Le séjour en colonie de vacances moldue se passait plutôt bien. Je n’aurais pas forcément imaginer me plaire à surveiller des élèves au milieu des vacances mais je devais avouer que la présence de la mer toute proche était pour beaucoup dans la quiétude qui m’habitait. Enfin, je me sentais en mesure de baisser la garde, de profiter de l’été et des embruns, même si je gardais un œil sur les élèves et sur Hilary en particulier. J’avais la chance de partager ma chambre avec Aidan, mon collègue professeur d’astronomie, que j’appréciais de plus en plus à mesure que je le cotoyais. Nous étions dissemblable par bien des aspects mais il était simple et nos discussions sans prise de tête. Nous avions même prévu de ce séjour pour faire cette sortie en bateau dont nous avions parlé à la lumière de Mars, une nuit étoilée.
Mais aujourd’hui, nous allions nous baigner sur la plage non loin. Pendant que quelques élèves s’amusaient dans l’eau pas si chaude pour la saison, je prenais le temps d’ôter mon tee-shirt. Un geste pas si anodin puisque pour la première fois depuis mon arrivée à Poudlard un œil attentif pourrait apercevoir la cicatrice qui ornait de sombre on avant-bras, une cicatrice qui masquait mal une tête de mort et un serpent, symbole semblable à celui qu’arborait souvent fièrement les Mangemorts. C’était un risque que je prenais, je le savais, mais je le pensais minime. D’ici quelques instants l’eau verdâtre de la mer galloise masquerait en grande partie ma peau et il faudrait un œil attentif et curieux pour déceler quoi que ce soit. Personne ici ne me semblait assez soupçonneux pour se poser la moindre question à ce sujet ni même pour me regarder pendant que je me changeais. De toutes façons, je voulais me baigner et était bien décidé à profiter de mon séjour pour goûter à nouveau aux joies simples de la mer.
Bien vite, je me jetai à l’eau sans avoir remarqué que je n’étais pas si isolé et que quelqu’un avait très bien pu observer ce que j’aurais voulu cacher.

J'avais distinctement senti comme un brusque coup pile au niveau de ma fameuse cicatrice, celle que je tenais tant à dissimuler. Un instant, je tentai de croire que ce n'était qu'une algue, un caillou, un poisson, un courant marin particulièrement puissant, n'importe quoi d'inanimé ou d'inconscient, tout sauf la main d'un élève. Pourtant la voix claire d'une élève qui s'excusait ne pouvait me laisser aucun doute, c'était bien elle dont les doigts venaient d'entrer en contact avec la marque brûlée. Le contact n'avait pas été douloureux, à peine un léger picotement mais il me mettait hors de moi. Je m'en voulais de mon imprudence et regrettais de ne pas être resté sagement dans ma chambre, un tee-shirt à manche longue sur les épaules. Mon cerveau échafaudait des conclusions à toute allure, elle avait vu ma cicatrice dans ce bref instant, elle avait tout compris, allait me dénoncer, me faire renvoyer... Cette brève imprudence allait jeter à jamais l'opprobre sur mon nom, cette fois-ci de manière définitive. Hilary ne voudrait plus me parler, Willem me fuirait. Toute cette vie que j'avais patiemment reconstruite s'écroulerait et me mènerait tout droit dans un cachot d'Azkaban, face à un détraqueur assoiffé de mon esprit.
Mais au milieu de ces élucubrations paranoïaques, je n'imaginais pas un seul instant que ce put être un acte volontaire d'une élève curieuse. L'affolement et la colère m’ôtaient toute pensée rationelle et avant même de répondre, je reculai brusquement, la main plaquée sur ma cicatrice dans un geste réflexe que ma conscience jugeait inutile et bien tardif.
"Non, non, tout va bien." Ca n'allait bien sûr pas, mais ce n'était pas une question de douleur, c'était mille fois plus profond que ce problème physique somme toute bien superficielle. La flamme de l’inquiétude se lisait aisément dans mes yeux, j'étais prêt à fuir en courant mais j'attendais, paniqué, sa réaction, sans espoir, sans me rendre compte que mon brusque comportement me rendait suspect à n'importe qui, même n'ayant aucun soupçon.

Mon cerveau était resté bloqué à Azkaban, à ma cicatrice, à mon passé, aux détraqueurs et à tout le reste. J'en étais encore à envisager le pire, le renvoi, le cachot, la mort peut-être. Un à un, les souvenirs remontaient à mon esprit alors que c'était précisément dans ces moments-là qu'il fallait que je m'efforce d'être le plus ancré dans le présent, le plus loin des troubles de ma vie passée, si je voulais rester crédible, ne rien dévoiler, paraître ce que je n'étais pas : un simple garde-chasse en paix avec lui même.
Mais le seul fait de masquer de ma main ma cicatrice, de serrer cet avant-bras meurtri, faisait naître dans un coin de ma tête des visions inoubliable. Le moment où mon frère avait gravé dans ma chair cette preuve de mon engagement dans un combat que je voulais éternel, terminé seulement par notre victoire. La bataille de Poudlard, les jets crépitants de sortilèges impardonnables. Nos entraînements avant cette bataille, dans des caves moisis de Pré-au-Lard ou celles bien plus richement ornées de nos demeures familiales. J'avais coupé un pont avec ce passé mais en cet instant il me semblait plus proche que jamais.
Comment dans cette situation comprendre l'attitude de la jeune fille qui se tenait devant moi, rieuse et rougissante ? Comment apprécier ses remarques sur mes muscles apparents ? Etait-elle là pour me draguer ? Mon esprit répugnait à imaginer cette perspective. Elle devait bien avoir trente ans de moins que moi déjà. Elle n'était qu'une élève. Je n'avais jamais été marié mais j'estimais encore trop le souvenir de ma relation avec Elenna pour ne faire qu'envisager une autre histoire, même une simple aventure. Je n'avais jamais prononcé le moindre serment vis-à-vis d'elle et sa mort m'en aurait de toutes façons délivré. Mais mon attachement était bien plus profond. C'était l'attachement d'un homme à celle qui l'avait fait changé radicalement, l'attachement d'un marin à sa compagne d'infortune dans les embruns. Et de toutes façons, je continuai à bloquer sur les risques que j'encourais par le dévoilement de mon passé.
D'un air un peu ahuri, toujours paniqué, dans un mélange incompréhensible à qui ne connaissait pas les profondeurs de mon esprit, je répondis : "Pas spécialement, mon métier suffit..." Ma phrase aurait dû avoir une suite qu'elle n'aurait pas. Mais que fais-tu là ? Que me veux-tu ? Pourquoi me parler de sport ? Est-ce vraiment pour me draguer ? J'étais perdu sans vouloir l'avouer. J'étais excessivement méfiant et cela se voyait.

Mon cerveau faisait les montagnes russes dans mon crâne. Un instant j’en étais à me dire que je risquais la mort et l’autre il me semblait qu’une adolescente pas plus vieille qu’Hilary me draguait ostensiblement. Son rire mièvre se mêlait à mon sombre passé, dans un tourbillon de sensations qui n’avait aucun sens et aucun lien. Alors que mon esprit dissertait une fois de plus sur l’évolution de mes positions vis-à-vis des moldus, je devais répondre à une jeune fille qui n’avait pour seule problème que de savoir si je faisais souvent tourner les têtes des autres jeunes filles de son genre.
J’étais pourtant un adulte responsable dans l’école et à ce titre j’avais une relation d’autorité avec les élèves. Je ne pouvais donc pas laisser subsister le moindre doute quant à mes sentiments, par ailleurs plus qu’inexistants. Même si mon comportement se rapprochait plus de celui d’une bête traquée de toutes parts que d’un adulte sûr de lui et de ses devoirs, j’allais devoir mettre vite un terme aux tentatives maladroites et peu discrètes qui devenaient à la fois évidentes et ridicules, en particulier quand, sortie de nulle part, elle me proposa son aide. Pour faire quoi ? Je ne voulais sûrement pas le savoir.
Prenant un air décidé, je m’adressais à cette élève, dont je ne connaissais d’ailleurs pas le nom.
« Ecoute, je ne sais pas ce que tu veux t’imaginer mais c’est hors de question. » Mon ton était sans appel et un bref instant j’agitais les bras dans un signe de gêne. Un instant d’autant plus bref que je me rappelais aussitôt que ma main était justement là pour cacher ma cicatrice, en l’absence d’un tee-shirt ou d’un bout de tissu. Je ne me fis même pas la réflexion que ce simple geste était bien plus étrange que toute la discussion par ailleurs. Il indiquait même à la plus mièvre des adolescentes pleines d’hormone, que j’avais quelque chose à ne pas rendre public. Mais j’étais coincé puisque je ne voulais pas qu’elle puisse déceler ce qui se cachait derrière la chair brûlée.

Malgré le trouble qui subsistait dans mes pensées, je commençais doucement à comprendre que l’urgence n’était pas vraiment de réfléchir à comment survivre à Azkaban mais de comprendre que faire face à une adolescente visiblement attirée par mon torse musclé malgré mon âge et ma position. Dans d’autres circonstances, j’aurais pu être flatté de voir que mon corps n’avait pas perdu tout son charme malgré les années et les épreuves. Mais ce genre de considérations n’avait pas sa place quand on parlait d’une élève – de l’âge d’Hilary en plus. Contrairement à l’image qu’on peut avoir des marins et même si celle-ci est souvent justifiée, je n’étais pas de ceux qui se précipite sur la première fille venue, sans réfléchir, sans sentiments, simplement parce qu’elle fait des signes encourageants les ardeurs masculines. En cela, j’avais gardé certains principes de mon éducation aristocratique, dans une famille où un mariage, s’il est rarement le fait de l’amour, n’en est pas moins un lien indissoluble, qui ne se combine que très mal avec le batifolage d’adolescente en manque de sensation et de découverte.
Devant cette situation pourtant, je ne pouvais que me détendre. Elle semblait à mille lieux d’imaginer quoi que ce soit de compromettant sur mon passé et avait peut-être même oublié l’existence de ma cicatrice si elle était suffisamment obnubilée par mes biceps. Je restais néanmoins sur mes gardes et cherchais un moyen de remettre mon tee-shirt, ou n’importe quel bout de tissus sur cette parcelle de peau inhabituelle à cacher. Ma réponse semblait avoir été une douche froide, elle se reprenait, butait sur ses mots, rougissait d’un air gêné. Maintenant que les choses étaient dites, plus rien ne m’empêchait de continuer la conversation sur un autre ton même si je gardais dans un coin de ma tête à la fois l’attirance qu’elle clamait de tout son corps et la probable vision qu’elle avait vu de ma cicatrice.
Passant sur ses excuses, je me radoucissais en faisant le choix de ne pas revenir dessus, la conversation glissant ensuite sur sa proposition de m’aider dans le parc. Je n’en avais aucune envie et sans doute qu’elle ne désirait pas plus se salir les mains à arroser des géraniums. Mais je décidai de répondre, sans naïveté aucune mais parce que si les choses étaient dites, il n’y avait aucun problème à reprendre cette discussion. Ce n’était pas tout à fait innocent de ma part : je voulais dans la mesure du possible estimer ce qu’elle avait pu voir et comprendre et pour cela il fallait que j’en apprenne plus sur elle.
« Tu sais jardiner déjà ? Ou tu en as tellement assez des cours que tu préfères passer ta vie à tondre une pelouse ? » Mon ton n’avait rien de méchant, j’étais juste légèrement moqueur. Ce n'est pas tant ses réponses qui m'intéressait mais les questions qu'elle me poserait ou non.

Comme je m’en doutais, mon interlocutrice n’avait aucune appétence pour le jardinage. Je ne pouvais pas lui en vouloir, dire qu’arroser les géraniums n’était pas une passion relevait de l’euphémisme. Je n’avais pas choisi ce poste par amour de la nature puisque la seule nature que j’appréciais réellement se trouvait ici, en bord de mer. Elle avait ses raisons de faire semblant – et encore elle ne le faisait qu’à une petite moitié – j’avais mes raisons aussi. Des raisons aux finalités sans doute très différentes voire opposées mais dans l’immédiat, on se retrouvait tous les deux au même point, à la différence près que je commençais doucement à me détendre alors qu’elle continuait à bafouiller d’un air gêné, le rouge aux joues, tandis qu’elle m’expliquait regretter de ne pas avoir plus de matières manuelles.
Mais puisque nous en étions à discuter entretien d’un jardin, autant continuer sur cette lancée. Cela devait être sa pensée aussi puisqu’elle me demanda s’il existait un sort efficace pour tondre l’ensemble d’une pelouse. Je n’allais pas l’admettre, mais je ne m’étais jamais vraiment posé la question. J’avais intégré l’idée qu’un garde-chasse faisait des travaux répétitifs et je m’exécutais sans réfléchir, la baguette à la main, lançant des dizaine de fois le même sort s’il le fallait. C’était souvent un boulot pas assez intéressant pour nécessiter une grande réflexion et trop prenant pour penser à quelque chose d’autre qu’à la tâche à accomplir. Le genre de boulot dont on ressort le corps fatigué mais l’esprit vide, avec la sensation de n’avoir rien à raconter de sa journée.
« Eh bien, si un tel sort existe, je ne l’ai pas trouvé ! » dis-je d’un ton rieur. Je n’allais pas lui demander de le chercher à ma place, elle serait capable de prendre cela comme une invitation à autre chose. Son autre interrogation était de savoir si j’étais aidé par ma collègue professeure de soins aux créatures magiques. L’idée me paraissait incongrue, un professeur ne s’abaisserait sûrement pas à ramasser les feuilles mortes, à la limite Isidore, son assistant mais là encore ce n’avait jamais été le cas.
« Non, à la limite elle m’aide à rattraper les créatures qui s’échappent dans la forêt quand c’est le cas mais l’entretien du parc reste vraiment mon domaine. »

Du surf ? Et puis quoi encore ? Décidément, je ne pensais pas avoir une telle réputation dans cette école. Il faut dire qu’en dehors d’Hilary, ceux qui étaient venus me voir l’avait fait plus pour me faire du chantage concernant mon passé que pour admirer mes muscles et m’entretenir de surf. J’étais donc interloqué par cette situation et commençait à me dire que c’était intenable de rester dans l’eau, la main plaquée sur l’avant-bras, si la moitié de l’école commençait à se masser autour de moi pour causer surf ou autre. Pour l’instant on n’y était pas, mais deux c’était déjà le double d’élèves de tout à l’heure. Même une élève, c’était compliqué à gérer mais avant de la laisser j’aurais bien aimé savoir ce qu’elle savait. Même si elle semblait à mille lieux de se douter de quoi que ce soit, la vie m’avait appris la prudence – voire la paranoïa.
« Non pas du tout, je n’en ai même jamais fait. » Mon air encore un peu ahuri à cette idée ne faisait que confirmer mes paroles. Je ne voyais pas à quel moment j’aurais pu apprendre d’ailleurs. Ce n’était pas du tout le genre de mes parents ni le mien à l’époque de pratiquer des sports, encore moins moldu. Il pensait que le quidditch était une sorte de perte de temps alors le surf… Après, j’avais bien sûr vécu près de la mer et Whitby comptait bien une école de surf mais je passais tellement de temps en mer sur mon bateau que je n’étais pas du genre à faire du surf après une longue journée de pêche.
Plus le temps passait et plus je réfléchissais à sortir de l’eau rapidement pour mettre mon tee-shirt et cacher enfin la marque infamante. Pourtant j’avais trop d’éducation et de curiosité pour mettre fin à la discussion et laisser mon interlocutrice en plan dans l’eau. Mais maintenant qu’elle même se décidait à sortir de l’eau, qu’elle avait l’air de trouver bien fraîche, et qu’elle me lançait un regard l’air de se demander si je suivrais, je pouvais sans gêne me diriger vers mes affaires posées sur une rocher pas loin des vagues.
« Je vais sortir aussi, je pense. L’eau est un peu fraîche tout de même quand on ne nage pas. » Je commençais donc à me diriger vers le rivage qui était bien proche.

J’étais enfin arrivé devant mes affaires. Mon tee-shirt étendu sur un rocher, un caillou posé dessus pour qu’il ne s’envole pas, une serviette de bain orné de l’écusson de Whitby en-dessous, mes sandales abîmées par le sel et les flots, négligemment laissé sur le sable. J’avais été suivi des deux élèves, dont les vêtements se trouvaient tout proches. Ça ne m’arrangeait guère car si la présence de mon tee-shirt me donnait la possibilité de retrouver une certaine contenance, encore fallait-il que j’arrive à le mettre sans déplacer une de mes mains. C’était un mouvement des plus délicat, d’autant plus que je cherchais à donner l’impression que tout était naturel, une impression qu’ils n’avaient sans doute pas mais au cas où, je restais dans l’idée qu’il fallait que je fasse comme si c’était tout à fait normal de garder une main plaquée sur une vieille cicatrice. Je pourrais toujours essayer de dire que la peau brûlée supportait mal le soleil.
Je commençais donc l’opération d’enfilage de mon tee-shirt, sans me préoccuper de me sécher avant. S’envelopper d’une serviette puis mettre ce tee-shirt aurait demandé le double de mouvements des plus calculés, un effort que je n’étais pas près à fournir. J’enlevai donc la pierre posé sur mon tee-shirt et attrapai ce dernier avant qu’il ne s’envole. Mon tee-shirt à la main, il fallait ensuite que je prenne de cette même main la pierre en question pour la reposer sur ma serviette cette fois-ci, le tout assez rapidement pour que le vent ne l’emporte pas. Et au milieu de tout cela, j’essayai de maintenir un semblant de conversation.
« Concernant les cours de surf, je peux me tromper mais je n’en ai pas vu au programme. Par contre, il y a une sortie en bateau de prévu. »
Je ne savais pas par quel bras commencer à enfiler mon tee-shirt, et c’était bien le problème de ma journée. Alors je me décidai à commencer par la tête. Après des contorsions peu habituels, j’avais enfin ce tee-shirt autour du coup. Quelques mouvements encore moins naturels de ma main redevenue libre me permettait d’arranger mon tee-shirt pour qu’il descende sur mon torse. Ce n’était pas tellement cette partie du corps qui me préoccupait, bien qu’elle semble susciter l’admiration des jeunes filles, en tout d’au moins une d’entre elles. Mais par ce mouvement, je parvenais enfin à couvrir mes avants-bras.
« Et donc, tu fais soins aux créatures magiques ? Et ça te plaît ? » Ce n’était pas tellement que mon avis sur ce cours m’intéressait mais il fallait bien que je pose quelques questions pour alimenter la discussion. Maintenant, il n’y avait plus de soucis, je pouvais décoller ma main puisque tout se trouvait sous un tee-shirt d’un blanc opaque. Je mis bien vite mes bras dans mes manches et vérifiai que le tissu humide plaqué sur ma peau ne laissait rien voir. Tout ce dont je pus me rendre compte était qu’il mettait sans doute en valeur les muscles de mon torse et de mes bras, ce qui était vraiment le cadet de mes soucis.
« Et au fait, tu t’appelles comment ? » Quitte à poursuivre cette discussion, autant savoir à qui j’avais affaire.

Mon tee-shirt humide ne changeait rien à l’envie de la jeune fille d’admirer mon torse mais il remplissait parfaitement son but : couvrir ma cicatrice, et le tatouage en-dessous, du tissu opaque de sa manche. Je pouvais donc enfin retrouver l’usage de mes deux bras sans me soucier d’avoir à masquer un tatouage gênant. Son enthousiasme semblait même s’étendre à la perspective d’une sortie en mer. Il fallait dire que moi aussi, j’étais bien décidé à y participer. Ce ne serait sans doute qu’une simple croisière pensée pour des élèves incapables de manoeuvrer la moindre barque mais au moins je retrouverais le roulis qui m’était si cher. Peut-être même pourrais-je voir si j’avais conservé mes réflexes de marin. Je n’avais pas vraiment d’inquiétude à ce sujet, vingt ans de navigation ne s’oublient pas en six mois mais l’idée de m’y remettre le temps d’une balade me rendait heureux et souriant.
« Bien sûr que j’y participerai ! » Mon ton se faisait enthousiaste et sans doute plus naturelle mais je sentais au fond de moi que mon interlocutrice s’intéressait sans doute à cette croisière autant que moi je me passionnais pour son avis sur le cours de soins aux créatures magiques. Mais je n’étais pas en mesure de comprendre si elle était préoccupée par autre chose que l’observation de ma musculature. Nous passions donc d’un sujet banal à un autre, sans suite apparente dans la discussion.
« Oui, je m’intéresse aux créatures magiques, surtout quand il s’agit de les rattraper au milieu de la forêt. Je commence à bien les connaître à force même si c’est plutôt le travail d’Isidore de s’en occuper. »
Elle m’apprit ensuite s’appeler Aisling Sepherd. Le prénom ne me disait rien, le nom me semblait par contre connu, mais je ne savais d’où. Tout s’éclaircit quand elle me parla de sa cousine. Je n’avais jamais rencontré Jade mais j’en avais suffisamment entendu parler par Hilary pour me faire une petite idée de la personne. Il faut dire que nos 5 heures de train pour faire le trajet entre Poudlard et Whitby laissait le temps de se faire un avis sur n’importe qui l’ayant fréquenté au cours de l’année. J’avais entendu longuement parler d’Eliana d’un ton mélioratif, de Jade aussi, critiquer Judith… Je connaissais son point de vue et m’étais fait le mien à partir de ce qu’elle m’en disait. C’était sans doute partial mais en l’état actuel je n’avais aucune raison de penser que Jade était une mauvaise fréquentation. Quant à sa cousine, je n’en savais rien.
« Oh oui, j’en ai entendu parler, c’est une amie d’... » A force de mener une conversation sans intérêt, j’en venais à baisser la garde. Ou plutôt, j’étais tellement obnubilé par ma cicatrice que j’en avais oublié que si mon rôle dans ces années-là devait rester le plus caché possible, j’avais bien d’autres secrets à conserver. Je m’étais rendu compte juste à temps que j’avais failli mentionner Hilary, ce qui n’aurait sans doute pas manqué d’attirer l’attention d’Aisling – si elle était un minimum curieuse et attentive – sur les liens qui pouvaient nous unir.

J’avais très envie de me taper la tête contre un mur tant je me trouvais stupide. Mais il y avait deux problèmes à cela : d’abord, Aisling ne manquerait pas de trouver cela très étrange, sinon suspect, et ensuite il n’y avait pas de mur sur la plage. Mais j’en avais vraiment envie car à force de me préoccuper de ma cicatrice, j’avais complètement oublié la première règle de prudence que je m’étais posée avant de retourner parmi les sorciers : ne jamais rien dire de ma relation avec Hilary. Pas par honte mais pour la protéger si jamais mon passé venait à me rattraper. Et Aisling n’avait pas manqué de remarquer que la fin de ma phrase était manquante puisqu’elle me demandait la fin. Je n’avais pas d’autre choix que de mentir mais pour mentir, encore fallait-il que j’ai une idée crédible. Pour me laisser le temps de réfléchir, je répondis à sa première question.
« Oui, je sais naviguer. » Je ne donnais pas de détails de peur de refaire une gaffe.
Je passais ensuite en revue tous les élèves de Poudlard que je connaissais, histoire de donner un nom qui paraisse plausible. J’éliminais bien vite le peu de premières années que je connaissais pour me retrouver avec, globalement, deux élèves dont l’amitié ne semblerait pas trop étrange : Eliana et Carla. Eliana était sans doute celle qui avait le plus de chance d’appartenir, sinon aux amies, du moins aux connaissances de Jade, puisqu’elles étaient toutes les deux proches d’Hilary. Mais justement, Eliana était trop proche d’Hilary et je ne la connaissais quasiment que par ce biais. Si Aisling avait à coeur de remonter jusqu’à elle pour une raison quelconque, elle pourrait sans difficulté faire des liens avec Hilary. Carla me semblait difficilement correspondre au genre d’amie des amies d’Hilary, d’autant plus qu’elle était sang-pure et semblait rester dans ce milieu. Sinon, je n’y avais pas pensé au premier abord, je pouvais sans soucis dire qu’elle était amie avec Blaze. Je n’avais aucune idée de la véracité de cette information mais Blaze n’avait à ma connaissance aucun lien avec Hilary et devait avoir à peu près le même âge que Jade. Ils étaient peut-être les pires ennemis du monde mais ce n’était pas mon problème, je pourrais toujours dire que j’avais mal compris.
« Une amie de Blaze, je crois. » C’était un coup de bluff, espérons qu’elle ne soit pas très proche de lui sinon elle se rendrait compte immédiatement du mensonge.

Rien dans cette discussion ne me paraissait naturel. Mes réponses ne l’était pas, mais cela était habituel, je ne pouvais même plus compter le nombre de fois où j’avais dû peser ainsi chacun de mes mots. Mais les questions et remarques d’Aisling me semblait plus calculées qu’elle n’y paraissait au premier abord. De loin, on pouvait penser qu’il ne s’agissait que d’un banal intérêt d’adolescente pour un homme bien trop âgé pour elle. Mais j’avais la désagréable impression qu’elle cherchait à savoir quelque chose et que ce quelque chose touchait justement à un passé dont j’essayais de dissimuler le maximum. Peut-être n’était-ce qu’une impression née de mon imagination, mais elle me laissait comme un poids sur la poitrine.
Un bref instant, ces suppositions m’arrachèrent un sourire amusé. Imaginer ma famille sur un bateau me semblait pour le moins étrange et inattendu. J’essayais en vain d’imaginer mon père et ses principes aristocratiques naviguant au gré de la houle. Son costume bien repassé aurait souffert du sel des vagues et sa coiffure impeccable n’aurait été que désordonnée par le vent. Et au-delà de son apparence physique, cela aurait été vécu comme une opprobre de faire une activité ne nécessitant pas l’usage de la baguette, accessible aux simples moldus. Quant à ma mère, je ne l’avais jamais imaginé en-dehors de la vaste demeure qu’elle gouvernait d’une main de fer.
« Non, non, j’ai appris seul. » Si ma supposition était bonne, elle risquait de noter dans un coin de sa tête toutes les informations que je pourrais lui livrer, y compris celles qui, en soi, n’était pas compromettantes, même si je ne tenais pas non plus à ce qu’elle creuse trop du côté de mon passé de marin.
En ce qui concernait l’amitié entre Jade et Blaze, elle ne l’avait pas tout de suite démenti mais je ne savais vraiment pas si le temps que j’avais mis à répondre ne disqualifiait pas toute tentative de mensonge. Je commençais à avoir de plus en plus peur de m’embourber dans une discussion à double sens sans pouvoir déterminer si ma paranoïa habituelle était justifiée. Je cherchais aux alentours une excuse pour partir sans rien trouver de probant.

Le regard d'Aisling suivant les pas de son ami semblait indiquer qu'elle s'était trouvé un nouveau centre d'intérêt. Ou au moins, qu'elle commençait peu à peu à se désintéresser de moi. C'était un soulagement, même si cela signifiait que je n'aurais pas tout de suite la réponse aux questions qui me taraudaient. Je me faisais sans doute des idées, j'avais sans doute affaire à une simple élève impressionnée par les quelques muscles qui perlaient sous mon tee-shirt et désireuse de faire la conversation. Mais ma méfiance et l'habitude prise de toujours supposé que mon interlocuteur pouvait en savoir plus que ce qu'il me disait ouvertement, me poussait à envisager ce que d'autres aurait jugé absurde ou lié à une paranoïa déplacée.
Notre dernier échange fut sa demande – son espoir – de me voir à la sortie en mer organisée quelques jours plus tard. Quel soit là ou non, j'étais bien décidé à y participer. Rien ne m'empêcherait de profiter une sortie en mer quand je savais que le temps passé à Poudlard m'éloignait inexorablement de la possibilité de naviguer.
« On s'y croisera sûrement » En disant ces mots, je savais déjà que je ferais très attention ce jour-là à ma tenue. Il était hors-de-question de porter autre chose qu'un tee-shirt à manche longue des plus opaque – noir s'il le fallait – quand bien même la sensation du tissu mouillé sur un corps transpirant de chaleur et d'effort n'était pas des plus agréable et gênait en grande partie des mouvements qui se devait d'être assurés.
Aisling me laissa donc à mes pensées et alla rejoindre des amis de son âge tandis que je rangeai d'un air distrait les quelques affaires éparpillées sur le sable. Il ne s'agissait pas de fuir mais puisqu'elle mettait fin à la discussion, je pouvais naturellement m'éloigner vers un rocher où j'aurais une certitude un peu plus vérifiée d'avoir un peu de tranquillité.