Les examens approchaient à grand pas et avec eux, le retour chez nous. Et autant j'avais hâte de pouvoir retrouver ma famille, autant je n'étais pas pressé de me retrouver devant mes copies, à réfléchir sur quel sortilège utilisait pour faire telle chose ou comment changer un cafard en bouton. Je déteste toujours cette période de l'année, peu à l'aise avec l'idée de passer des heures devant une feuille à écrire ce que j'ai retenu de mon année ou de ma scolarité. Je suis loin d'être un cancre, mais je suis également loin d'être un élève modèle. Je crois que, comme beaucoup de mes camarades, je me mets sérieusement à mes révisions quelques semaines avant les examens, espérant que ce soit suffisant pour les réussir. Surtout qu'on ne va pas se mentir, je ne suis pas trop exigeant, j'espère juste avoir la moyenne pour passer dans l'année supérieure, rien de plus. Je ne cours pas à la chasse aux Optimales, loin de là. Le fait que Casey soit une élève sérieuse m'aide quand même à bosser un peu plus. Il est clair que si elle passait son temps à flâner dehors plutôt qu'à réviser ses cours, j'aurai été plus enclin à faire de même. Là, je profite de sa présence pour réviser avec elle quand l'occasion se présente.

Mais ce soir, je n'ai pas envie de réviser, ni même de faire semblant. J'ai passé ma fin de journée à Pré-au-Lard à flâner dans les ruelles du village. Parfois ça fait du bien d'abandonner la Bibliothèque ou juste ses manuels pour quelques heures. Je sais qu'au vu de l'heure, je devrais retourner à Poudlard, mais franchement je n'en ai pas envie. Je ne suis pas un élève qui fait beaucoup de vague. Certes, j'ai passé beaucoup de temps à faire le mur pour flâner dehors la nuit, mais ça fait un moment que je n'ai pas fait ça. Est-ce qu'on peut dire que j'ai mûri ? Franchement je l'ignore, j'aime plutôt croire que je ne ressens plus autant le besoin de fuir mon dortoir pour retrouver l'air libre et que je ne fuis plus autant le sommeil qu'avant. Alors je ne pense pas pouvoir vraiment dire que j'ai mûri, juste que ma vie est devenue un peu plus simple qu'avant. Exceptionnellement, je me promène sans gants. C'est assez étrange d'ailleurs la sensation de ne pas les porter, je me sens nu sans eux. J'en porte depuis très longtemps, je me sens en sécurité avec eux, alors on ne peut nier que depuis quelques heures, je ne me sens pas aussi à l'aise que je le voudrais. Mais rassurez-vous, ils ne sont pas très loin, bien caché au fond de mes poches de ma cape, je suis prêt à les dégainer en cas de besoin.

Ne pas porter mes gants H24 est la première étape. Mes gants sont une barrière pour me protéger de mes visions. Si je veux accepter mon don et l'apprivoiser, il va falloir que j'abaisse mes barrières. Je suis encore assez mitigé face à ma décision. Je sais que c'est pour le mieux et que si je veux vivre heureux et en accord avec moi-même, il va falloir que j'accepte mon don. Je l'ai depuis toujours et je vivrais éternellement avec, le fuir ne m'a jamais servi jusqu'à présent, il faut bien que je m'en rende compte. Mais ce n'est pas aussi facile d'être aussi vulnérable. Je suis effrayé à chaque fois que je croise quelqu'un, de peur que par accident, nos peaux se touchent, se frôlant au passage et que cela suffise à déclencher une vision. Par chance, ce soir il n'y a pas grand monde à Pré-au-Lard, je passe une fin de journée somme toute assez normale. Les choses se compliquent quand je décide d'aller boire un verre aux Trois Balais avant de rentrer à Poudlard. “Fermer ?” Dis-je étonné à la serveuse qui m'apprend la nouvelle. C'est quoi encore ce délire ? Je regarde ma montre ensorcelé, constatant qu'il est encore bien tôt pourtant. “Mais il n'est que 19h ? ... Pourquoi vous fermez si tôt ?” Lui demandais-je. Je ne suis pas un garçon qui fait beaucoup de vague. Je suis assez obéissant pour ne pas trop insister, mais là j'avoue ne pas comprendre. Les bars ne ferment pas plus tard normalement ? Je vois bien qu'il n'y a pas grand monde au village ce soir, mais c'est clair qu'il n'y aura plus personne s'ils ferment tous aussi tôt. En temps normal, j'aurai laissé coulé, ne voulant pas faire de vague, mais là franchement ça m'emmerde, parce que ça signifie que je vais devoir rebrousser chemin pour retrouver Poudlard et que je n'en ai pas du tout envie. “S'il vous plait ... juste un verre ?" Lui demandais-je en tentant ma chance.

Est-ce que c’est vraiment une si bonne idée que ça de se balader sans gant dans les rues de Pré-au-Lard ? Certes, il n’y a pas grand monde à cette heure-ci mais un accident et si vite arrivé. Le Professeur Kendrick m’a plutôt conseillé de me tourner vers une personne unique pour ce genre d’expérience et sur le coup, j’étais plutôt du même avis qu’elle. Je n’ai aucune envie de rentrer dans l’intimité de qui que ce soit. Je n’ai aucune envie d’imposer mon don à quelqu’un d’autre. Et si je dois le faire, je préfère largement que ce soit à quelqu’un qui sait dans quoi il s’embarque et qui est d’accord avec ça. Mais voilà, sur un coup de tête, j’ai décidé de retirer mes gants et de tenter une expérience. Si tout se passe bien, je n’aurai aucune vision. Mais faut-il encore que tout se passe bien, par expérience, ça n’arrive pas souvent à Poudlard. Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas envie d'attendre la rentrée pour débuter mon apprentissage ou parce que je ne suis pas sûr d'avoir suffisamment confiance en le professeur Kendrick pour la choisir elle comme "cobaye" ou alors parce que je suis mue par une soif de normalité qui me pousse à me faire croire que moi aussi je peux marcher dans les rues sans porter de gants. C'est peut-être un peu des trois et certainement pas que ça non plus. La discussion que j'ai eu avec mon professeur de Divination m'a ouvert les yeux sur un truc. Depuis que j'ai découvert qu'avec des gants, je pouvais contrer les visions, il n'y a pas eu un seul jour où je ne les ai pas porté. Au début c'était un besoin de protection et un peu de soulagement dans l'absence de vision. Ensuite c'est juste devenu une fuite en avant, un objet de lâcheté. Je pouvais prétendre être normal car avec eux, je n'avais plus de vision. Mais ça a forcément ses limites et dès que je ne les porte plus, j'ai l'impression d'être beaucoup plus sujet aux visions qu'avant. C'est peut-être qu'une idée que je me fais, peut-être que ce n'est que le fruit du hasard.

Enfin bref, tout ça pour dire qu'en cet instant, devant le pub des Trois Balais, je suis sans gant et confronté à un problème de taille. La serveuse refuse de me faire rentrer sous prétexte que ce soir elle doit faire son inventaire. N'aurait-elle pas pu attendre qu'on parte en vacances pour le faire ? Non parce que même si je ne doute pas que le village continue à vivre sans nous, on ne peut nier qu'il y aura quand même un peu moins d'activité durant les vacances. Après je comprends, elle fait son taff mais ça m'emmerde un peu. Elle me montre un écriteau que je n'ai pas vu. En même temps je viens à peine d'arriver et elle m'a presque sauté dessus, ce n'est quand même pas de ma faute si je n'ai pas eu le temps de le voir. “Casses pied dans mon genre ?” Dis-je d'un ton un peu vexé. Alors déjà elle va se détendre et ne pas me juger, parce qu'elle est loin de me connaître. Si encore je m'appelais Maxwell, là je pourrais comprendre qu'elle ne veuille pas s'encombrer d'un mec pareil, mais sérieux, qu'est-ce que je lui ai fait ? Elle n'a jamais dû me remarquer, je n'ai jamais fait de vague et c'est bien la première fois qu'elle doit entendre limite le son de ma voix. Donc elle sera gentille de ne pas faire de généralité. Ok, ce soir je tombe mal et je l'entends très bien, mais je suis tout seul et ce n'est qu'un verre. Elle me fout dans un coin, le temps qu'elle fasse son inventaire et j'emmerderai personne. Oui d'accord, à sa place aussi ça m'aurai soulé de voir quelqu'un débarquer au moment où je ferme et je l'aurai certainement pas super bien accueilli, tout comme elle. Mais moi je ne suis pas barmaid et pas franchement social non plus.

J'ignore ce qui lui a fait changer d'avis mais finalement, elle accepte que je reste. Ses conditions sont claires et ça me va amplement. Je n'ai aucune envie de rester ici toute la nuit, je veux juste un verre avant de rentrer à Poudlard. Je hoche la tête avant de la suivre à l'intérieur. Je l'entends verrouiller la porte du bar derrière moi et fermer les rideaux. C'est très étrange de voir le bar aussi vide et aussi calme. C'est loin d'être désagréable pour le coup. Elle me demande ce que je veux, me proposant trois choix possibles “Une bièraubeurre ça ira ... Merci !” Elle a accepté que je reste, je peux au moins être poli. Je m'installe au comptoir, pas forcément extrêmement à l'aise dans cette situation. D'ordinaire, je suis noyé par la foule, je peux rester invisible. Ce soir, on ne voit que moi, difficile d'être invisible. Je commence à me demander si j'ai bien fait d'insister pour ce verre. Encore que si elle fait son inventaire, elle pourrait aller jusqu'à oublier ma présence...