Je n’aurais pas le choix. Je vais devoir réprimander mes amis s’ils font une connerie. Un véritable ami comprendrait, un autre abrutit parmi les potes le prendrait mal. ça aussi je m’y suis préparé. Faire la différence entre les connaissances, les profiteurs et les véritables amis. Lorsque les choses changent, beaucoup de choses changent aussi, sans même qu’on puisse s’en rendre compte. Artemisia n’a jamais changé envers moi. Enfin si, un peu, lorsque j’ai arrêté de l’harceler, elle a arrêté de me détester à moitié. C’est plutôt normal en soi. Aujourd’hui on est là, posé sur des coussins à même le sol, entrain de se charrier pour se dire qu’on s’adore, entrain de se soucier l’un de l’autre pour prendre des nouvelles. Artemisia n’est pas du genre à faire de conneries, je sais bien que je n’aurais jamais rien à lui reprocher. Les gens changent et évoluent, et les emmerdes qui nous tombent sur la gueule participent beaucoup à ses changements. Ça justifie la peur et la tristesse, mais à mes yeux, ça ne justifieras jamais les comportements de merde.

Je peux ressentir le bien que nous fait le calme, le bien que nous procure quelques sourires. Mais il est aussi important de demander aux autres comment ils vont. C’est en partie pour elle, que j’ai demandé à ce qu’on se voit. Certes, ça fait plaisir de se retrouver, rien de plus normal. Mais je n’ai pas aimé ce que dégageait son visage dernièrement. Trop de tristesse, trop de perturbations. Elle me dit qu’elle va bien, que son lâché de larme dans mes bras un mois après l’incident, c’est du passé. Elle était mal, vraiment, et je suis content d’apprendre que les choses se sont apaisées. Hocher une tête pleine de souvenirs lorsqu’elle évoque sa sortie de l’infirmerie. Mais je ne parviens pas à esquisser un sourire en coin satisfait lorsqu’elle parle des autres choses que l’été a amorcé. Le sujet dérive d’ailleurs plutôt rapidement sur moi. Elle ne fait que retourner poliment la question, mais ça m’embête car j’aimerais en savoir plus. Et vous me connaissez, je ne me gênerais pas pour creuser. « Oui, j’ai franchement passé deux super mois. Entre mes potes, ma mère, des rénovations plutôt fun, c’était le feu ! » J’esquisse enfin un sourire avant de foncer vers ce que je me suis promis. Filer un léger coup de coude amical à la blonde avant d’enchaîner avec sympathie. « Mais attend avant de changer de sujet ! Qu’est ce qui s’est amorcé cet été ? Vu comme c’est parti, tu sais que je vais creuser en plus, alors vas y, je suis tout ouïe. » Je dis les choses avec beaucoup de légerté, mais c’est pour sa santé mentale que je suis là à la base, ne pas oublier. Petit visage innocent plein de fourberie à l'intérieur.

Bien que j’ai passé de superbes vacances, je n’ai pas tant de choses à raconter. Cela-dit, je pourrais lui raconter la semaine que j’ai passé avec Hadley, parce que c’était quand même génial ! Je reviendrais dessus plus tard sûrement, mais pour l’instant il est question du nouvel homme de ma vie : Tom Chasemane. Play-boy de Gryffondor hein ? Qui est celui de Poufsouffle dans ce cas ? J’aimerais bien savoir tiens. « Tom Chasemane ? Ouais, il est fou ce mec, je l’adore ! » Je ne passe mon temps à changer de sujet, mais franchement, je suis plutôt doué pour ça. Je me débrouille plutôt bien quand il s’agit de faire diversion aussi. Alors pour le coup, je ne parle pas plus de moi. Je veux savoir ce qu’elle me raconte comme micmac, parce qu’honnêtement, je n’y comprends rien. Elle parle de blessures, ça je comprends bien, elles avaient sauté aux yeux. Mais ses histoires d’amorçage, ça me dépasse. Froncer alors d’avantage les sourcils lorsque je l’écoute, lorsque je la regarde lutter nerveusement contre les larmes. Si elle veut pleurer, je ne lui en voudrais pas. Mais j’imagine que de son côté, elle doit en avoir marre de les sentir couler. Fixer son sourire nerveux, entre-ouvrir la bouche d’un air hébété lorsqu’elle me pose une question carrément inattendue. Est-ce qu’il y a des choses que je regrette ? Mais qu’est ce qu’elle a fait bordel ? Je commence à croire qu’elle a fait quelque chose de vraiment grave. « Euh.. oui comme tout le monde j’imagine. On fait tous des conneries, mais de là à ce que les choses tournent vraiment mal, je crois pas… T’as fais quelque chose de grave ? » Je lui demande, au fond un peu inquiet. Mais l’idée va se concrétiser.

Elle évoque la période dont j’ai presque honte. Période où je ne voyais qu’elle, période où j’avais vraiment des sentiments forts pour la nouvelle capitaine de notre maison. Pourquoi elle fait ça ? Pourquoi elle s’excuse encore une fois ? Je pensais que c’était derrière nous. Alors disons que je comprends encore moins lorsqu’elle annonce que le petit jeu s’est retourné contre elle. Le truc c’est que j’ai l’impression de comprendre quelque chose d’évident, mais c’est une évidence presque trop impossible pour que ce soit ça. Va me falloir une présentation powerpoint svp. Genre un développement bien détaillé des mots qu’elle vient de me sortir. Réflexe défensive, je pivote sur moi-même, position tailleurs, me tournant un peu plus vers elle, prenant un peu de recul à la fois. « J’suis pas bien sûr de comprendre ce que tu me baratine là. Oui c’est vrai que tu m’en as fais baver, mais c'est pas grave, c'est du passé. Tu t'en veux encore ou quoi ? » Nan sérieusement, le jeu qui se retourne contre elle, ça peut aussi vouloir dire qu'elle culpabilise encore nan ? Je peux pas croire la deuxième solution les gars, c'est totalement impossible. Alors je préfère jouer au con et me persuader de ne pas comprendre. Parce que j'ai pas envie de comprendre. Je ne la lâche pas des yeux, beaucoup trop sérieux, rendu beaucoup trop imposant.

Je tente de l’apaiser du mieux que je peux, de lui faire comprendre qu’on fait tous des erreurs dans la vie, et que cette dernière n’a jamais été simple pour personne. C’est bien beau de parler de nos vacances ou encore de Tom Chasemane, mais ce n’est pas pour ça que je suis venu. J'avais à lui extirper quelques mots, mais rien n'est très clair, tout est sous-entendu. Ce n’est grave que pour elle visiblement. Il s’est alors passé quelque chose qu’elle regrette, ou pour laquelle elle s’en veut ? Apaiser la gravité, réduire sa peine à nouveau, l’écouter se confier comme l’ami que je suis. Elle parle de guérisons, et donc de souffrances, mais le peu de choses simples et compréhensibles prennent assez rapidement un autre tournant. Je comprends des choses, des choses totalement impossibles. Je ne suis même pas sûr de savoir de quoi on parle. Elle dit m’en avoir fait baver, et que ça c’est entre autre retourné contre elle. La signification de ses paroles est simple, presque trop évidente pour que ce soit ça. Alors je la questionne comme un teubé totalement naïf. Trop persuadé de mal comprendre, je me terre tout seul dans les abysses. Parce que je vais détester ce que je vais entendre. Oui elle m’en a fait baver, oui j’avais des sentiments pour elle, des sentiments qu’elle s’est amusée à piétiner. Alors je me suis dis qu’elle s’en voulait peut-être beaucoup aujourd’hui, tout en sachant très bien que c’est le cas. Parce que je suis entrain de comprendre, je suis entrain de percuter pourquoi elle s’en veut autant, pourquoi aujourd’hui. Mais je ne veux pas l’entendre. Crétin qui nie et ne veut plus écouter. Crétin qui voudrait pouvoir se boucher les oreilles dès l’instant où il la voit déglutir, soupirer, fuir son regard.

Je ne peux pas le fuir. La sentence est inéluctable. Ce que je craignais est arrivé. Ce n’est pas seulement une chose que j’avais peur d’entendre, et ce depuis une bonne minute pour la première fois. C’est aussi ce que j’aurais rêvé d’entendre il y a quelques années. Aujourd’hui, les mots d’Artemisia ont le don de me coller sur place, mais par-dessus tout, ils ont la faculté de m’énerver. Je ne peux pas croire qu’elle ose me le dire. Je ne peux pas croire qu’elle puisse m’aimer alors qu’elle m’a autrefois piétiné comme une pauvre flatulence. Je crois qu’elle a de quoi s’en vouloir. La nouvelle me scotche tellement, que je crois lui en vouloir moi aussi. Je vois à peine son visage tellement elle se détourne du mien. Elle ne peut pas me voir entre-ouvrir la bouche, incapable de parler. Elle ne me voit pas fixer le sol, sourcils froncés. Le jeune garçon calme perd soudainement son sourire réconfortant. Le jeune garçon positif et souriant se sent trahi et blessé, autant pour elle que pour lui. Il ne veut pas lui en vouloir, mais il ne contrôle pas toutes ses émotions. « Je pense que tu te payes ma tête ? J’sais pas, tu me regarde même pas en me disant ça, alors je préfère me dire que tu te retiens de rigoler. Franchement, je préférerai limite ça ! » Prendre un ton sarcastique, repousser le plus possible la nouvelle qui vient de parvenir jusqu'à mes oreilles. Dans un réflexe de nervosité, je lève mes fesses du coussin pour me tenir debout. Est-ce que je suis vraiment entrain de m'énerver ? Disons plutôt que je suis dans un agacement au bord de l'énervement. Car je l'aimais moi aussi, et elle a préféré me faire mal pour retourner sa veste aujourd'hui. C'est comme si elle m'avait fait mal pour rien. Oui, je m'énerve car elle vient de tout gâcher. Artemisia est mon amie, il est évident que la nouvelle va chambouler beaucoup de choses, non ? Si j’aurais préféré ne jamais le savoir ? Oh que oui. « C’est ça ton baratin depuis avant Arte ? Tes regrets, tes blessures, tes excuses, c’est en rapport avec moi ? Tu réalise quand même qu'il est trop tard et que je me sens super con là ? » Pour l’instant plus agacé qu’en colère, je pose une main sur son épaule pour qu’elle me regarde, qu’elle rapporte son visage vers le mien. Visage baissé, épaules affaissées, je suis entrain de me perdre dans mes propres émotions. A la fois trahi, perturbé, incapable de l'accepter, je me sens énervé. En temps normal, je lui dirais calmement que ce n'est plus réciproque, qu'il est trop tard, et que je suis désolé. Mais c'était si inattendu que je n'y parviens pas. Je suis pris de cours. Je craque un peu, j'avoue. A mon tour de craquer.

Se lever d’un seul coup, se tenir debout sur ses petites jambes, tendre à croire que ce n’est qu’un rêve duquel je vais me réveiller. Pourtant je sens bien mes pieds toucher le sol avec conviction. Je suis bien dans la tour d’astronomie avec une Artemisia qui se remet à pleurer avant de me lâcher une bombe à la tronche, une bombe lâche sans même me regarder. Non, tout ceci est vrai. L’idée que je me faisais de ses sous-entendus depuis tout à l’heure s’avère totalement exacte. Elle s’est fait avoir. Elle m’avait méchamment remballé à l’époque –voyez comme je ne suis pas rancunier d’ailleurs-, mais aujourd’hui elle le regrette fortement. Sûrement qu’elle a réalisé trop tard l’importance que j’ai à ses yeux. Sauf que je lui précise bien une autre chose qui lui sera à réaliser : il est trop tard. Oh je pourrais tenter l’aventure, je sais que je pourrais sans souci voir le retour de mes sentiments pour Artemisia. Mais je n’en ai pas envie. J’ai perdu la flamme, j’ai perdu toute trace de spontanéité. Artemisia est une amie merveilleuse, et je l’aime ainsi. Pour moi, c’est terminé.

Quand enfin elle daigne tourner son visage vers moi, je lâche son épaule. Et elle sait, elle sait que c’est trop tard, et la préservation amitié est la raison première pour laquelle elle ne voulait pas m’en parler. Mais pourquoi elle me la dit alors ? Si elle est vraiment entrain de guérir de ça, comme elle me la dit, est-ce que c’était vraiment utile ? Je peux pas me taire, ça sort tout seul entre deux dialogues. « Ouais t'aurais dû te taire, j'confirme ! » Ses paroles me font serrer des dents et exercer quelques pas de nervosité. Utiliser mon énergie pour tourner en rond plutôt que pour lui gueuler dessus. Sauf qu’elle ne m’aide clairement pas à rester calme. Je ne voulais pas savoir. Car je sais ce qu’il va se passer. Comme lorsque je me suis guéri d’elle, nous allons devoir prendre nos distances… quelques temps.

Quand je pensais que ça ne pouvait pas être pire, mon agacement en prend un coup d’adrénaline lorsqu’elle mentionne le nom d’Hadley. Elle peut arrêter son charre deux minutes ? C’est peut-être sa jalousie qui parle, mais en cet instant, je me fiche complètement d’Hadley. Elle n’est pas le sujet, encore moins la raison pour laquelle je me suis si précipitamment levé d’un coussin tout confort. Elle n'a rien à faire au milieu de notre amitié. A chaque fois, elle me parle d'Hadley. Elle aurait mieux fait, une fois de plus, de continuer à soupirer et de se taire. Là, j’hausse carrément le ton. Je ne me contrôle pas. C'est la goutte de trop. « J’ai pas besoin de toi pour savoir que je dois parler à Hadley. Arrête de me parler d’Hadley merde, on parle de toi et de moi là ! En plus de tout gâcher, tu réussis à m’énerver ! » Elle mériterait une médaille rien que pour ce dernier point. Les Sorensen ont le don de m’énerver en général, personne d’autre, surtout pas Artemisia. Je la regarde prendre son sac, et dans un réflexe, je fais de même. Prendre une grande respiration au même moment, passer ma paume de main contre mes yeux fatigués. M’efforcer de baisser d’un ton, enchaîner alors avec un retour au calme forcé, des mots exprimés en pleine expiration. « Bon euh, m’en veux pas Captaine râteaux mais j’ai plus envie d’être là. Je sais pas pourquoi je m’énerve comme ça, vaut mieux que j'y aille, désolé... » Ferme, sincère, à la fois fatigué, je montre la descente de d’escalier en direction de la sortie, bien décidé à filer droit vers … je sais pas, n’importe où loin d’elle. Gentil Ollie ouais. Continuez à vous foutre de ma gueule et vous verrez.