Les yeux voilés de fatigue, l’humeur sombre, Casey quitta sa salle commune le sac alourdis de grimoires, dont très peu étaient destinés aux cours du jour. Après les Potions, elle comptait bien passer les deux heures qui la séparaient du cours de Botanique à approfondir ses recherches. Qui, pour le moment, ne menaient nulle part. Il faut dire qu’elle s’était lancé un objectif peut-être légèrement ambitieux. Mais la situation actuelle nécessitait qu’elle aille jusqu’au bout. De préférence, avec un résultat positif, une solution à trouver, bien qu’elle en doute fortement. C’était plus par acquis de conscience qu’elle écumait tous les livres à sa disposition, regrettant, pour la première et unique fois de son existence, de ne pas être au manoir Pumpkin où la bibliothèque familiale contenait des ouvrages bien plus intéressants que ceux de la bibliothèque du château. Plus intéressant dans le sens qui l’occupait actuellement, du moins. Casey aurait pu en discuter avec Narcissa, mais cette dernière n’était plus qu’un souvenir dans les couloirs du château. Elle aurait pu envoyer une lettre à son géniteur pour lui demander s’il possédait des livres traitant du sujet en question, mais cette simple idée la répugnait. Et ce n’était pas ses expérimentations et recherches entreprises avec Felicia qui allaient l’aider, bien qu’elle gardait à l’esprit que la magie noire pourrait lui être utile, et avait toujours une petite alarme dans un coin de son esprit, au cas où.

En descendant dans la Grande Salle, elle croisa d’ailleurs le regard de la Poufsouffle, vers laquelle elle s’avança, la saluant simplement, avant de jeter un regard impassible autour d’elles. Constatant qu’elles étaient à peu près seules, dans un coin du Hall, et que personne ne faisait attention à elles, la blonde la questionna au sujet de l’avancée de leurs recherches communes. Leur toute première expérience, l’année passée, ne s’était pas trop mal déroulée, mais elles voulaient aller plus loin, bien évidemment, et cela demandait une meilleure préparation. Les deux jeunes sorcières avaient joué avec le feu en tentant de réaliser une potion alors que la traduction de la recette n’était que partielle. Mais rien de très méchant ne leur était arrivé. Il en aurait fallu beaucoup, de toute façon, pour qu’elles consentent à faire machine arrière et à ne plus fouiller cette branche là de la magie. La fin de leur discussion fut abrégée par un élève de Poufsouffle qui interpella Felicia. La préfète la salua, elles se confirmèrent rapidement leur prochain rendez-vous, et laissa là Casey. Cette dernière estimait la Williams, ainsi que Tracy qui était également préfète, pour le rôle qu’elles endossaient. Jamais ce poste ne l’attirerait : devoir constamment être prêt à répondre présent pour aider, aiguiller, écouter, ses camarades, ce n’était définitivement pas quelque chose fait pour elle. Et cela rajoutait une trop grande charge de travail qui empiétait de fait sur les cours et ses recherches parallèles. Tout ça pour une vague reconnaissance ? Non, ça ne semblait définitivement pas un rôle agréable pour Casey, mais elle considérait malgré tout à leur juste valeur ceux de ses connaissances qui le tenaient avec plus ou moins de brio.

Les préfets n’étaient visiblement pas les seuls à être sollicités par leur camarade et, les sourcils froncés, Casey tourna le regard vers le garçon qui s’était dirigé vers elle avec la franche intention de lui parler. Il connaissait son prénom, c’était donc qu’il ne s’était pas trompé de personne, au grand dépit de la Serdaigle. Elle s’apprêtait à lui dire qu’il la dérangeait en effet et qu’elle n’avait pas le temps de lui parler de quoique ce soit, mais sa requête, appuyée par des mots de politesse rapidement lâchés, comme pour la retenir quelques secondes, lui firent ravaler les mots qui lui étaient venus naturellement. De quoi ? lâcha-t-elle, sans cacher le fait que ça ne l’enchantait pas particulièrement, mais gardant pour l’instant un ton neutre. Et puis, il fallait bien admettre qu'elle était un peu curieuse de savoir ce qu'il lui voulait.

Si le garçon lui disait vaguement quelque chose, elle n’arrivait pas à remettre de prénom sur son visage. Ce n’était, en soit, pas étonnant. À force d’arpenter les mêmes couloirs, tous les jours, des mois et des années durant, elle finissait par enregistrer certains traits sans même n’avoir jamais parlé à leurs propriétaires. Il était plus jeune qu’elle, en tout cas, aussi Casey était-elle sûre de ne pas partager de cours avec lui. Elle pouvait donc éliminer la possibilité qu’il vienne lui demander ses notes sur tel ou tel cours. Parce que tandis qu’il balbutiait quelques paroles sans aucun sens important, la blonde réfléchissait à ce qu’il pouvait bien lui vouloir, et elle ne trouvait rien de valable. Il fallait dire qu’elle n’avait pas le moindre début de piste, si ce n’est qu’il connaissait son prénom et elle non. Que… ? Le fait qu’il semble nager en pleine hésitation mêlée à un manque d’assurance jouait cependant en sa faveur, pour l’instant, puisque Casey avait tendance à préférer laisser une porte entrouverte à ceux qui n’arrivaient pas, sûrs d’eux, empiétant sur tout sur leur passage. Quelque soit ce dont il voulait lui faire part, il était au moins parvenu à ne pas braquer directement la Serdaigle, ce qui était déjà une petite réussite.

Fronçant légèrement les sourcils à la mention de certaines rumeurs, Casey se renfrogna imperceptiblement. Elle savait bien qu’elle avait été l’objet de pas mal de ragots, l’année dernière surtout, à cause de cette histoire avec Zach notamment, mais si elle écoutait ce qu’il se disait, histoire d’être au courant, elle n’y prêtait en général pas plus d’attention que ça. Au point que, cette année, elle n’avait même pas tendu l’oreille et ne savait même pas si de nouvelles rumeurs circulaient à son sujet. Des rumeurs ? répéta-t-elle, assez froidement. Est-ce qu’il essayait d’être gentil ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par le fait qu’elle était quelqu’un d’inspirant ? C’était une blague ? La Serdaigle avait toujours du mal à saisir les double-sens de ce genre, aussi se méfiait-elle toujours, n’arrivant pas à savoir s’il était sérieux ou s’il était entrain de se moquer d’elle, même si la seconde option semblait plus vraisemblable tant la manière dont il la décrivait était… invraisemblable. Une chose était sûre, qu’importe la manière dont il trouvait qu’elle se démarquait, ce n’était effectivement pas volontaire du tout, en ça, il avait bien raison. Non, en effet, pas le moins du monde. Et ça ne lui disait toujours pas où il voulait en venir. Ou alors il était juste venu là pour lui dire ça, et ça ne ferait que rendre le tout encore plus étrange.

Il enchaîna en parlant de la soirée d’Halloween l’année passée, et tout lui revint en mémoire au moment où il mentionna les chasseurs. Casey évitait autant que possible de repenser à cette soirée, mais elle se souvenait encore très bien de ce qu’il s’y était passé et de qui était avec elle. Le garçon lui était sorti de l’esprit mais maintenant qu’elle faisait les liens, elle se rappelait bien avoir partagé ce cauchemar avec lui, en plus des deux autres filles de Poufsouffle. La mention de Daniela lui arracha un soupir, c’est vrai que sa camarade lui en voulait, elle l’avait bien compris à la soirée de Noël qui avait suivi, et elle trouvait ça pathétique de rejeter le mal-être que le cauchemar avait créé sur elle, alors qu’elle n’aurait rien pu faire pour l’aider, de toute façon, mais elle ne cherchait en aucun cas à se faire pardonner de sa part, n’en ayant toujours rien à faire. Tu es dans l’équipe de Quidditch de Serpentard, n’est-ce pas ? demanda-t-elle alors que le match contre l’équipe de Brooklyn se rejouait dans son esprit, certaine de l’avoir vu parmi les joueurs. Voilà pourquoi il lui disait quelque chose, entre Halloween et le Quidditch, elle l’avait déjà croisé plus de fois qu’elle ne le pensait. Je me souviens d’Halloween, oui, c’était de ça que tu voulais me parler ? Parce qu’il pouvait passer son chemin tout de suite, le cas échéant. Même s’il semblait trouver aussi que Daniela exagérait avec sa réaction de princesse outragée, Casey n’avait aucune envie de reparler de cette soirée.

Le rapport qu’entretenait Casey avec les rumeurs était assez ambivalent. D’un côté, elle les écoutait avec attention, comme une source potentielle de savoir et d’information ; de l’autre, elle s’en détachait toujours et les traitait avec circonspection, quand ça n’était pas un sourd agacement lorsqu’elle se rapportaient à sa propre personne. Une chose était sûre : elles avaient créé pas mal de dégâts l’année passée, entre Casey et Brooklyn, et, pour cette raison, son visage se ferma et son regard s’assombrit quelque peu alors que le jeune homme lui résumait rapidement celles auxquelles il pensait. Le caractère de la Serdaigle froid et distant, cette histoire avec Zach… Évidemment, bien évidemment, Zach revenait toujours. Il faut dire que la blonde était d’une nature plutôt renfermée et solitaire, ce qui ne laissait pas grande prise aux ragots croustillants. Alors cette fois, où les deux Serdaigle s’étaient rendus ensemble à l’Infirmerie, main dans la main, ça nourrissait pas mal de conversations. Mais plus d’un an après, Casey aurait bien aimé que plus personne ne s’en souvienne, même si elle n’en montra rien du tout. Zach et elle s’étaient expliqués, les choses étaient redevenues aussi amicales qu’avant, et Brooklyn semblait avoir compris qu’elle n’avait jamais sciemment choisi de faire passer son préfet avant son ami d’enfance. Le jeune Serpentard n’avait pas l’air d’y accorder une quelconque importance, jugeant les rumeurs non pertinentes, ce que Casey trouva étrange : pourquoi mentionner d’entrée de jeu quelque chose que l’on jugeait inadéquat ? Peut-être que lorsqu’il lui aurait dit clairement ce qu’il attendait de cette conversation elle comprendrait, en attendant, c’était loin d’être le cas. C’est pour cela que ce ne sont que des rumeurs approuva-t-elle à demi-mot.

Contrairement à bon nombre de leurs camarades, le Serpentard qui lui faisait face ne semblait pas être rebuté par la distance indifférente qu’elle mettait constamment entre elle et les autres. Il lui adressa même un sourire. Puis lui confirma qu’il était effectivement dans l’équipe de Quidditch des Serpentard, au poste d’attrapeur. Il avait attrapé le Vif d’or au nez et à la barbe de Zach lors du dernier match, ce qui était tout à son honneur, l’attrapeur des Serdaigle étant plutôt très bon à son poste. Bravo pour votre victoire lui dit-elle, bonne joueuse. Tout comme elle n’avait pas hésité une seconde à féliciter Brooklyn après qu’ils aient emporté le match. Casey ne jouait pas pour la gloire de gagner, cela reposait sur trop de facteurs qui ne dépendaient pas d’elle pour qu’elle veuille miser là-dessus ; non, elle jouait pour se dépasser, et tant que son propre jeu lui semblait bon et qu’elle estimait avoir assuré son poste avec brio, peu lui importait que l’équipe gagne ou non. Si, au passage, elle pouvait mettre quelques tacles à son demi-frère, ce n’était pas pour lui déplaire.

Rosenbach, c’était Rosenbach, mais son prénom lui échappait encore, pourtant elle le connaissait, c’était certain, ne serait-ce que parce qu’ils avaient effectivement passé leur Halloween précédent dans le même cauchemar. Casey lui demanda si c’était de ça dont il voulait lui parler - autant couper court immédiatemment à une conversation qui s’étirait déjà bien au-delà que ce dont elle avait l’habitude avec un camarade qu’elle ne connaissait pas ou très peu - et un blanc s’installa après son hésitation. Une seconde, et une deuxième, puis une troisième, encore une quatrième… La blonde attendait, son regard ancré dans le sien, qu’il poursuive, et fut assez satisfaite qu’il le fasse en réfutant sa question précédente. Bien, elle n’aurait pas à esquiver sèchement un sujet qui ne lui plaisait absolument pas. Cependant, la satisfaction s’estompa très rapidement, remplacée par l’incrédulité. Unique ? Super jolie ? Compliment ? C’était peu dire que Casey n’était pas habituée à entendre ce genre de discours, pas qui lui soit directement adressé, en tout cas. C’était encore plus étonnant venant d’un élève plus jeune qu’elle et qu’elle ne connaissait pas. Ça aurait pu être moins étrange si c’était venu de Brooklyn par exemple. Au moment où la comparaison s’effectuait dans son esprit, son ventre effectua une étrange embardée désagréable, et elle fit marche arrière immédiatemment. Non, ce serait très dérangeant également, peut-être même pire. Tu ne... La blonde s’interrompit net en le voyant sortir quelque chose de sa poche, un quelque chose qu’il lui tendit, en poursuivant. Casey l’écouta en silence, un regard un brin suspicieux posé sur le présent, qu’elle finit par prendre, lentement, entre ses doigts. Tu ne me connais pas du tout. Ce n’était ni une question, ni une phrase laissé en suspens, juste une affirmation qui pouvait laisser comprendre un certain étonnement.

L’idée - qui s’insinuait lentement depuis qu’il avait commencé à lui faire des compliments étranges - qu’il s’agisse d’une mauvaise blague entre Serpentard lui fit poser un regard inmpassible sur le paquet. Je ne suis pas cool. Ni inspirante. commença-t-elle avant de lui retendre le petit paquet. Je suppose qu’il s’agit d’une blague entre amis ? La mise en scène témoigne d’un effort mais c’est inutile, tu peux tenter de donner ce cadeau à quelqu’un d’autre. Si c’était effectivement un pari stupide, Casey n’en serait pas la farce aujourd’hui. Et si vraiment il n’y avait rien de mal dans ce paquet, elle s’évitait une incompréhension totale face à un geste des plus étranges. Il pourrait toujours lui ouvrir devant les yeux si vraiment rien de désagréable ne s’y trouvait.

Le bras tendu dans sa direction, Casey rendit le paquet à son premier propriétaire, étudiant les expressions qui passaient sur son visage. Il sembla légèrement déconfit en comprenant que la blonde n’allait rien ouvrir du tout, pas dans ce couloir, et pas de sa part en tout cas, mais se recomposa rapidement une expression sérieuse et calme. Ce qui ne l’aidait pas des masses à convaincre la Serdaigle qu’il n’avait rien à se reprocher. Il protesta avec véhémence, arguant qu’il ne s’agissait pas du tout d’une blague, mais Casey se contenta d’un haussement de sourcil sceptique. Scepticisme qui s’évanouit comme neige au soleil quand le jeune garçon se proposa pour ouvrir lui-même le paquet afin de lui montrer qu’elle n’avait rien à craindre de ce qu’il renfermait. Est-ce qu’il était sérieux ? La jeune femme avait trop l’habitude de douter de tout et de tout le monde, et principalement de leurs bonnes intentions, pour croire réellement que ce gosse, à ses yeux, sorti de nulle part, voulait sincèrement lui offrir un cadeau et la trouvait, quoi déjà, inspirante et cool ? Désormais interloquée, elle le regarda déchirer l’emballage qui entourait le paquet et l’ouvrir sous ses yeux.

Et puis alors là. La blonde s’était attendue à à peu près tout, de la farce qui lui aurait envoyé un liquide visqueux au visage, à un réel cadeau sans grand intérêt, mais certainement pas à ça. Ses yeux s’agrandirent sous le coup de la surprise pendant que son esprit tentait d’assimiler les papillons bleus, les papillons violets, les paillettes qui les recouvrirent bientôt tous deux, le sourire de son interlocuteur, visiblement fier de son petit effet, les biscuits qu’il lui proposa. Et après quelques secondes de silence, un son inhabituel la secoua, la poussant à toussoter contre son poing replié pour ne pas laisser le fou rire nerveux la gagner. Garder son flegme habituel lui demanda un effort immense, pour la première fois depuis très longtemps, et quand elle retrouva son calme, ses yeux brillaient encore d’une humidité amusée. Tu as eu l’idée des papillons et des paillettes tout seul ? Ou quelqu’un t’a soufflé que c’était la bonne chose à faire ? Elle était réellement curieuse de savoir où il était allé pêcher cette idée, même si le rire n’était pas très loin et qu’un rien pourrait de nouveau le déclencher. Prenant une grande inspiration pour ravaler l'incontrôlable humeur qui s’était emparée d’elle, Casey posa un regard sur les biscuits que Rosenbach lui présentait. Il mettait du coeur à l’ouvrage, elle ne pouvait pas lui ôter cela. L’idée qu’il se soit ridiculisé volontairement à coup de paillettes et papillons pour qu’elle baisse sa garde et mange un gâteau sans se douter de rien lui traversa l’esprit. Mais elle l’écarta, et ne lui demanda pas de goûter un quelconque biscuit. Dans le pire des cas, il serait dégueulasse et le gamin serait content de sa petite blague. Qu’importe, elle avait eu le droit à un spectacle des plus étonnants, et probablement que de nombreux bruits de couloir circuleraient sur ce fait d’ici peu, mais pour une fois, Casey n’en avait cure. S’il y en avait un des deux qui devait se sentir gêné dans l’histoire, ça n’était pas franchement elle. Je veux bien en goûter un lâcha-t-elle, décidant que le Serpentard s’était déjà mis dans une position des plus inconfortables pour qu’elle n’en rajoute pas une couche en refusant en plus de goûter les biscuits. Il s’avéra qu’ils étaient très bons, ravissant la gourmandise de la blonde. Tu les as faits toi-même ? demanda-t-elle finalement, ne parvenant pas à rester silencieuse face au spectacle du garçon recouvert de paillettes en face d’elle. Elle ne devait pas être complètement exempte de brillant non plus, mais elle n’assistait pas à ce spectacle, au moins.