Un nouvel engagement pour une nouvelle année. Rien de plus humain qu’un besoin de nouveau départ vivifiant. C’est le terme qu’emploierait n’importe qui pour justifier ma dernière émancipation personnelle. Moi, j’appelle ça une expansion de compétences, une opportunité de se mettre au défi, et de défier les autres. La petite fille de la mer et du passionné des vagues s’est orienté vers les airs, déterminée à porter le souaffle dans des anneaux dorés montés sur pied pour l’encercler. Depuis plus d’un an j’enfourche un balai avec conviction, déterminée à égaler les plus expérimentés. Ambition d’apparence ridicule, volontiers accordée aux plus raillards. Accordée avec malice car j’ai la fierté de mettre un pied sur le terrain de Quidditch aujourd’hui. Nouvelle poursuiveuse de l’équipe depuis peu, mon premier match sera bientôt joué. Partie pour un entraînement en solitaire, sans Misha, sans Sky, sans Jade, personne qui puisse me distraire un temps soit peu, ma venue se montre vite loin d’être si solitaire que ça. Le terrain de Quidditch ne peut être vide à tous moments. Les joueurs sont nombreux, et ceux à la recherche de performances le sont encore plus.

A quelques mètres de moi, niché au bout de ma trajectoire, quelqu’un se prépare à filer dans les airs. Un Serpentard et membre de mon équipe, cela ne fait aucun doute. Ne dévier aucunement, continuer tout droit vers le grand brun, vers le coin dans lequel j’avais un peu plus tôt anticipé de poser mes affaires. Arriver dans son dos, déjà formellement habillée de ma tenue de Quidditch verdâtre tout neuve. Neuve, c’est du moins ce qu’on m’a vendu. Mais à en sentir l’odeur clairement émanée d’un autre corps que le mien, je doute fortement qu’il en soit ainsi. Narines trop sensibles ou mauvaise foi primaire, je remercie le froid de Mars d’apporter sa brise légère et brutale sur laquelle concentré mon esprit. Plus je m’approche, plus je parviens à reconnaître le visage de mon propre Préfet. Une chance, je peux au moins mettre un nom sur cette carrure. Sûrement aussi habituellement appliqué que moi dans ses tâches, mon nouveau préfet n’attend visiblement pas non plus le prochain entraînement commun. Je n’avais jamais fais très attention ce garçon, avant aujourd’hui. Contempler son jeu sur le terrain ne vaudrait jamais rien, c’est à peine si je fais attention aux joueurs. Bien sûr, nos regards se sont déjà croisés, je l'ai déjà vu assied à la grande table des Serpentards, mais combien de personnes croise-t-on en une journée ? D’après le recensement des joueurs, Jace Bolt joue au même poste que le mien. Quelle merveilleuse coïncidence que de retrouver un membre du trio sur le gazon en cette après-midi lumineuse ? L’occasion trop belle me pousse définitivement à venir à sa rencontre. Le prochain match de Serpentard doit être remporté, avec ou sans moi dans l’équipe. Seulement j’en ferais partie, et je ferais tout ce qu’il faut pour que ça fonctionne, à commencer par connaître mes partenaires.

Annoncer ma présence soudaine via le fracas sourd de mon sac lâché sur l’herbe. Porter un sourire amical au visage qui se tourne alors vers moi. Lui glisser quelques mots de salutation. Briser la glace avec simplicité, certaine au fond de moi, de n’avoir nul besoin de me présenter. Toujours persuadée que les gens savent qui je suis. Toujours persuadée que si quelqu’un veut vous connaître il fera toutes les démarches nécessaires. « Deux poursuiveurs au même endroit au même moment, c’est le signe d’un match glorieux j’espère. »

C’est absolument tout, sauf ce que j’imaginais. Le brun me voit arriver, il m’entend lui adresser des mots qui ne pourraient être plus simples et amicales, et pourtant, je n’ai le droit à aucune réaction de sa part. Totalement laissée de côté, totalement ignorée. Cette tenue immonde me rendrait-elle si invisible que ça ? Je me permets un froncement de sourcil méprisant alors qu’il passe à côté de moi pour filer vers les vestiaires. C’est donc là tout l’effet que ça fait. Se retrouver dans la peau d’un laidron, d’un humain insignifiant, d’un être à peine respirable. L’effet que me fait beaucoup de monde, c’est visiblement l’effet que je lui procure en ce moment même. Qu'il soit insensible à mon charme et me regarde à peine, c'est déjà incompréhensible. Mais qu'il lui manque une case d'humanité, la simple vie en société dans laquelle nous sommes baignés depuis notre naissance, celle-ci me sidère. Et donc ça, c’est un préfet ? Le mien qui plus est ?

Facilement décidée à ignorer son incivilité, je me penche sur mon sac pour en extraire les gants et le reste des accessoires que je n'avais pas encore agrippés à mon corps. C'est loin d'être très glamour, mais c'est nécessaire. Porter un regard sur le terrain, prendre mes marques alors que mes doigts s’enfilent dans un gant de cuir très épais et peu confortable. Puis le voilà qui revient. Il passe à côté de moi, une fois encore. Silence complet. Seule la brise qui traverse le terrain de Quidditch siffle dans mes oreilles. Ou peut-être est-ce le sifflement agaçant qui s’extirpe d’entre ses lèvres en cœur. Il siffle comme un innocent. Il siffle comme un provocateur. Un mot, serait-ce trop lui demander ? Ou ce Serpent n’a véritablement qu’une langue bifide dans son clapet ? Je n’apprécie pas forcément, mais je dois bien admettre que ça me donne envie de creuser. Car plus je le regarde, plus il s’éloigne de moi, plus j’y vois autre chose que l’ignorance d’un type dont la mère devrait revoir l’éducation. Je m’en rends compte maintenant. Lorsqu’il a porté son regard sur moi, j’ai sentis une résistance, presque torturée. Sait-il ce que je suis ? S’en doute-t'-il seulement ? L’échange fut bref, mais suffisamment clairvoyant. En ce moment encore, j’ai le sentiment que ses pensés sont braqués sur moi. Tout ceci est parfaitement paradoxal, et ça m'intrigue.

Le besoin de comprendre est humain, personne ne m’en tiendra rigueur. Mais ma fierté et mon besoin de victoire sont inassouvissables. Je lui arracherais un mot, qu’il le veuille ou non. Faisant alors mine de vaquer à mes petites affaires, je peux voir mon collègue poursuiveur s’envoler du coin de l’œil. Nul besoin de regarder ce qu’il fait, nulle envie de contempler son jeu comme une débutante baveuse. C’est lorsqu’il se dirige vers les anneaux, le souaffle sous le bras, que j’enfourche mon balai, parée à décoller. Déterminée, regard de braise perçant à travers la distance qui nous sépare, je me prépare à réceptionner le souaffle qu’il jette à travers les anneaux. Décoller à mon tour, foncer vers l’autre côté des buts, filer droit vers la confrontation, attraper proprement le souaffle tombant, comme une poursuiveuse devrait être en mesure de le faire. N’importe qui aurait ignoré ce type de la même manière dont il m’a ignoré. Mais je sens quelque chose de bien trop étrange pour me résoudre à si peu et laisser couler. Je m'éloigne quelque peu des anneaux pour revenir vers lui, de quelques mètres seulement. Redressée sur mon balai, faisant alors jongler le souaffle dans mes mains, je fixe le brun avec autant de taquin que de provocation. Mon visage reste cependant aussi innocent qu’il l’a toujours été. Nulle envie soudaine d’être à nouveau avenante ou amicale, je me force cependant à m’exprimer avec douceur, la mine presque boudeuse. « Tu as peut-être donné ta langue au chat, mais tu as toujours tes bras. On peut au moins se faire des passes ?! » A la fois interrogative et exclamative, je regretterais presque de ne pas avoir l’air aussi mauvaise que je souhaiterais l’être. Mais une fois de plus, je me montre conciliante. Je joue, clairement, et ma fausse mine boudeuse cherche sa totale approbation. Mais par-dessus tout, elle cherche son regard. S’offrir une chance supplémentaire d’attirer ses prunelles alors que je lance subitement le souaffle vers lui. Attrapes préfet indigne.

C’est vexant, et c’est bien pour cette raison que je ne lâcherais rien. Je le saurais si mon préfet était muet. Ne daigner se soustraire au moindre regard, même un signe de tête poli, c’est chercher la petite bête avec moi. Je vais le coller jusqu’à ce qu’il en ait marre. Je vais l’appâter jusqu’à ce qu’il me regarde, lui arracher des mots, oui lui arracher la langue s’il le faut. J’ai l’air d’abuser un peu, je veux bien l’accorder, car au fond, je vais commencer en douceur. Je n’ai eu qu’à attendre qu’il s’envole et balance son premier souafle à travers les anneaux, et je suis partie le rejoindre à la réception. Qu’il le veuille ou non, nous sommes coéquipiers, destinés à jouer côte à côte sur le terrain de Quidditch.

Lui renvoyer le souafle avec une délicatesse absente. Tirer une mine boudeuse à la recherche de son approbation. La balle le frappe en pleine côte, et l'esprit fuyard de mon préfet accepte ma requête. Une esquisse fière se répand sur mon visage lorsque je le regarde s'éloigner avec le souafle sous le bras, certainement décidé à me faire des passes. Souhaite-t'il tester mes capacités en se plaçant au bord des limites de tir, ou veut-il simplement s'éloigner le plus possible de moi ? J'imagine que l'un justifie pleinement l'autre. Mais ça me va, ça me va parfaitement car enfin il m’adresse la parole. Serait-il aidé par la distance ? J’arrive beaucoup moins à sentir son état d’esprit, mais le résistant au regard fuyard continue de m’interpeller. En ce moment, je ne dois sûrement être qu’une tâche dans l’horizon. Une tâche qui prend bonne réception de sa consigne. Ça me convient parfaitement, et uniquement pour le simple fait qu’il a ouvert la bouche. « Ça m’ira très bien. » Oh oui, très bien même. A nous deux mon chou.

Le souafle arrive vers moi avec force. Cinquante mètres sont traversés par le souafle qui commence sa chute non loin devant moi. Briser alors l’écart qui me sépare du souafle, le réceptionner avec la certitude de devoir faire aussi bien que lui. Clairement, qu’on se le dise, je n’aurais pas autant de puissance. Mais je peux me montrer agile. Mieux encore, je peux disperser son esprit. J’ai senti qu’il avait déjà un peu de mal à se concentrer sur la simple idée de m’ignorer. J’ai senti une résistance loin d’être increvable. Tenant fermement mes doigts autour du souafle, mes pieds agrippés aux atèles, je prépare mon tour de passe. « Jace Bolt, c’est bien ça ? » Question simple, question perçant l'intimité, question portée jusqu’à lui par le vent, avant qu'elle ne s’accompagne d'un souafle lancé par des bras froids.

1-2 : Pas mal pour un début. Je suis à froid, et pourtant, je parviens à faire la passe à Jace sur au moins 45 mètres.
3-4-5-6 : C’est le début, je ne suis pas chaude, et mes bras fins peinent à dégager autant de puissances que lui. Ce n'est pas fou, mais il peut largement la rattraper.