Ce nom, elle l’avait déjà vu quelque part. Cela faisait plusieurs jours que Lena s’obstinait à retrouver le livre dans lequel elle avait lu le nom d'Aurora Jones. Il trottait dans sa tête, et la hantait, et cela lui était insupportable. Tant qu’elle n’avait pas trouvé sa réponse à sa question, Lena ne lâchait pas l’affaire.
En ce samedi après-midi, la Serdaigle avait dévalisé le rayon Histoire de la Magie sans aucune gêne. La possibilité que d'autres élèves aient besoin d'un ouvrage sur les malédictions mayas, ou bien sur les rituels égyptiens, pour des raisons plus respectables que d'être obsédée par le nom de sa professeure, ne lui avait pas du tout effleuré l'esprit. Affairée à une table de la bibliothèque de l'école, sa tête à moitié cachée par la pile de livre qui trônait sur sa table surchargée, Lena cherchait interminablement le nom qui la torturait. Jusqu'à ce qu'elle tombe sur un article fort intéressant de la Gazette du Sorcier...
- Là ! lâcha-t-elle soudainement.
Tous les regards de la bibliothèque se tournèrent vers elle sans qu'elle n'y prête attention. Elle avait retrouvé le nom qui lui manquait. Après avoir fini l'article en question, Lena se débarrassa rapidement de tous ses livres et s'empressa à la section relative au sujet. Encore quelques recherches furtives pour retrouver d'autres articles relatant d'Aurora Jones et de ses excursions. La Serdaigle saisit les quelques livres dont elle avait besoin et se rua hors de la bibliothèque. Le pas pressé, elle grimpa les deux étages et prit la direction du bureau de sa professeure d'Histoire de la Magie. Fière d'avoir enfin trouvé la réponse à l'énigme, Lena ne pouvait plus se contenir. Elle espérait de tout son cœur qu'elle avait été la première à avoir été aussi attentive lors de ses lectures, et à exposer la conclusion de ses recherches à sa professeure. Elle imaginait que si d'autres avant elle avaient déjà été toquer à la porte de Jones, elle n'aurait sûrement pas d'entrevue. Cela devait être pénible d'avoir à raconter ses aventures et ses péripéties chaque jours à un élève différent. Comme si elle faisait partie d'une course, Lena marchait aussi rapidement qu'elle pouvait. Elle n'en pouvait plus. C'était comme si ce nom lui était resté sur le bout de la langue depuis trop longtemps. Elle avait tant de questions à lui poser, que ce soit sur ces aventures passées, sur ses découvertes, ou bien sur l'affaire qui lui avait fait connaître Aurora Jones. Elle se résigna toutefois à aborder ce fâcheux sujet, du moins dans les premières minutes. Lena pouvait se monter très indiscrète parfois, et elle n'avait pas toujours de gêne en mandant une information.
Enfin, le souffle court, la jeune brune frappa à la porte.
- Auro..., elle s'interrompit d'une fausse toux, cette femme restait avant tout sa professeure et elle se devait de lui adresser la parole comme tel. Professeure Jones ? J'aimerais vous poser une question sur une affaire... euh quelque chose... de très urgent.
Elle espérait que sa professeure ne soit pas de mauvais poil ce jour-là. Si elle voulait que sa curiosité soit assouvie, elle avait intérêt à y aller délicatement, ce qu'elle n'avait pas l'habitude de faire. Lena expira, s’efforçant à retrouver le calme dont elle avait clairement besoin.

Le radieux visage de sa professeure apparut à l’ouverture de la porte. Lena resta muette un instant, le temps que ses yeux s’habituent à l'éclat qu'elle dégageait. Le regard vif, les traits fins, sa nouvelle professeure d’Histoire de la Magie était indéniablement d’une beauté rare. Malgré son air dubitatif, cette dernière semblait être intriguée par la venue d’une élève à une heure pareille. En baissant les yeux sur les bras chargés de la Serdaigle, la professeure Jones saisit quelques ouvrages et guida son élève à travers la classe.
Depuis que Jones avait reprit le poste, la salle d'Histoire de la Magie n'avait pas du tout la même allure. Lena adorait cette pièce. Chaque fois qu'elle y entrait, elle y découvrait quelque chose de nouveau, et difficile à dire si il avait toujours été là, ou bien s'il s'y était déplacé tout seul. Cette salle regorgeait de trésors, de bibelots plus intrigants les uns que les autres. Chaque bijou, chaque outil exposé grouillait d'histoire et Lena s'imaginait souvent de quelle aventure ils avaient bien pu venir. Tout en suivant sa professeure entre les étagères mystérieuses, Lena se mit à songer. Elle ne la connaissait pas aussi bien qu’elle l’aurait voulu, et chaque cours enflammait plus sa curiosité. C’était l’une des raisons qui avait poussé Lena à entreprendre ces recherches improvisées. Non seulement elle aurait enfin une réponse à toutes ses questions, mais elle espérait que cette mise-au-point la rapproche de sa professeure. Elle aurait ainsi, en écoutant les histoires de Jones, une connaissance de la matière plus étendue. Et ce, plus loin que l'Angleterre, ayant manifestement parcouru le monde et enquêté sur des affaires bien intéressantes.
Jones posa les ouvrages après en avoir prit connaissance. Lena ne pouvait s'empêcher de tortiller ses doigts à mesure que le nom des livres empruntés résonnaient à voix haute. Elle rit nerveusement à son tour lorsque sa professeure eut fini d'énumérer les livres empruntés. Quelques minutes auparavant, la Serdaigle aurait tout donné pour se trouver devant sa professeure, mais à présent qu'elle lui faisait face, les mots devenaient plus difficile à sortir. La même curiosité et la même détermination l'animaient, mais se jeter dans l'eau froide était toujours délicat.
Lena déposa le reste des bouquins sur la table. Le sujet de ses recherches était plus que vaste. Géographiquement et thématiquement. Ils relataient de toutes les affaires et de tous les voyages concernant Jones sur lesquels Lena avait pu mettre la main dans la bibliothèque de l'école. D'Égypte à l'Islande en passant par la Russie et le Mexique, sa professeure avait sans doute déjà deviné l'objet de sa venue.
-Je... commença-t-elle. Je voudrais d'abord savoir si je ne me suis pas trompée en supposant qu'il s'agit bien de vous, dans toutes ces histoires.
Prenant peur que sa professeur ne se rétracte par pudeur, ou croyant à une mauvaise intention de la part de son élève, Lena justifia son enquête.
- Je voudrais en savoir plus sur vos voyages, c'est tout.
Lena laissa le temps à sa professeure de répondre à sa question, même si elle connaissait déjà la réponse, au vue de son sourire amusé. Lena déballa son sac à la seconde où elle le put.
- Tous vos voyages, toutes vos découvertes sont des véritables merveilles ! Vous êtes allés dans tellement de pays différents, vous avez côtoyé tellement de cultures. J'adorerais que vous m'en disiez plus, enfin si vous me le permettez. Sur ce que vous faisiez dans toutes ces affaires, sur la manière dont vous vous y prenez pour explorer les cités perdues et pour échapper aux sortilèges... dit Lena penseuse. Il y a un cas qui m'intrigue parce que je n'ai pas trouvé d'autres précisions que dans cet article de la Gazette du sorcier à son sujet.
Lena tendit à sa professeure une page unique dont le titre s'affichait en grand: «Un squelette de Dragon en Islande qui échappe a son commanditaire».

Sa professeure semblait prendre les compliments de la jeune élève avec bon coeur. Lena aimait répandre cette petite flamme de gentillesse çà et là, surtout lorsqu’il s’agissait de quelqu’un qui retenait toute son admiration. Elle le savait, les gens aiment qu’on les complimente, la limite étant de toujours rester honnête. La longue tirade qu’avait lancée Lena en un seul souffle était des plus sincères. Elle admirait sa professeure: elle avait toujours respecté ses valeurs et elle semblait être une source inépuisable d’informations concernant toutes sortes de choses. Depuis qu’elle avait découvert l’identité antérieure de sa professeure, Lena la regardait et voyait une encyclopédie, une femme formidable qui a vu des cultures et acquis du savoir du monde entier, qui a bravé tous les dangers. Elle n’attendait plus qu’une chose: un récit.
Il ne fallait pas qu’elle s’emballe de trop avant de faire peur à sa professeure. Sa manie de toujours vouloir connaître ce que les gens ont derrière la tête pouvait être déstabilisant et en faire partir plus d’un en courant. La Serdaigle s’efforçait de contenir ses émotions tandis qu’elle saisissait la tasse de thé que Jones lui proposait. L’excellente odeur orientale qui émanait du récipient fit saliver Lena. Elle avait déjà eu le plaisir de goûter à cette boisson au premier cours d’Histoire de la Magie de son interlocutrice, qu’elle pouvait reconnaître entre mille. Comment oublier une saveur pareille ?
- Merci, je raffole de ce thé ! Nous auriez-vous caché que vous étiez legilimens ? plaisanta Lena.
Parfois, la Serdaigle pouvait se montrer un peu trop décontractée avec les figures d’autorité. En vérité, elle ne se préoccupait pas de l’échelle hiérarchique quand il était question de la conduite. Bien sûr, elle restait polie et bien élevée comme ses parents le lui avaient appris, mais lorsqu’elle s’emballait par la discussion... Il était fort probable qu’elle en vienne à considérer Aurora Jones davantage comme une camarade qu’une professeure.
Lena réalisait la chance qu’elle avait d’avoir une pareille femme comme enseignante. Cette dernière s’était assise en face de son élève de manière totalement cordiale et spontanée, et cela n’était pas insignifiant. Elle était ouverte à la conversation, ouverte à ses étudiants et c’était ce que Lena considérait comme la principale qualité d’un professeur. Car si elle le voulait, elle pouvait bavarder d’Histoire, de conflits sorciers, de sortilèges et de trésors anciens.
Lena se concentra en écoutant une nouvelle fois l’article de la Gazette du Sorcier. Elle essayait de ne pas perdre une miette d’information afin de saisir les commentaires de sa professeure, d’autant plus que la Serdaigle n’avait pas porté attention à l’orthographe du nom de la Reine Égyptienne. Elle prit un air déçu en apprenant qu’elle avait peu de chances de trouver des articles en anglais sur cette affaire de squelette de Dragon, mais c’était en partie pour cela qu’elle avait été à la rencontre de Jones. Personne autre qu’elle ne pouvait l’informer davantage sur cette affaire, pas même les journaux islandais.
Lena fit un sourire à sa professeure, lui indiquant qu’elle avait saisi sa dernière phrase.
- C’est bien pour cela que je suis venue vous voir. Qui sait ce que les journaux islandais ont bien pu raconter sur l’affaire. Sans parler des journaux serbes, fit Lena en rendant son clin d’oeil à sa professeure. Je suis sûre que le commanditaire oubliera cette mésaventure. Vous ne pouvez pas être interdite de séjour dans le pays à cause de lui quand même ?
Même si elle avait lu que Jones avait été interdite de séjour dans certains pays pour des cas semblables, la Serdaigle faisait comprendre à sa professeure qu’une telle issue était totalement abjecte. Et, grande optimiste, Lena avait souvent du mal à croire à des situations aussi injustes. Le haussement d’épaules de son interlocutrice lui fit comprendre que la vie n’était pas toujours aussi facile qu’à l’école. À l’école, les gens méchants ont des punitions et ceux qui ne travaillent pas ont des mauvaises notes. Dans la vraie vie, ce sont ceux qui ont le plus d’argent et de pouvoir qui finissent par avoir le dernier mot. Cette pensée tira une grimace à Lena. Pauvre Aurora. Elle avait noblement fait ce qui lui avait semblé le plus juste pour l’Histoire et la conservation du patrimoine, et avait reçu comme récompense le courroux d’un haut dignitaire à qui elle ne pouvait pas échapper. Lena tenta aussi sincèrement que maladroitement de remonter le moral de sa professeure.
- La Serbie, la Russie… Il y a tellement d’autres pays à explorer ! Bon, c’est vrai que vous auriez pu être interdite dans un autre pays que le plus grand du monde, dit Lena avec une pointe d’humour. En tout cas, reprit-elle plus sérieusement, c’était très courageux de votre part de ne pas céder un bien aussi précieux, même pour tout l’or que ce financier a pu vous proposer.
Lena ramena ses jambes en tailleur et prit sa tasse entre ses deux mains, comme une petite fille qui s'apprête à écouter les histoires de sa grand-mère. Même si Jones faisait preuve de modestie, Lena savait que la vie qu’elle menait était bien plus intéressante que de passer ses journées dans un bureau, à répéter les mêmes gestes chaque jours. Bien sûr, une expédition ça se prépare, mais chaque enquête était différente, et c’était ce qui fascinait le plus la jeune fille.
- Allons, je suis sûre que vous exagérez. Avoir une raison de se lever le matin est déjà une chance inouïe ! J’adorerais trouver une vocation comme la votre. Et puis, résoudre des énigmes, voyager à travers le globe, contrer des sortilèges afin de trouver des trésors cachés, vous deviez être une véritable aventurière.
Cela lui faisait penser que sa professeure porte le même nom que ce personnage: Indiana Jones. Si ce n’était pas un signe, ça ! Elle se retint de justesse à lui faire la remarque. Le nom d’une personne est ce qu’il a de plus précieux et fragile et il était préférable d’éviter tout type de commentaire à ce sujet. La Serdaigle reprit plus calmement qu’elle l’avait pu être.
- Cette expédition avait dû être bien périlleuse et délicate pour requérir l’aide du Ministère…
Elle espérait, en réalité, en savoir plus sur cette fameuse expédition. Certes, elle avait passé du temps à la bibliothèque pour trouver les ouvrages concernant Aurora Jones, mais elle n’avait certainement pas eu le temps de les lire tous. Elle ignorait de quel périple il pouvait bien s’agir. Mais lorsque Jones lui demanda des précisions sur ses question, Lena fut prise de court.
- Oh, eh bien… Disons que je veux savoir à peu près tout sur le métier que vous exerciez. Enfin, je n’ai pas l’intention de monopoliser votre soirée je vous rassure.
Lena réfléchit un moment puis reprit.
- J’aimerais voir le monde, ça c’est certain. Mais avec ma famille on n’est jamais allés bien loin. La vie d’archéomage doit être incroyablement solitaire, si vous passiez autant de temps à l’étranger. Qu’est-ce qui vous a poussé à le devenir ? Je veux dire, le danger devait être omniprésent: les anciens sortilèges à désarmer, les opposants à vos projets. Ne faudrait-il pas être un tout petit peu inconscient pour vouloir d'une pareille vie ?
Les yeux brillants, Lena espérait que sa professeure ait une réponse positive à sa dernière question qu’elle avait posée aussi innocemment qu’elle le pouvait. Ce n’était pas un reproche, mais plus un compliment trop dissimulé. La vie d’archéomage, comme Lena se l’imaginait, lui serait alors allé comme un gant, elle qui passait son temps libre à explorer le château et ses environs, à élucider des mystères inventés et réels, toute seule.
Après la requête de sa professeure, Lena jeta un oeil au cadre qu’elle lui désignait. Elle voyait ce qui pouvait être une famille. Elle regarda attentivement et vit deux soeurs dont Aurora.
Elle n’avait pas tout de suite compris pourquoi Jones lui avait fait cette remarque, jusqu’à ce que cette dernière avait présenté sa soeur, au passé. Lena ne savait pas quoi dire. Elle resta bouche-bée quelques instants avant de présenter ses condoléances, enfin.
- Oh, bien sûr, je comprends. Je… Je suis désolée.
Elle imaginait bien que cela lui faisait mal d’entendre le nom de sa soeur comme on devait avoir l’habitude de l’appeler. Lena resta silencieuse un moment, craignant trop de dire quelque chose de travers. Elle se risqua tout de même à une question. Ce serait sûrement mieux que ce triste silence.
- Elle... Elle était aussi professeure à Poudlard ?
La jeune fille reprit lentement une gorgée de thé qui avait du mal à passer tant sa gorge était nouée.

En plus d’être une expéditrice hors pair et une femme de savoir, son enseignante savait y faire avec les jeunes. Oui, cette Jones était faite pour être professeure. Il n’y avait pas beaucoup d’entre eux qui auraient eu une attention particulière pour un élève qui venait enrichir ses connaissances sur leur matière. En cours également, Jones montrait qu’elle avait confiance en ses étudiants en les installant dans une salle pleine de babioles et en les laissant se placer où ils le désiraient. Ce qui était une bonne initiative, puisque aucun débordement n’avait eu lieu, en tout cas en quatrième année. Les étudiants étaient même plus heureux qu’avant d’aller en cours. Lena avait bien remarqué que les absences étaient miraculeusement moins fréquentes en Histoire de la Magie que dans les autres cours.
Jones reposa le thé qu’elle avait si gentiment proposé à Lena. La Serdaigle sourit en entendant qu’elle n’était pas invisible aux yeux de sa professeure. Non pas qu’elle était une personne très discrète et silencieuse en classe. Au contraire elle avait souvent quelque chose à dire ou une question à poser en classe, surtout en Histoire de la Magie. Son enseignant était décidément quelqu’un de très attentif à ses étudiants, cela était prouvé. Lena avait l’impression qu’elle pouvait tout lui confier, que Jones aurait toujours un peu de temps à lui consacrer, au moindre problème.
Lena leva sa tasse à sa professeure en guise de gratitude et prit une gorgée. La saveur du thé lui rappela son premier cours avec Jones tout en lui réchauffant agréablement la gorge. Si elle avait su à ce moment qui était réellement sa nouvelle professeure, elle aurait observé dans le moindre détail chacun des objets et livres de la pièce. Elle aurait probablement eu de mauvaises notes à rêvasser aux aventures de Jones au lieu d’écouter alors c’est sûrement mieux ainsi. Lena regarda autour d’elle en y pensant et failli en oublier sa conversation. Elle revint à elle juste à temps. Elle hocha la tête lorsque Jones décrivit la galère de séjour à l’étranger et du support financier de sa famille, concentrée sur le récit de sa professeure.
La vie de la jeune femme passionnait Lena. Elle admirait le grain de folie qu’elle avait dû avoir lorsqu’elle partait en mission, et qu’elle devait d’ailleurs probablement toujours avoir. Elle avait démarré de presque rien et voilà qu’elle était devenue archéomage sans être passée par la case université. Beaucoup d’adolescents rêveraient d’avoir un parcours comme le sien, mais Lena se doutait bien que ce parcours n’était pas le plus facile et le plus prometteur. Sa professeure avait définitivement le goût du risque.
- Pourquoi n’avez-vous pas fait d’études ? Vous seriez devenue archéomage de toute manière, non ?
Même si sa question était un peu bête et naïve, Lena regardait sa professeure droit dans les yeux en attendant sa réponse. Si Jones avait réussi à apprendre sur le tas et qu’elle s’était tracé sa propre route, peut-être d’autres seraient capables d’y arriver. Bien sûr ce n’est pas à la portée de tout le monde de suivre un tel cheminement, mais ce genre de récits était beaucoup trop rare.
- Cela doit être si enrichissant de voir toutes ces cultures, de rencontrer tous ces gens. La vrai vie, je crois que c’est cela. De voyager, de discuter, de partager. On ne fait qu’apprendre, tous les jours, dit Lena en appuyant sa tête sur ses mains, les yeux dans les étoiles. Mais moi, je ne crois pas avoir la force d’être aussi loin de ma famille. Je les aime trop pour vivre loin d’eux. Ma mère n’arrête pas de me dire que ça passera mais j’ai du mal à imaginer une vie sans eux, acheva-t-elle mélancoliquement.
L’anecdote sur la chatte de Jones amusa Lena qui écarquilla grand les yeux. La petite bête s’était réfugiée sur les genoux de sa maîtresse et jouait avec ses doigts. Il n’en fallait pas plus à la Serdaigle pour être totalement attendrie par le chat. Elle n’hésita pas à légèrement caresser le flanc de l’animal aux poils doux.
- Pauvre choupette ! C’est fou comme histoire ! Si ça se trouve elle était là depuis des millénaires, plaisanta à son tour Lena.
Lena comprenait mieux pourquoi elle voyait toujours ce chat en cours d’Histoire de la Magie. Si Jones l’avait sauvée de justesse, il était naturel que l’animal la suive partout, comme on suivrait sa maman ou sa meilleure amie. Elle sourit en voyant la complicité entre sa professeure et la chatte.
Lena prêta une oreille d’autant plus attentive lorsqu’il s'agit de la défunte sœur de Jones. Elle ne put cacher un petit sourire compatissant et fier lorsqu’elle apprit qu’elle avait été préfète à Serdaigle. Et elle haussa des sourcils sur son air curieux quand sa professeure évoqua sa vocation: c’était en médicomagie que la jeune Serdaigle comptait poursuivre ses études.
- Intéressant… dit-elle d’un air songeur. Et dans quelle branche était-elle spécialisée ? demanda-t-elle en espérant que sa question ne soit pas trop indiscrète.

Même si l’archéomagie n’était pas dans les projets d’avenir de la jeune Serdaigle, elle trouvait tout à fait fascinant d’entendre des récits venus de loin. Fervente curieuse, elle ne se lassait jamais d’en apprendre davantage sur les secrets du monde magique. Monde qu’elle n’avait découvert que récemment. Il y avait désormais deux versions à chaque histoire, et deux fois plus d’histoires à écouter. De plus, elle qui n’avait que quinze ans, devait se renseigner le plus possible sur les possibilités d’études, de manière à parvenir à sa vocation. Pour l’instant, Lena visait la médicomagie. Elle adorait la botanique et prendre soin des gens. Vivre dans une serre poussiéreuse et concocter des remèdes à base de plantes la tentait bien. Mais il y avait tant d’autres métiers à envisager.
En reposant la charmante petite tasse de thé sur le plateau, Lena tendit une oreille attentive aux secrets des études de cette mystérieuse archéomage devenue professeure. Un sourire rusé étira ses lèvres lorsqu’elle entendit que Jones était aussi entêtée que son élève étant jeune. Lena haussa les sourcils entre étonnement et admiration. Parvenir à décrocher des enquêtes sans avoir fait d’études était remarquable. Elle devait être bien inconsciente pour se lancer sur le terrain sans diplôme sécuritaire. En tout cas, elle était indéniablement débrouillarde et douée pour se faire entendre, et sa détermination l’a propulsée au poste d’archéomage.
- C’est très impressionnant. Il faut du courage pour renoncer aux études. Mais en même temps, c’est l’expérience qui forme, pas forcément de lire des articles sur des aventures auxquels on aurait pu avoir prit part.
Ce genre de comparaison entre le départ de la maison familiale avec des animaux amusait Lena lorsqu’on l’employait. Les animaux n’ont pas internet ou de téléphones pour donner des nouvelles instantanément. Mais elle acquiesça au conseil de sa professeure. Cette pensée l’amuse elle-même et elle tenta de dissimuler son petit sourire en coin. Elle fût tout de même rassurée d’entendre que la choix est plus simple qu’elle se l’imaginait. Il est vrai que sa famille était tout ce qu’elle avait de plus cher, mais lorsqu’elle serait plus âgée, elle saurait suivre sa route sans se retourner.
- C’est vrai ? Je n’aurais pas pensé que la distance ait autant d’effet.
Voyager n’était pas le désir le plus cher de Lena, au contraire. Elle se voyait plus menant une vie tranquille dans une petite ville à la campagne, cultivant ses plantes et fabriquant ses remèdes sans l’aide de personne. Ce qui l’intéressait dans le parcours de sa professeure était le récit que cette dernière en faisait. Et ce que Lena trouvait de fascinant dans les voyages c’était le fait de découvrir le monde, l’histoire d’un pays et d’une culture. Mais tout cela, elle pouvait le trouver dans les livres. Bien sûr que ce n’est pas la même chose que de voir par soi-même et surtout de le vivre, mais elle pouvait facilement s’en contenter. Enfin, pour l’instant.
La Serdaigle acquiesça au nouveau conseil de Jones. Ne pas se poser de questions, Lena savait le faire. Ne manquait plus qu’à avoir le temps et surtout le besoin de sauter le pas. À quoi bon se forcer à voyager si l’on n’en ressent pas la besoin ?
- J’imagine que lorsqu’on a goûté au plaisir de l’aventure, c’est difficile de s’en défaire. Moi, mes parents ne sont jamais vraiment allés plus loin que leur portail, ironisa-t-elle, et je ne crois pas être si différente. Peut-être que ça viendra, mais je ne me vois pas parcourir le monde. J’adorerai découvrir les coutumes, l’histoire de chaque pays, mais puisque je peux me satisfaire avec les bouquins…
Sa professeure ne semblait ni attristée ni interloquée par la curiosité de Lena. Souvent, la jeune fille se montrait trop intrusive et manquait parfois de tact sans le vouloir. Or, la profession de médicomage, quel qu’en soit la branche, intéressait la Serdaigle qui souhaitait se spécialiser dans le domaine. Les urgences étaient un milieu bien trop stressant et mouvementé pour Lena qui préférait la tranquillité. Puis, elle ne put s’empêcher de tirer une minuscule grimace lorsque Jones lui confia la spécialisation de sa sœur. La jeune fille n’était pas si facilement dégoûtée, mais elle ne voulait pas être exposée à longueur de journée à toutes sortes d’infections magiques. De plus, elle avait du mal à s’imaginer toutes les différentes blessures qui pouvaient exister dans le monde magique. La Dragoncelle n’était pas franchement quelque chose qu’elle rêvait de voir tous les jours.
- Oui, répondit-elle enthousiaste. Ma matière préférée c'est la botanique et j’aime bien prendre soin des gens. Je ne pense pas travailler dans un hôpital. Je crois que c’est médecin de campagne qui me correspondrait le plus. Je concocterais mes remèdes dans ma serre et j’irai rendre visite à ceux qui ne peuvent pas se déplacer loin, décrivit-elle un air songeur. En tout cas, c’était très courageux de sa part de risquer une telle proximité avec ces malades-là pour les aider.
Lena était ravie, fière même que sa professeure lui fasse autant confiance pour lui raconter le passé de sa défunte sœur. Elle reprit une gorgée de thé qui lui réchauffa la gorge avant de poursuivre.
- Et... et vous alors ? Qu'est-ce qui vous a amené à être professeure à votre tour ?

Aurora n’avait peut-être pas tout son après midi et Lena était assise auprès de sa professeure depuis un certain temps déjà. Il y avait tant de questions dans sa tête dont elle espérait la réponse, mais elle ne voulait surtout pas déranger sa professeure. Visiblement, cette dernière appréciait la compagnie de Lena et elle semblait prendre plaisir à assouvir sa curiosité. Les gens en général — sauf peut être Ariel — aimaient bien parler d’eux-même et de leur parcours. Cela pouvait être par égocentrisme ou bien pour aider un jeune à éclaircir ses possibilités d’avenir. Aurora faisait sans aucun doute partie de cette dernière catégorie de personnes. On pouvait aisément deviner quelle genre de professeure elle était simplement en observant l’organisation de sa salle de classe. Des poufs disposés aléatoirement (et qui changeaient parfois de disposition classe après classe), du thé et des biscuits servis par moments, une bibliothèque et une collection d’objets assez rares à la disposition des plus curieux. La nouvelle professeure d’Histoire de la Magie était bel et bien la professeure la plus cool que Lena n’ait jamais eu. On est bien loin de la froideur de l’ancienne professeure de Potions. Le personnel changeait très régulièrement dans cette école et Lena espérait de tout son coeur que celle-là ne reste le plus longtemps possible.
Jones fit allusion au fait qu’un jour, ce sera à sa génération a elle de prendre le monde en main. Lena pensa automatiquement à son amie Aisling. Il est certain que sa colocataire de dortoir occupera le siège de reporter la plus importante à la Gazette du Sorcier un jour. Elle était clairement née pour ça.
Lena, quant à elle, s’intéressait au métier d’antan de sa professeure en raison de tous les trésors, des anciennes traditions à redécouvrir et à comprendre, et sa curiosité était sans limite. Mais le petite Serdaigle était plus du genre à rester au chaud à la maison et à faire ses remèdes dans son coin. Elle dévorerait toutefois à grandes bouchées les récits et autres articles de ce genre d’aventuriers. C’est pourquoi son visage s’illumina lorsque sa professeure l’invita à venir emprunter des recueils lorsqu’elle le voudra.
– J’ai peur de beaucoup de choses, mais pas de la lecture, répondit-elle enthousiaste. Merci beaucoup, je reviendrai avec plaisir !
Il n’était jamais trop tôt pour se plonger dans des revues de niveaux supérieurs. Lena aurait probablement besoin d’un peu plus de temps que leurs réels usagers pour les comprendre, mais cela ne l’empêcherait pas d’essayer de se cultiver au mieux. Elle ne serait que plus préparée pour ses prochaines années en Histoire de la magie.
Il est vrai qu’il n’y avait pas que dans l’archéologie qu’on découvrait tous les jours des choses nouvelles. Même si le but premier des médicomages était de soigner leurs patients, mais certains consacraient tout leur temps à la recherche. Ce n’était pas la voie première envisagée de Lena, mais se connaissant, elle ne rayait pas définitivement la possibilité qu’elle fasse un jour une découverte. Car même si elle n’avait plus de remèdes spécifiques pour un de ses patients à préparer, elle passerait du temps dans sa serre à faire des expériences, à commander et découvrir de nouvelles plantes — magiques ou non.
– Peut-être, en effet, dit Lena en haussant les épaules.
Aurora expliqua la raison de son enrôlement en tant que professeure à Poudlard. Cela semblait logique, après son parcours plus ou moins préparé à être archéomage. Cette femme saisissait visiblement les opportunitée qui lui sont présentées. Et qui sait un jour la retrouverait-elle dans une réserve de dragons en Roumanie ? Les événements inattendus de la vie forgeaient tout autant les intersections et nous forçaient parfois aussi à emprunter un autre chemin.
– Je ne sais pas si je serai professeure un jour, mais c'est vrai que je suis très attachée à cette école. Peut-être que moi aussi je serais amenée à enseigner ici. À en croire votre expérience, on ne peut jamais savoir ce que l'avenir nous réserve... dit Lena le plus respectueusement possible.
Elle ne voulait surtout pas être rude, car il s'agissait tout de même du décès de la sœur de sa professeure. Mais il fallait dire ce qui était et ne pas avoir peur de faire face à la réalité. La mort était quelque chose qui frappait chaque famille un jour ou l'autre et il fallait l'accepter. Ce n'était pas quelque chose qu'elle dirait à sa professeure, mais quelque part, sans ce drame, Lena n'aurait jamais rencontré Aurora.