Installée dans un coin de la bibliothèque, le regard perdu dans le vague, j’attends l’arrivée de Leo. Depuis que je suis sortie de l’infirmerie, j’ai bien du mal à me concentrer sur ce que je fais, mon esprit a tendance à s’éparpiller un peu trop, ce qui est loin d’être habituel. Je suis d’une nature curieuse, c’est un fait, mais jusqu’à présent, j’ai toujours été capable de me concentrer sur une action, avant d’en envisager une autre. Là, c’est presque chose impossible. J’ai bien du mal à me reconnaître. Je me sens dépassée par les événements et totalement perdue. Cela fait un moment que j’ai une crise d’identité, on ne va pas se le cacher, mais depuis peu, elle s’est vraiment empirée, jusqu’à ne plus savoir qui je suis vraiment. Et ce qui n’était qu’une crise passagère, n’étant qu’une phase de ma crise d’adolescence, se transforme aujourd’hui en vrai problème existentiel. Qui est vraiment Hadley Lewis ? Qui veut-elle être ? Que sait-elle vraiment de la vie ? Qui sont ces inconnus qui se targuaient durant des années d’être les membres de sa famille ? Ont-ils seulement été une fois honnêtes avec elle ? En qui peut-elle avoir confiance aujourd’hui ? J’ai toujours cru que quoi qu’il pouvait se passer dans ma vie, je pourrais me tourner vers ma famille pour trouver des réponses. J’ai toujours cru qu’ils détenaient le savoir ou qu’ils savaient où chercher. Je les ai clairement surestimé. Aujourd’hui, les masques tombent et c’est loin d’être très beau à voir.

Mon regard se pose sur la fenêtre à côté de moi. Je repense à nos “retrouvailles”, quand je suis sortie de l’infirmerie. Les familles de ceux sortant étaient autorisées à venir voir leurs enfants. Et pour être totalement honnête, je n’étais pas sûre qu’ils seraient là et s’ils venaient, je n’étais même pas sûre d’avoir envie de les voir. Ils m’ont laissé rester à Poudlard durant les vacances de Noël parce qu’ils avaient soit disant des projets professionnels importants de prévus, qu’ils ne pouvaient pas annuler. Ils savaient qu’il se passait des choses étranges ici, mais jamais ça ne leur a effleuré l’esprit que je pouvais vraiment être en danger. Et quand on nous a transporté à l’infirmerie pour nous soigner, ma mère n’a même pas pris la peine de se porter volontaire pour accompagner ses confrères pour nous porter secours, prétextant une opération importante qu’elle ne pouvait pas annuler. Moi, sa propre fille, n’a même pas eu la priorité sur un malade qu’elle ne connaît pas. Si encore je n’avais été que légèrement blessé, j’aurai pu l’entendre, mais j’étais gravement blessé, j’avais perdu beaucoup de sang et j’avais été empoisonné. Il n’y avait aucune assurance au départ qu’on allait pouvoir me sauver. Mais la vie d’un parfait inconnu était plus important que moi. Je crois que ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je crois que c’est vraiment à ce moment là que j’ai arrêté de les voir avec mes yeux d’enfant fascinée. Cela faisait quelques mois que je m’interrogeais, surtout sur mon père et sur son travail au sein du Ministère. Mais là c’est l’ensemble de ma famille que j’ai vu sous leur vrai jour. Quand mon regard se posa sur mes parents, je n’ai plus vu un couple mais bien deux personnes distinctes, qui ne partageaient visiblement plus grand chose. Je n’ai jamais vraiment pensé que mes parents étaient fou amoureux l’un de l’autre, mais j’avais cru qu’ils formaient un couple équilibré, qu’ils se respectaient et avançaient dans la même direction. Sans pouvoir l’assurer à 100%, j’ai cru voir deux inconnus qui se retrouvaient dans une pièce depuis des mois de séparation. Ils ne dégageaient pas la même chose. Mon père avait l’air plutôt heureux dans l’ensemble, bien portant, il n’avait que très peu de signes de fatigue qui se lisaient sur son visage. Alors que ma mère n’était qu’une pâle copie d’elle-même. Je n’avais jamais fait attention à tout cela avant, mais aujourd’hui ça m’apparaissait très clairement. Ma mère avait beaucoup maigrit, les traits tirés, la voix un peu plus rocailleuse, elle semblait être au bout de sa vie. Il n’y a rien dans sa personne qui démontrait un quelconque signe de bonheur dans son existence. Je ne prétends pas qu’ils n’étaient pas contents ou soulagés de me voir tous les deux. J’ai pu voir qu’ils s’étaient vraiment inquiétés pour moi, ma mère certainement plus que mon père. Mais je n’arrivais plus à les reconnaître et ma colère envers eux ne diminua pas. Après les avoir rassuré sur mon état de santé, accepté les excuses de ma mère quant à son absence et échangé quelques banalités avec eux, j’ai coupé court à la rencontre, prétextant que j’étais fatiguée et que je voulais aller m’allonger un peu dans mon dortoir. Je ne sais plus trop quoi penser de tout ça, je vais devoir en parler à Artemisia et Ollie, je sais qu’ils me seront de bons conseils.

J’entendis un bruit qui me fit sortir de mes songes. Mon regard se tourna sur ma droite et je vis un élève en train de ramasser un livre qu’il avait fait maladroitement tomber. Mon regard s’attarda quelques instants sur lui, avant de parcourir le reste de la bibliothèque. Aucune trace de ma binôme du jour. Je pensais que reprendre les cours me ferait du bien, que ça me changerais les idées et que je pourrais retrouver un semblant de vie normal, mais la vérité c’est que c’est loin d’être aussi simple. J’aime toujours apprendre, ça n’a pas changé, mais j’avoue que j’ai du mal à me concentrer. Je dors mal, faisant encore des cauchemars sur ce qu’il s’est passé dans cette salle. Je me sens un peu seule sans Artemisia à mes côtés et j’avoue que je ne suis pas rassurée à l’idée de la savoir encore dans cette infirmerie. Sommes nous vraiment en sécurité aujourd’hui ? En qui peut-on faire confiance ? Quand est-ce que cela s’arrêtera enfin ? Je vis la porte de la bibliothèque s’ouvrir et je reconnus la jolie brune qui entra. On ne se connaissait pas vraiment toutes les deux, n’ayant jamais franchement pris le temps de faire connaissance. En d’autres temps, j’aurai été ravie de cet hasard et en aurais profité pour faire un peu connaissance. Mais aujourd’hui, je n’avais pas franchement la tête à ça. J’aurai préféré faire ce devoir seule, pour ne pas à avoir à faire la discussion à quelqu’un. Là je vais devoir déployer beaucoup d’efforts pour apparaître comme normal, alors que je ne sais même plus ce que ce terme signifie. Quand elle finit par arriver à ma hauteur, je lui offris un sourire, qui se voulait ravi “Bonjour !”

Je ne me reconnais plus trop ces derniers temps. J’imagine qu’il n’y a rien d’anormal à cela au vu de tous les changements récents dans ma vie. Il va me falloir du temps pour digérer le contrecoup de l’attaque et tout ce qui peut graviter autour de ça. Il va aussi me falloir du temps pour accepter les changements personnels qui ont eu lieu dans ma vie. Rien d’insurmontable, j’aime à croire, en tout cas si j’arrive encore à m’en persuader c’est que tout n’est pas perdu, ça signifie que mon optimisme naturel est toujours là. Et c’est un peu dans cette optique de “rien ne va, mais tout va bien aller” que j’accueille l’arrivée de ma camarade de Gryffondor. Je dois avouer que je ne sais pas trop sur quel pied danser avec elle, ne la connaissant pas assez pour savoir si ce duo va bien se passer ou non. On est tous assez différents face aux travaux de groupe. Certains les apprécient, d’autres non. J’ignore dans quelle catégorie se situe ma camarade. En soit, je les apprécie pour ma part, c’est un excellent moment pour apprendre un peu à connaître les gens et partager un moment agréable ensemble. Enfin, personnellement j’ai toujours trouver que faire des recherches et écrire sur un sujet spécifique était un moment agréable mais je peux comprendre que cette pensée ne soit pas partager par tous. Mais là où d’ordinaire, ça m’enchante plutôt comme exercice, je dois avouer que pour une fois, ce n’est pas vraiment le cas. Rien de personnel contre Leo, le problème ne vient vraiment pas d’elle, mais plutôt de moi. Je n’ai pas trop la tête à faire semblant que tout va bien, je dois bien l’avouer, pourtant je ne vais pas trop avoir le choix. J’imagine que c’est préférable pour le coup d’être tombée sur elle, plutôt que sur une personne qui me connaît bien, au moins même si je parais un peu étrange, elle ne se posera pas trop de questions, se disant que je suis toujours comme ça.

J’affiche un sourire qui se veut jovial, mais qui se teinte d’une petite touche de tristesse. Sans vraiment que je ne m’en rende compte, Leo a bien vu qu’il n’était peut-être pas aussi sincère qu’il voulait bien le faire croire. Non pas que je ne suis pas contente de la voir ou de travailler avec elle, mais j’avoue qu’aujourd’hui, je m’en serai bien passée. Et pour dire vrai, je serai plutôt ravie si elle m’avouait ne pas apprécier ce genre d’exercice, me proposant de se partager le travail pour le faire chacune de son côté. Il faudra bien qu’on se trouve un moment pour mettre en commun, c’est un fait, mais au moins je pourrais travailler à mon rythme sans me mettre la pression et sans devoir me forcer à me concentrer au maximum pour ne pas être trop distraite, afin de ne pas faire perdre trop de temps à ma camarade. Elle me salue à son tour d’un ton tout à fait aimable. Je la laisse s’installer tranquillement en face de moi, la regardant sortir ses affaires d’un regard un peu distrait. Les miennes sont déjà sur la table, prête à être utilisé. Elle me demande par quoi on commençait et je réponds, plus par habitude qu’autre chose, “Avant de commencer à sélectionner les ouvrages qui parlent du sujet qui nous intéresse, il serait peut-être intéressant de faire le point sur ce que nous savons déjà, histoire de faire un rapide état des lieux de nos connaissances. Que savons nous sur la potion Oculus ?” Mon regard glisse sur le sujet que j'ai devant les yeux et prends moi même le temps d'y réfléchir un peu pour qu'on puisse avancer rapidement sans perdre trop de temps.

Plus vite on aura commencé et plus vite on aura terminé. Cette pensée ne me ressemble tellement pas qu’elle me choque presque. Pourtant c’est la mienne en cet instant. Ce n’est pas contre Leo, je serai avec n’importe qui, je n’aurai pas envie d’être ici. J’ai un peu l’impression que tout cela ne rime à rien. Il n’y a pas si longtemps, j’étais allongée, presque mourante, dans un lit à l’infirmerie et maintenant je dois faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Sauf que rien ne va, concrètement parlant. Enfin rien … si, je suis en vie, j’imagine que ça, c’est plutôt positif. J’ai retrouvé Ollie, ce qui m’enchante tout autant. Mais au delà de ça, de quoi peut-on vraiment se réjouir ? Artemisia est toujours à l’infirmerie, souffrante et silencieuse. Mes rêves sont peuplés de cauchemars. Je vis dans la peur constante qu’il se passe de nouveau quelque chose. Et ce retour à la réalité est bien plus violent que je ne l’aurai cru. Pourtant je l’attendais avec impatience, mais finalement il n’est pas aussi libérateur que je ne l’aurai cru. Et je pense que revoir mes parents ne m’a pas aidé non plus. Je suis contente qu’ils aillent bien et flattée qu’ils se soient inquiétés pour moi, mais n’est-ce pas un peu tard ? A Noël, c’est à peine si j’existais, me laissant passer les fêtes de fin d’années à Poudlard, bien trop occupés pour se souvenir qu’ils avaient une fille. Lors de mon entrée à l’infirmerie, ma mère a préféré opéré un parfait inconnu plutôt que de me soigner moi. Il y a un moment donné où il faut juste arrêter de jouer la comédie et dire les choses telles qu’elles sont. Mon existence n’a que peu d’importance pour eux tant leur carrière est importante à leurs yeux. Mais même au delà de ça, j’ai cru déceler quelque chose en plus, que je n’avais jamais remarqué avant. Ils m’apparaissaient comme deux inconnus, non pour moi, mais entre eux. C’était comme s’ils ne partageaient plus la même vie. N’est-ce pas bizarre ? Je ne connais pas encore le fin mot de cette histoire, mais j’ai peur de découvrir que beaucoup de choses ont changé durant mon absence et pas de celles que je vais apprécier.

Mais j'essaye de ne pas me concentrer sur tout ça, histoire de ne pas parasiter inutilement mon esprit et je me concentre sur Leo et sur le devoir que nous devons faire ensemble. La potion Oculus. Vaste programme. Etrangement, cela me fait penser à Ollie. Non pas qu'il ait réellement des problèmes de vues mais parce que ça fait écho a une anecdote que nous avons vécu tous les deux durant la Saint Valentin. Oeil de Lyncée, qu'il voulait rebapter Oeil de Lloyd. Ce fut un échec, mais peut-être qu'avec cette potion, il aurait plus de chance de réussir, sait-on jamais. J'esquisse un vague sourire en repensant à ce moment passé avec lui, mais me rend compte un peu tardivement que je m'égare à nouveau. Je ne suis définitivement pas dans mon assiette, cela ne me ressemble pas. Je sens mes joues rosirent très légèrement, autant parce que je me rends compte que je pense à Ollie, que parce que je me rends compte que je ne suis pas attentive. Je me ressaisie bien vite et me concentre sur les propos de Leo. Donc la potion, que sait-on dessus ? Elle me narre tout ce qu'elle sait sur la potion. Je hoche la tête quand elle dit que c'est une potion qui est en rapport avec les yeux. C'est exactement vrai et je le note sur mon parchemin. Elle décrit les ingrédients qui la composent et je les note au fur et à mesure sur mon parchemin. Une fois que nous terminâmes de noter ce que venait de dire Leo, elle me demanda si je connaissais la recette, je hochais une nouvelle fois la tête. “Oui ! Il y a à peu près treize étapes à la préparation, qui changeront à chaque fois la couleur de la potion. Les ingrédients sont ajoutés en deux fois et il faut toujours remuer dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Et la couleur finale sera orange.” Je ne rentre pas dans les détails parce que ça pourrait être long, mais je sais qu'on peut retrouver facilement la recette dans les manuels, même si au fond je pourrais normalement les citer par coeur. L'idée c'est qu'on sache comment la préparer et qu'à chaque fois la couleur de potion change, nous donnant une indication sur le bon processus en cours. Si la couleur ne change pas ou pas de la bonne couleur, on peut facilement savoir qu'il y a un bug dans la potion et dans ce cas là, repartir à zéro. Je pense qu'on n'est pas trop mal, à mon avis on risque d'aller assez vite finalement sur le devoir, j'imagine qu'on aura l'étape de la préparation au prochain cours, ça me semble être assez logique. “Comment tu veux articuler le devoir ? Origine de la potion, ses effets et la préparation ?” Lui demandais-je en souriant.