“we're the lonely ones.”
Je m’étais bien gardé de le dire. Elle ne changera jamais, cette manie de tout garder pour moi, cette manie de me préserver du monde et, à la fois, le préserver lui de moi. Mon père n'a alors apprit ma place ici qu'il y'a deux semaines. Autant vous dire que ça ne lui a pas plu, et qu'il espérait bien mieux de ma part. Prendre des libertés pendant l'été, s'enfuir sans laisser la moindre trace, adopter un comportement fuyard qu'il ne tolère pas, mais qui ne l'étonna pas. J'ai eu le droit à des regards sombres, des mots piquants, des marques d'amour à sa manière. Enfin par amour, je pense plutôt au bien de sa descendance et des honneurs de sa famille. Belle et grande gueule pour un type ayant fait une enfant avec une moldue. Il aimerait pouvoir me faire confiance et ça le tue de ne pas y parvenir. Il veut qu’un jour, je puisse joindre le business familiale. Mais on ne se fait pas confiance, et ça n'arrivera jamais. Je suis trop imprévisible. En parallèle, la pression qu'il subit de son propre père me retombe dessus. Il n'est certainement plus qu'un raté aux yeux du vieux, et il déverse sa fierté et le besoin de faire ses preuves sur son propre fils. Honteuse famille. Famille dont j'attends d'ailleurs de voir le visage de la dernière arrivée de la fratrie, lorsqu'elle me verra dans cette ville, à quelques arbres de Poudlard.

Journée longue, pas moins que celle d’hier, pas plus chiante, pas plus amusante non plus. A peine arrivé que je commence déjà à connaître les habitués, des têtes que je voyais déjà lorsque j’étais client régulier. Ula me raconte souvent leur histoire lorsqu’elle les connaît, tout comme elle connaissait un peu ma vie avant que je ne vienne bosser à ses côtés. Plus de facilité pour ses hommes de parler après le quatrième verre vide, plus facile pour eux de communiquer avec une Femme qui les leur sert. Les mots s’échangent généralement dans une ambiance sympa et bonne enfant, lorsqu’il ne fuse pas une bagarre un petit soir de la semaine.
Glisser un énième verre sur le comptoir en direction de l'un de ses habitués, prendre les pièces qu'il me tend. Empocher l’argent alors que mon client retourne s’asseoir à sa table. Entendre dans la seconde d'après une voix perçante à travers le fracas de la pluie sur le toit. Je lève la tête dans l’instant, curieux de savoir si j’ai raison, curieux de savoir si ce moment est enfin arrivé. Et il l’est. Casey me regarde de ses grands yeux froids familiaux, presque outrée par ce qu’elle a sous les yeux. Je n’en attendais pas moins de sa part, et sur le moment, ça me fait éclater de rire. Je lâche un rire qu’on n’entend pas souvent sortir de ma bouche. Un simple éclatement, corps stoïque, de l’amusement mêlé à une part de moquerie. L’instant est exactement comme je le voulais, et c’est jussif. « Salut p’tite sœur. » Quand est-ce qu'elle comprendra que la vie toute entière est une blague, un éternel recommencement ? Perdant ensuite de mon sourire amusé pour quelque chose de plus mesquin, j'empoigne un verre fraîchement mouillé pour le sécher. « Sois pas si surprise, je t'avais dis que je serais pas loin. »

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“we're the lonely ones.”
Je ne sens ni colère, ni froideur. Ni dans ma voix, mon rire, mon regard, ni même sur le visage de ma demi-sœur. Je ne sens qu’une légère saveur d’amertume, un petit goût très finement prononcé par le choc de la révélation. L’appeler par ce qu’elle représente au sein de ma famille, la nommer par ce qu’elle désirerait plus que tout ne pas être. Je n’attends plus aucune réaction de sa part concernant ce piquant, parce que nous n’avons plus rien à innover. Seule nouveauté fut ce rire de satisfaction, tout au plus discret, tout autant fourbe. A la suite de cette scène mémorable, son regard noir se rapproche de moi tandis que je termine de chiffonner un verre chaud. Le tabouret qui était encore vide et inoccupé il y a quelques minutes voit arriver un nouveau preneur. C’est donc là qu’elle compte crécher, sur cette chaise à hauteur du bar, juste devant mon nez ? Elle veut se satisfaire de me voir opérer des tâches ménagères et de larbin ? Non. Elle n’a pas le mal aussi bas, elle vaut bien mieux que ça. Quoique, en guise d’innovation, pour le coup, on toucherait le summum. « Comme toi. Je suis là pour faire passer le temps. » Se permettre un ton et une expression qui discernent très difficilement la plaisanterie ironique du sérieux. Peut-être les deux à la fois. Comme elle peut l’entendre, je ne réponds toujours pas à la question, même si je pourrais peut-être me permettre quelques précisions plus tard. Quoique, cette réponse n'est pas loin d'être fausse. Elle est même vraie.

Je l'avais prévenu que je ne serais pas loin, et lui rappeler cette anecdote me vaut une esquisse en coin en plus d'être immédiatement expulsé à l'autre bout du monde. Du moins c'est ce qu'elle voudrait. C'est même ce que j'ai fais, cet été, loin d'ici, loin de tout, loin d'eux. Elle doit donc légitimement se demander pourquoi je suis revenu, moi qui rêverait autant qu'elle de prendre le large. C'est là que ça devient intéressant. Parce que la réponse est délicate, embourbée dans beaucoup trop d'autres questions. S'ils savent ? Je ne leur ai pas dis, mais étant plus proche d'eux en cet instant, qu'à aucun moment durant ses trois derniers mois, ils doivent certainement s'en douter. « Je ne leur ai pas dis en tout cas. Ils sauront où me trouver quand ils en auront besoin, j'me fais pas de souci pour eux. » Un nouveau verre sec vient rejoindre la file de verres propres que j'aligne depuis une demi-heure de mon service. Porter un regard glaciale de rapace autour de nous, sans même bouger la tête d’un centimètre. J’ai vu beaucoup d’hommes mal famés traîner ici, d’autres que j’ai déjà vu passer au Manoir. Je me fie à ce que mon instinct me dicte, et en ce moment, il me dit qu’ils savent.

Quant à la raison de ce choix de vie, elle n'a toujours pas besoin de savoir. En soit, ma raison est simple. Je ne peux pas partir tout de suite car j'ai besoin de réponses et de temps. C'est d'ailleurs ce que je pourrais lui dire, mais quel intérêt à part jouer les mystérieux ridiculement transis ? Encore plus vague et elle se noierait. La vérité, c'est que je voudrais des réponses quant aux affaires secrètes de mon père. J'attends de voir ce dans quoi il n'ose pas m'embarquer, ce dans quoi il n'ose pas me faire confiance. Je ne peux pas partir sans savoir. Je veux aussi prendre le temps de construire ma vie sans ses dépends. Alors oui, commencer ici, ce n'est pas glorieux, mais c'est un début. Je n'exclus pas non plus Casey de mes plans, sûrement que je veux pouvoir l'emmerder encore quelque temps. Je me suis refusé à faire des études, et je compte bien l'assumer. Car la vie ne fait pas de cadeaux à tout le monde, et la mienne est semée d’embûches. A ce jour, en guise de réponse, voilà tout ce que je lui offre : « Je te servirais bien un petit remontant pour faire passer le choc, mais d’après le vieux t’es pas encore majeure. » Référence à ce père toujours plus malin, toujours avec un coup d'avance. Celui qui s'est arrangé pour que la majorité de Casey lui vienne plus tard, en même temps que ses droits. Il aurait pu essayer de jouer de son amnésie et lui faire croire qu'elle avait un an de moins, que ça ne m'aurait pas étonné. Mais non, l'adoption de Casey s'est faite aux normes moldus. Elle n'est donc pas encore majeure. N'est-elle quand même pas heureuse de me revoir après avoir affronté ma famille seule ? Comparé à eux, je ne suis sûrement pas loin d'être comme le doux retour d'un visage amical.

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“we're the lovnely ones.”
Bizarrement, Casey est sûrement le membre de ma famille en qui je peux avoir le plus confiance. Même ma mère a perdu le soutient que je lui portais tant. Celle-ci a d'ailleurs eu raison de toujours s’opposer à mon père. Le quitter est sûrement la meilleure chose qu’elle aura fait de sa vie. Mais pour quoi ? Vivre une amourette avec un nouveau con ? Elle ne s’est pas battu pour la garde de son fils, parfaitement consciente qu’elle n’aurait jamais gagné. Elle n’a jamais insisté pour qu’il me laisse passer plusieurs semaines chez elle. Pourtant c’était la guerre ouverte lorsqu’ils étaient ensemble, tout le temps. Mais au moment de se battre pour moi, il n’y avait plus personne. Leur portes monnaies s’égalaient, tout comme leur détermination, et ça, je l’ai bien vu pendant mon enfance. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit, ni comment ils se sont arrangés, mais il a gagné. Les trois mots remplis d’amour sont beaucoup plus facile à prononcer pour elle, mais j’ai cessé de les entendre, en même temps qu’elle a cessé de m’exprimer la seule affection réchauffante de cette famille. Je devenais comme lui. Elle n’avait pas voulu quitter un homme trop dur pour créer le même en son fils. Je ne suis pas un échec. Je suis son échec. Je la fais culpabiliser tandis qu’elle continue de m’aimer, et je continue de l’aimer tandis que je lui en veux de m'avoir élevé au milieu de la tyrannie. On se tolère mutuellement au milieu de drames exagérés. Lorsque je vais la voir, nos conversations sont trop folles, trop frustrantes, voir énervantes. Alors je ne vais pas la voir souvent. Alors je suis resté chez mon père, même après ma majorité. J’ai toujours pensé que ma mère aurait peut-être été la source de lumière dont j’avais besoin. Mais elle ressemble à son ex mari en beaucoup de points, autrement sa noirceur et son mystère ne l’auraient pas attiré si abondamment. Mes sources de lumière sont ailleurs. Les lueurs sont juste trop faibles pour qu’on puisse les voir clairement.

C’est donc à Casey que j’envoyais des lettres cet été. Elles étaient étonnamment directs, brèves, mais polies. J'aurais pu donner un signe de vie à ma mère, mais elle n'est pas la première à donner ou demander des nouvelles. Casey ne savait rien de plus que ma fuite revigorante, tout comme elle ignore encore les raisons de mon installation ici, ce qui la rend effectivement bizarre à ses yeux. Quitter Poudlard ne me faisait pas peur, bien au contraire, j’avais hâte. Mais pré-au-lard était la meilleure idée que j’ai pu avoir. Il ne penserait pas me trouver ici et j’ai sûrement gagné quelques semaines de répit. Un moyen inavoué pour garder un oeil sur ma demi-soeur, une solution déjà toute réfléchit alors que j’étais assied du côté client, un jour, avant d’entamer une discussion très intéressante avec Ula O’Domhnaill. J’ai planifié ma venue ici depuis des mois. « Je me voyais surtout pas ailleurs pour l’instant, c’était pas envisageable. » On ne va quand même pas se confier l'un à l'autre, si ? Il fallait que je reste dans le coin, c'est tout. Je n’avais pas le choix. Ils me trouveront bientôt sans doute, et je les attend déjà de pied ferme. Noter le rictus au bord de sa lèvre, répondre exactement du même alors qu’elle déclare ce que je savais déjà. Ils n’ont pas aimé mon absence, et j’aime ça. Non pas de se sentir aimé ou indispensable, juste de savoir que je peux encore les atteindre et les toucher sans mal. Alors mon rictus devient narquois, alors je m’en satisfait jusque dans l’expression de mon visage. « Je sais. » Regard fier planté dans le sien, mains essuyants machinalement les verres, je lance ensuite un pique taquin à son égard.

Une provocation taquine presque trop amicale pour être vraie. Evoquer la douille qu’il lui a mise, l'énième partie qu'il a gagné. Casey qui la prend d'un revers et me renvoie la balle. Voilà qu'elle touche presque juste. Voilà qu'elle se rapproche du sujet qui hante ma tête. Arquer un sourcil alors que je prends le verre fraîchement lavé qu'elle glisse vers moi. J'en profite pour en retourner un deuxième. Sentir que les choses deviennent intéressantes, sentir que le moment est venu de lui en révéler un peu plus. Porter un regard discret autour de nous, remarquer le manque de mouvement dans le pub, me pencher pour attraper la bouteille de cognac posée sous le comptoir. Je balance finalement un chiffon déjà mouillé depuis trop longtemps, et nous en sers un fond à chacun. Devenir plus discret encore, poser mes bras sur le bar, m'approcher du visage pale et lugubre de ma demi-soeur. Tendre mon verre vers elle après avoir glissé le sien, pointer la blonde du doigt, soudainement intéressé par l'idée qui germe dans mon esprit. « Tu rigole mais, on sait tous les deux qu'il ne me fait pas assez confiance pour ça. Sauf qu'à ma connaissance, je suis le seul descendant sang pur de cette famille, alors nos vieux n'auront sûrement d'autres choix que de se tourner vers moi à un moment ou à un autre. » Dis-je en me moquant d'elle à mon tour, me moquant à la fois de l'échec de mes descendants. Voix forte mais basse, des chuchotements qui se font parfaitement entendre, tout comme la nature de mes émotions. « J'aurais pu partir Casey, c'est vrai. Mais pas avant de savoir, pas avant les révélations et les représailles. Il reste encore beaucoup trop de fun à venir, ça a à peine commencé. » La percer du regard tout du long, jeter de temps à autre quelques regards méfiants de gauche à droite. Exprimer les choses très intensément, mais surtout, avec beaucoup d'amusement malicieux. Porter un dernier regard intense sur son visage avant de boire le fond de mon cognac d'une traite.

HS:

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“we're the lovnely ones.”
J’ai fais le con. J’ai fais ma rébellion à ma façon, et il est donc certain, que ça me retombera dessus. Elle les connait suffisamment. Elle nous a assez vus. Elle sait qu’ils viendront demander des comptes. Et d’après ses dires, au moment venu, je ne serais plus en état. A quoi est-ce qu’elle s’attend ? Une rafale de phalanges en pleine gueule ? Ce n’est franchement pas impossible. Mon père n’a jamais levé la main sur moi. Ses tortures étaient psychologiques. Mais, mon grand-père lui, est encore de la vieille école, et poser sa main sur un enfant ne l’a jamais dérangé. Même aujourd’hui, alors que j’approche les deux mètres et que lui s’est tassé, il répondra précisément de la manière dont il le voudra. Impitoyable grand-père au coeur de glace, justifiant ses gestes avec l’amour. Ce n’est que de l’amour, disait-il. La méchanceté et l’intolérance dont il fait preuve avec Casey, ça, ce n’est pas de l’amour. Alors comment faire la différence ? Il n’y en a pas. Car il ne connait plus l’amour. Il a oublié ce que c’était. J’ai été bercé par cet homme et par ses histoires. Autrefois je l’admirais. Jusqu’à ce que j’apprenne par moi-même. Alors oui, j’attends les représailles, effectivement Casey, et c’est là tout ce que j’attends pour le moment. « Crois-moi, il vaut mieux pour toi que tu ne sois pas dans les parages. Sauf si tu te porte volontaire pour éponger mon sang. » Regard de glace sur une parole de glace. Visage froid qui esquisse soudainement une lèvre en coin. « J’rigole. » Plaisanterie de mauvais goût, plaisanterie que beaucoup de gens n’auraient pas aimés. Parce que ce n’est pas drôle. Et pourtant, moi, à en juger mon petit sourire amusé, j’ai trouvé ça drôle.

Mais les petites particules d’humour qui volaient dans l’air finissent par s’éteindre. Le simple fait de balayer la pièce d’un regard, alourdi l’atmosphère d’un sérieux auquel je tiens. Pris d’un élan de motivation, je lui partage alors un peu plus qu’un verre de cognac. Aborder avec discrétion le sujet majeur de mes pensés. Fourberie sur le devant de la scène, ma détermination exprime mon obsession maladive. Trop sûr de moi peut-être, il faut qu’elle comprenne que le lâche qu’on a toujours vu en moi n’est rien d’autre qu’un opportuniste réfléchie et solitaire. Elle partage mon opinion, et je dois avouer que ça me réconforte. Je ne suis pas encore fou. Je ne suis pas encore au milieu d’un combat dangereux pour une cause perdue. Bien sûr qu’il a besoin de moi, bien sûr qu’il a déjà pensé à la manière de gagner ma confiance. J’adorerais savoir ce que c’est. J’adorerais savoir quelles perversités se trament dans sa tête pendant que des plans pire ou moins pires naissent dans mon esprit. Et alors ? Qu’est-ce que j’espère ? Laisser un blanc de réflexion, le temps de quelques instants, le temps de nous servir deux nouveaux fonds de verre. Reposer la bouteille, rapporter mon visage prêt du sien, accoudé au bar. « J’espère qu’ils se montreront enfin sous leur vrai jour et qu’ils révèleront tout ce qu’ils cachent si bien. C’est mon grand-père qui a toujours tout contrôlé. Lui qui a bannie des membres de ma famille et qui persiste à le faire, lui qui nous a inculpé de telles valeurs. J’espère qu’ils se trahiront, que leur rancoeur mutuelle les opposera enfin et me donnera raison. » Il faut croire que je fais des expériences. C'est un peu ce que sont mes manipulations lentes. Des expériences. Je veux énerver mon grand-père. Je l'énerve depuis ce jour où il est allé à la rencontre de Casey dans la ruelle. Je veux montrer à mon père qu'on peut s'opposer à lui sans avoir besoin de lui mentir ou de cacher un enfant qu'on veut aimer. Je veux détruire l'empire de l'intérieur. Mais surtout, je veux enfin connaître les secrets de ma famille, la source de leur richesse. Tout ça, je pourrais le lui dire. Mais pas tout de suite. D'ailleurs, pourquoi je me confie déjà tant à elle, soudainement ? L’instinct. Mon instinct m’a finalement dicté de lui dire les choses. Serait-ce la preuve que je lui fais confiance ? Je ne lui fais pas entièrement confiance, mais une chose évidente me prouve que j’envoie mes informations dans un endroit sûr : Elle ne me déteste pas autant qu’elle déteste le reste de ma famille. Et cette pensée, ainsi que cette détermination dévorante, guident ma main à porter mon verre contre le sien. Le fracas fin et strident d'un verre contre un autre, et j'avale d'une nouvelle traite le contenu de mon breuvage brûlant.

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“we're the lovnely ones.”
C’est bien beau de plaisanter, mais qu’en sera-t’-il vraiment le jour où arrivera cette sentence dont on parle si bien ? C’est tout bonnement la question qu’elle me pose, après que je me sois permis d’esquisser un sourire au bord des lèvres qui venaient tout juste de sortir cette plaisanterie de mauvais goût. En soit la question est bonne, et Casey ne peut qu’ignorer la réponse. Moi-même, je doute sur ce qu’ils oseraient bien faire de moi. Aussi dure soit notre famille, elle a des principes, et le sadisme n’en est pas un. Tout dépend de quel niveau de sadisme on attribue aux choses. Tout est relatif. « Non, je pense pas. Je ne te cache pas que la main tremblante du Pépé se réjouirait certainement de me mettre une bonne trempe dans la gueule, mais j’ose espérer qu’ils auront une autre façon de faire. » Est-ce qu’elle ne s'inquiéterait pas un peu de mon sort ? Ça m’étonnerait fortement, mais je me satisfais de le penser et de presque l’espérer. Casey n’a jamais vu un des hommes de ma famille me frapper. C’est pourtant déjà arrivé, il y a longtemps. Presque bercé dans cette éducation, l’âge a monté et endurcit mon esprit. Lorsqu’autrefois ils me poussaient à bout pour obtenir ce qu’ils voulaient de moi et que je devenais déjà bien trop malin pour le comprendre et le contrer, il ne leur restait que les paumes de leurs mains pour agir. Même celles-ci, après les faits réitérés, ne m’effrayaient plus.

Visage penché vers Casey, je me suis enfin ouvert à elle sur ce qui se trame dans ma tête. Presque un message codé, les questions fusent alors. La blonde s’interroge, mes remarques piquent sa curiosité. N’a-t’elle donc jamais comprit que mes géniteurs s’opposent sur beaucoup de points, mais qu’ils s’efforcent bien trop à se respecter pour allumer la moindre étincelle ? Nos points communs que sont la stratégie, le sang chaud et l’ambition, nous destinent à créer des affronts évidents. Il suffit que des idées nous opposent pour que ses petites parties de nous se réveillent. Tendre un verre fraîchement rempli à nouveau, trinquer avec ma demi-sœur sous la pluie d’acclamation qui raisonne dans ma tête. J’aime en parler. Je crois même que ça me fait du bien. Je n’ai jamais eu besoin de son avis ou de son consentement, je m’en passerais bien. Mais j’avoue bien vouloir me familiariser avec son instinct. Lorsqu'on a des ennemis, on les connait parfois bien mieux que n'importe qui. Je sais de quoi elle est capable. Je sais qu'elle est intelligente et calculatrice quand elle veut. Ce qu'elle dira ne me fera pas changer d'avis, tout ce qu'elle réussirait à faire c'est de me motiver un peu plus. « Tu as raison, ils ne sont pas si différents, ils auraient presque la même façon de mener les choses. Mais est-ce que ça les empêche d’avoir des différents pour autant ? Papi est vieux jeu et Papa apprend un peu plus de son temps, tu en es la preuve vivante, nan ? Notre père est encore sous sa coupe, j’en suis sûr. Il doit lui mentir pour éviter le pire et ça l’agace...Enfin, c'est plus compliqué que ça, c'est peut-être même un peu trop tordu dans ma tête pour que tu puisses comprendre. Et puis, t’en sais déjà assez comme ça. » Dis-je plus en réflexion avec moi-même que pour lui répondre. De toute façon, pour quelqu’un qui ne voulait rien révéler, je trouve que j’en ai déjà trop dis. Alors je ne réponds pas à plus de ses questions. Si elle en pose autant, c’est soit que je n’ai pas été assez clair, soit qu'elle n’est pas encore en mesure de comprendre. Si ça se trouve je ne suis même pas au clair avec moi-même, mais ça, j’en doute. Se permettre alors d’enchaîner sur un sujet qui ne me concerne plus. Porter le culot de lui imposer une discussion qu’elle aura certainement envie de me cracher au visage avant de déguerpir. « Et sinon au fait, ta mémoire, ça divague encore ? » Pas une once d’amusement ou de mépris. La question est légitime, tout comme le souvenir de ma demi-sœur allongée sur ce lit d’hôpital à la suite de l’incendie. Après le Serpent, voilà qu’un autre drame lui est tombé sur la tête, et c’est bien le cas de le dire. J’étais là pour l’en sortir la première fois. A la seconde, j’étais déjà bien loin. Mais je suis venue la voir auprès de mon père. Je ne sais pas ce que je foutais là, pourquoi j’étais venu. Mais je sais au moins que j’ai ressenti un fort soulagement lorsque Casey m’a reconnu.

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“we're the lovnely ones.”
Elle a raison, le tout est d’y être préparé. Ne l’avons-nous pas été toute notre vie, avant même que les liens de familles nous unissent ? Incrédules, méfiants et observateurs, nous sommes bien souvent préparés à toutes les possibilités. Pour l’instant, je sais que rien ne me tombera dessus, mais que le temps saura me donner les indices du moment propice. Je continuerais de les provoquer à ma manière, de manière et fourbe et discrète, parfois même, sans le faire exprès. Parce qu’il est dans ma nature d’agir et de penser à l’inverse d’eux. Parfois, le conflit n’est même pas prémédité, il est juste évident. Hocher alors la tête pour valider les propos de Casey.

Les révélations que je lui fais sont dîtes en parfaite confiance, une conversation qui n’aurait jamais pu avoir lieu un an en arrière. Mais le temps nous a apprit que le même combat est mené, et que les liens du sang sont parfois imperturbables. En toute honnêteté, si Casey ne s’était pas avéré être ma demi-sœur, jamais nous n’aurions enterré la hache de guerre, même de moitié. Je remercierais presque mon père de m’avoir ôté une ennemie insupportable bien que je n’en ai que faire des autres. J’ai bien conscience que cette hache n’est qu’à moitié enterrée. Sans se mentir, le premier à péter les plombs ou à s’initier de trop près dans la vie de l’autre déclenchera une nouvelle éruption. En attendant cette éruption, Casey comprend finalement ce que je veux lui dire. Je dirais même, parfaitement. Les apparences, voilà tout ce qu’ils sont. Toutes ses familles de sangs purs que notre famille fréquente, ce ne sont que des apparences. Derrière leur finesse et leur bourgeoisie raffinée, se cache un démon brûlant. Ils sont faux. Ils sont fourbes. Casey enchaîne ensuite deux questions auxquels je n’ai qu’une seule réponse. « Exactement ! » Un point de satisfation qui se fracasse sur le comptoir, un bruit de verre chamboulé.

Lassé de parler de moi et de mes ambitions certainement trop fortes, voilà que je m’inquiète du sort de Casey. Je suis l’une des personnes qu’elle reconnu ce jour là, la visitant à l’infirmerie. Ce ne fut pas le cas de tout le monde, et j’ignore pourquoi elle s’est souvenue de moi et pas des autres. Peut-être parce que je l’avais sorti de la salle de duel ? Allez-savoir. Quoiqu’il en soit, rien ne s’arrange. La mémoire flanche toujours, et les migraines accentuent les maux. Froncer les sourcils, les deux coudes sur le bar, toujours penché vers elle. « Dur. Tu dors au moins ? » Je connais déjà la réponse. Je veux juste lui faire prendre conscience de la gravité de la chose dans ce cas-ci. A peine ai-je posé ma question que la voix d’Ula m’interpelle à travers le bar. « Luca ! » Tourner la tête vers ma collègue, voir son visage pointer des clients. Je ne suis pas au café, je suis supposé bosser et je percute mon manque de professionnalisme en portant un regard sur l’horloge accrochée au mur. Je ne me suis pas rendu compte qu’on parlait depuis si longtemps. « Bon... Je dois y retourner. A plus. » Une main tapotant le bar, je lui jette un dernier long regard qui veut dire beaucoup. "Soignes-toi, fais attention, les verres sont pour moi, on reprendra cette conversation plus tard, gardes ça pour toi" et bien plus encore. Je ne suis pas verbalement très expressif lorsqu'il s'agit de ça. Elle le comprendra, je le sais.

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