Dans le genre inattendu, parfois, on atteint des sommets. Avec les préfets, on essaie assez régulièrement de se faire des réunions de routine, au moins une fois par mois. Avec Felicia qui veut faire le point avec moi presque toutes les semaines, c’est franchement suffisant. On ne va pas se mentir, Poudlard n’a pas connu de préfets aussi peu sérieux depuis des siècles. Nous sommes les pires ! A la fin, le mal de crâne est généralement au rendez-vous pour Felicia et Bonnie, mais moi, ça va. Pas étonnant lorsqu'on est la raison number one de leur migraine. J’abuse peut-être un peu, on aborde des sujets avec beaucoup de sérieux quand il faut, mais pour être honnête, j’ai eu beaucoup de mal à me concentrer aujourd’hui. C’est là que vient l’inattendu. Je parle là d’un visage que je n’ai pas l’occasion de croiser bien souvent, plus depuis mon redoublement en tout cas. Pas de la même année, pas de la même maison, c’est radical, tu perds les gens de vue. Notez alors mon entrain lorsque je l’ai vu passer la porte de la salle des préfets. Imaginez mon sourire et ma poigne lorsque je lui ai tendu ma main pour qu’il la serre. Jace, un vieil ami, reprend le flambeau de Rhys et est, à ce jour, le nouveau préfet des Serpentards.

C’est idiot, mais parfois, il faut un rien pour que deux potes se retrouvent. On a beau étudier dans le même château, il n'est pas évident de se voir ou juste de se croiser. C’est comme si on s’était oublié avant de se faire face. Une poignée de main virile, des salutations plus qu’enchantées, une place l’une à côté de l’autre autour d’une table de débiles chargés de faire régner l’ordre. Tout ceci terminé, je n’ai pas pu le laissé partir. Volonté de revenir en arrière, redevenir le Ollie irresponsable qui savait si bien se marrer de rien. Un Ollie que Jace a connu et qualifié comme ami. C’est pour cette raison que je suis allé vers lui à la fin de la réunion, pour cette raison que je lui ai demandé s’il avait un peu de temps libre pour boire un coup ou faire un tour à Pré-au-lard. C’est là que le Serpentard m’a proposé de faire un tour chez Zonko, assurément notre boutique préféré lorsqu’on avait 12 ans. Qu’est ce qu’on a pu trouver comme conneries là-bas ! Persuadé de faire face à un Jace aussi nostalgique que moi, mes fossettes toutes droites sorties ont approuvées sans hésitation.

C’est comme ça que je me retrouve dans les rues de Pré-au-lard avec un bel Appolon viril. Clairement, je me sens con à côté, une chance que je ne fasse pas 1m20. Batman et Robin -ou C-3PO et R2D2, comme vous voulez- prennent la direction de Zonko. Nous parlons des préfets depuis quelques minutes déjà, depuis qu'on est sorti de la réunion pour être exact. Tout juste arrivé devant la porte de la boutique, il est donc temps pour moi de lâcher une conclusion parfaite et pleine d'affection, à la fois aussi débile que vraie. « Bienvenue chez les faux chefs de l'ordre en tout cas mon vieux. Puissent tes conneries et tes pulsions irresponsables rejoindre les miennes. RIP, elles nous manqueront. » Dis-je sur-joué en souriant, une main taquine sur son épaule. Bien sûr je plaisante. On doit certes faire preuve de responsabilité, mais il faut surtout faire le maximum pour être crédible. Un préfet qui te demande de retourner dans ton dortoir alors qu'il fumait un pétard 5 minutes avant de vouloir te botter le cul, t'as pas trop envie de lui tendre tes fesses. Faire un pas devant l’autre, laisser les traces de mes semelles dans la neige, recouvrir celles d'autres passés par là avant nous. Autrement dit, on passe aux choses sérieuses. Je ne sais pas ce qu’on va y trouver, mais je sens qu’on ne sera pas prêt de l’oublier de si tôt.

Je sourie encore en y repensant. A cette réflexion taquine que Jace m’a faite dès lors que nos regards se sont croisés. Comme si nous n’avions jamais changés, grandis ou pris la moindre distance. Je regrette amèrement d’avoir trahis Felicia lors de cette réunion qui ne fut pas des plus sérieuses, mais je ne regrette pas d’avoir mentalement perdu quelques années. Ses années de moins perdurent alors que nous prenons la direction de Zonko. D’une main sur son épaule, je déclare ses conneries officiellement mortes pour laisser place aux responsabilités inévitables. Moi, préfet, c’est étonnant, je veux bien l’admettre. Mais est ce que Jace est franchement mieux ? Il a beau avoir prit des centimètres et construit une carrure de mannequin, il n’en est pas moins aussi crétin que moi. En parlant de physique, mon vieil ami se permet une réflexion loin d’être cool, juste après m’annoncer que je lui ai manqué. Quelle partie de ses mots je dois retenir le plus du coup ? Le fait que je lui ai manqué, ou le fait que je ressemble à un Veracrasse ? Il le sait bien, je n’ai pas changé plus que ça, alors sa taquinerie me passe au dessus et ne me vexe pas le moins du monde. Tout ce que j’espère en cet instant, c’est que ce soit faux. J’ai grandis et pris un peu de bras, même si cheveux partent toujours autant en vrille. Avoir le droit à une forte tape sur l’épaule, attitude virile de gros dur. Le voir tourner autour de moi comme ça, riant comme un enfant, me fait penser à un oiseau et sa proie. Un vautour pour être exact. Portant alors une main sur mon épaule fraîchement claquée, je lui réponds d’un ton parfaitement égal au sien. « Et toi beau gosse, tu pense t’être réincarné en Phénix ou quoi ? Tournes pas comme ça autour de moi ou le Veracrasse te crache son mucus à la tronche. » Dis-je avec un sarcasme plaisantin. Trop violent ? Non, mais non voyons. Il le sait qu'il m'a manqué aussi. Sourire à pleines dents, toutes fossettes dehors, alors que je passe la porte de la boutique après lui. Lui rendre alors son coup taquin, mais sur l'omoplate cette fois.

Les rayons s’étendent à perte de vue. Il y’a longtemps que je n’étais pas venu. Les vitrines rayonnent, le son des farces et attrapes virevoltants à travers le magasin laisse planer une joie folle. Entre les rires et les exclamations, l’inspiration de Jace se laisse prendre au jeu. Alors à peine arrivés, les idées fusent déjà. La première étant la meilleure de toutes ; faire chier Bonnie et Felicia. Lâcher une boule puante dans la salle de préfet, et ce en pleine réunion, ça serait drôle, effectivement. Pourtant, Ollie de 16 ans trouverait ça totalement puérile. Moi aujourd'hui, je rigole rien qu'à imaginer la tête de Felicia. « Oh grave ! Elles nous tueraient mec ! Mais ça serait une solution si la réunion est barbante et qu’on veut y couper court. » Dis-je en entrant dans l’un des rayons, commençant déjà à tripoter tout ce qui me vient sous la main. « En fait, quoiqu’on fasse elles nous couperaient en rondelle avant d'accrocher nos têtes dans les salles communes. Y’a pas plutôt un trou de balle à qui tu aimerais refiler des verrues ? » Dis-je mesquinement en faisant valser mes sourcils de haut en bas, lui exposant le kit pour faire pousser des verrues sur lequel je viens tout juste de tomber. Les rayons sont remplis d’objets qui doivent certainement traîner là depuis des siècles. Je pense qu’on s’attend à découvrir de nouvelles conneries, des concepts encore inédits. Pourquoi faire ? Aucune idée. Mais on trouvera bien.

On ne parle peut-être que de quelques années, il n’empêche qu’à nos âges, des années font beaucoup de différence. On devient plus grand, plus fort, plus mature. On vit des expériences, on apprend des choses, on rencontre du monde. Je ne peux qu’apprécier ce que Jace est devenu. Beau garçon, costaud, visiblement sûr de lui, drôle et avenant. Je ne sais pas comment il se comporte avec les autres, mais en tout cas, je me satisfais de le voir comme ça avec moi. Ses retrouvailles ne pourraient donc pas être plus parfaites. Retourner en enfance n’est pas toujours ce qu’il ya de mieux, surtout lorsqu’on doit adhérer à des responsabilités et rester crédible dans le service de ses fonctions, mais bordel, qu’est ce que ça fait du bien. Nous y avons tous le droit, à ses petits moments de bonheur. Après toutes les merdes qui nous tombent sur la gueule, personne ne peut nous en tenir rigueur. C’est ça qui me rend fort. C’est le fait que j’ai toujours refuser à n’importe qui le droit de m’ôter le sourire.

Lui tendre un kit pour faire pousser les verrues, vieux truc utilisé depuis des décennies, peut-être même des siècles. Bien sûr je parlais d’un trou de balle à défigurer pour plaisanter, même si l’idée est plus que plaisante. Jace me dit qu’il n’est alors pas du genre à se faire des ennemies, mais il n’empêche qu’un petit nom détestable sort d’entre ses lèvres. On a beau ne pas vouloir se faire d’ennemie, y’a des tas de personnes qu’on ne peut pas voir en peinture. Apparemment, Junior est l’un d’entre eux pour Jace. Je vois qui c’est, de loin. Il traine souvent avec Finnbjörn dans mes souvenirs. D’ailleurs, Finn était mon ennemi numéro 1 à l’époque, joli hasard. Je me méfie toujours de lui, certes, mais en ce moment ma bête noire c’est plutôt son idiote de sœur jumelle. En parlant d’Erin et de verrue, ça me rappelle une merveilleuse histoire. Quoiqu’il en soit, à entendre le prénom de Junior, je me pince les lèvres, nous plaignant tous les deux. « Je vois qui c’est oui, il est avec moi en cours. » Puis il me retourne la question, et la réponse me semble alors évidente. « T’as pas idée de la classe que j’ai, y’a bien des guignoles que j’ai envie de défigurer. Mais c'est vrai qu'on a jamais vraiment cherché les embrouilles tous les deux Par contre, si on nous cherche... disons qu’on attend au tournant ! » Je lui sourie, plutôt sûr de moi, le regardant filer dans un autre rayon, reposant le kit à verrues sur l’étagère. Faut pas se laisser avoir par la haine, même si je commence tout doucement à devenir raciste des pros sang-pur. Je vais me mettre à parler comme eux.

On se parle, mais c’est à peine si on se regarde. Trop obnubilés par ce qui nous entoure, par les innombrables packagings colorés et les typologies frappantes qui portent le nom de farces et attrapes en tous genres, je suis les pas de Jace qui se faufile entre des petits gnomes. Je manque d’ailleurs d’en renverser un à force de garder les yeux rivés sur les articles de la boutique. Je manque aussi de trébucher lorsque Jace aborde un sujet que je n’étais pas prêt à entendre aujourd’hui : la Saint Valentin. Ce truc me fou la pression. Je ne sais même pas si ça importe pour Hadley de la fêter, si elle attend quelque chose de moi ou si cette fête plus commerciale qu’autre chose n’a aucune nécessité. J’espère que la troisième option est la bonne, parce que personnellement, aussi romantique que je puisse être, je n’ai pas besoin d’un jour en particulier pour montrer toute mon affection. Ouais, je fais partie de ses gens là. Mais cherchez pas, ils sont tous chiants ; autant les fana de la Saint Valentin que les antis. « Ils font un truc chaque année, ça m’étonnera toujours. Mais je vais y aller je pense, ça dépendra d’Hadley, je sais pas trop ce qu’elle veut faire. » Si Jace ne savait pas que j’ai une copine, maintenant il le sait. Jolie blonde, petit génie qui maîtrise tout excepté le second degré. Mais c’est mon petit génie à moi. « Ne me dis pas que tu compte y aller toi ? » Mes yeux tombent sur une grande vasque aux lueurs rosés. En sont centre, un philtre d’amour. Ne lui laissant pas le temps de répondre, j’enchaîne sans attendre en lui exposant la fiole depuis ma main. « Ou peut-être que tu as de tout autres plans ? » Dis-je mesquinement et avec taquin en faisant valser mes sourcils de haut en bas. A peine ai-je prononcé ses mots que je me mets à rire et repose le philtre d’amour à sa place. Bien sûr je plaisante. Je l'avais sous la main alors ça tombait plus bien. Je ne fais que nous donner des idées amusantes qu'on ne pourra de toute façon jamais réaliser. C'était bien le but en venant chez Zonko non ? On va être tenté par un tas de choses, mais est-ce qu'on va vraiment acheté ? Boah, laissons nous surprendre !

Je ne sais pas si je suis totalement crédule et naïf, mais je crois vraiment qu’on peut s’éloigner de quelqu’un et le retrouver à la même place des années plus tard. Il aura un peu changé, une évolution plutôt marquée de positivité si le monde le veut bien. Mais oui, c’est sûrement un peu naïf de penser comme ça. Tout le monde change, et parfois bien souvent, en mal. Que ce soit dans le monde moldu ou dans le monde sorcier, les expériences forment le caractère. Certain s’endurcissent, d’autres se fragilisent, tandis que les restant se ramollissent. Mais je suis suffisamment confiant aujourd’hui pour croire que Jace était et demeure encore aujourd’hui, une bonne personne.

Qu’on soit des bonnes personnes ne nous empêche d’ailleurs pas d’en haïr d’autre. Jace évoque un mec de ma classe, une classe impitoyable qui en fait voir de toutes les couleurs. Reposant le kit à sa place, la source même de l’expression de nos petites haines respectives, j’admets quand même que Jace à raison. Nous ne sommes pas des bagarreurs. En ce qui me concerne, je sais porter un coup lorsqu’il le faut, mais c’est bien plus souvent du sarcasme que j’use comme arme défensive. Ce que je voulais surtout dire par là, c’est que nous ne sommes pas du genre à nous laisser intimider continuellement, pas vrai ? Chacun ses armes. Certain se défendent avec l’ignorance, d’autres avec une répartie sanglante, du sarcasme ou un coup de point en pleine gueule. Chacun sa technique, chacun son combat. On espère juste ne jamais en arriver là. « Je suis certain que t’as une bonne frappe, mais restons loin des problèmes, c’est tout aussi bien. » Hocher la tête, yeux et lèvres plissés, approuvant avec amusement.
Puis j’ai le droit à des félicitations. Je ne l’ai pas exprimé directement mais effectivement, mon allusion à Hadley laisse à penser que je sors avec quelqu’un. Résultat, cette personne à bon goût. « Flatteur va ! » Dis-je d’un geste féminin de la main totalement sur-joué, coupé l’instant d’après. « Ouais tu l’as verras un jour, t’inquiète pas ! » Un peu qu’il la verra. Et croyez moi, on ne le sait pas encore, mais ça sera sûrement l’une des pires rencontres de sa vie.

Et lui, est-ce qu’il compte y aller à cette soirée ? C’est bien la question que je lui pose, reposant un philtre d’amour débile après la plaisanterie de trop. Jace estime qu’en tant que préfet, ça serait la moindre des choses. En tant que célibataire aussi apparemment. Bon, personne n’en voudra à son préfet de ne pas être venu à une soirée qui pue la rose, mais je comprends bien ce qu’il veut dire. Lui exprimer alors un ok, une bonne réception de l’info, en sachant que je le verrais là-bas, Hadley à mon bras. Puis, je pensais avoir fait un gros floppe avec ma fiole de philtre d’amour, mais il se trouve que Jace y réagit, presque embêté. Il a l’air songeur c’est clair, mais il semble surtout que le préfet des Serpentard ait un problème avec les filles. Il aurait du mal à s’attacher ? Pourquoi j’ai l’impression qu’il ne me dit pas tout ? En tout cas, il ne désespère pas au point d’avoir besoin d’utiliser un philtre. A quoi bon de toute façon, s’il ne cherche pas à s’attacher ? Je lui jette alors un sourire qui se veut rassurant, l’observant relâcher toute sa nervosité soudaine dans les pressions qu’il exerce sur ses doigts sur une boule en plastique fraîchement sortie de son rayon. Franchement, je ne tiens pas à rendre plus nerveux qu'il ne l'est. J’ai encore bien le temps d’en apprendre plus sur lui plus tard non ? Faisons alors ce que je sais faire le mieux, redonner le gros smile et changer les idées. « Ça viendra peut-être avec le temps ! T’as pas forcément besoin de ça dans ta vie, si ? » A nouveau, je laisse vagabonder mes yeux dans les rayons, à la recherche d'une transition vers un tout nouveau sujet, ou mieux; un changement de sujet tout court. Mon regard se rapporte à la boule que Jace tient dans la main. Eh merde, je suis désolé les mecs, mais c'est tout ce que j'ai. Incontrôlable, je choppe la boule qu'il utilise inconsciemment pour se détendre. Comme si je me devais de le défaire de sa gêne soudaine, j'agis sans réfléchir, m'exécutant à la première pensé loufoque me traversant l'esprit. Comme un pauvre demeuré de 10 ans et demi, je balance la boule molle à travers le magasin. D'une traite, d'un geste, d'un élan minime, la boule s'envole. Tourner la tête vers Jace, les yeux grands ouverts, les lèves pincés se retenant de lâcher un rire fort. « Me demandes pas pourquoi j'ai fais ça. »

1 - 3 - 4 : La boule est jute passée par dessus les étagères pour atterrir dans le rayon d'à côté. A première vue, pas de dégât, tout va bien. Pulsion préservée, ouf.

2 - 5 - 6 : Je ne pensais pas avoir tiré aussi fort. La boule traverse le magasin et s'explose dans la nuque d'un mec pas du tout prêt à se prendre un missile par derrière. C'est à ce moment qu'on regarde ailleurs qu'on fait l'innocent nan ?