Plusieurs jours se sont écoulés depuis que Charlie a quitté l’infirmerie. Sa blessure est presque complètement guérie et, merci Merlin, aucun drame ne s’est produit entre temps. Les cours ont repris bien que la plupart des élèves aient l’esprit ailleurs, même lui d’ordinaire attentif en classe est distrait, il ne cesse de penser aux derniers événements. Peu importe la manière dont il tourne le problème dans sa tête, le suicide du médicomage n’a pas de sens. Quelque chose lui dit qu’il n’était qu’un pion sur l’échiquier géant que compose la guerre contre les “sangs impurs”. Un homme sacrifié pour évincer les soupçons, suffisamment longtemps en tous cas pour mettre en place de nouvelles offensives. Charlie s’est renseigné discrètement, si nouvelle attaque il y a, à n’en pas douter que ce sera pendant un rassemblement histoire de faire le plus de victimes possibles. C’est ainsi que le Serpentard en a déduit que le bal prévu pour la fin de l’année serait parfait pour n’importe quel terroriste. Cette déduction somme toute vraiment perturbante obnubile notre Londonien, garder cette information pour lui le dérange mais en même temps, la divulguer risquerait de faire annuler les festivités. Il y a très peu de chance pour que les filles de Poudlards, toutes maisons confondues, lui pardonnent un truc pareil. Voilà comment il en est arrivé à batailler avec sa conscience nuit et jour. Et si il arrivait quelque chose à Solyne ? Ou à Prudence ? Il s’en voudrait toute sa vie.

Il est à peu près quatorze heures lorsque Charlie craque et se décide à faire quelque chose pour décompresser. Même avec la présence d’Ashley dans le dortoir, il ne parvient pas à se changer les idées. Il se lève brusquement de son lit, attrape son étui à guitare posé près de sa malle et sort sans un mot en claquant la porte derrière lui. Il déboule dans la salle commune tendu à l’extrême sous les regards anxieux de ses plus jeunes camarades de maison qui n’ont pas encore eu le temps de s’habituer à ses sautes d’humeurs. Dans cet état, Charlie est une vraie bombe à retardement, tout le monde le sait et personne ne veut plus avoir à en faire les frais depuis qu’il s’est acharné sur un cinquième année un an auparavant. Le jeune homme ignore l’attention submissive que lui portent les plus petits Serpentards et se dirige vers la sortie d’un pas déterminé. Pour comprendre sa réaction, il faut savoir que Charlie déteste plus que tout perdre le contrôle. Autant sur sa vie, ses actes, ses pensées que sur toutes les situations dans lesquelles il se retrouve embarqué. Là, c’est le pompon, entre le confinement de l’infirmerie, les complots et ses récentes découvertes explosives, il n’a plus aucune emprise sur ses décisions.

Le Serpentard traverse les cachots furieusement, puis le rez-de-chaussée et le parc jusqu’au lac noir qu’il trouve, pour son plus grand plaisir, vide de toutes créatures vivantes quel qu’elles soient. Il s’installe sur le ponton d’où il a une vue magnifique, l’eau traçant de petites vagues au rythme du vent de ce mois de Mai relativement chaud. Charlie ouvre son étui et en sort une guitare Takamine en épicéa un peu usé mais en très bon état au vu de son âge. Une jambe relevée, l’autre couchée et pliée en équerre, il câle l’instrument entre sa cuisse et son torse avant d'entamer la mélodie de la chanson “Simple Man” de Shinedown, un vieux groupe du début des années 2000. L’air s’engouffre dans ses cheveux et soulève sa robe de sorcier, une sensation plus qu’agréable et par dessus tout : authentique. Charlie lève les yeux sur le paysage écossais, capable, pour la première fois depuis six semaines, de se détendre. C’était sans compter sur sa chance légendaire et l’acharnement des élèves de Poudlard pour lui pourrir ses moments de calme. Un dernier coup de poignet et une voix féminine retentit derrière lui.

“Tu joues bien.”

Il faut un effort monstrueux au Serpentard pour ne pas soupirer, mais qui peut bien avoir assez de toupet pour oser lui adresser la parole alors qu’il est, visiblement, en pleine méditation. Il tourne la tête, prêt à renvoyer la demoiselle d’où elle vient mais se fige en rencontrant deux orbes saphirs qui lui sont étrangement familières. Charlie fronce les sourcils, trop concentré sur son identité pour remarquer qu’elle s’installe à côté de lui, comme si il le lui avait proposé.

“Désolée de te déranger, j’avais juste envie de regarder le lac et de respirer un peu… Un peu normal après ce qu’on a vécu non ? … D’ailleurs… Comment tu vas ? Demande t-elle innocemment.”

Et là, tout lui revient. Ces cheveux blonds, cette odeur un peu sucrée avec une pointe de rosacées et cette voix qu’il entend encore en rêve quand il replonge dans la salle de duel la nuit dans ses cauchemar. C’est elle : Sa mystérieuse sauveuse. Lui qui voulait absolument lui parler, voilà qu’elle apparaît subitement pleine de bons sentiments, trop gentille d’ailleurs quand on sait la réputation dont il est affublé. Charlie pose un bras sur l’éclisse de sa guitare, dérouté de voir qu’il ne contrôle définitivement plus rien à sa vie.

“Je vais bien, répond t-il neutre. C’est toi qui m’a sorti de la salle de duel n’est-ce pas ?”

Il reporte son attention sur le lac, impassible bien que gêné.

“Merci, je te dois la vie.”