Le bruit qui règne dans la grande salle n’arrange en rien le bouillonnement de mes pensées. Bien que longue, ma nuit avait été agitée de songes qui m’avaient laissée, ce matin, aussi fatiguée qu’après une nuit bien trop courte. En m’installant pour le petit-déjeuner, je prends soin de me mettre dos à la table des Serpentard. Je n’avais pas envie de constater l’ignorance poursuivie de Junior : il serait assez tôt pour cela durant le cours de Runes, qui rassemblait suffisamment peu d’élèves pour que son éloignement se fasse encore plus durement ressentir. À l’exaspération avait succédé le chagrin de son abandon. Cependant, progressivement, celui-ci laissait place à une colère qui gonflait chaque jour un peu plus. Ce serait plus facile quand elle aurait définitivement pris toute la place : je préférais être mécontente que abattue, cela me seyait mieux. J’attrape un chocolat chaud qui, même s’il n’est pas épicé à la cannelle et bien moins délicieux que celui que nous avions l’habitude de partager avec Finnbjörn depuis nos plus jeunes années, est réconfortant en ce début de journée pluvieuse. Le plafond magique au-dessus de ma tête semblait faire écho à mon humeur : il se noircissait à vue d’oeil, les gouttes tombaient doucement, mais le vent menaçait d’apporter un début de tempête.

Dans un concert de hululements désagréable, des dizaines de hiboux et chouettes arrivent en planant. Les visages se lèvent dans un même mouvement pour tenter d’apercevoir un volatile familier. Je me concentre personnellement sur mon petit-déjeuner, n’attendant aucune nouvelle de Grand-Père ni de Grand-Mère. C’était du moins ce que je pensais avant qu’une enveloppe ne tombe devant moi. Je lève un regard désabusé en l’air, une plume perdue tombant sur la table. Nulle trace de notre hibou familial, aussi m’interrogé-je : qui cela pouvait-il bien être. Je décachette l’enveloppe et en tire un papier dont l’écriture m’est inconnue et dont la qualité ne ressemble en rien à ce que j’ai l’habitude d’avoir entre les mains. C’est précisément à cet instant qu’une voix me fit tourner la tête. Un gamin, sûrement un premier année, un bras tendu dans ma direction me demandait de lui rendre sa lettre. Une erreur de distribution selon lui. Son sourire ferme encore plus ses yeux qui n’ont pas l’air très réveillés.

Un sourire se dessine lentement sur mes lèvres tandis que je déplie le papier. Voyons voirrr, je prrréfèrrre m’assurrrer qu’il s’agit rrréellement d’une errreur. Il ne faudrrrait pas que mon courrrier tombe dans les mains du prrremier venu. Bien évidemment, je sais qu’il dit la vérité comme je sais que cette lettre ne m’est pas adressée. Cela ne m’empêche pas de déplier le parchemin et de parcourir les premiers des yeux, mon sourire s’élargissant au fur et à mesure de ma lecture. Oh, ta maman s’inquiète pourrr toi me moqué-je en arrivant au passage concernant la forêt interdite. Et elle veut savoirrr comment s’est passée ta Saint-Valentin. Cette phrase aux allures de question souligne mon regard interrogateur. Ai-je l’intention de lui rendre sa lettre aussi facilement que ça ? Non.

Un nouveau soupir agite le visage enfantin du garçon qui me fait face. J’avais l’impression de pouvoir toucher du bout des doigts la mauvaise humeur qui s’accumulait sur mon front. Enfin, j’aurais pu le faire mais je ne connaissais pas ce garçon et je ne voulais pas risquer de toucher l’un des nombreux cafards qui traînaient bien trop librement dans les couloirs de ce château. Mon sourire ne fait que s’agrandir à la lecture de cette lettre bien trop mièvre pour que je puisse réagir autrement. Lorsque je relève mon regard cristallin, je constate l’air boudeur de mon interlocuteur. C’était trop facile et ses émotions étaient trop visibles. Un vrai jeu d’enfant. Ses joues rosissent, c’en est encore plus drôle. L’impatience de récupérer cette lettre témoigne, et de la gêne, et de l’agacement de la savoir en ma possession. Rien ne me ferait donc plus plaisir que de la garder pour le voir continuer à fulminer. Il avait cependant un peu d’aplomb et ne se liquéfie pas encore totalement face à moi. Je ne sais pas... fais-je d’un air lointain, avant de terminer mon chocolat chaud d’une grande gorgée.

Puis je retourne mon visage moqueur dans sa direction. Il n’y avait pas besoin de grand chose pour m’amuser en ce moment. En fait, tout ce qui pouvait me détourner de la pensée que Junior ne me parlait plus était la bienvenue. Même s’il devait s’agir d’une pauvre lettre pathétique adressée par une maman inquiète à son gamin. Dis-moi, tu vas à la sorrrtie dans la forrrêt interrrdite ? Tu n’as pas peurrr ? Mon ton sarcastique appuie rudement mes paroles. Oui, je me moque de lui, et ne m’en cache même pas. Qui viendrait m’en empêcher de toute façon ? On rrraconte pourrrtant plein de choses horrrible surrr cet endrrroit continué-je d’un ton concerné alors qu’il n’y avait rien qui m’intéressait moins que les rumeurs sur la dangerosité de cette forêt. Sauf lorsqu’il s’agissait d’aller y faire un tour de manière aussi peu légale que possible. Tu sais quoi ? Je vais la garrrder je pense. Aprrrès tout, c’est devant moi qu’elle est arrrivée. Sur ce, je me lève, toisant ce jeune garçon de toute ma hauteur, un sourire féroce aux lèvres, et entreprend de quitter la Grande Salle. Alors, me suivre, pas me suivre ? D’un geste rapide, je m’évente de l’enveloppe que je tiens serrée entre mes doigts.

Petit divertissement matinal, de quoi égayer mon chemin entre la fin de mon petit-déjeuner et le premier cours de la journée. Le garçon avait l’air jeune, inexpérimenté, probablement bien trop gentil. C’était un Poufsouffle, après tout ? Même si le Choixpeau avait quelques fois été trop à l’ouest pour envoyer certaines personnes qui n’avaient rien à y faire dans cette maison, la plupart de mes camarades étaient malgré tout de braves petits élèves patients et compréhensifs. Enfin, celui-ci commençait doucement à s’énerver, me faisant férocement sourire. La lettre mentionnait le camping qui avait lieu ce weekend dans la forêt interdite, aussi je m'enquiers d’un ton qui n’a rien de soucieux des craintes qu’il doit sûrement éprouver à l’idée d’une nuit entière dans cet endroit maudit. Son ton agacé laisse entrevoir la colère qui gronde, de plus en plus puissamment à mesure que j’effleure les cordes sensibles. Ta maman a peurrr pourrr toi, elle fais-je d’un air faussement affligé, avant de sourire de nouveau.

Je termine mon chocolat chaud et me lève, agitant la lettre sous son nez, avant de le replier et de m’éloigner. Oui, j’allais la garder. J’avais envie de le pousser à bout, ce petit ignorant. S’il savait à qui il avait affaire, probablement n’aurait-il même pas osé venir récupérer directement cette lettre. Et probablement que, n’ayant rien à en faire qui ne m’amuse alors, je l’aurais laissée sur la table, désintéressée de ce bout de papier. Mais il était venu, rendant le tout bien plus amusant. Je dépasse les portes de la grande salle et m’éloigne dans le hall d’entrée quand j’entends finalement la voix du gamin dans mon dos.

Je ne m’arrête pas pour autant, l’écoutant m’interpeller et le sentant me suivre, ne sachant pas trop comment réagir face à moi. Ses arguments me font sourire un peu plus. Comme si j’en avais quelque chose à faire, moi, que son nom soit inscrit sur cette lettre. Je commençais déjà à ne plus m’en amuser, d’ailleurs, l’indifférence revenant aussi vite que l’envie de l’embêter était apparue. Cependant, encore une fois, le jeune garçon avait fait le pas qu’il aurait mieux valu ne pas réaliser. Je m’immobilise subitement, en l’entendant rouler ses r. D’un geste vif, je me retourne et le pousse de ma main gauche en arrière, assez fort pour qu’il rejoigne le mur de pierre. Et je m’impose, entre lui et le reste du hall, l’empêchant de s’enfuir. Au cas-où il souhaiterait quand même tenter une nouvelle folie, ma baguette est déjà entre mes doigts pâles, pointée vers le sol, mais qu’il ne s’y méprenne pas, il ne lui faudrait pas plus d’une demi-seconde pour la lever dans sa direction à lui. Est-ce que je viens d’entendrrre une moquerrrie dans ta voix, tåpelig gutt (gamin imbécile) ? Il était jeune, trop, sûrement, pour saisir la menace qui voilait mes paroles ou pour comprendre quel danger habitait cette flamme qui dansait maintenant au fond de mes prunelles.

Ses yeux s’ouvrent en grand sous l’effet de la surprise. Ou de la peur ? Je lisais un peu de tout cela dans son regard rivé sur moi tandis que mon bras venait le coincer entre le mur de pierres et mon mécontentement. Je ne savais pas qui était ce gamin, quel était son sang, son nom, mais je pouvais au moins préjuger de l’état de son esprit. Se moquer d’un Sørensen n’était jamais une idée brillante, de moi encore moins. Si Finnbjörn se serait contenté d’une remarque hautaine pleine de dédain, à l’instar de Junior qui avait cette délicieuse capacité à débiter les pires horreurs avec le sourire, j’étais bien plus impulsive. Bien plus violente, aussi. Ma baguette pulsait entre mes doigts fins, comme pour m’encourager à lui faire passer l’envie de retenter un tel affront. Ou était-ce la pire idiotie qu’il pouvait commettre ? La panique dans ses prunelles s’intensifie, mon sourire féroce aussi. Que croyait-il ? Qu’il pouvait se moquer de moi impunément. Je le laisse balbutier et regarder autour de lui si quiconque pourrait lui venir en aide. Il me faudrait prendre une douche brûlante après ce contact, simplement au cas-où. Je n’aimais guère toucher des cafards, même s’il n’en était peut-être pas un. Ces bestioles pullulaient bien trop à Poudlard, il fallait se montrer prudent. Bien sûrrr fais-je, sans le lâcher des yeux, accentuant volontairement mon noble accent comme pour le défier de retenter son effronterie précédente.

Je le sens gigoter contre mon bras. Tous les gamins de son âge étaient-ils aussi pitoyables ? J’étais certaine que ni moi, ni Finnbjörn, ni Hannibal, et même pas Judith n’avions fait preuve d’une telle imbécilité, qu’importe le nombre d’années à notre effectif. Je roule des yeux, avant de resserrer ma prise. Où comptes-tu aller ? Tu ne veux pas voirrr ce que mon accent peut fairrre d’autrrre ? La menace, à peine voilée, fait brûler mon regard. Je sentais quelques autres peser sur nous, sûrement ceux d’élèves se demandant ce qu’il se passait. Mais aussitôt qu’ils me reconnaissaient, ils accélèrent le pas et nous laissaient tranquilles. La perspective que Finn puisse passer par-là également me traversa rapidement l’esprit. Je n’avais guère envie de subir la moindre remontrance de sa part, il me fallait donc faire vite. Ce serait pire encore si Hannibal me croisait. D’ordinaire, je préférais les coins plus discrets, pour faire ravaler leur impertinence à des élèves dans le genre de celui-ci.

Et puis, aussi rapidement que le feu était monté en elle, il disparaît. Ce gamin n’était qu’un première année, tout au plus un deuxième, un minable parmi tant d’autres qui ne méritait même pas qu’elle se mette en colère contre lui. Peut-être dans un autre coin du château, à l’abri des regards indiscrets, il se serait prit une correction digne de ce nom. Mais je n’étais pas assez stupide pour lui lancer un sortilège devant tout le monde. Me reculant, je lui adresse un regard noir, puis un sourire malveillant, mais encore faudrait-il être capable de le voir comme tel. Si tes excuses me parrraissent sincèrrres, je te la rrrends fais-je en sortant la lettre de ma poche. C’est dingue de s’énerrrver à ce point pourrr une petite farrrce matinale. Mon haussement d’épaule indifférent envelopper mon regard brutal. Il ne devait pas savoir la chance qu’il avait, mais je ne comptais pas le laisser s’en tirer à si bon compte. Tu m’en devrrras une, d’accorrrd ? Question qui n’en est pas une. Et sache que la parrrole donnée est sacrrrée. De nouveau, la menace sous-jacente vient faire briller mon regard.