“Jaspe ! Mais où est encore passé ce satané gosse ? JASPE ! ”

Un large sourire métamorphosa le visage de l’orphelin, lui donnant cet air de sale-gosse-qu’on-aime-détester qui lui allait si bien. Les yeux pétillants de malice, il s’amusait du malheur de la pauvre none qui, recouverte de farine de la tête aux pieds, s’époumonait à quelques mètres de lui. Auteur du crime, le garnement s’était caché en haut de l’un des pommiers de la propriété, s’assurant ainsi une sécurité toute relative. Il avait beau savoir qu’une correction l’attendait, s’était plus fort que lui. Roi des bêtises et farces improbables, il se faisait un devoir de faire tourner en bourriques l’ensemble du personnel de l’orphelinat. Certains se plaisent à dire qu’il joue au cancre ans l’unique but d’attirer l’attention, lui qui n’en a jamais eu. Peut-être y a-t’il une part de vraie la-dedans ? Aujourd’hui, sa victime n’était autre que celle qui avait osé lui imposer un rendez-vous surprise avec une famille dont il ne voulait rien savoir. “Sois gentil Jaspe ! Ils sont gentils Jaspe !” Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu peut-être ? Il passait de famille en famille depuis… Depuis toujours en fait ! Avait-il seulement été désiré dans l’une de celle-ci ? Remarque, la sienne l’avait bien abandonné dès sa naissance… Naïf, il s’était mis à imaginer toutes sortes de “bonnes” raisons à ces géniteurs, imaginant qu’un jour ceux-ci reviendraient le chercher un jour. Pathétique... L’un de ses camarades de dortoir lui avait dit un jour qu’il devait être maudit. C’était peut-être le cas finalement ? Dans tous les cas, que ce soit à cause du destin ou d’un quelconque Dieu, il se retrouvait inévitablement ramené entre ces quatres murs. Pourquoi ? Parce qu’il était trop bizarre, trop différent pour s’intégrer… A force d’être rejeté, le garnement s’était fait une raison. Personne ne voudrait de lui, c’était ainsi. Pourquoi devait-il continuer cette mascarade alors ? Ce n’était rien d’autre qu’une perte de temps et d’énergie ! Du haut de ses six ans, le clown de service s’était fait une promesse. Convaincu qu’il n’avait pas besoin de “simulacre de famille”, le garçonnet se mit à fuir toutes les rencontres, contraignant ainsi les bonnes-soeurs à échafauder toutes sortes de stratégies pour l’y contraindre. Jaspe n’était pas bête, il voyait dans leurs regards cette même peur et ce même dégout qu’ils inspiraient à ses pseudo-familles aimantes. Qu’est-ce qu’il avait bien pu faire dans sa courte vie pour mériter ça ? Il ne supportait plus d’être “le gosse bizarre”, “le gamin”. Mince, même les autres enfants l’évitaient ! C’était peut-être pour ça qu’il faisait autant de bêtises. Peut-être cherchait-il inconsciemment à changer le regard des gens ? Il préférait cent fois passer pour un clown que pour un monstre.

“ Descend de là immédiatement ! Attention Jaspe, je compte jusqu’à trois… Un ! D-”
“ Deux… Deux et demi… Deux trois quart…”

Son sourire s’élargit lorsqu’il vit la pauvre femme bouillonner de rage en dessous de lui. Tout en ricanant, le garnement reprit le décompte avec elle en ricanant, persuader que son nichoir le rendait inatégiable. C’était sans compter la sournoiserie d’une autre nonne qui s’approcha silencieusement, une échelle sous le bras. Trop occupé à canarder la première avec les pommes qu’il avait à portée de main, il fut plus que surpris de se retrouver les fesses rougies par une fessée mémorable. Sans perdre de temps, il fut traîné par ses deux “geôlières” vers la pièce réservée aux rencontres. Il avait beau se débattre comme un beau diable, hurlant des “j'veux pas y aller !” et “Je me vengerais” à tout va, il fut assis de force sur une chaise et contraint de rencontrer un énième couple. Les mains enfoncées dans les poches de son veston gris -uniforme immonde imposé aux orphelins- et le regard baissé tel le petit rebel qu’il se pensait être, il décida d’ignorer les deux individus. En clair, il boudait.

“ Dure journée n’est-ce pas ?”

Cette phrase, ajoutée au bruit reconnaissable d’un sac de confiseries qu’on ouvre, lui fit tout de même jeter un regard curieux vers l’homme. Pensait-il vraiment l'amadouer de cette façon ? Méfiant, le brun fronça le nez et tendit une main hésitante vers le bonbon tendu. Il n’en resta pas moins silencieux. Il prit tout de même le temps de le détailler. Son regard semblait bienveillant et son sourire, lui, paraissait avenant. En bref, ça sentait le piège à plein nez.

“Miss Johnson m’a un peu parlé de toi… Mais je préfère me faire ma propre idée. Accepterais-tu de me parler de toi, s’il-te-plait ?”

Le jeune homme écarquilla les yeux, visiblement surpris. C’était bien la première fois qu’il entendait ça ! Il se redressa sur sa chaise, chassant les quelques mèches indisciplinées qui cachaient ses yeux noisettes. Il voulait en savoir plus ? Ils allaient être servis ! Autant les faire fuir dès maintenant non ?

“Ben ici tout le monde m’appelle Jaspe… En même temps on ne peut pas vraiment m’appeler autrement puisque je n’ai que ça à moi, mon prenom. Y’a bien la veille qui m’appelle petit merdeux ou le monstre de service avec toutes les bêtises à mon actif… Oh je ne devrais peut-être pas vous dire ça, si ? Zut alors… Allez je vais nous faire gagner un peu de temps. Je suis bizarre. Affreusement bizarre. Vous voyez bien que je le suis aussi mais comme il vous faut une bonne action à votre actif pour vous faire sentir bien, vous allez quand même insister et me prendre avec vous. Finalement, vous allez vous tirer les cheveux et regretter. Hop me revoilà à la case départ. Autant arrêter là non ? ”

Avec ça, t’es pas près de vouloir de moi ! Fier de sa stratégie, le gamin redressa la tête et se mit à regarder le couple avec défi… Mais il déchanta vite lorsqu’il vit l’homme rire. Pourquoi ? Il se payait sa tête c’est ça ? Curieux, il s’accouda à la table et se pencha vers eux, comme pour les étudier. A bien y regarder, ils lui inspiraient un étrange sentiment : un mélange entre la douceur… et la sécurité? Non, il ne devait pas se faire piéger ! Plus facile à dire qu’à faire, sa curiosité venait d’être piquée.

“ Eh bien Jaspe, tu n’as pas ta langue dans ta poche ! C’est bien, j’aime les gens honnêtes… On m’a dit aussi que tu étais inventif. C’est bien d’être aussi éveillé à ton âge… Oh et miss Jonhson m’a aussi parlé de ta manie de t’attirer des ennuis. Il semblerait que tu fasses ça pour t’amuser mais elle m’a aussi confié que tu couvrais aussi les plus jeunes lorsqu’ils faisaient des bêtises… Pourquoi ? ”

Alors là… Le gosse haussa les épaules, un peu perdu par cette intervention. Ils ne semblaient pas le trouver bizarre ou agaçant. Et si… Non ils allaient faire comme les autres, c’était obligé.

“Ben je sais pas… J’aime pas rester sans rien faire… J’aime pas l’injustice en fait…”

Il vit l’homme sourire et se présenter à son tour, ainsi que sa femme. Un prêtre et une institutrice ? Pourquoi pas. Il vit aussi les deux s’échanger un regard entendu avant de se tourner vers lui, un sourire doux aux lèvres.

“Jaspe, si tu es d’accord, j’aimerai que tu viennes avec nous. Tu es un petit garçon plein de surprise, on devrait bien s’amuser ? Tu ne seras pas trop dépayser je pense. Tu pourras faire la connaissance de nos autres enfants. Ils sont tous aussi vifs que toi. ”

Malgré lui, le brun se mit à sourire timidement. Il pourrait peut-être leur donner une chance après tout ? C’est ainsi que le clown en titre fit sa valise l’heure qui suivit et rejoignit la famille Sinclair, espérant secrètement que ces derniers accepteraient malgré tout sa différence.


“Jaspe, je suis heureux de te présenter Alden, notre aîné qui a 13 ans, Isolda notre seconde qui en a 11 et notre petit dernier, Brady, qui a le même âge que toi. Vous partagerez d’ailleurs la même chambre…Viens que je te fasses visiter !”

Après avoir offert une tape généreuse dans le dos du garçon qui manqua de basculer en avant, le père de famille le pressa de le suivre à travers toute la maison. Jaspe écouta d’une oreille distraite, son attention détournée par les rires des autres enfants qui les succédaient. Se moquaient-ils de lui ? Il n’était pas sot. Il savait bien qu’il n’aurait pas le temps de défaire ses valises avant que son anormalité ne lui donne droit à un aller simple pour l’orphelinat. De plus, ce n’est pas la première fois que les progénitures d’un “Saint couple” lui font vivre un vrai calvair. Qu’ils essaient un peu de l’embêter pour voir ! Les sourcils froncés, il tourna la tête vers ces derniers et fit ce qu’il lui sembla le plus intelligent sur le moment : déclencher les hostilités plutôt que de les craindre. Le regard fier, il redressa son port de tête et leur tira magistralement la langue. Les plus âgés se regardèrent, surpris, avant de froncer les sourcils et de se retirer en marmonnant. Brady, quant à lui, se mit à sourire de toutes ses dents et le rejoignit. Sa réaction surpris agréablement le jeune orphelin, ravis de retrouver en ce dernier une étincelle de malice dans son regard. Peut-être pourrait-il en faire son allier ? Un dos l’interrompit brutalement, aussi bien dans ses pensés que dans son chemin. Avec cette histoire de guérilla, Jaspe n’avait pas vu William -le père de cette joyeuse bande- s’arrêter devant une chambre. Curieux, il pencha la tête et rencontra un autre garçonnet.

“Kiefer, je te présente Jaspe. C’est un nouveau venu, tout comme toi. Traites le bien d’accord ? Aller, je vous laisse faire connaissance. Pas de bêtise hein ?”

Il le poussa du revers de la main à l'intérieur de la pièce avant de lui faire un clin d’oeil malicieux, puis referma la porte sur les trois garnements gênés au possible. Ce fut Brady qui prit la parole le premier, après s’être installé sur un coussin traînant par terre.

“Fais pas attention à papa. Il peut paraître brusque mais il est très gentil. C’est la même chose pour mon frère et ma soeur. C’est un peu le duo intouchable de la maison. Ils aiment pas partager l’attention et, comme t’es le petit nouveau, ils vont sans doute te chercher un peu… Mais moi je m’en fiche. Ravis de te connaître Jaspe !”

Ce dernier se saisit de la main tendu par Brady et la serra joyeusement, un large sourire illuminant son visage. Son petit doigt lui disait qu’il s’entendrait bien avec le jeune homme ! Curieux, il tourna ensuite sa tête vers le fameux Kiefer présenté un peu plus tôt. Il se souvenait des mots employés par William et ça le titillait d’en savoir plus… Mais comment le questionner sans se faire jeter ? Autant y aller franco, on verra bien.

“Hm… Kiefer j-je me demandais… Pourquoi le pasteur a dit que-
“-que tu étais un nouveau comme moi ? C’est simple. Je suis arrivé ici un an avant toi. Mes parents ont perdu ma garde… Enfin c’est un peu compliqué. Et toi alors ?”

“J’ai jamais connu mes parents. En fait c’est simple, j’ai toujours été à l’orphelinat ou en famille d'accueil. On verra combien de temps je tiens ici !”

“T’en fais pas pour ça Jaspe, t’es ici chez toi. Faudrait que tu veuilles partir pour nous quitter.”

Cette dernière phrase venait de la bouche du cadet Sinclair et lui arracha un sourire. Toutefois, il fut bien vite détourner de ces deux nouveaux amis par deux nouveaux garnements : Mackenzie et Sage. Les deux démons partirent aussi vite qu’ils étaient venu, provoquant le rire de tous. A partir de cet instant, les trois garnements passèrent de plus en plus de temps ensemble -suivi de près par les plus jeunes qui tentaient de les imiter, pour le malheur des parents. Bien que les débuts furent timides, ils devinrent bien vite inséparables.Tout était parfait ! Le duo des aînés avait déposé les armes assez vite et une paix fragile s’était établie entre les deux camps. Sous la direction de Jaspe, le petit groupe se mit à faire des farces en tout genre à longueur de journée… Du moins jusqu’à ce que le pasteur et l’institutrice ne leur demande d’effectuer leur tâches quotidiennes. D’abord réticent, Jaspe dû bien vite avouer que ça ne lui déplaisait pas plus que ça. Il eu d’ailleurs la chance d’effectuer la majorité de ses tâches avec Brady avec qui il était particulièrement proche et, lorsque ce n’était pas le cas, il se retrouvait avec Sage. Il éprouvait d’ailleurs une affection toute particulière pour ce dernier et le couvait bien souvent d’un regard protecteur. C’était la même chose pour Mackenzie même si la jeune fille ne semblait pas avoir besoin de l’aide de qui que ce soit. A bien y regarder, Jaspe se sentait vraiment comme chez lui chez les Sainclair.

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