Par la fenêtre de la chambre, je pouvais apercevoir le soleil couchant qui éclairait l’immense parc du château d’une lumière orangée. Cet été commençait de la plus belle des manières : en compagnie de Junior, à nous perdre des heures entières loin d’une noble foule composée de ce que la société sorcière faisait de mieux en France. Bientôt, notre escapade sur les côtes bordées de l’océan prendraient fin et nous nous éclipserions au milieu des steppes norvégiennes. Je brûlais d’une impatience ravie, ne doutant pas que les moments chez moi seraient aussi parfaits que ceux-ci ; sans me douter que le chemin pour rejoindre ma demeure d’enfance s’avérerait bien moins aisé que prévu. Ma seule préoccupation, alors que je terminais de lisser un pli sur ma robe de soirée, était de retrouver mon meilleur ami. Contrainte et forcée de l’abandonner pour troquer ma tenue du jour contre une, plus habillée, pour ce soir, je m’étais hâtée de respecter cette convenance-ci. Faire honneur aux miens et porter dignement le nom des Sørensen face à nos pairs, voilà une mission qui aurait été taillée sur-mesure pour Finnbjörn mais que je m’efforçais d’accomplir du mieux possible. Mes sourires et mes politesses avaient fait leurs offices jusqu’à présent, aidés par nos fuites sans fin qui me tenaient, bien heureusement, loin de tous ces individus qui m’indifféraient au plus haut point. J’avais évidemment noté quelques noms de personnes bien influentes afin de faire miroiter des rêves dorés à mon frère adoré et jouer sur cette compétition fraternelle qui pulsait entre nous depuis toujours, mais là s’arrêtait toute ma passion pour ces inconnus en nombre.

Retrouvant l’air encore chaud de ce début de soirée, je laisse derrière moi l’immense bâtisse pour plonger au coeur des conversations qui alourdissaient la musique de l’orchestre de leurs sons pompeux. Mon regard opalin fouillait la foule à la recherche de Junior, mon esprit s’échappant déjà dans les possibilités qui dessinaient cette soirée. Il n’avait pas menti, agissant avec moi comme il l’avait promis sur ce coussin géant, et le message avait en effet été délicieux à faire passer. Sa chère mère ne semblait guère ravie, c’était le moins que l’on puisse dire, mais nous n’avions pas eu besoin d’affronter beaucoup son regard courroucé. Il n’aurait pas été suffisant pour faire disparaître ce feu joyeux qui brûlait au fond de mes prunelles et ces sourires que nous échangions à tout va. En dehors de Poudlard, ces tendresses devenues habitudes se paraient de toute autre chose, sans que je ne puisse vraiment mettre le doigt dessus. Sans vraiment chercher à le faire, au demeurant, tant l’évidence me convenait. Quel besoin avions-nous de mettre des mots sur ce que nous tissions du bout des doigts ?

J’étais arrivée aux bords de la piste de danse érigée par les couples qui évoluaient en son sein quand je repérai enfin mon meilleur ami. Ses mains autour de la taille d’une autre, il disparaissait déjà, masqué par d’autres danseurs. Mes doigts délestent le plateau d’un domestique d’une coupe de champagne avant de se serrer autour de cette dernière, dans une tension qui vint figer jusque mon regard. La sensation était étrange, désagréable et amère. J’essayais d’en faire passer le goût d’une gorgée d’alcool, mais ne parvint qu’à faire couler le poids jusque dans ma poitrine. Je disparaissais quelques minutes à peine et il utilisait ce temps pour folâtrer avec n’importe qui ? Mes yeux clairs glissèrent sur le visage de sa mère, dont les traits satisfaits laissaient à penser qu’elle n’était pas étrangère au moment que son fils chéri passait avec cette jeune femme. J’imaginai qu’il aurait été trop compliqué pour lui de refuser et qu’il avait évidemment mis toute la mauvaise volonté du monde à accomplir la volonté maternelle. Un bref rire sarcastique m’échappa. Chose rare, tant mon impulsivité naturelle m’évitait de prendre en compte quoi que ce soit d’autre que ma volonté en temps normal, j’hésitais. Entre tourner les talons et disparaître de cette fête pitoyable, arracher Junior des bras de cette pimbêche, ou attendre qu’il daigne me retrouver, si tant est que ce soit encore dans la liste de ses envies. Mon impatience ne pouvait souffrir la dernière possibilité, mais le regard courroucé et impérieux de Grand-Père m’empêchait de me donner ainsi en spectacle. Pas ici, pas cette fois, il me l’avait bien fait comprendre. Je pouvais cependant laisser une chance à cette coupe de champagne puis disparaître si cette fureur froissée continuait ainsi de faire pulser mon sang.

La colère au bord des lèvres, je tourne la tête en entendant une voix familière s’élever, en anglais. Le mot était peut-être fort, mais disons simplement que je la reconnaissais pour l’avoir déjà entendue. La cousine de Junior était de la partie, dépendante des d’Archambault depuis le décès de sa pauvre mère. C’était du moins ce que l’on m’en avait dit, et je n’avais aucune raison de mettre en doute la parole de mon meilleur ami. Ce que je perçus de l’échange fit danser un sourire féroce sur mes lèvres. Je ne l’appréciais guère, en grande partie parce que Junior me l’avait dépeinte comme une insupportable garce, mais aussi parce que ses grands airs m’insupportaient. Néanmoins, tenir ainsi tête à madame la faisait légèrement remonter dans mon estime. Je ne doutais pas qu’elle était responsable de cette danse offensante et ma rancoeur se complaisait des phrases acides de celle dont elle devait désormais s’occuper. Ce bref instant de joie mauvaise disparut aussi vite qu’il était arrivé alors que Junior réapparaît dans mon champ de vision et que mes doigts serrent un peu plus fort le verre de cristal.

Une voix vint troubler ma solitude bouillonnante et j’abandonnais ce tableau déplaisant pour un autre, qui ne l’était pas moins. Aimée me faisait face et je posais sur elle un regard où dansaient bien des menaces. Il me semblait que tu n’étais que fade, non complètement stupide rétorquai-je sans ciller, avant de porter brièvement mes prunelles sur Claire d’Archambaut. Ce n’est pas incompatible, apparrremment. Et, dans un sursaut de rancoeur, je dédie un sourire éclatant à la mère de Junior avant de reporter toute mon attention sur sa nouvelle protégée. Puisque nous parrrlons semblants et faux-semblants, ta tante et toi avez l’airrr de vous entendrrre à merrrveille, quelle belle rrrrelation ironisai-je sans la quitter des yeux. Le destin m’offrait un divertissement inopiné sur un plateau d’argent, je n’allais pas me priver de la saisir. J’éviterai ainsi un éclat de colère que Grand-Père ne manquerait pas de me reprocher, me garderai de m’ennuyer comme une pauvre soupirante que je n’étais pas et ne serais jamais, et m’abstiendrai de quitter cette réception. Pour le moment.