Sans attendre mon reste, je me tire. Je marche rapidement et me retiens de ne pas courir. Il faut juste que je mette le plus de distance possible entre Blaze et moi. Mes lèvres tremblent mais je me contrôle, je ne pleurerai pas. J'ai fait ce qu'il fallait. La noirceur de mon monde n'est pas venu tâcher l'univers édulcoré du Serdaigle. Tout est redevenu normal, comme si rien ne s'était passé. Comme si rien n'avait changé. Oui, comme si. Pourtant, au fond de moi, le chamboulement est palpable. Je marche vite, très vite. Je ne me retourne pas. De toute manière, Blaze n'essaie pas de me rattraper. C'est normal, je viens de l'humilier. J'ai fait exactement ce que je redoutais qu'il me fasse, quelle putain de conne. Je suis en colère contre moi mais aussi contre lui. Qu'est-ce qui lui a pris, de me demander ça ? Aussi directement ? Je me suis retrouvée coincée, je n'avais pas d'autre choix. Sa demande sortait tellement de nulle part et moi ... je ne suis tellement pas celle qu'il lui faut. La vitesse à laquelle je descends les escaliers me fait ravaler les larmes que j'avais peine à contenir jusqu'alors. Mon sac glisse sur mon bras, je le remonte rageusement. J'ai fait ce qu'il fallait. Une histoire avec un garçon, je n'ai vraiment pas besoin de ça en ce moment et encore moins ici. S'attacher, c'est ne plus dépendre que de soi même et ça, il en est hors de question. La survie, ça se fait seule. Je resterai seule, c'est le meilleur moyen de m'en sortir. Et puis, c'est bien beau de vouloir sortir avec moi. Et Sasha ? Je n'ai pas rêvé lundi, quand j'ai vu son visage en géant dans la Grande Salle, à la place d'un de nos blasons. C'est même elle qui m'a avoué que c'était une idée de Blaze. Et après il veut me faire croire qu'il ne courre pas deux lièvres à la fois ? A d'autres. On ne trompe pas Skyler Mills, certainement pas.

Je dévale les marches de plus en plus vite. J'arrive au troisième étage mais je ne ralentis pas. J'emprunte l'escalier qui descends au second. Je vais si vite, comme si je tentais de fuir quelque chose. Peut-être Blaze, peut-être la situation en elle-même. Peut-être aussi ma culpabilité. Me voilà arrivée au deuxième étage sans que les escaliers n'aient fait des leurs, pour une fois. Je m'arrête un instant pour reprendre mon souffle, j'ai la tête qui tourne. Les toilettes des filles ne sont pas loin, Blaze n'ira pas me chercher là. J'avance plus lentement, maintenant, pour essayer de retrouver mes esprits. Mon sac glisse encore sur mon bras. Je suis clairement énervée, je ne peux pas rentrer comme ça dans le dortoir. C'est un coup à ce que cette fouine de Bluebell me cherche des noises. Sasha aussi risque de se poser des questions. On devait se parler hier, après le cours d'Histoire de la Magie mais elle a eu un empêchement. Ses mots résonnent dans ma tête : "il y a trop de choses que tu ignores". Bordel mais pourquoi tout le monde me prend toujours pour la dernière des connes. J'entre dans les toilettes. A première vue, je suis la seule personne présente et au final, je m'en tape un peu. Je laisse tomber mon sac à mes pieds, devant le premier lavabo que je trouve. Je laisse couler l'eau et m'en asperge le visage. Mon regard croise le miroir et ce que je vois ne me plaît pas du tout. « Merde ! » Je crie en donnant rageusement un coup dans le jet d'eau, qui asperge copieusement la glace en face de moi. Mes mains tremblent, j'essaie de me concentrer sur ma respiration pour mieux faire le point sur tout ça. C'est là que je l'entends : je ne suis pas seule. Instantanément, je deviens aussi stoïque qu'une statue. « Qui est là ? »

Totalement happée par ce qui vient de se passer au quatrième étage, j'en deviens moins observatrice. Moins sur mes gardes, aussi. Je fonce tête baissée, pressée de fuir la situation. Restée trop longtemps spectatrice de ma vie ici, à Poudlard, j'ai du mal à gérer l'obtention du rôle principal. Qu'est-ce qui vient de se passer ? Je n'en suis même plus totalement certaine. Je veux juste que ça s'arrête, effacer ce moment de ma mémoire et ne plus jamais en parler. Cette résolution sera sûrement compromise par la vision de Blaze toute la journée en cours mais pour l'instant, ça me passe au dessus de la tête. C'est un miracle si je ne me casse pas la figure vu la vitesse à laquelle je dévale les marches. N'ayant rien avalé depuis midi - on approche les dix-sept heures trente - la tête me tourne après la descente de deux étages. Essoufflée, énervée aussi, je prends la direction des toilettes des filles. Le but est simple : me rafraîchir la tête et les idées pour ne pas passer pour une grosse folle en retournant à mon dortoir. J'aimerais autant que possible éviter les regards circonspects de mes colocataires ou pire, les questions de Sasha. Je sais que le temps où nous devrons aborder le cas Mansfield viendra, mais je ne me sens pas le courage d'en discuter ce soir. C'est donc d'un pas décidé, quoique un peu nerveux, que je traverse le couloir du deuxième étage. Il n'y a jamais grand monde dans les toilettes des filles vu que ce sont aussi ceux de Mimi Geignarde. Une chance pour moi même si cette dernière peut se montrer particulièrement casse-pieds quand elle a décidé de mettre son nez partout.

J'ouvre la porte. A première vue, je suis seule dans la pièce. Je n'ai pas vraiment le temps d'accorder plus de soin à l'examen de la pièce, je sens la chaleur me monter à la tête et mon cœur s'accélérer. Je pose mon sac devant le premier lavabo venu et ouvre le robinet. L'eau se déverse et je m'en asperge copieusement le visage, la chaleur redescend. Quant à moi, je relève les yeux et croise mon reflet dans le miroir. Ce que j'y vois ne me plaît guerre : une adolescente aux joues rouges, aux yeux affolés et aux cheveux toujours aussi emmêlés. Rien ne me plaît dans ce tableau. De rage, je crie et donne un coup dans le jet d'eau et asperge mon reflet. Soudain je l'entends, ce bruit de cliquetis. Comme du métal qui tombe au sol, des clés peut-être ? Rien qui ne puisse appartenir à un fantôme, en tout cas. Suspicieuse, je me demande qui est dans la pièce. J'ai l'habitude de devoir retrouver une certaine impassibilité en un rien de temps, pour mieux me fondre dans la masse. Pourtant, cette fois-ci, mon coeur cogne encore terriblement fort dans ma poitrine. Une tête blonde apparaît derrière le lavabo dos au mien. Une petite tête à la symétrie parfaite que je n'ai aucun mal à reconnaître. Sasha Vicenzo est sans doute la dernière personne que je m'attendais à voir ici. « Ah ... Scuze j't'avais pas vue. » La Serpentard affiche un sourire que je n'arrive pas à lui rendre. Mes sentiments se mélangent entre le soulagement d'être tombée sur une tête amicale ou le déplaisir de ne pas être tranquille.

Mon trouble doit se lire sur mon visage ou alors mon amie se montre particulièrement perspicace. Encore une fois, je me rends compte que les années d'expérience ne suffisent pas à masquer totalement mes émotions. Elle me demande ce que j'ai, question à laquelle je m'apprête à répondre farouchement qu'il n'y a rien comme j'en ai pris l’habitude. Preuve s'il en fallait une que Sasha me connaît plus que je ne le voudrais, elle me stop dans mon élan alors que je viens d'ouvrir la bouche. Je ne la tromperai pas avec mes esquives habituelles, c'est noté. Il va donc falloir me mettre à table, maintenant. Je n'essaie même pas de lui faire l'affront de tenter un subterfuge. Nous devions parler, j'aurais aimé que ce soit plus tard mais autant cracher le morceau, puisque nous sommes là. « Blaze. » Je prononce son prénom du bout des lèvres, anxieuse à l'idée de devoir raconter tout ce qui vient de se passer. Notre échange de lettres date seulement d'hier, en un sens elle n'a pas raté grand chose. Juste le coup de théâtre qui vient de se produire mais j'y viendrai en temps et en heure. Soucieuse de bien choisir mes mots et en même temps consciente que je ne vais pas m'en tirer avec un simple prénom, je réfléchis à ce que je vais lui dire. Il veut mieux commencer par le début, point par point. « C'est quoi son petit jeu avec toi exactement ? » Reprendre le contrôle de soi-même, prononcer des mots dépourvus de toute émotion. Pourtant, intérieurement ça me travaille. Je n'ai pas oublié le visage de Sasha placardé dans la Grande Salle. Si Blaze est capable d'un truc aussi grandiose pour elle, c'est bien qu'il est intéressé, par vrai ? Dans ce cas, pourquoi s'emmerde-t-il avec la bouffonne de la princesse ?

Blaze. Combien de fois ai-je bien pu prononcer ce prénom durant ces dernières semaines ? Que ce soit dans mes lettres avec Misha ou celles avec Sasha, le personnage prend une importance que je ne souhaite pas lui donner. Et pourtant, l'évidence est face à moi. Il est le seul à occuper mon esprit actuellement et il prend un malin plaisir à me le chiffonner. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise coïncidence que Sasha se soit trouvée pile à l'endroit et au moment où je suis sur le point de craquer. C'est sans doute mieux qu'elle soit là, il faudra bien qu'on mette les choses à plat toutes les deux, un jour. Rien n'est jamais simple dans les relations sociales, voilà pourquoi je cherche à les éviter au maximum. La proposition du Serdaigle semblait dénuée de tout rapprochement, au début : une simple guerre des notes, une bataille de plus à mon palmarès. Jamais j'aurais cru qu'on en arrivait à cette demande précipitée et à ma fuite lâche au possible. Au milieu de tout ça, j'en oublie même jusqu'au baiser avec Misha, l'autre soir. Sasha me rappelle par sa présence qu'elle dresse son ombre sur cette relation brisée avec Blaze et moi, j'ai un urgent besoin de savoir, d'être fixée une bonne fois pour toutes.

Ma copine n'est pas dupe, je ne m'efforce même pas d'essayer de la tromper. A force de passer du temps ensemble, nous nous connaissons mieux que nous aimerions le dire. Même si, par moments, la jolie blonde est un véritable mystère pour moi. D'habitude si discrète sur mes pensées et émotions, je ne mets pas longtemps à me décider. Nous devions parler, c'était convenu d'avance. Maintenant ou plus, quelle importance ? Le nom sort donc de ma bouche, une concession que je fais sans plaisir. Sasha se déplace pour mieux me faire face, rendant la conversation plus intime sans me faciliter pour autant la tâche. En tête à tête, je fais de mon mieux pour reprendre une contenance. Les vieilles habitudes reviennent et les émotions disparaissent de mon visage. L'attaque peut commencer. Je ne passe pas par quatre chemins : il se passe quoi entre Blaze et elle ? Éliminons les problèmes point par point. D'autant qu'il m'est plus confortable de croire que Sasha est la seule responsable de mon refus. La réponse est tellement simple qu'elle rend ma question idiote. Deux chiens de faïence qui se regardent, essayant de sonder l'autre. Ce n'est qu'un jeu, d'accord mais sinon ? C'est terminé le coup des réponses évasives, il me faut de la clarté. Heureusement, Sasha poursuit non sans une pointe d’agacement que je devine. Ça les éclate de jouer au petit couple alors qu'ils sont amis, mais formidable. Super le passe-temps ! Cette fois ci, c'est moi qui suis agacée.

Pour seule réponse, je lui accorde une moue dubitative. Clairement, je ne suis pas décidée à lui donner la clé de mes pensées. Sa réponse ne m'a pas convaincue, personne ne joue à ce petit jeu de drague innocemment. S'il y a un fond de vérité là dessous, j'estime avoir le droit de le savoir. Qu'elle soit franche et je le serai, pour une fois je refuse de ne pas être son égale. Pourtant, encore une fois, c'est Sasha qui réclame des explications. Fatiguée par mon après-midi, désireuse de faire la lumière sur tout ça, je sens que je n'ai pas tellement le choix. « Je veux m'assurer qu'il ne court pas deux lièvres en même temps. J'ai pas envie de jouer sur tes plates bandes. » Elle veut de la persuasion, l'exige même et ça ne me plait pas. J'aimerais que tout soit aussi simple qu'un exercice de maths, parfois. Je repense à ce qu'il vient de se passer avec Blaze et la colère me reprend. J'en ai marre d'être le dindon de la farce, celle qu'on met au courant en dernier. Si je dois aller chercher les infos pour les obtenir, alors je le ferai. Même si je dois en laisser s'échapper en retour. « Et surtout, je refuse de me faire humilier en étant le lot de consolation d'un gars parce qu'il s'est fait rembarrer par la plus jolie fille de l'école ! » Le ton monte à nouveau, le feu se lit dans mes yeux et mes poings se serrent. Je me plais à être dans l'ombre de Sasha en général mais, cette fois-ci, sa présence m'oppresse. Je refuse d'être instrumentalisée dans une histoire aussi bête. On m'a brisée ici : chaque parcelle de ma chair, de mon âme ... Hors de question que le cœur y passe aussi. Finalement, afin d'achever de convaincre ma capricieuse interlocutrice, je pose la question qui me brûle les lèvres. « Est-ce qu'il s'intéresse à moi pour de vrai ou est-ce que moi aussi je suis un jeu ? » Une question qui sous-entend tellement de choses, bien plus que je ne le voudrais. Sasha est intelligente, elle comprendra. Surtout, elle sait que je ne peux pas faire mieux. C'est le moment de prouver ton amitié, bella.

Le caractère de Sasha et le mien s'accordent plutôt bien, en général. Bien que ni l'une ni l'autre ne se laisse marcher sur les pieds, nous sommes plutôt complémentaires. J'aime ne pas être remarquée, être la plus invisible possible et la personnalité de Sasha m'offre l'ombre dont j'ai besoin. Tous les regards se tournent toujours vers elle et ça m'arrange bien. Nous sommes deux entités, telles le yin et le yang, qui s'imbriquent à merveille pour servir nos intérêts. Pourtant, cette fois-ci, notre alchimie ne me convient pas. Sasha passe d'une alliée précieuse à un obstacle sur ma route. Je suis encore à fleur de peau suite à mon entrevue avec Blaze - qui l'eut crû ? - et ai du mal à faire retomber la pression. Pour une raison que j'ignore, sa supposée présence dans l'esprit du Serdaigle me dérange plus que je ne veux l'admettre. Je suis celle qu'il voit en douce, à l'abri des regards tandis qu'il lui déclare sa flamme devant tout le monde et en grande pompe. J'ai l'impression d'être le dindon de la farce et ça m'incommode fortement. Je m'en tape royal de n'être qu'un jeu pour ce garçon, je ne ressens rien pour lui. Mais je refuse l'humiliation de n'être que le second choix parce que Princesse Vicenzo adore faire tourner les têtes. Je devrais garder la tête froide et me contrôler, mais je n'y arrive pas.

Je prends la parole et me lance dans tes explications furieuses. Mon ego fait passer ma colère pour de la fierté, pour un refus d'être tournée au ridicule ou d'être le lot de consolation. Mais n'est-ce vraiment que ça ? Je sais intérieurement que non mais je me refuse à l'admettre. Depuis quand ce que pense un garçon est devenu si important pour moi ? Surtout CE garçon, qui n'a découvert mon existence qu'après deux ans passés dans la même classe. Je le déteste d'avoir agi comme il l'a fait et je me déteste pour y être aussi sensible. Il fallait bien que toute cette haine retombe sur quelqu'un et Sasha s'est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Nos prises de bec sont rares mais, lorsqu'elles se produisent, valent le détour. Cela pourrait très bien être le début d'une guerre froide entre nous, pour une durée indéterminée. Je vois dans le sourire accroché en permanence aux lèvres de la blonde que mon comportement l'agace et c'est pleinement réciproque. Je finis par lui poser l'ultime question, plus pour convaincre Sasha que pour réellement me libérer d'un poids. Pourtant, la réponse compte pour moi. Je me montre soudain extrêmement attentive à ce que va bien pouvoir me répondre l'Italienne. Sa réponse ne se fait pas attendre mais elle me déroute plus qu'elle ne m'éclaire. Sasha me fait un parfait petit exposé de la situation comme si elle était dans ma tête, comme si elle avait été avec nous quelques minutes plus tôt. Mes poings se serrent davantage lorsqu'elle ose dire que Blaze me plaît. Qu'est-ce qu'elle en sait ? Et de quoi elle se mêle ? La blonde n'est même pas capable de répondre à la seule question que je lui ai posée. « Wahou franchement ça doit être géniale d'être omnisciente, bravo Sasha. » Mon sarcasme est amer. Si elle a une idée, qu'elle me la balance, non ? Au lieu de ménager son petit suspens comme elle le fait à chaque fois. De toute manière, Sasha se trompe complètement. Je ne veux pas être dans la lumière ni briller, j'aimerais juste avoir des réponses claires. C'est trop demander ?

Je me montre soudain impatiente. J'ai envie que Sasha me déballe tout ce qu'elle sait au lieu de me faire de la rétention d'informations. Je la sens satisfaite de la petite analyse qu'elle vient de livrer et rien de tout ça ne m'aide à atténuer ma colère. Il faut le dire, c'est bien plus simple de s'énerver contre autrui plutôt que d'admettre sa culpabilité. Je me plais à croire que la situation a été provoquée par Blaze et Sasha mais, au final, je suis celle qui s'est enfuie sans donner la moindre explication. Je suis seule responsable de la situation et de mon état mais ma mauvaise foi m'empêche de m'en rendre compte. Sasha poursuit en faisant le parallèle avec Carter. Lui, je ne le connais que trop bien et je ne comprends vraiment pas ce que Sasha lui trouve. Je suis néanmoins soulagée de l'entendre associer le jeu au Poufsouffle : au moins elle est consciente qu'il se sert d'elle. Elle ne se confie que rarement et, même si je la savais assez intelligente pour s'en apercevoir, je n'en avais pas la certitude. Blaze n'est donc pas aussi pourri que lui mais, ça aussi j'aurais pu m'en douter. En revanche, le fait que le Serdaigle ne soit comme ça qu'avec Sasha me fait froncer les sourcils. Elle sous-entend quoi là, exactement ? Qu'elle est la seule assez bien pour récolter tous les honneurs ? Je ne vois vraiment pas en quoi c'est censé me rassurer. Enfin, mon amie l'avoue : il est attiré par elle. Cette révélation provoque un vide désagréable au creux de moi. Je m'en doutais mais l'espoir que ce ne soit qu'une impression était encore là. Sa dernière phrase me fait l'effet d'une décharge. Comment ça, elle est hors concours ? Elle ne vient pas de me dire exactement l'inverse, à l'instant ? « Putain mais qu'est-ce que tu me racontes ? Ça ne change strictement rien que tu sois demi ... » Je m'arrête net. Ce n'est pas dans mes habitudes d'employer des mots que je ne comprends pas et je me rends soudain compte que je suis passée à côté d'une information, qui a peut-être toute son importance. « Attends ... demi quoi ? »

Je retiens tellement mes émotions tout le temps, à chaque seconde que forcément, quand je craque ça fait mal. Blaze vient de m'exposer à une multitude d'émotions nouvelles pour moi et voilà que Sasha en remet une couche. Si j'avais su qu'elle était là, je serais directement rentrée au dortoir sans faire de détour. Je sens mes nerfs s'enflammer et ça ne me ressemble pas. Aussi jolie soit mon amie, elle peut se montrer redoutable et son visage si parfait ne suffit pas toujours à masquer son caractère de peste. Je ne la blâme pas, nous nous ressemblons sur plusieurs points. Des Serpentards incapables de partager la gloire lorsqu'elle se trouve à notre portée, des petits serpents prêts à écraser leurs amis pour que la lumière s'arrête un instant sur eux. D'habitude, le contrat est simple : Sasha prend la lumière et moi je m'abrite derrière elle. Une dynamique qui fonctionnait jusqu'à ce que ce désir de lumière m'atteigne. Je ne demande pas grand chose, elle peut briller à sa guise et collectionner les regards de tous les garçons de Poudlard si ça lui chante. Mais pour une fois, j'aimerais la voir faire une concession. Ne joue pas avec Blaze Mansfield, Sasha. Prends le pour toi ou laisse le tranquille, mais ne joue pas. Donne moi l'assurance qui me fait cruellement défaut, en ce moment.

Énervée par les petites manies de princesse de ma camarade, je ne prends plus le soin de contrôler mes paroles. La critique fuse, cynique, une fois. La blonde ne répond pas mais je sens qu'elle s'agace : ça se voit sur son visage, si symétrique qu'il semble appartenir à une poupée. Finalement, Sasha consent à me donner l'explication que je lui ai demandée. Sa réponse ne me satisfait pas : elle admet que l'attirance de Blaze pour elle est sincère et mon coeur loupe un battement. J'en oublie presque la fin de phrase et remonte aussitôt sur mes grands chevaux. C'est seulement lorsque je suis amenée à prononcer ces mêmes mots que je prends conscience de mon ignorance : je n'ai aucune foutue idée de ce que peut être une "demi vélane". Stoppée net dans mon impulsivité, je me calme pour demander le sens de ces mots à ma camarade. Une Sasha franchement agacée me demande de baisser d'un ton et je ne réponds rien. Mes yeux sont assez éloquents et, par ailleurs, il est dans mon intérêt de la boucler, pour l'instant. L'Italienne se penche vers moi et, une fois n'est pas coutume, je bois ses paroles. La connaissance et la prudence sont les deux seules choses qui peuvent prendre le dessus sur mon caractère à la con. J'apprends donc qu'elle a une créature charmeuse d'hommes pour ancêtre et que Sasha ne les attire pas volontairement. Je reste bête un instant, sous le choc de la révélation. « C'est une blague ? » Bravo Skyler, c'est vrai que ta pote a vachement l'air de se marrer.

J'assimile doucement ce que Sasha vient de me dire, mon cerveau tourne à nouveau à plein régime. C'est donc pour ça qu'elle a accepté ce pari débile avec Maxwell, elle était certaine de gagner ... Et Blaze lui courre après et lui fait des grandes démonstrations de charme parce que celui de la blonde a agi sur lui de manière involontaire. Cela semble totalement délirant. Mais je dois reconnaître que Sasha a l'art de séduire son monde, pas seulement les garçons, et d'attirer les projecteurs sur elle. C'est précisément pour ça que nous sommes potes. « Wahou ... l'angoisse pour toi. » Toujours très réconfortante, j'admets que je n'aimerais pas du tout être à sa place. Ce doit être si triste, dans le fond, de ne jamais savoir si les gens nous aiment vraiment pour ce que nous sommes ou si c'est seulement physique. Un peu comme les célébrités qui ne peuvent différencier les amis par intérêts des vrais potes. Une question me vient alors spontanément. « Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? » C'est vrai quoi, je suis sa pote. Je ne dis pas que j'aurais pu comprendre mais je sais écouter. On a tous nos secrets mais sur le moment, je ne vois pas l'intérêt de cacher cette particularité qui, bien que peu enviable, la rend si spéciale.

Je ne suis pas certaine que cette révélation tombe au meilleur moment. C'est comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase, à la distinction près que je ne me laisse jamais déborder. Je ne perds pas la face et encore moins devant Sasha. Mon amie est aussi ma plus grande adversaire et je n'aurai jamais totalement confiance en elle ni en personne, d'ailleurs. Cette amie qui est en réalité une parfaite étrangère depuis le début. J'étais loin de me douter qu'elle pouvait descendre d'une créature, une "vélane" comme elle dit. D'abord surprise, j'ai finalement l'impression que cette nouvelle tombe comme un cheveu sur la soupe. Oui elle est demi ou quart de vélane, et alors ? Peut-être que je n'ai pas toutes les données pour comprendre, peut-être qu'il faudrait que je me renseigne davantage. D'après les maigres informations que Sasha me donne, c'est juste un pouvoir qui permet de séduire les hommes. J'ai donc bien fait de me rapprocher d'elle pour profiter de son ombre. Elle ne contrôle pas son pouvoir : les garçons ne verront toujours que par elle. C'est génial, c'et même mieux que je ne l'espérais. Seulement ... Maintenant il y a Blaze.

Blaze qui cherche à entrer dans ma vie, qui commence doucement à s'y faire une place. Le danger est à fleur de moi et je n'arrive pas à gérer ça. Si Sasha envoûte n'importe quel garçon, elle peut très bien le faire avec le Serdaigle. D'ailleurs, elle l'a déjà fait puisqu'il semble si sensible à son charme. Je suis condamnée à n'être qu'inférieure à elle pour toujours. N'est-ce pas ce que je voulais, dans le fond ? Une rancœur nouvelle s'insère dans mes veines, dont je ne connais pas l'origine. Sasha serait elle capable de faire main basse sur Blaze seulement parce qu'elle en a la possibilité ? Et pourquoi ça m'importe, soudainement ? Mon coeur recommence à s'emballer. Je m'en carre de sa malédiction ou de sa bénédiction ou peu importe comment elle appelle ça. Est-ce vraiment le moment de me rappeler qu'elle sera toujours plus spéciale que moi ? Une nana quelconque face à la grande et belle Sasha, c'est comme David contre Goliath. L'Italienne prétend aimer avoir toutes les cartes en main mais elle ne fait que m'agacer davantage. Pourquoi a-t-elle sans arrêt besoin de me faire comprendre qu'elle est au dessus de moi ? Je peux comprendre qu'elle veuille garder ses secrets pour elle, je fais pareil. J'aurais pu comprendre, si elle n'avait pas pris ce ton suffisant. Puis, d'un coup, sans prévenir, la blonde décide de faire prendre un nouveau tournant à la conversation. Avouer que Blaze me plaît ? Elle n'est pas bien, non ? L'entendre à voix haute me coupe la respiration, juste avant qu'une nouvelle vague d'émotions emmêlées me submerge. « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? » Le ton tranchant est revenu avec plus de véhémence que prévu. Ouais, en quoi ça la regarde exactement ?

Sasha vient de préciser qu'elle aimait avoir toutes les cartes en main. Toute information que je lui donne lui donnera l'occasion de m'atteindre si elle le veut. Et puis d'ailleurs, n'a-t-elle pas dressé un parfait tableau de ma situation, quelques minutes plus tôt ? Blablabla tu veux sortir de l'ombre parce qu'il te plait blablabla t'inquiète je suis une demi-vélane, je suis mieux que toi. En fait, c'est simple.« T'as pas tellement eu besoin de mes réponses, jusqu'à présent. » Je suis amère et j'estime être dans mon bon droit. Au lieu d'écouter ce que j'avais à dire, Sasha s'est contentée de deviner et de ramener toute la lumière sur elle, encore. Perçoit-elle mon trouble ou est-elle aveuglée par son égoïsme permanent ? Puis d'ailleurs, je n'en sais rien moi si Blaze me plaît. Comment je suis censée le savoir ? Jusqu'à il y a encore une demi-heure, j'étais persuadée que tout ça n'était qu'un jeu de défis. Je connais la compétition, les sentiments beaucoup moins. Pourquoi tout ça m'arrive à moi ? Sans vraiment faire gaffe à si j'ai vexé ou non Sasha, je me laisse tomber contre le mur carrelé de ces toilettes, désespérée. « Il veut sortir avec moi Sasha, c'est la merde. » Ça y est, je l'ai dit. Ma détresse est telle que j'aurais très bien pu me confier à cette chialeuse de Mimi Geignarde, si elle s'était trouvée là. Un poids semble s'envoler de sur mes épaules mais il n'enlève pas cette désagréable sensation dans mes entrailles. Je me sens comme piégée dans une situation inconnue et périlleuse, comme une mouche prise dans une toile d'araignée et sur le point de se faire bouffer.

La colère en moi est vive, elle explose et balaie tout sur son passage. Mais une fois la vague passée, le tsunami éloigné, que me reste-il ? Une pointe de tristesse, de la culpabilité et surtout une profonde détresse. Dans quoi me suis-je fourrée encore ? Et surtout, pourquoi ça m'importe comme ça ? D'habitude, les événements glissent sur moi comme sur les plumes d'un canard. Je suis indifférente à tout ou, du moins, je m'applique à l'être. Et voilà qu'un petit bourge intello s’immisce dans ma vie, me défie, me taquine, me fait des grandes déclarations et tout tombe à l'eau. Est-ce moi qui ai réagi un peu trop vivement ? Engluée dans ce tourbillon d'émotions bien nouvelles pour moi, je ne me rends pas compte que je fais peut-être tout un plat de pas grand chose. Les paroles de Blaze ont réveillé une peur fulgurante en moi : celle de l'abandon. Je n'ai jamais réussi à mettre des mots dessus mais c'est pourtant bien de ça dont il s'agit. Tous ceux à qui j'ai accordé ma confiance, mon affection, ils se sont tous barrés. Tout ce à quoi je croyais s'est envolé au bout d'un moment. Je crois que je détruis tout ce que je touche, depuis toujours. Finalement, garder les gens éloignés de moi est le seul moyen que j'ai trouvé pour les garder, tout simplement.

Sauf que là, j'ai laissé Blaze s'approcher, lui laissant croire qu'il avait une ouverture avant de claquer la porte avec véhémence. Il était proche et je l'ai brusquement écarté : il ne reviendra pas. Énervée, fatiguée de mes propres sentiments, je me laisse tomber en acceptant enfin de me confier à Sasha. Enfin ... Ce n'est pas tellement une décision réfléchie. Disons que j'avais besoin que ça sorte et qu'elle se trouvait là à ce moment là. Une heureuse coïncidence, si l'on peut dire. Les mots sortent de ma bouche et leur formulation me fait prendre conscience de la situation. Blaze veut sortir avec moi. Il s'intéresse à moi et, si c'est sincère, cela implique des tas d'embrouilles. Sasha vient à côté de moi et s'adosse elle aussi au mur. Va-t-elle profiter de ce moment de faiblesse pour m'écraser ? Elle le pourrait, je le sais. Contre toute attente, elle ne le fait pas et s'intéresse sincèrement à ce que je viens de dire. Ses questions me sont bénéfiques, elles me font réfléchir. Qu'est-ce qui me gêne exactement ? Sasha me propose deux explications possibles. « J'en sais rien ... » Voilà tout ce que je trouve à répondre. Je ne sais pas si je kiffe Blaze ou pas, je n'y ai pas réfléchi. Comment on fait pour savoir ce genre de choses ? Je ne suis pas prête pour ça, c'est une évidence mais est-ce qu'il n'y a que ça ? Sérieux, ça m'est tombé dessus si soudainement que je n'ai pas su comment réagir. J'ai préféré fuir le problème plutôt que lui chercher une solution, voilà la vérité. Cette prise me conscience me calme légèrement, je sens que les battements de mon cœur sont redevenus normaux.

Sasha reprend la parole et se veut rassurante. J'ai tellement l'habitude d'être méfiante que je ne sais pas si je peux la croire quand elle m'assure que Blaze est un mec bien. Après tout, c'est lui qui est venu me trouver le premier, dans ce couloir du deuxième étage. Je n'ai jamais réellement su quelles étaient ses intentions : et s'il se foutait de moi depuis le début ? C'est peu probable surtout d'après ce que la vélane me dit mais cette peur irraisonnée ne me quitte pas. Selon elle, Blaze peut tout comprendre et accepter. Je n'en suis pas aussi sûre ... « J'lui ai dit non et j'me suis barrée ... Maintenant il va croire que j'me suis foutue de lui. » Sauf que ce n'est pas le cas. J'ai beaucoup de défauts : je suis bornée, rancunière, désagréable voire même tyrannique mais je suis toujours honnête. Avec Blaze, rien n'était calculé et la seule pensée qu'il pense que j'ai voulu le blesser sciemment me file la nausée. J'ai juste paniqué parce que je n'avais pas prévu qu'il me demande de sortir avec lui. J'avais tout anticipé sauf ça. Sasha a la délicatesse de ne pas chercher encore à décrire ce que je pense et je lui en suis reconnaissante. Néanmoins, je sens bien que ça induit plus de confidences de ma part. Ce qui m'agace, c'est qu'elle me connait plus que je ne le voudrais. Est-ce grâce à son pouvoir ou une défaillance de ma part ? Dans tous les cas, je vais devoir me livrer davantage. « Lui et moi ça peut que foutre la merde. J'aurais dû le voir venir avant qu'il soit trop tard. » Je pense à son groupe de potes, à Jade notamment. Elle ne peut pas m'encadrer et si je sors avec Blaze, ça ne va pas s'arranger. Étrangement, je pense aussi à Misha. Misha que j'ai embrassé à la soirée Quidditch, Misha qui m'a laissé entendre de drôles de choses dans ses lettres. Pourquoi faut-il que tout ça me retombe dessus ? Pourquoi moi ? Je ne suis pas douée pour les relations humaines, je ne sais pas les gérer et c'est pour ça que je me tiens toujours à bonne distance de toutes ces conneries. En revanche, je connais quelqu'un qui apprécie être au centre de l'attention. « Qu'est-ce que tu ferais toi ? »