Ce n’était que la première semaine dans ce camp de vacances un peu particulier. En effet, le fait de ne pas pouvoir se servir de la magie était parfois un peu perturbant. Jane ne l’utilisait pas à tout va, heureusement, mais elle se rendait bien vite compte de certains réflexes qu’elle avait, certaines habitudes, qui n’étaient plus possibles maintenant. Comme faire léviter un tabouret jusqu’à elle, mettre de l’eau à bouillir sur le feu, faire le feu ! Toute une affaire dans ce monde moldu, alors que chez elle, un coup de baguette suffisait amplement pour faire jaillir des flammes. Un coup de baguette suffisait pour beaucoup de choses, d’ailleurs. En fait, elle trouvait que les moldus avaient un certain courage que les sorciers n’avaient pas. Les sorciers vivaient dans une certaine facilité, une certaine paresse, aussi. Cela dit, les moldus utilisaient tout un tas de gadgets auxquels Jane ne comprenait pas grand-chose. Elle avait vu que plusieurs adolescents de Poudlard étaient venus avec un « téléphone ». Une drôle de boite avec des boutons, qui permettait la communication avec d’autres personnes. Une bien drôle d’invention, mais sans doute bien plus rapide que les hiboux, d’ailleurs.

L’activité du jour était la photographie. Enfin une chose qui se rapprochait un peu du monde magique, chez eux aussi, il y avait des photographes, comme ceux pour la Gazette du sorcier, les événements importants… Ce ne serait donc pas un apprentissage des plus compliqués et cela permettrait en plus d’avoir quelques clichés en souvenirs à rapporter à la maison. Mais c’était sans compter sur les moldus qui utilisaient des appareils bien différents de ceux du monde magique. Plantée devant l’appareil photo en question, Jane ne cessait de tourner autour, de le retourner dans tous les sens et de le dévisager, cherchant quelque chose. C’était tout petit. Bien plus petit que ceux qu’ils utilisaient dans le monde magique. Elle ne comprenait pas où se trouvait l’espèce de petite corde avec l’embout sur lequel appuyer pour prendre la photo. L’animateur étant occupé avec un groupe d’élèves, Jane tentait de se débrouiller seule pour comprendre le fonctionnement, et le fait de n’y rien comprendre l’agaçait profondément. Il n’y avait aucun apprentissage pour lui résister de manière générale, alors ce n’était pas un vulgaire petit appareil qui allait venir à bout de sa patience.

Regardant le groupe voisin, elle le vit appuyer sur un minuscule bouton au-dessus de l’appareil. Oh ! C’était donc ça ! Si bête. Si petit qu’il lui avait échappé au premier abord. Presque avec appréhension, elle avait appuyé sur le bouton, déclenchant une vive lumière qui l’avait fait sursauter vivement. Ca n’avait pas fait ça dans le groupe d’à côté ! L’image apparu alors sur l’appareil, plongeant Jane dans l’incompréhension et la confusion.


« Ca ne fonctionne pas du tout, je crois que je l’ai cassé. » avait-elle dit tout haut, tout en se parlant à elle-même.


Elle ne comprenait pas du tout d’où était venue cette lumière si vive et clignotante. Et encore moins pourquoi la photo restait bloquée dans l’intérieur de l’appareil. Elle secoua l’appareil dans tous les sens, cherchant le trou d’où sortirait la photo et appuya une nouvelle fois sur le bouton du déclencheur sans le faire exprès, s’éblouissant elle-même avec le flash. De petites taches dansèrent devant ses yeux avant qu’elle ne jette un œil à l’écran. La photo de son visage beaucoup trop proche la vexa un peu, on voyait clairement son air contrarié et à peine la moitié de son visage.

Combien il y avait-il de chance pour que Wes fasse son apparition à ce moment-là ? Enfin, peut-être était-il déjà là avant en fait, elle avait été tellement absorbée par cet engin étrange et capricieux qu’elle n’avait pas vraiment pris garde à ceux qui l’entouraient, l’espace d’un instant. Ses joues rosirent légèrement. L’appareil entre les mains, elle le tourna vers lui.


« Je n’arrivais pas à faire sortir la photo, ou à la faire bouger. Mais remarque, en voyant celle-ci, ce n’est peut-être pas plus mal… » lui expliqua-t-elle dans un demi sourire.


« Et cette lumière qui clignote chaque fois qu’on appuie sur le bouton, quelle était la volonté des moldus en mettant ça ? Les rendre aveugles ? » Le questionna-t-elle en riant à moitié.

Drôle d’engin, quand même, qu’un appareil photo. C’était bien trop petit comme truc, Jane ne voyait absolument pas comment un si petit appareil allait pouvoir faire sortir une photo de taille normale. D’ailleurs, elle ne trouvait même pas l’endroit pour prendre la photo, elle ne trouvait pas la petit corde avec l’embout à presser, celui qui déclenchait une petite détonation, faisait une lumière et en sortait une belle photo où les personnes bougeaient. Non, dans le monde moldu, ça n’avait rien à voir, en fait. L’appareil tenant dans une seule main, il y avait un écran avec la photo en tout petit. Une photo qui ne daignait pas bouger d’un cil. Et qui, par ailleurs, restait résolument bloquée à l’intérieur de l’appareil. Déjà qu’elle avait mis le temps pour trouver le bouton déclencheur, voilà qu’en plus la photo ne voulait pas venir. En tentant tant bien que mal à la faire sortir, elle avait appuyé une nouvelle fois sur le bouton, s’aveuglant au passage grâce au flash bien trop près de ses yeux. Et voilà que Jane était vexée. La photo n’était pas des plus flatteuses. Et elle ne bougeait toujours pas !

Evidemment, il avait fallu que Wes choisisse ce moment pour tomber sur elle. Son rire, elle l’aurait reconnu entre mille, elle le connaissait par cœur. Il aimait bien se moquer, toujours avec gentillesse, de ses maladresses et petits incidents. Il répondait toujours présent pour la taquiner. Et l’épauler aussi, bien sûr. Toujours fidèle au poste. Toujours à la hauteur. Quant à elle, elle ne pu s’empêcher de rougir un peu, se sentant prise en faute. Elle lui montra l’écran de l’appareil et la photo des moins flatteuses. Il tenta bien de lui expliquer que les photos sortiraient via un autre appareil, mais ça perdit un peu plus la blonde. Les photos ne sortaient pas de l’appareil photo ? Mais où allaient-elles alors en attendant ? C’était étrange. Vraiment étrange. Mais elle n’eut pas le temps de poser la question qu’il faisait un commentaire taquin sur son cliché.


« Et bien puisqu’elle est si magnifique, tu pourras la mettre sur ton bureau à la rentrée, je t’en ferai faire une exprès pour toi. » avait-elle dit, son air contrarié disparaissant derrière un sourire.


Elle lui fit ensuite la remarque concernant la lumière qui sortait de nulle part pour aveugler la personne prise en photo. Si ça n’était pas un instrument de torture, elle ne savait pas ce que c’était ! Sa réflexion arracha un nouveau rire au bibliothécaire de Poudlard, qui lui répondit que c’était efficace.


« Efficace… Oui. Mais sournois comme méthode. On devrait être averti au préalable, tout de même. » répondit-elle d’un ton raisonnable.


La proposition de Wes surprit un peu Jane. Elle n’était pas venue prendre des photos d’elle, c’était gênant… Intimidant en plus. Surtout si c’était Wes qui prenait les photos. Avec une copine, ça tournait à un jeu de poses. Mais avec Wes, elle n’aurait jamais l’aplomb de faire la belle devant l’objectif. Poser devant l’appareil, ça la mettait un peu mal à l’aise, alors pour cacher un peu son trouble, elle misa sur l’humour.


« La promesse d’avoir ma dernière magnifique photo sur ton bureau ne t’enchante plus, tu veux déjà la remplacer par une autre ? »


Les mains sur les hanches, elle avait haussé un sourcil avec un sourire aux lèvres.


« Tu as dit que c’était un chef d’œuvre, il me semble difficile de faire mieux, quand même. »


Toutefois, elle ne pouvait rien lui refuser, surtout qu’il avait déjà l’appareil entre les mains. Alors, elle fit un petit sourire, ne sachant pas trop quoi faire de ses bras, elle les croisa sur sa poitrine. Ils devenaient bien trop encombrants tout à coup. Le flash de l’appareil se déclencha une nouvelle fois, lui faisant fermer les yeux. Décidément, elle n’aimait vraiment pas ça.

La jeune femme vint se placer à côté de son ami pour voir le résultat. Il s’avéra encore pire que la précédente, les yeux fermés, le visage un peu crispé. Être le modèle, décidément, ce n’était pas fait pour elle. Mais elle n’avait pas la prétention de dire le contraire.


« Bon, on fera comme si cette photo n’avait jamais été prise, d’accord ? »


A son tour, Jane récupéra l’appareil des mains de Wes.


« A ton tour, fais moi ton plus beau sourire et garde l’œil ouvert surtout ! Enfin, les deux, d’ailleurs. »


Elle imita parfaitement son ami, regarda par le tout petit trou, mit un instant pour bien placer l’image de Wes dans son viseur et déclara :


« 3… 2… 1… Ouistiti ! »


Elle avait repris le mot qu’avait dit l’animateur. Apparemment, ce mot « ouistiti » permettait un sourire des plus larges et des plus beaux pour les photos. C’était étrange, mais Jane n’y prêta pas plus attention que ça. Le flash se déclencha et après un instant, la photo apparu sur l’écran. Jane la montra à son modèle photo.


« C’est quand même étrange, pourquoi est)ce que ça ne bouge pas chez eux ? Est-ce que c’est parce que la photo est bloquée dans la boite ? Genre, quand on va les recevoir, elles bougeront ? Ou alors elles vont rester comme ça, figées ? C’est vraiment intriguant ce truc. »

Si Jane avait été vexée un moment par le cliché peu flatteur que l’appareil avait pris sans lui demander son avis, elle avait toutefois changé d’humeur bien vite et la compagnie de Wes n’y était pas pour rien. Il arrivait toujours à la faire rire, quelle que soit la situation. Alors quand il s’était gentiment moqué de son chef d’œuvre – comme il l’avait appelé – elle n’avait pas pu faire autrement que de le taquiner à son tour, lui indiquant qu’il aurait, comme cadeau, cette magnifique photo d’elle sur son bureau de Poudlard. Il n’en fallait pas plus pour les faire rire, tous les deux. La vie était si simple ! Ce qui ne l’était pas, c’était l’objet du diable qui était entre leurs mains. Cet étrange objet qui prenait des photos sans qu’on ne s’y attende, qui déclenchait une lumière vive pour nous aveugler et qui ne daignait même pas sortir la photo. Peut-être qu’elle n’était pas assez jolie pour qu’il daigne la lui sortir. Qu’en savaient-ils ?

Le jeu dériva ensuite lorsque Wes s’empara de l’engin pour torturer la jeune infirmière, qui, pour cacher sa gêne, avait plaisanté sur le fait qu’il voulait déjà remplacer son premier chef d’œuvre. Il se justifia en lui expliquant qu’il mettrait les deux photos, et parla également d’un autel à sa gloire, ce qui fit rire doucement la blonde.


« Ca me va ! En plus, ce n’est pas du tout disproportionné comme idée, et gênant encore moins ! »


Jane prit la pose, bien que ce soit un grand mot. Elle s’était contentée de croiser les bras sur sa poitrine sans trop savoir quoi en faire et de regarder vers son partenaire, un sourire timide aux lèvres. Et bien sûr, au déclenchement, elle avait fermé les yeux. Par anticipation ou réellement pour le flash, qu’importait. Le résultat était le même, le visage crispé, les yeux fermés, c’était vraiment un portrait horrible d’elle. Et alors qu’elle tentait de négocier avec son tortionnaire pour qu’il oublie la photo qu’il venait de prendre, il en remettait une couche en voulant en prendre d’autres ! Jane secoua un peu la tête, il n’avait pas l’air de lui laisser le choix de toute façon.


« Très bien, mais je te conseille de faire ça de manière… spontanée. Histoire que j’ai les yeux ouverts. »


Un doux sourire ne quittait plus ses lèvres et, histoire de ne pas être la seule à être torturée, Jane s’empara de l’appareil photo et intima à Wes de prendre la pose, en gardant les yeux ouverts surtout. Conseil avisé de celle qui avait fermés les yeux un instant plus tôt. Elle fit le décompte et pressa le bouton devant un Wes aux yeux grands ouverts et tirant la langue. Un vrai clown ! Le cliché la fit rire et elle le montra au bibliothécaire qui ria avec elle. Pas une seule photo vraiment potable, mais l’ambiance était là et les quelques clichés feraient des souvenirs inoubliables.

La blonde souleva les questions qui la taraudaient depuis son premier portrait. Les photos ne bougeaient pas et elle trouvait ça terriblement dommage. Mais Wes souleva un bon point. Elle n’avait pas pensé aux photos qu’ils avaient longuement épluchés en vue de la soirée d’Halloween. Ces fameux soirs où il n’avait pas voulu lui dire en quoi il se déguiserait et où elle avait promis de le harceler, au travers des petits pois du diner, s’il le fallait. Ce souvenir agrandit son sourire. Ils s’étaient bien amusés, ça avait été des moments particulièrement plaisant après les heures de travail, que de partager des soirées aux côtés de son ami de toujours.


« Non, ce n’est pas un mal, c’est vrai. Surtout si c’est pour me voir inlassablement fermer les yeux devant l’objectif chaque fois que je viendrai te dire bonjour à ton bureau. »


L’œil de Jane fut alors attiré par deux demoiselles qui arrivaient à se prendre elles-mêmes en photo en tenant l’appareil à l’envers ! Du génie ! Bien plus pratique que d’ennuyer le voisin pour prendre une photo, surtout si leur voisin galérait autant qu’eux. Jane eut un sourire espiègle et se mit juste à côté de Wes.


« Essayons comme elles ! De prendre une photo de nous, ça nous fera un chouette souvenir ! »


Après tout, il était important d’avoir des photos avec ses amis pour se rappeler les bons moments ! Tout sourire, Jane entreprit de retourner l’appareil photo entre ses petites mains, en prenant garde à ne pas le faire tomber. La langue sur la lèvre supérieure, elle chercha le bouton avec son doigt pour qu’il soit facile d’appuyer au moment voulu et fit un grand sourire.


« Attention, à 3…. 3 ! »


Et elle prit directement la photo sans passer par le un et le deux. Le flash pointa le bout de son nez mais elle garda les yeux bien ouverts cette fois, elle en était sûre ! Et en retournant l’appareil, elle fronça les sourcils. Elle avait bien mit ses doigts, avait gardé les yeux ouverts, avait mis l’appareil dans le bon sens ! Mais elle n’avait pas pris garde au cadrage et on ne voyait que la moitié de leur visage à tous les deux.


« Bon, je crois que c’est moi qui vais m’entrainer sur toi pendant les vacances. Et il vaut peut-être mieux que ce soit toi qui prenne la photo, tu as les bras plus longs que moi. »


Elle n’avait aucune idée de si ça changerait quelque chose mais… Il pourrait difficilement faire pire.

L’ambiance durant l’activité photographie était relativement au beau fixe. Il y avait des groupes de copines autour d’un appareil photo qui immortalisait parfaitement les fous rires et les poses que chaque demoiselle voulait bien prendre. Il y avait ceux qui s’ornaient d’accessoires divers et variés : lunettes, chapeaux, boas de plumes, fausses moustaches et d’autres choses de ce genre. D’autres qui prenaient ce travail très au sérieux, en photographiant des objets ou des fruits et légumes. L’animateur passait dans les groupes d’élèves pour aider, superviser, débloquer certaines choses. Mais l’attention de Jane était largement préoccupée par quelqu’un d’autre. Et il n’y avait pas de place pour d’autres distractions que celle que lui offrait Wes et ses multiples taquineries.

Si Jane avait taquiné un Wes un brin moqueur sur le potentiel cadeau pour son bureau, il était maintenant question d’un autel à sa gloire et la simple petite taquinerie prit une proportion démesurée. Elle n’accepterait jamais qu’il fasse ça. Il en était certainement capable, histoire de la faire rire une fois qu’elle passerait pas la bibliothèque avant d’aller se coucher. Mais il savait tout autant que ça la gênerait profondément. Elle n’avait jamais aimée être mise en avant, de quelques manières que ce soit. Alors un autel à sa gloire en pleine bibliothèque de Poudlard, elle ne pouvait pas rêver mieux pour piquer un fard.

Après un deuxième portrait raté de Jane, la conversation vint sur l’entrainement futur de Wes en matière de photographie et de la tonne de photos qu’il comptait prendre pour s’entrainer. Bien qu’elle savait par avance que ça la gênerait d’être prise en photo, mieux valait au moins lui conseiller de le faire de manière spontanée, sans qu’elle ne le sache ou le voit. Au moins, cela éviterait qu’elle ferme les yeux. Et aussi, ça donnerait un côté naturel à la photo, et lui offrirait des souvenirs des activités qu’elle avait pu faire ici.
La remarque de Wes à propos de la lumière la fit sourire.


« J’apprécierais beaucoup, en effet. Ce ne serait pas très pratique d’être une infirmière aveugle. Et encore moins pratique pour faire des photos ! »


Wes prit la pose à son tour sous les conseils avisés d’une Jane au grand sourire. Le résultat n’était pas trop mal, même si il avait les yeux grands ouverts de manière légèrement exagérée… La faute à cette maudite lumière ! Il devait bien y avoir un truc pour l’enlever ! Un bouton, sans doute. Mais Jane avait déjà eu tellement de mal à trouver le déclencheur qu’elle ne voulait pas se risquer à en chercher un autre. Peut-être qu’il fallait mettre son doigt devant ?

Une nouvelle idée vint à l’esprit de la blonde lorsqu’elle avait vu un groupe de filles se prendre elles-mêmes en photo. C’était dingue et révolutionnaire comme méthode ! Tout à fait ce qu’il leur fallait, mais encore fallait-il en maitriser la technique. Bon, Jane avait au moins vu qu’il fallait tenir l’appareil dans l’autre sens, ce qui était parfaitement logique en soi. Il aurait été parfaitement bête de prendre la pose devant un appareil qui photographiait l’exact opposé. Ni une, ni deux, elle exprima sa volonté de faire comme les deux demoiselles et elle s’installa aux côtés de Wes et compta. C’était un bien grand mot, puisque la jeune infirmière n’avait énoncé que le trois avant d’appuyer sur le déclencheur, un grand sourire sur les lèvres. Prêt ou pas, la photo était dans la boite !

Wes dénonça une arnaque, ce qui étira un sourire angélique sur les lèvres de la blonde. Elle mit sa main sur sa poitrine, faussement offensée.


« Moi ? Oublié des chiffres ? Mince, tu dois être un peu sourd, tu n’as sans doute pas entendu les deux premiers. La vieillesse sans doute ! »


Après tout, même si Jane avait presque 21 ans – d’ici quelques semaines – Wes en avait 29, ce qui permettait à l’ancienne aiglonne de taquiner son ami sur son grand âge. Il était son plus vieil ami, dans tous les sens du terme.
Envoyant le résultat peu concluant de la photo, Jane estima préférable que ce soit Wes qui prenne la prochaine, c’était une question de longueur de bras, voilà ! Il récupéra l’appareil entre ses doigts, la questionnant au passage.


« Je ne sais pas, mais tu es peut-être plus… souple ? Je n’en sais rien, faisons un essai. »


Ce fut à son tour de faire le décompte, faisant rire la blonde.


« Oui oui, un vrai trois… » Dit-elle en continuant de rire.


Jane était prête, elle regardait l’objectif – elle l’espérait en tout cas ! - , souriait, et comptait bien garder les yeux ouverts. Wes fit le décompte et au trois, elle eut un petit sursaut en sentant ses lèvres sur sa joue. Aussitôt, son visage devint rouge pivoine et son visage resta surpris un instant. Est-ce qu’il avait embrassé sa joue ? Venait-il vraiment de mettre ses lèvres sur sa joue à elle ? Ici ? En prenant une photo ? Tout à son trouble, elle n’avait même pas vu que la photo avait été prise et que Wes avait détendu son bras. Machinalement, elle passa ses doigts sur l’endroit où sa bouche l’avait touchée, s’assurant qu’elle n’avait pas rêvé. Est-ce que ce moment d’intimité et de rapprochement était dans cet appareil ? Est-ce que lors du développement des photos, tout le monde pourrait voir ça ? Ce moment qui n’appartenait qu’à eux ? Son esprit tournait à plein régime. Des questions, des petites voix faisant tout un tas de commentaires comme « Ouuuuuuuh ! » ou encore « Par Merlin ! Il l’a vraiment fait ! ». Elle prit un court instant pour calmer les battements effrénés de son petit cœur en guimauve. Il ne fallait pas s’affoler maintenant. Ils étaient dans une pièce pleine d’enfants qui avaient pu les voir et s’ils remarquaient son trouble, elle risquait de devenir un sujet d’attention ou de rumeur et elle ne voulait pas de ça.

Tentant de reprendre un peu contenance, le visage toujours rouge et le regard évitant le visage de Wes, Jane regarde avec lui le résultat de la photo. Autant savoir si tout le monde verra cette photo d’eux ou si elle est comme la précédente, incomplète. On ne voit que des morceaux d’eux, une nouvelle fois. Cela dit, elle ne sait pas si elle doit être soulagée ou non. Cette photo aurait pu être très jolie, et un beau souvenir.


« Est-ce que… Euh… As-tu… Enfin… Tu sais… »


Elle ne savait pas où se mettre. C’était intimidant. Et incompréhensible. Pourquoi est-ce qu’il avait fait ça ?


« EstCeQueTuAsEmbrasséMaJoue ? » Dit-elle d’une traite en triturant la jupe de sa robe entre ses doigts, signe de nervosité.


Ca paraissait si absurde qu'il l'ait fait, comme si c'était dans sa tête à elle qu'elle n'avait pas encore commencé à hyperventiler.

La fourberie n’était pas le genre de Jane, loin de là. Mais lorsqu’il s’agissait de Wes et de ses multiples taquineries, la règle ne s’appliquait plus, évidemment ! C’est qu’avec le temps passé en sa compagnie depuis un an, elle se permettait de plus en plus de choses avec lui, se sentant de moins en moins mal à l’aise. Bon, elle rougissait toujours autant, elle renversait encore de temps en temps des choses et d’autres, ou se prenait les pieds dans un tapis à l’occasion, histoire de garder la forme. Et les bonnes vieilles habitudes, surtout.

Jane venait tout juste de vouloir imiter deux demoiselles se prenant en photo, et la voilà qui était outrageusement accusée d’avoir oublié des chiffres. L’air faussement offensée, elle s’était dédouanée en remettant la faute sur l’ouïe vieillissante de son ami. Après tout, il n’était plus tout jeune, par rapport à elle. L’air boudeur qu’il afficha un court instant était des plus adorables qu’elle avait pu voir. Et sa potentielle attirance pour son ami n’avait rien à voir là-dedans, bien sûr. Alors, afin de retenter l’expérience de la photo à deux, elle lui proposa de prendre lui l’appareil photo et peut-être qu’avec ses plus grands bras à lui, ils auraient plus de chance de réussite. C’était une théorie farfelue, néanmoins, Wes se plia à la nouvelle de la blonde. Elle argumenta qu’il était peut-être plus souple qu’elle, mais cette remarque relevait plus du hasard qu’un fait avéré. Le rire du bibliothécaire résonna dans ses oreilles, la faisant sourire. L’appareil photo en place, il précisa qu’il ferait un vrai décompte lui, déclenchant le rire de l’infirmière.

Le décompte se fit, Jane était prête. Elle comptait bien avoir les yeux ouverts et un grand sourire sur les lèvres. Ce qui aurait pu sans aucun doute être le cas si, dans un premier cas, la photo avait été prise correctement (Mais comment viser correctement quand on ne peut pas regarder dans l’objectif pour voir si on est dans le bon ?). Et si, dans un deuxième cas, Wes ne lui avait pas embrassé la joue au tout dernier moment, déclenchant un véritable brasier sur le visage de Jane. Un flot de sentiments bien différents défila, tout comme la tonne de questions qui en découla. Est-ce que c’était un signe de quoi que ce soit ? D’une attirance ? D’amitié ? Elle n’était plus très au clair avec ce qu’elle ressentait pour Wes depuis que Caleb avait soulevé la question, et que Siwan l’ai questionnée après la soirée entre membres du personnel… Alors avec ça en plus, c’était la noyade assurée. Pour tenter de cacher son trouble, elle jette un œil à la photo, ne remarquant qu’à peine qu’il n’y prête pas attention, lui. Il faut qu’elle respire, et qu’elle se calme, surtout.

Alors, pas le plus clairement du monde, tritouillant sa robe entre ses doigts, Jane lui demande s’il la bien fait. Evidemment qu’il la fait, la question est bête tellement c’est évident, et pourtant, c’est la seule chose qui daigne bien sortir. S’obligeant à prendre une inspiration un peu plus profonde que d’habitude, elle relève les yeux vers Wes lorsqu’il lui répond.


« Oh, m-m-mais non, tu n’as vraiment pas besoin de t’excuser, j’ai juste été très très surprise. Mais tu n’as rien fait de mal, bien sûr. C’est moi qui… Enfin, tu me connais… Je ne m’y attendais pas. »


L’ambiance était retombée, Wes s’était excusé, ça suffisait à apaiser le feu sur ses joues et à l’empêcher de bégayer. Le but n’était absolument pas de l’accuser de quoi que ce soit, il n’y avait rien eu de mal. C’était juste elle qui se faisait des idées pour un rien. Il lui expliqua alors qu’il n’avait pas voulu la mettre mal à l’aise et qu’il ne le ferait plus, comme un petit garçon prit en faute. Et si elle avait été surprise de son geste, elle était à présent un peu déçue qu’il promette de ne pas recommencer.


« Ce n’est pas de ta faute, vraiment. Ce n’était rien de déplacé, et plutôt plaisant d’aill… »


Elle s’arrêta net dans sa phrase, se rendant compte qu’elle avait une trop grande bouche, tout à coup, pour une qui n’avait pas su comment s’exprimer quelques instants plus tôt. Elle toussota juste un peu, pour s'éclaircir la gorge, avant de reprendre.


« Je suis en train de m’enfoncer et je vais finir par me gêner moi-même. » finit-elle par dire en dansant d’un pied à l’autre. « Mais je voulais dire… Je n’ai pas l’habitude de ce genre de choses. Mais je ne suis pas contre... »


Elle ne souriait plus, le sujet était devenu sérieux tout à coup. Elle l’avait rendu sérieux, plutôt. Elle pencha un peu la tête, avant de se mordre la lèvre à nouveau et de jeter un œil à l’appareil.


« Est-ce que tu veux qu’on réessaie..? »


La photo ? Le bisou sur la joue ? Qui savait ?