Le printemps 2026 arriva aussi vite que l’hiver qui l’avait précédé. Moi qui n’étais pas friande des températures basses, je me réjouissais à l’entrée de la saison des fleurs et au climat plus doux. Ce qui induisait des sorties plus agréables et des soirées plus longues, les journées s’allongeant de plus en plus. Gardant un mauvais souvenir de la Chasse aux trésors organisée par M. Vayne, je me promis de remettre les pieds dans la Forêt Interdite pour faire perdurer l’aventure. Je n’y avais plus mis les pieds depuis deux ans – ce qui à cet âge me paraissait être une éternité -, alors il était temps d’y retourner. Je le devais au moins pour mes affaires. Pour la première fois, des élèves de ma maison m’avaient demandé des produits que je n’avais pas en stock. Des Horglups et des crins de Sombrals. Les raisons de ces demandes m’échappant, je n’avais pas posé de questions (sûrement pour des farces de mauvais goûts ou des potions douteuses). En revanche, je prenais des risques à tous les niveaux pour aller chercher des ingrédients dont j’avais doublé les prix. Et me voilà lancée dans le marchandage de produits complètement différents de ceux que je me procurais d’ordinaire.

C’est avec un sac presque vide et ma baguette bien en main que je pris la direction de la Forêt sombre. Il était déjà tard, j’espérais donc ne pas me faire surprendre par un préfet. Aussi, l’idée de tomber nez-à-nez avec le professeur Thorstein faisait accélérer mon battant. Si jamais je croisais son chemin, j’étais convaincue que j’en baverais jusqu’à la fin de l’année. Quelque peu angoissée, les sens en alerte, ma main tenant ma baguette légèrement tremblante, j’arpentais le Parc en toute discrétion. En effet, après le dîner, j’en avais profité pour m’éclipser des murs du château avant que les grandes portes ne soient closes. Aussi, ne pouvant plus y pénétrer de nouveau, même si ma mission aboutissait, je devrais attendre la nuit entière pour pouvoir me faufiler entre les murs. Heureusement, c’était le weekend, alors une nuit blanche dans l’année en valait bien la peine ! Passant à quelques mètres de la cabane du Garde-Chasse, je mis tout en œuvre pour ne pas être remarquée. En effet, de la lumière était encore visible depuis son antre. C’était donc vrai que les adultes ne dormaient que quelques heures par nuit ?

Débouchant sur l’orée de la Forêt, je lançai un Lumos avant de déplier le plan de M. Vayne. Une chose de pratique que j’avais conservée depuis la Chasse aux trésors. Et puis, de toute façon, je n’avais pas gagné d’œuf, alors ce plan était un maigre lot de consolation. Me repérant dans les lieux obscurs et étrangement plus angoissants que la dernière fois, je m’efforçai de maintenir mon calme avant d’avancer en profondeur ; mieux valait ne pas se perdre d’entrée de jeu. Je décidai de m’aventurer directement dans le terrier. Après tout, il était inutile de passer par les écuries, étant incapable de voir ne serait-ce que l’ombre d’un Sombral. Je m’avançais en direction de ma destination avant de constater avec effarement que la corde argentée avait été retirée. « Génial. » déplorai-je avec sarcasme. Comment allais-je m’y prendre maintenant ? Je n’allais tout de même pas sauter à l’aveugle dans ce trou ? Je me sentais réellement stupide. J’avais bien glissé une corde dans mon sac, au cas où, mais je n’avais pas réfléchi à la façon de m’en servir. Ce n’était pas comme si faire un nœud depuis cette hauteur était sans danger. Qu’arriverait-il si le nœud se défaisait ? Tout à coup, je fus tirée de mes pensées par d’étranges bruits. Craignant me retrouver en face d’une créature dangereuse, je décampai aussi vite que possible. Je me cachai derrière le premier arbre dans mon champ de vision, espérant ne pas avoir été repérée. Mais il était déjà trop tard ; les bruits inconnus étaient tout proches. Dans une douloureuse appréhension, je serrai fortement ma baguette, prête à agir au moindre dérapage.

C’était l’heure de ma ronde dans la forêt que l’on disait interdite. Une forêt qui recelait tous les mystères de la nature, vide de toute présence humaine. Des brindilles sèches craquaient sous mes pieds sans que je fasse le moindre effort pour les éviter. C’était mon droit le plus strict d’être ici, c’était même mon devoir. J’humai lentement le doux parfum du sous-bois, un parfum terreux et boisé à la fois, empli des fragances d’une humidité propre à cet univers. L’obscurité régnait dans cette nuit sans lune et je laissais à mes yeux le temps de s’accommoder aux ténèbres. Ils étaient passés successivement de la lumière d’une cabane bien éclairée à la noirceur la plus totale. Déjà en temps normal, en plein jour, la forêt était connue pour son absence de luminosité, dans certaines parties, les arbres étaient si resserrés que leur cime ne laissait passer le moindre rayon du soleil – fut-il éclatant au milieu d’un ciel dégagé de tout nuage. Mais dans la nuit, il semblait à un œil non averti qu’il était au fond d’un gouffre sans fond dont le couvercle s’était refermé, tant la lumière semblait avoir déserté l’horizon. Mais je résistais à l’idée d’éclairer mes pas, que ce soit au moyen d’une torche électrique ou d’un simple Lumos. Je connaissais désormais tous les recoins de la forêt et était donc parfaitement capable de me déplacer.
Rien n’indiquait la présence de bête sauvage, d’une quelconque créature échappée ou autre. Seul le vent sifflait dans les branchages, faisant bruisser les feuilles naissantes. De temps à autre, ma main effleurait un tronc, une branche dont l’écorce rugueuse ou tendre me laissait deviner l’essence qui se tenait à proximité. De temps à autre, le hululement d’une chouette rompait la monotonie de cette tranquillité, comme un caillou tombant sur la surface lisse d’un lac. Pourtant, les détails que je pouvaient désormais distinguer devant moi ne provenaient ni d’une éclaircie, ni d’une accoutumance de mes pupilles supérieures à la normale. Il fallait bien que je me rendes à l’évidence : une autre présence humaine venait gratifier la forêt d’une visite nocturne. Sans doute encore un élève en mal de sensation forte durant un week-end qui se révélait peut-être plus calme que d’habitude en terme de révisions.
« Qui est là ? Montrez-vous immédiatement ! » Ma voix était la plus assuré possible, quoiqu’un peu agacé à l’idée de devoir sans doute sévir, à moins que ce ne soit qu’un de mes collègues.

« Qui est là ? Montrez-vous immédiatement ! » s’était écriée une voix d’homme avec assurance. Bon, j’étais dans de beaux draps. Avais-je aussi repéré un soupçon d’agacement dans cette voix d’homme ? Ça n’allait pas du tout. J’étais vraiment idiote de me faire remarquer d’entrée de jeu ! Affolée, je restai planquée derrière un arbre aux longues branches. Le soleil déjà couché, l’inconnu aurait plus de difficultés à me trouver. Du moins, c’était ce que je pensais avant d’apercevoir une lueur blanchâtre provenir du bruit de ses pas. Bien-sûr qu’il utiliserait un Lumos, je manquais réellement d’intelligence ! Paniquée, je réfléchis à toute vitesse à m’éclipser du Terrier, mais difficile de se lancer tête baissée dans une Forêt aussi insidieuse à la tombée de la nuit. Et d’ailleurs, où irais-je avec un enseignant à mes trousses ? Autant dire que j’étais fichue d’avance. Peut-être même que si je me montrais, je risquais le renvoi… Cette pensée suffit à me faire perdre le peu de raison qu’il me restait. Résignée à gagner du temps, je rangeai rapidement ma baguette dans mon jean avant de détaler.

Le plan gisant quelque part dans mon sac, je n’avais aucune idée du chemin que j’empruntais. Ce n’était pas comme si j’avais le luxe de m’octroyer une pause pour tenter de me repérer. « Aïe ! » m’écriai-je avec douleur. Tout à coup, je fus au sol. Ma cheville gauche me fit presque hurler de douleur. Voilà ce que je gagnais à courir comme une forcenée en plein dans le noir. Par réflexe, je tins l’endroit endolori de mes mains, mais ce fut pire. Je réprimai une nouvelle envie de hurler. Cheville cassée ou foulée ? Je n’en avais pas la moindre idée et je n’avais aucune envie de le savoir. J’étais uniquement sûre d’entendre des bruits de pas de plus en plus proches. L’enseignant-fouineur n’allait pas tarder à me rattraper. Esquissant un geste malhabile pour me relever, je n’eus pas le temps de poser ma cheville endolorie que je m’effondrai de nouveau. Cette fois-ci, je n’avais plus aucune chance de filer, c’en était fini de moi. Je pouvais sentir la présence de l’homme derrière mon dos. Mes traits du visage crispés par la douleur, ma cheville me lançant comme une fournaise, je mis du temps à reconnaître les traits de l’adulte.

« M. Duncan ? » fis-je avec grande hésitation. Pour de la discrétion, c’était prodigieusement raté. Voilà que je me trouvais face au garde-chasse, alias l’Oncle Ben d’Hilary. Je ne l’avais vu qu’une fois, et c’était lors de son intervention à l’un des cours de M. Vayne. Et ce n’était pas comme si Hilary ne m’avait jamais parlé de lui. Cependant, il semblait être intransigeant envers le règlement et là, ce que j’étais en train de faire, c’était braver le règlement en question. Tout ce que j’avais gagné à jouer aux malignes, c’était de futures remontrances, un possible renvoi et une cheville en mauvais état. C’était comme un retour au passé avec M. Wenlock, quand il m’avait pris en flagrant délit dans la Forêt deux ans plus tôt. Mais avec la jambe douloureuse en moins.

Au lieu de se montrer comme demandé, l’ombre détala à travers la forêt. Pas de doutes, il s’agissait d’un élève pris en flagrant délit d’intrusion nocturne dans la forêt interdite, une forêt dont le nom suffisait quand même à expliquer la fonction. L’ombre courrait à toute allure et moi, je n’avais pas vraiment envie de me fatiguer. Mais je n’avais pas le choix, c’était une des nombreuses tâches inintéressantes au possible qu’il me revenait de faire : poursuivre des élèves récalcitrants, en pleine nuit, dans une forêt sombre et humide. Une fois de plus, je pouvais me dire que le métier de garde-chasse ne correspondait pas du tout à mes aspirations, si toutefois j’avais encore un doute là-dessus.
Soupirant bruyamment, je m’élançait donc à sa poursuite.
Je n’eus pas à me fatiguer bien longtemps puisque mon intrus venait visiblement de chuter, néanmoins, je maintins l’allure, entre autre pour vérifier qu’il ne s’était pas blessé. Même si j’étais profondément agacé, je ne voulais pas laisser à terre un élève peut-être mal en point. Une tentative de se relever et une seconde chute plus tard, je compris qu’il s’était sans doute blessé. Et par coïncidence, l’élève me reconnut à cette instant.
« Ca va ? Où t’es-tu fais mal ? Tu veux que je t’aides à te relever ? »
Pendant ce temps, je fouillais dans ma mémoire pour essayer de savoir qui était cette jeune fille. Je l’avais sans doute déjà apperçu, ses traits m’étaient vaguement familiers mais au-delà de ça j’étais dans l’incapacité la plus totale de savoir qui elle était. Je connaissais en fait peu d’élèves dans ce château, même si j’en apercevais beaucoup.
« Et avant que je ne t’emmènes à l’infirmerie, tu vas me dire ton nom, ta maison et ce que tu venais faire dans cette forêt en pleine nuit. »

Quand j’y pensais, c’était une histoire de foutue fierté qui m’avait menée jusqu’ici. Un ego que j’avais cru devoir nourrir jusqu’au bout de la nuit. Néanmoins, aucune escapade nocturne ne valait cette douleur. J’aurais dû rester sagement assise dans mon dortoir, bien au chaud. Et si mes grands-parents finissaient par en être informés, ça allait jaser à la maison, sans compter cet été que je passerais dans ma chambre exclue de toute activité en dehors des murs. Je réprimai un frisson de peur à la vue de M. Duncan, cependant, il paraissait réellement inquiet pour moi. Il avait sans doute compris que j’avais fait une mauvaise chute. Il s’approcha de moi, me demandant si ça allait, et surtout, me proposant même de l’aide pour me relever. J’en demeurai surprise, mais ne bronchai pas avant de lui répondre, essayant de me focaliser le moins possible sur ma douleur : « Oui, ça va, mais je crois que je me suis foulée la cheville, peut-être même plus, je ne saurais vous dire… Euh… oui, je voudrais bien de l’aide, je suis désolée de vous causer autant de souci, ce n’était pas mon intention. »

D’accord, ce n’était pas terrible comme excuse, mais au moins, j’avais eu la délicatesse d’esprit de m’excuser. Peut-être qu’il aurait pitié de moi dans cet état. Peut-être que tout comme son prédécesseur, il ne remonterait pas l’information à la direction. Peut-être même qu’il m’aiderait à me sortir de ces beaux draps en trouvant une justification à ma présence ici, ce soir ? Bon, mieux valait ne pas trop rêver. Rien ne justifiait de se trouver dans un pareil endroit au beau milieu de la nuit. Il ne m’avait pas encore reconnue, mais malgré cette pénombre, il n’allait pas tarder à mettre un nom sur mon visage. D’ailleurs, avant de me proposer de m’emmener à l’infirmerie, il négocia mon nom, ma maison, et le pourquoi de ma présence. Rien que cela. J’en fus presque interdite ; il n’était pas à prendre avec des baguettes. Je l’avais mal estimé la première – et dernière fois – que je l’avais rencontré. A sa vue au beau milieu des autres élèves, j’avais pensé à quelqu’un d’un peu moins intransigeant.

Mal à l’aise à cause de ma jambe, je lui répondis sans trop attendre, impatiente de me rendre à l’infirmerie. Après tout, je n’avais pas d’autre choix si je voulais être aidée, d’autant plus que le garde-chasse n’avait pas l’air de plaisanter. « Je suis Eliana Bradley, en 3ème année à Gryffondor. Nous nous sommes vus il y a quelques temps lors du cours de M. Vayne, c’était un cours sur les noueux et les hérissons. » Je plissai les yeux à la recherche d’un éclair de souvenir chez lui. Je ne pouvais qu’imaginer le nombre de visages qu’il devait croiser tous les jours dans les couloirs, mais j’espérai qu’il n’aurait pas trop de difficulté à se remémorer mon identité. Après tout, je prévoyais encore de jouer ma carte maîtresse en espérant lui faire changer d’avis, même au dernier moment. C’était toujours bon à prendre. Constatant qu’il n’avait pas bougé d’un pouce, je réalisai que je ne lui avais toujours pas encore révélé la raison de ma présence. Je réfléchis rapidement. « Ma présence ici ? Oh… C’est une longue histoire. Pour faire court, j’étais venue chercher des animaux ici. Vous voyez, ils ont des vertus thérapeutiques pour les personnes âgées. J’ai besoin de certains échantillons pour mes grands-parents. » C’était lamentable, mais au moins, ce n’était que la moitié d’un mensonge.