pus à la figure. » Mentir, la Gryffondor savait bien faire. Un petit regard triste, un mensonge, quelques larmes s’il le fallait… « Si on doit se faire punir, eux aussi ! » Elles ne tomberaient pas toutes seules. Dans tous les cas, elles étaient coincées : si elle faisait marche arrière, ils se moqueraient d’elles, et si elles allaient au bout, c’était prendre bien des risques. Mais bon, puisqu’elles étaient là, autant aller au bout, n’est-ce pas ?

Un peu de lumière, une bonne frayeur, un peu plus de lumière, et deux jeunes sorcières qui poursuivaient tant bien que mal leur chemin au milieu d’une forêt hostile et angoissante. Elles s’accrochaient l’une à l’autre, avec la même envie de fuir et le même besoin de sentir la présence de l’autre pour trouver un peu de force et le courage nécessaire pour avancer. Un pas après l’autre. Daria lui demande alors si elle a déjà mis un pied dans la forêt interdite et Rosa secoue la tête, négativement. Tout ce qu’elle avait fait, c’était entendre des histoires pas rassurantes du tout. La Serdaigle voulut en savoir plus et la blonde jeta un coup d'œil apeuré autour d’elle, comme si cela risquait de faire surgir des créatures sanguinaires. Après avoir dégluti, elle se lança : « Ben… il y aurait des… loups-garous. » Si sa voix n’était pas bien élevée, elle devint un filet à peine audible, plus bas qu’un murmure, par crainte d’attirer les bêtes qu’elle mentionnait. C’était pas le but. Et rien que d’en parler, ça faisait palpiter son cœur un peu plus vite. C’était pas le but non plus ! Qu’est-ce qu’elle pouvait détester les histoires d’horreur ! Et elle était en plein dedans, là. Comme les mauvais héros qui fonçaient tête baissée vers le danger… « Des trolls, aussi, mais après c’était pour nous faire peur qu’ils racontaient ça… » Enfin, elle le croyait. Elle l’espérait. Très très fort.

Dans un élan un peu désespéré, sa copine décida de tenter l’option Accio. Peu de chances que ça fonctionne, en effet, mais comme elle l’avait si justement souligné : qui ne tentait rien n’avait rien. Si ça pouvait leur permettre de fuir d’ici en vitesse, Rosalie ne disait pas non. Après quelques secondes, immobiles, rien ne se passa, et un soupir dépité s’échappa des lèvres de la jeune fille. « Dommage... » Après une seconde d’hésitation qui sembla durer une éternité, elles se remirent en marche, avec tellement peu d’entrain que chaque pas hurlait une vérité partagée : elles voulaient faire demi-tour. Mais ni l’une ni l’autre ne formula cette envie et elles continuèrent, le silence s’épaississant autour d’elles. Combien de temps avaient-elles marché ? Et surtout, à quel niveau de la forêt étaient-elles ? Aucune idée. Et là, dans les faisceaux produits par leurs baguettes magiques, des sabots apparurent. Rosalie releva la tête à s’en faire mal à la nuque et ses yeux s’écarquillèrent, rond comme des ballons, sa bouche laissant échapper une exclamation qui oscillait entre l’admiration et la peur. C’était un Centaure, ça. Un grand et impressionnant Centaure. Avec un arc. Durant une seconde ou deux, aucun son ne franchit ses lèvres. Et puis, finalement, elle baissa la tête dans une sorte de révérence étrange qu’elle pensait devoir à un être aussi légendaire qu’un Centaure — il y en avait dans plein de légendes ! et ils étaient souvent sages, et justes, mais aussi très très caractériels et dangereux, alors elle avait tout intérêt à se montrer super polie - puis elle osa croiser de nouveau son regard perçant. « Bonjour monsieur le Centaure… Euh… Voilà, avec ma copine Daria, moi c’est Rosalie, avec ma copine on cherche une plante, parce que deux idiots de Serpentard nous ont lancé un défi, mais on sait pas trop où trouver le bubobulb, on connait pas trop trop la forêt et puis c’est super grand et il fait noir et… peut-être que vous vous savez ? Enfin, je veux pas vous embêter, sûrement que vous avez d’autres choses à faire, hein, mais si jamais vous saviez où on pouvait en trouver on vous en serait super reconnaissantes, je pourrais même vous apporter des bonbons pour vous dire merci ? Sinon, euh, ben, on va s’en aller hein, si on a pas le droit d’être ici, c’est peut-être chez vous ? désolées, on a pas frappé, euh… monsieur le seigneur Centaure. » Elle était impressionnée et un brin paniquée, et l’association des deux la fit débiter un flot de paroles qui s’arrêta sur cette formule de politesse qu’elle pensait être à la mesure du seigneur Centaure. Une nouvelle courbette ponctua ses propos, et elle tira un peu sur le bras de Daria pour qu’elle en fasse de même : c’était une créature de contes, que diable ! il fallait être méga respectueuse ! Et puis c’était un peu la classe, en même temps. Heureusement pour elles, ce n’était pas là un Centaure mal intentionné, ou peut-être que le petit discours de l’adolescente suffit à l’adoucir en mettant en avant le peu de menace qu’elles représentaient. Toujours est-il qu’il semblait disposé à les aider. « Un Bubobulb, hm ? Suivez-moi » fit-il de sa voix grave et tout à fait ancienne. Relevant la tête, Rosalie croisa le regard de Daria et leva un pouce vers elle en même temps qu’un immense sourire. Trop bien !

( Pando )

En plus de devoir arpenter la forêt interdite à la recherche d’une plante visqueuse, voilà que Daria et Rosa en étaient réduites à essayer de planifier leur réaction au cas où elles se retrouveraient face à face avec un adulte parce que les deux autres idiots les auraient dénoncées. C’était sûrement stupide de commencer à s’inquiéter pour ça, alors qu’il n’en était peut-être rien, mais d’un autre côté, ça leur évitait de trop penser à l’endroit où elles se trouvaient et à quel point ça puait, comme situation. L’un dans l’autre, s’imaginer en retenue n’était pas si mal… « Graaaave, m’sieur Armitage il est trop gentil » approuva-t-elle à grand renfort de hochements de tête vigoureux. Le concierge était trop gentil pour les punir trop durement… n’est-ce pas ? Ça ne voulait pas dire que les deux copines comptaient abuser de sa bonté, pas du tout, simplement qu’entre lui et le monstre qui servait de professeur de Défense contre les forces du mal, ben… le choix était vite fait. Une petite grimace s’agita sur le visage de la blonde alors que Daria soulignait qu’elles étaient mortes, si c’était sur elle qu’elles tombaient. Ou celui de potions, d’ailleurs : même combat. « Non mais on va tomber sur personne, ça va aller » tenta Rosa pour les rassurer, Daria, comme elle-même. Enfin, ça, c’était dans le meilleur des mondes : elles trouvaient un bubobulb, elles le ramenaient aux deux garçons et le faisait exploser en face de leurs sales têtes de rats, le tout, sans se faire choper par personne. Si jamais un adulte devait les attendre à la sortie de la forêt… il fallait croiser fort les doigts pour que ce soit monsieur Armitage plutôt qu’un autre. À cette pensée, la blonde croisa les siens, dans un automatisme des plus enfantins. Comme si ça pouvait changer quelque chose…

Elles continuaient de parler tout en avançant, parce que le son de leurs voix était plus rassurant que le millier de bruits qui agitaient les arbres et les alentours, plongés dans l’obscurité. Sauf qu’à force de parler, elles en vinrent à ces mêmes bruits et aux ombres qu’ils masquaient, et à ce qui habitait lesdites ombres. Mauvaise idée, donc, sauf dans le cas où elles cherchaient à se faire peur — ce qui n’était pas du tout à l’ordre du jour — et à se filer des cauchemars. « Je sais paaaas » gémit la Gryffondor. Est-ce que c’était simplement les plus vieux qui s’amusaient à filer la frousse aux plus jeunes en racontant moultes histoires d’horreur, ou bien est-ce qu’il y avait vraiment des hommes à moitié loup qui vivaient dans ces bois ? Aucune idée. Et franchement, Rosalie n’était pas contre ne jamais le découvrir. « Mais t’as raison, ce serait trop dangereux, puis même pour les cours de SCM, imagine… » Oui, enfin, bon, ce qu’elle omettait un peu trop rapidement, c’était que Poudlard n’était pas non plus l’école la plus safe de tout le monde magique et qu’elle n’était pas particulièrement réputée pour une sécurité accrue et des mesures renforcées. Alors de laisser un mage noir s’emparer du château à laisser des loups-garous traîner dans le coin, il n’y avait qu’un pas. De là à savoir s’il avait été franchi… Rosalie déglutit et ravala ses sombres pensées. Il fallait se concentrer sur la mission, et sur rien d’autre.

L’Accio de Daria ne fonctionna pas : c’était trop beau pour être vrai, évidemment. Alors les deux copines poursuivirent leur route, leurs yeux inquiets fouillant les bois à la recherche de ce mélange entre un champignon et une plante grasse franchement pas ragoûtant. Elles perçurent alors du mouvement, derrière un arbre, et le bras de la Gryffondor se resserra automatiquement autour de celui de la Serdaigle : c’était quoi, ça, encore ?! Une biche ? C’était bien, les biches. C’était mignon, c’était gentil, ça faisait de mal à personne, ça n’avait pas des crocs énormes susceptibles de vous dévorer… oui, c’était très bien, une biche. Au lieu d’une biche, ce fut un Centaure qui se dévoila à elles. Un grand Centaure, sûrement très âgé, ou peut-être pas, elle ne connaissait rien aux âges des Centaures, Rosalie, avec un arc, des flèches et un regard très très, mais alors très, sérieux. Super ! Suuuuper… Oui, elle oscillait complètement entre une admiration grandissante et une peur qui croissait proportionnellement. C’était classe, les Centaures. Et potentiellement très dangereux. C’était super intelligent. Et donc ENCORE PLUS dangereux. Ça connaissait plein de choses. Dont une foule de moyens très dangereux de se montrer très dangereux. Inspirant un grand coup, Rosalie se jeta à l’eau, s’inclinant maladroitement avant de se lancer dans une longue explication, assortissant le tout de Seigneur qu’elle s’imaginait être un hommage à la hauteur de la grandeur du Centaure. Et du danger qu’il pouvait représenter. À la fin de sa tirade, la Gryffondor était complètement essoufflée : elle avait oublié de respirer. Elle n’oublia pas de s’incliner une seconde fois, par contre, incitant Daria à en faire de même. Elles n’étaient pas face à n’importe qui ! Son petit manège fonctionna et le Centaure se montra disposé à les aider. Suuuuuuper !!! Et ça c’était trop trop trop classe ! Un pouce levé, un grand sourire aux lèvres, la blonde se montrait super enthousiaste. Daria, beaucoup moins.

Dans un chuchotement, elle lui demanda si on pouvait faire confiance au Centaure. Quelle question ! Rosalie n’en savait rien. Oui ? Elle supposait. Dans les contes, ils étaient soit super méchants et super dangereux, soit ils aidaient les héros. Elles étaient deux héroïnes lancées dans une quête, et il voulait les aider. Il n’avait pas l’air fourbe… « Oui ? Je sais pas, mais pourquoi on pourrait pas ? ‘fin, s’il avait pas voulu de nous, il serait pas entrain de nous guider, tu crois pas ? » chuchota-t-elle à son tour, mais peut-être bien moins discrètement que sa copine, ou simplement le Centaure attendait-il qu’elles aient terminé, puisqu’il prit la parole à cet instant : Je ne vous veux aucun mal. Si c’était le cas, j’aurais pu vous abattre là-bas : pourquoi marcher en votre compagnie ? « Nous abattre » glapit la Gryffondor, ne sachant pas trop si c’était vraiment une bonne nouvelle, ce qu’il venait de dire. Ne vous en faites pas. Nous cultivons des Bubobulbs non loin de là. Rosalie retourna un regard jusqu’à Daria, l’air entendu, avant de lui souffler : « Moi j’dis, on peut lui faire confiance ! » Et puis, elles avaient enfin une chance de trouver la plante ! Et sans trop se fouler, qui plus est.

( Pando )

Les mots de Daria firent déglutir Rosalie. Aïe. C’est vrai qu’elle avait tendance à foncer tête baissée dans des idées toujours plus rocambolesques sans trop se soucier des conséquences — à quoi bon ? ça manquait terriblement de fun — aussi oubliait-elle très souvent que l’ombre de sa mère ne la quittait jamais vraiment. Si jamais elle se faisait punir… elle serait bonne pour un sermon bien trop long sur l’importance de bien se comporter et sur le fait que ses erreurs rejaillissaient sur la famille toute entière. Au vu de la famille, Rosalie avait bien souvent envie de lui rétorquer que, quoiqu’elle fasse, ce ne serait jamais assez bien, mais le regard perçant et autoritaire de Cassandre Guggenheim ne lui permettait pas. Alors oui, elle avait foncé tête baissée dans ce pari stupide qui les emmenait au cœur de la Forêt Interdite sans même penser à la punition qu’elle allait recevoir si sa copine et elle se faisaient attraper. Et elle préférait ne pas y penser. Sa mère pouvait se montrer terrible, raison pour laquelle elle préférait, et de loin, l’environnement écossais et plein de douceur qui régnait chez son père. Deux poids, deux mesures. « On sera deux mortes, alors. Tu crois qu’on pourra devenir des fantômes et hanter Poudlard pour faire vivre un enfer aux deux gogoles de Serpentard ? » fit-elle, tentant de dédramatiser la situation et de ne pas penser au reste. Si fantôme n’était pas dans ses plans de carrière — en fait… elle n’avait pas de plans de carrière du tout, pas à son âge, pas alors que sa plus grande préoccupation consistait à passer le plus de temps avec ses copains — elle devait bien admettre que ça avait un côté fantastique, de voir ces spectres translucides chargés d’histoire capables de traverser les murs à leur guise et de converser avec les élèves. Bon, par contre, au bout d’un moment, ça devait devenir chiant quand même… Sauf s’il y avait un bouton sur lequel appuyer quand on en avait marre d’être un fantôme ? Tiens, il faudrait qu’elle pense à poser la question au prochain qu’elle croiserait. Et d’ailleurs, est-ce qu’on choisissait de le devenir ?

Toutes ces interrogations informulées eurent le mérite de la distraire un peu de l’obscurité dans laquelle les deux copines avançaient. Enfin, du moins, jusqu’à ce que la question de quelles créatures se trouvaient dans le coin ne se pose. Rosa avait bien entendu quelques histoires au sujet des lieux, mais franchement pas des bonnes, aussi hésita-t-elle un court instant avant de partager le poids de sa connaissance avec Daria : hors de question qu’elle soit la seule à stresser. Puis en parler à voix haute, ça permettait d’extérioriser un petit peu la crainte effective de tomber nez à nez avec un loup-garou. La Serdaigle tente, tant bien que mal, de rester rationnelle et ça convenait très bien à Rosa. Très très bien même. « Nan c’est juste la fin d’après-midi, pas la nuit » répondit-elle avant que le second point ne lui fasse lever le nez vers le ciel. Elle ne voyait pas grand chose, les étoiles étant masquées par les arbres hauts et feuillus, mais une trouée lui permit de scruter le ciel à la recherche de la… pleine lune. « Siiii ? » Une légère panique habillait son ton. Non mais pourquoi il fallait que ça tombe aujourd’hui !? Puis alors on la voyait bien bien bien. Grosse, ronde, argentée, on pouvait pas la louper. La Gryffondor abandonna sa contemplation lunaire, clignant des yeux pour effacer la silhouette lumineuse de la lune imprimée sur ses rétines et reporta son attention sur le sol sombre de la forêt, veillant à ne pas trébucher sur une racine. Il ne manquerait plus que ça ! se blesser en plein milieu de la Forêt Interdite, un soir de pleine lune !

Une arrivée inattendue les tira de ces considérations horrifiques. C’était un Centaure ! Un vrai, en chair, en os et avec quatre pattes ! C’était tout simplement é-norme. Rosalie oublia instantanément qu’elles étaient dans la Forêt Interdite et que sa maman lui avait toujours dit de ne jamais faire confiance aux inconnus. Il y avait un vrai Centaure devant elle et elle ne comptait pas rester là, les bras ballants, à se demander quoi faire. Oubliant le fait que ça pouvait carrément être méchant, elle s’inclina poliment, entama des explications, s’inclina de nouveau et lui donna du Seigneur à tout va. Il fallait se montrer poli, mais peut-être avait-elle un peu confondu la manière de son comporter face à un Centaure avec celle à adopter face à un Hippogriffe. Qu’importe, ça fonctionna. Ou bien le Centaure était particulièrement bien luné, ou bien il voulait juste se débarrasser au plus vite des deux adolescentes qu’il avait en face de lui. Dans tous les cas, il n’avait pas l’air déterminé à les étriper sur place, quand bien même son humour laissait clairement à désirer. Il souligna en effet que, s’il avait voulu les tuer, il l’aurait fait sur place, à l’endroit où ils s’étaient rencontrés, plutôt que de les emmener avec lui. Ça eut pour effet de faire glapir Rosalie et d’effrayer Daria. Les deux copines se fendirent d’une même exclamation apeurée et la blonde aurait été prête à jurer avoir entendu comme un rire amusé s’échapper du Centaure. Est-ce qu’il s’amusait à nous faire peur ? Mais c’était peut-être une hallucination auditive, après tout.

Les doutes de Daria firent hausser les épaules à Rosa. Certes, le Centaure avait l’air bourru, mais franchement, de là à les manger… « Je crois pas que ça mange des humains… hein ? » Elle en savait rien, en vrai. Elle aimait bien les cours de Soins aux Créatures Magiques mais ils n'avaient même pas encore parlé des Centaures — est-ce que seulement les Centaures, à moitié humain, avaient leur place en SCM ? pas sûre — et Rosalie n’était pas du genre à faire des recherches par elle-même. Tout ce qu’elle savait à leur sujet, ça venait des contes dont elle raffolait : ils tiraient super bien à l’arc, ils étaient doués en voyance, ils vivaient en groupes reclus et ils n’aimaient pas les humains. Ils n’aimaient pas les humains… Aaaaah elles allaient mourir !! « Vous… monsieur le Centaure ? vous mangez à quelle heure en générale ? » osa-t-elle demander d’une petite voix, avec une subtilité proche de celle d’un phacochère qui fonce dans un arbre. Peut-être qu’il venait de terminer son déjeuner et qu’il n’avait plus faim, leur évitant ainsi de terminer dans son estomac. Il fallait espérer qu’elles arrivent vite aux bubobulbs maintenant. Vite vite vite…

1 - 2 - 3 - 4 - Enfin, les bubobuls sont là, le Centaure les leur désigne !
5 - 6 - Toujours pas, ils continuent d'avancer. Visiblement "pas loin" pour un Centaure grand comme lui, c'était un peu plus long en ce qui concernait deux jeunes sorcières.

( Pando )

Quelle épopée que la leur ! Deux adolescentes propulsées au cœur de la forêt interdite pour un pari stupide qu’elle n’avait même pas initié et voilà qu’elles se retrouvaient à se projeter dans un monde où elles deviendraient des fantômes capables de hanter les deux imbéciles qui étaient à l’origine de leur mésaventure. Daria continua de développer l’idée, peignant le portrait de deux justicières qui règleraient les méfaits de tout Poudlard ! Un air rêveur habilla les traits de Rosalie. Elle adorait les histoires d’aventures et se plaisait à jouer divers rôles, le plus souvent de princesses, mais pourquoi pas d’autres quand l’envie et l’inspiration la prenaient. C’était le plus souvent avec Hilary, d’ailleurs, ou avec ses copines moldues quand elle rentrait pour les vacances. Ici, la forêt faisait un décor tout à fait réaliste pour leur légende spectrale… peut-être un peu trop réaliste, d’ailleurs. « Ouiiii grave ! On serait super connues et tout le monde nous ferait confiance ! » Parce qu’elles étaient les héroïnes et que tout le monde finissait toujours par apprécier les héros et les aimer pour ce qu’ils apportaient de bien dans un monde de brutes. Bon, pour en arriver, encore fallait-il mourir, et ça n’était pas dans les plans immédiats de la Gryffondor, ni dans ceux de la Serdaigle, quand bien même la menace maternelle planait au-dessus de leurs frêles épaules. Elles pouvaient bien rêver, non ? Ça les aidait énormément à ne pas se laisser gagner par les angoisses nichées derrière les troncs impressionnants et les ombres voraces de ces lieux dangereux.

Et puisqu’elles parlaient de dangers… pourquoi ne pas aborder le plus horrible d’entre tous, hein ? Comme si tout ça n’était pas suffisamment flippant, il fallait qu’elles en rajoutent une couche sans qu’aucune intervention extérieure ne les y force. Les loups-garous qui peuplaient les alentours étaient sanguinaires, des bêtes cruelles, des monstres flippants… mais il n’y avait aucune raison de paniquer parce qu’ils n’apparaissaient qu’à la pleine lune. Et c’était sûrement pas ce soir, il aurait fallu avoir grave la poisse. C’était ce qu’elle se répétait pour se rassurer quand une trouée dans les arbres lui dévoila une sphère argentée, ronde et pleine. Rosalie manqua de s’étrangler avec sa salive et sa voix s’éleva vers les aigus tandis qu’elle cherchait quelque chose, n’importe quoi pour la rassurer. Heureusement qu’elles étaient deux parce que c’est Daria qui s’occupa de prendre le flambeau, conservant son calme après une seconde d’arrêt et de silence. « Ouais, t’as raison. Ok ! » Non mais elle était totalement dans le vrai : elles avaient terminé leur cours il y a cinq minutes, c’était pas la nuit, juste la fin d’après-midi, et les loups ils attendaient la nuit pour sortir, donc même s’il y avait la pleine lune, elles ne risquaient rien. Logique im-pa-rable. Rassurée, Rosalie continua son chemin plus sereinement. Tout allait bien. Tout irait bien. Il fallait juste arrêter de penser à tout ce qui pouvait aller mal sinon elles allaient toutes les deux se mettre à criser et ça n’était pas bon, ni pour le moral, ni pour leur santé, ni pour leur pari.

Des résolutions qui fondirent comme neige au soleil au moment une forme de se détacha des ombres pour se préciser, grande, impressionnante, terrifiante… la blonde manqua de mourir de peur, sans exagération aucune, évidemment. Et puis un soulagement fasciné s’empara d’elle quand elle comprit que ça n’était pas un terrible et féroce loup garou mais un terrible et féroce centaure. Peut-être pas beaucoup mieux, en réalité, sauf que dans sa tête, c’était un personne de contes, de ceux qui aidaient les héros et qui s’assuraient, par leur sagesse, que tout finisse bien. Elles ne pouvaient pas trouver mieux ! Rosalie se plia en quatre pour les politesses d’usage et le Seigneur Centaure accepta de les guider. Malgré tout, Daria avait peur et elle exprima ses craintes à voix basse… pas suffisamment pour que leur hôte ne l’entende pas. Ça n’était pas très rassurant, ce qu’il disait… Rosalie chuchota une question mais sa copine n’en savait rien. Parce que, bon, s’ils mangeaient les humains, c’était la panique là… Prenant son courage à deux mains, elle s’adressa à lui pour bafouiller une question et sa réponse, encore une fois, n’aida pas des masses à calmer son petit cœur affolé. Dire qu’elles ne pouvaient pas voir l’amusement qui habillait ses traits, elles auraient été rassurées sur la gentillesse du Seigneur en question. Accrochées l’une à l’autre, les deux adolescentes continuaient leur chemin. Et puis, là, devant leurs yeux… des bubobulbs ! « J’ai jamais été aussi contente d’en voir ! » s’écria la blonde en s’approchant plus près des plantes. « Merci beaucoup beaucoup monsieur le Seigneur Centaure, beaucoup ! Vous êtes trop le meilleur ! » Puis, se tournant vers Daria : « Bon, on en cueille un, on rentre et on le jette sur les deux idiots ! » Ça c’était un plan super, ça c’était cool ! La plante récupérée, les deux jeunes filles se regardèrent… et ne surent pas dans quelle direction repartir. Oui, parce que bon, il faisait noir quand même et les monstres les attendaient toujours derrière les fourrés, c’était sûr et certain ! « Monsieur le Centauuuuure » demanda Rosalie d’une voix suppliante, ancrant ses jolis yeux dorés dans ceux, toujours très amusés, de leur guide. « est-ce que vous croyez que, dans votre infinie bonté, parce que vous avez l’air super cool quand même, vous pourriez nous ramener à l’entrée de la forêt, on sait pas trop comment y retourner et on a vu que c’était la pleine lune et on voudrait pas se faire manger par un loup garou… enfin, on veut pas que vous vous fassiez manger non plus mais on est sûres qu’ils auront peur de vous… ‘fin pas que vous êtes effrayants, mais plutôt trop forts, ils vont pas se risquer à vous attaquer, alors, euh… » Encore une fois, impossible pour elle de le discerner, mais le centaure retint un rire. L’âge et sa tribu lui avaient fait oublier à quel point certains humains pouvait être ingénus, d’une telle candeur. C’était rafraîchissant. Sifflant une fois, brève, il laissa le silence les envelopper de nouveau jusqu’à ce que des bruits de sabots retentissent. Il allait les manger. Ça y est. C’était la fin. Rosalie resserra sa main autour de celle de Daria, prête à mourir dignement… même si c’était pour servir de repas à des centaures. Et puis une madame centaure apparut, seule. D’un regard, elle semblait comprendre où voulait en venir son compagnon. Cela faisait une vie qu’ils n’avaient pas porté d’humains sur leur dos. Et les deux adolescentes n’étaient pas prêtes pour la balade qui les attendait !

( Pando )

Rosalie s’emmêla les pinceaux : à trop vouloir bien faire, elle aurait été capable de vexer n’importe qui. Heureusement que le Centaure qui les avait guidées jusque ici était de bonne composition et trouvait amusant les balbutiements sans fin de la jeune Gryffondor parce qu’un autre aurait pu les tuer pour racheter ses offenses. Elle expliqua tant bien que mal qu’elle n’avait aucune envie d’être mangée par un loup-garou avant de préciser qu’elle ne désirait pas que cela arrive non plus au Centaure mais que lui, au moins, pouvait faire peur à une telle bête… avant de se rendre compte que ça pouvait quand même paraître franchement insultant. Ce n’était nullement son but : elle trouvait l’être magique absolument fantastique et comptait bien raconter à tous ceux qui voudraient l’écouter qu’elle en avait rencontré un et qu’il était devenu leur ami — si d’ici là il n’avait subitement décidé qu’elle serait mieux morte et muette que vive et bavarde — oubliant au passage que ça reviendrait à devoir expliquer qu’elle avait bravé le règlement en s’enfonçant dans la Forêt Interdite. Il n’était pas certain que, selon les oreilles qui entendaient ses exploits, cela passe aussi bien qu’elle se le figurait.

Un bref sifflement la coupa dans ses tentatives un brin désespérées d’obtenir de l’aide. Le Centaure garda le silence et son air mystérieux doublé dans la prestance supérieure que lui conférait le jeune âge des deux adolescentes acheva de les inquiéter à nouveau. La main de Daria trouva celle de Rosalie et elles se crispèrent l’une à l’autre, comme si la mort en personne allait venir les chercher. C’était quand même dommage de mourir alors qu’elles étaient désormais en possession du Bubobulb… Rosa aurait bien aimé voir la sale tête des deux abrutis de Serpentard. Peut-être que ça pouvait se négocier ? Laissez-nous nous venger et puis on reviendra se faire dévorer en ragoût plus tard ? Elles n’eurent pas besoin de négocier. Bien loin de vouloir les faire cuire à la broche, le Centaure avait simplement appelé l’une de ses semblables dont la silhouette se précisa à travers la trouée des arbres. Heureusement que la Serdaigle avait elle aussi remercié le Centaure pour son aide et sans l’insulter à moitié par inadvertance, c’était peut-être ce qui les avait sauvées, qui sait ? En tout cas, maintenant, il y avait deux Centaures, deux jeunes filles perdues dans une forêt trop dangereuse pour elles et une balade qu’elles étaient loin d’imaginer.

Quand elles prirent conscience qu’elles allaient être aidées mais, plus encore, qu’elles allaient pouvoir sur leur dos, les yeux couleur miel de Rosalie se mirent à briller d’un enthousiasme tel qu’elle se serait mise à trépigner sur place si Daria n’était pas toujours accrochée à elle. Sa copine se montra un peu plus gênée, expliquant qu’elle ne voulait pas les déranger, qu’elle était lourde… La blonde lui donna un coup de coude léger — mais pas discret le moins du monde — pour la faire taire : elle allait leur faire rater une chance unique ! Qu’est-ce que ce serait, ensuite, de pouvoir raconter qu’elles étaient montées sur le dos de deux Centaures ? Personne n’avait jamais fait ça à Poudlard, elles seraient les premières ! Elles allaient revenir en véritables héroïnes et même un peu plus que ça : en grandes aventurières ! La Gryffondor s’inclina donc, un mélange entre une révérence et le bossu de Notre-Dame, un sourire ravi barrant son joli visage. « Ce serait un grand honneur pour nous, merci beaucoup beaucoup beaucoup ! » Elle se prenait un peu pour une princesse qui venait d’achever une quête longue et extrêmement dangereuse et qui trouvait enfin des alliés prestigieux qui allaient la ramener à son château. À deux trois détails près, c’était exactement ça.

Daria s’approcha timidement de la Dame Centaure tandis que Rosa s’avançait en direction de leur guide. Il plia les jambes avant et lui expliqua comment se placer et comment se tenir. Elle fit maladroitement ce qu’il lui disait, emmêlant ses doigts dans sa crinière rêche, tâchant de ne pas faire tomber la plante qui était la responsable de toute cette histoire. « C’est bon pour moi » souffla-t-elle, sous le coup de l’émotion, quand il lui demanda si elle était prête. Alors ils s’élancèrent. Rosa avait déjà fait du poney une fois, c’était un tout petit poney, version édition de poche, et elle se souvenait avoir beaucoup aimé ça. Mais là, c’était encore mieux, mieux que tout, mieux que les vols en balai et mieux que le poney ! Ils filèrent à toute allure à travers les arbres et Rosalie se fit la réflexion que la forêt était vachement plus sympa de cette manière. En un temps record, comme si elles n’avaient pas marché des heures et des heures auparavant dans le bois — ce qui n’était pas le cas du tout, en réalité : elles ne s’y étaient pas enfoncées si profondément — elles arrivèrent au niveau des enclos où se passaient bon nombre de cours de Soins aux créatures magiques.

« Merci beaucoup, c’était vraiment génial et vous nous avez carrément sauvé la vie ! » s’exclama Rosalie une fois que Daria et elles se retrouvèrent côte à côte face aux deux Centaures. Elle était presque triste que tout ça touche à sa fin : elle avait vraiment beaucoup aimé la dernière partie… et elle aurait bien recommencé encore. Mais il était temps pour les deux jeunes filles de retrouver le confort de leur dortoir et de se tenir loin, très loin, des monstres qui hantaient la forêt. Juste après avoir jeté le Bubobulb à la figure des deux Serpentard. Les Centaures partirent, après un dernier au revoir et Rosalie planta son regard doré dans celui de sa copine. « On trouve les deux débiles, on leur jette ça et ensuite, j’ai trop faim ! » Sur ces belles paroles, elles reprirent la direction du château, saines et sauves grâce au hasard.

HS:

( Pando )