Même si cela lui avait pris du temps pour admettre et mettre en place cet état d'esprit, plusieurs années aux bas mots, le jeune homme savait qu'il était foncièrement bon et généreux, si bien que la situation dans laquelle il se trouvait était tout sauf facile pour lui. Alors qu'il peinait encore à trouver ses marques dans ce nouvel environnement, à trouver quel genre de professeur il souhaitait être, il avait été mis face à un violent dilemme. Une de ses élèves était venue lui faire part d'inquiétants courriers qui sentaient bon le complot pour la suprématie des sang-purs et, fort de cette information, Nathan avait été forcé de faire un choix. La sécurité d'une élève ou l'éventuelle protection de tout le monde ? Il avait opté pour la seconde option en demandant à son élève de se montrer discrète et de ne rien faire sans son accord, par pure sécurité.
Certes il ne lui restait plus qu'à attendre les mises à jours de son élève, si jamais de nouvelles informations étaient transmises, mais en attendant il avait pris une décision d'en parler à un autre de ses collègues. Pourquoi ? Pour demander conseil à une personne plus suspicieuse et habitué aux enquêtes que lui, une personne moins naïve mais, surtout, pour qu'il ne soit pas le seul dans la boucle si jamais il devait lui arriver malheur. Fort de sa faible connaissance de ses collègues il avait donc jeté son dévolu sur le professeur Mandrake qui, en plus d'avoir de l'expérience sur le terrain, semblait assez calme et réfléchi pour que les deux adultes puissent mener une réflexion utile. Plusieurs jours s'étaient écoulés et, enfin, Nathanael avait reçu l'accord de son collègue pour passer à son bureau en soirée, lorsque les couloirs de l'école seraient normalement totalement déserts.

Vêtu d'une chemise blanche aux manches retroussées, tenant deux verres dans une main et une belle bouteille de Dalmore, un whisky single malt de 12 ans d'âge, le londonien frappa à la porte du bureau de son collègue. En tendant l'oreille il perçut une voix l'invitant à rentrer à l'intérieur, un peu plus profondément, certainement dans la partie privée de son bureau. Aussi discrètement que possible, l'athlète pénétra donc dans la salle et, refermant la porte derrière lui, prit une profonde inspiration avant de se diriger vers la direction d'où provenait la voix.

Cela faisait depuis la rentrée qu'il n'avait pas croisé son collègue, rien d'étonnant à cela puisque le baroudeur passait le plus clair de son temps en bordure de la forêt interdite, mais c'était toujours un plaisir que d'apprendre à connaître l'un de ses collègues. L'un de ses pairs. La poignée de main fut donc vigoureuse et, si le regard du londonien dériva un court instant vert la vilaine brûlure que son camarade avait à son bras, le gentleman fut assez respectueux pour ne pas aborder le sujet. La curiosité était un vilain défaut lorsqu'elle n'était pas maîtrisée et, assurément, Nate ne se permettra pas de question son camarade à ce sujet si celui-ci ne l'abordait pas en premier lieu.

- Allons, pas de ça entre nous. Nathanael suffira bien. Merci de me recevoir en tout cas.

Nathanael, Nathan, Nath ou Nate, tels étaient les noms par lesquels le jeune homme était appelé. Certes il comprenait le besoin de formalisme de son collègue, surtout parce que les deux ne se connaissaient finalement pas du tout, mais c'était la spécialité de l'Armstrong que de briser la glace. Il n'allait pas obliger cet homme-là à le tutoyer s'il n'en ressentait pas le besoin, mais le prénom serait déjà une première étape.
Alors que le regard de l'ami des bêtes se perdait sur le décor autour de lui, il fut coupé court dans son élan lorsque son collègue évoqua les encyclopédies qui portaient le nom de l'Armstrong. Le concerné ouvrit des yeux ronds comme des culs de bouteilles, surpris, cherchant quoi dire avant de réussir à balbutier un début de réponse.

- Ah...euh...oui, effectivement. C'est bien moi. Je ne pensais pas que quelqu'un, ici, en avait eu connaissance.

C'était bien le premier collègue qui évoquait les travaux du jeune homme et, si cela faisait toujours du bien à l’ego, c'était surtout la surprise qui primait chez l'écrivain à l'heure actuelle. Fort heureusement il parvint à remettre de l'ordre dans ses pensées et profiter de la vue que lui offrait le bureau de son collègue. C'était...bien fourni, c'était le moins que l'on puisse dire et les deux sièges face à la cheminée rajoutaient un petit confort qui n'était pas désagréable.

- Très sympa comme bureau, en tout cas. Rien à voir avec le mien.

Le sien était plus fonctionnement que confortable, plus pratique que beau mais de toute façon il ne recevait jamais de visites. Alors à quoi bon décorer ? Il n'y restait jamais pour autre chose que dormir, ses cours se déroulant plus généralement en plein air.
Se forçant à sourire pour masquer son inconfort passager, l'athlète suivit son collègue et s'enfonça dans un des fauteuils les plus confortables sur lequel il avait jamais posé ses fesses. Non mais sans rire, il allait avoir toutes les difficultés du monde à en sortir !

- Bon, et si on rentrait dans le vif du sujet ? Au fait, ai-je l'autorisation de fumer ?

Le vif du sujet ? Il ne s'agissait nullement de cette histoire de courrier ou de complots mais bien de la belle bouteille qu'il gigotait légèrement entre ses doigts. Il posa les verres et la bouteille sur la table la plus proche avant d'enfin verser le précieux liquide dans les deux récipients. Si son collègue portait le verre à son nez il ressentirait quelques odeurs de fruit mûr, abricot et pêche principalement, accompagnées d'un peu de cacao et de zestes d'orange. Si l'odeur en elle-même était pleine de promesse, le goût prononcé ne décevrait nullement l'un ou l'autre adulte. Orange et noix avec une petite note salée, le goût du précieux nectar n'était ni trop doux ni trop amer.

Juste ce qu'il fallait.

Spoiler:

Jusqu'à présent les seuls professionnels que le jeune homme avait pu approcher étaient ses confrères qui évoluaient dans les mêmes sphères que lui, qui s'intéressaient aux mêmes créatures que lui et qui étaient aussi naturellement curieux que lui, mais rares avaient été ses occasions de sortir de cette sphère pour découvrir autre chose. Certes le londonien était très curieux de nature, il l'avouait bien volontiers, mais il avait eu trop peu de contacts humains durant la décennie précédente pour pouvoir sortir de sa zone de confort et pouvoir en apprendre d'autres sorciers comme l'ancien Auror juste devant lui. Si il avait la certitude que tous ces échanges seraient riches d'enseignements, ce n'était malheureusement pas cette volonté première qui avait justifié son choix de tenir son collègue informé du complot en cours. Son collègue avait évolué dans les ténèbres pendant plusieurs années et, si Nathanael se savait être un duelliste très compétent, sa maîtrise des sortilèges ferait sans doute pâle figure face à celle du professeur Mandrake.
Ce n'était pas un aveu de faiblesse que de conclure que John était plus doué que lui, une baguette à la main, car c'était sans doute la pure vérité. Chaque individu était amené à choisir sa voie, à se spécialiser dans un domaine bien spécifique en délaissant immanquablement les autres : il ne pouvait en être autrement. Certes il était tout à fait possible que son collègue soit aussi perdu que lui dans cette histoire, qu'il ne sache pas par quel bout prendre cette affaire mais le londonien savait que deux têtes étaient toujours plus efficaces qu'une seule. Telle était la raison de sa venue.

Le jeune homme fut donc gentiment accueilli par son collègue qui, à sa grande surprise, fit l'éloge d'un des premiers ouvrages du professeur. Ce dernier, immobile, les yeux ronds comme des soucoupes pendant deux bonnes dizaines de secondes, n'en revint pas que quelqu'un ait apprécié cet ouvrage qui avait peiné à trouver son public. Il était vrai qu'il y décrivait des méthodes peu orthodoxes pour traquer et blesser un loup-garou, mais jusqu'à présent le londonien n'avait jamais rencontré quelqu'un qui avait trouvé une réelle utilité à cet écrit. Certes discuter de cela avait d'autres spécialistes des créatures magiques était une chose, mais recevoir un tel compliment de la part d'un prestigieux Auror ? Cette seule idée lui fit réellement chaud au cœur et, su Nathanael peinait à repousser du pied cet élan de fierté qui montait en lui, il ne put retirer ce petit sourire avant de formuler sa réponse.

- Vraiment ? C'est très gentil, merci. À force de passer du temps avec les moldus, lorsque j'écris sur une bête je prend l'habitude d'étudier les éléments présents dans le folklore moldu. Je n'ai que rarement eu l'occasion de tester ces connaissances sur le terrain, mais vous me voyez ravi d'apprendre que cela a pu être utile à quelqu'un. Ça fait plaisir.

L'espace d'un instant il fut tenté de demander si le folklore moldu sur les vampires et le pieu dans le cœur était exact, mais il repoussa cette idée dans un coin de sa tête en se rappelant de la raison de sa présence dans ce bureau. Ils auraient sans doute bien d'autres occasions de parler de leurs expériences passées afin d'en apprendre plus l'un sur l'autre, d'en apprendre plus tout court, mais le moment n'était pas encore venu.

- Bienvenue au club, dans ce cas. Ça ne me dérange pas, bien au contraire.

On pouvait difficilement faire plus fière et vieille famille que celle des Armstrongs aussi le jeune homme comprenait tout à fait la position de son collègue. Coincé entre des goûts de luxe et une culture moldue qui leur avait été sans doute masquée ou interdite pendant une partie de leur enfance.
Bientôt les deux adultes s'enfoncèrent dans leurs fauteuils respectifs et, si l'Armstrong remercia John pour la cigarette, il empoigna délicatement son verre pour y laisser couler ce chaud liquide jusqu'au fond de ses entrailles. Si les compliments de son camarde avaient réchauffé son cœur c'était une toute autre forme de chaleur qui s'emparait de lui à présent et, passé le goût un peu surprenant, Nathan s'enfonça un peu plus dans son siège en ponctua cette dégustation d'un :

- Ouh, ça fait du bien.

L'appel du devoir vint donc sonner de nouveau et, aussitôt, Nate posa son verre sur la table avant d'attraper les lettres cachées dans la poche arrière de son pantalon. Jetant un œil presque absent sur ces trois lettres alors qu'il se remémorait leur contenu sans difficulté, il dévoila la raison de sa présence sur un ton neutre.

- Plus sérieusement, on a un problème de suprémaciste sang-pur sur les bras.

Attrapant une cigarette pour l'allumer avec son zippo, Nathan ouvrit d'une main les courriers devant lui tout en tirant une grande bouffée sur sa cigarette.

- Une de mes élèves m'a...confié ces lettres anonymes, reçues quelques jours plus tôt. Il est fait mention de l'attaque récente dont vous avez entendu parler, du laxisme apparent de l'administration et d'une volonté de changer les choses sans être apparenté à Blackman pour autant.

Posant les deux premiers courriers anonyme sur la table, à portée de son cher collègue, le garçon s'attarda ensuite sur la dernière lettre anonyme qui, cette fois-ci, lui avait été directement envoyée. Il y était fait mention d'une suite d'ingrédients assez étranges et qui, si mixés ensembles, devaient donner un résultat qui était encore inconnu de l'enseignant. Une partie de ces éléments avait-elle été demandée juste pour brouiller les pistes ? Plusieurs potions ou poisons pouvaient-ils être construits avec cette liste ? Il naviguait en eaux troubles et avait besoin de l'aide d'un professionnel.

- Certains élèves de notre école sont concernés et mon élève a pris sur elle de m'en faire part, pour jouer les agents doubles. Les lettres font mention de composants à récupérer dans un but qui m'échappe et, justement, c'est pour cela que je viens vous voir.

Les deux premières lettres faisaient aussi mention du petit écusson en forme de goutte de sang que certains élèves portaient, le symbole de leur rassemblement en quelque sorte. Tirant une seconde bouffée sur son poison en tube, laissant à son collègue le déplaisir de se rendre compte de la situation, il conclut son intervention en lui présentant la liste d'ingrédients tout en se fendant d'un :

- Si ce complot est avéré, c'est clairement trop gros pour moi tout seul. Je ne sais même pas par où commencer. Ce n'est pas mon domaine de prédilection et c'est pourquoi je m'en remet à quelqu'un avec plus d'expérience que moi. Vous.

La plupart des sang-purs que le jeune connaissait étaient bouffis d'orgueils et de préjugés, possédaient une très haute opinion d'eux-même et, plus généralement, ils étaient des individus totalement incapables d'accepter leurs erreurs et de se remettre en question. Certes ses connaissances dans le domaine laissaient clairement à hésiter, triste symbole de son éducation et de ses liens familiaux, mais voilà comment le jeune homme aurait dû être s'il avait suivi la voie qui lui avait été indiquée. Pourtant sans être bouffi d'orgueil et incapable de voir la vérité en face, il était toujours compliqué pour n'importe quelle personne avec une once d'égo d'admettre publiquement quand elle avait tort et, le cas échéant, de demander de l'aide si elle ne pouvait pas corriger elle-même cette complexe situation. Nathanael ne faisait pas exception à la règle car, s'il faisait rarement part de ses difficultés à ses rares proches, ou du moins à ceux avec qui il avait encore quelques contacts, il n'en restait pas moins un homme assez familier avec le concept d'échec.

Par le passé, s'il s'était trouvé dans pareille situation, il aurait opté pour l'option de l'enfermement, du silence, du déchirement interne à la recherche d'une solution à son problème et, avec du recul, peut-être aurait-il échoué dans cette difficile entreprise. Mais fort heureusement le jeune homme avait eu assez de temps pour grandir et mûrir, pour faire son lot d'erreurs et d'apprendre de ces derniers si bien qu'il n'eut aucune difficulté à contacter son collègue. Bien sûr une partie de lui aurait voulu pouvoir régler cette situation tout seul, sans l'aide de quiconque, mais fort heureusement l'ego du londonien n'était pas assez grand pour venir prendre le pas sur son bon sens et sa capacité de réflexion.
Bien entendu pour le moment la conversation se portait toujours sur les moldus mais le londonien n'oubliait pas la raison première de sa venue ici, pour le moment ils échangeaient peut-être des banalités mais bientôt ils ne tarderaient pas à rentrer dans le vif du sujet. Souriant face à l'étonnant de son camarade concernant les prouesses technologiques des moldus, se rappelant de ses premiers jours dans ce monde qui lui était bien trop étranger, Nathan ne tarda pas à réagir.

- Ils sont inventifs, on ne peut pas leur enlever ça. Au départ j'avais quelques préjugés à leur sujet mais, à force de les côtoyer, j'ai fini par les apprécier. Ils sont...étonnants.

Oh oui étonnant c'était le mot car s'ils n'étaient pas conscient du monde magique qui les entourait, ils étaient arrivés à dompter leur environnement à force d'innovation et étaient presque devenus les maîtres de leur petit monde. Une telle détermination forçait le respect et, si ces moldus étaient aussi prompts à user de violence que bon nombre de sorciers, Nathanael aimait à penser qu'ils étaient aussi capables du meilleur. Et oui, que voulez-vous, il avait une fâcheuse tendance à essayer de voir le meilleur en chacun de ses congénères : les moldus ne faisaient pas exception.
Bientôt fut le temps pour les deux professeur d'aborder la véritable raison de la présence de l'athlète. Nathanael détailla la situation autant que possible, espérant n'avoir rien oublié et, enfin, resta silencieux en attendant l'analyse de l'expert de la pièce. Avait-il vent de ces événements ? Avait-il déjà un avis sur le sujet, une autre vision des choses ? Les explications débutèrent lorsque le Mandrake émit certains doutes quant à la véracité du complet ainsi que la cohérence de la liste d'ingrédients. Effectivement cela pouvait sembler invraisemblable de voir un collègue arriver en criant au complot, comme le garçon qui criait au loup, mais Nathanael tint à clarifier sa position malgré tout.

- Je l'ignore également. Je ne vois pas quel genre de mixture pourrait être fabriquée en combinant ces éléments et, justement, c'est ce qui m'inquiète. Après peut-être est-ce une farce, peut-être est-ce l'initiative d'un élève isolé, mais pouvais-je vraiment prendre ce risque ?

Cette dernière question n'attendait pas de réelle réponse car au vu des incidents raisons il aurait put être taxé de grave négligence pour ne rien avoir mentionné à ses collègues en pleine connaissance de cause. Nathanael était trop prévenant pour laisser un potentiel problème lui glisser sous le nez, il préférait largement être trop prudent que pas assez et espérait que son collègue puisse respecter cela. L'autre professeur commença donc à lancer quelques idées, pointant également du doigt que la maîtresse des potions pourrait sans doute les aider afin de déchiffrer cette étrange liste de composants.

- J'ai hésité à en faire part à tous les professeurs, pour être parfaitement honnête, mais j'ai préféré commencer petit. J'irai la voir bientôt, dans ce cas.

Devait-il en parler à tout le monde, ou se limiter à deux professeurs dans la confidence pour le moment ? Il n'en savait foutrement rien mais, lorsque son collègue lui posant une autre question, la précédente fut aussitôt balayé. Avait-il repéré un élève suspect ? Ce questionnement rappela au jeune homme son manque d'observation durant ses cours, trop concentré qu'il était sur le contenu sans porter attention aux mimiques et réaction de ses chères petites têtes blondes. Il avait beau se repasser ses cours dans sa tête, en accéléré, il devait bien avouer que rien ne l'inquiétait vraiment dans l'attitude de ses étudiants.

- Pas vraiment. Ils se montrent assez discrets dans mes cours, je n'ai encore jamais eu à déplorer de conflit entre élèves.

Portant sa cigarette à ses lèvres, plongeant une nouvelle fois dans ses souvenirs sans grande réussite, Nathanael leva son regard vers son collègue pour lui retourner la question à son tour.

- Et vous ? Quelques fortes têtes vous viennent à l'esprit ? Il pourrait s'agir d'élèves assez discrets mais qui n'en pensent pas moins, qui gardent leur rancœur bien au chaud.

Tirant sur ce petit tube pour en aspirer le poison, sentant la fumée remplir sa bouche, l'athlète laissa échapper ce poison par ses narines en lâchant à voix haute un autre scénario qu'il gardait bien au chaud dans sa tête :

- En supposant que la menace ne vienne pas de l'extérieur.