Je suis né un dix-huit octobre de l’année 2007, au sein de notre maison familiale à Kristiansand, comme beaucoup d’autres Sørensen avant moi et sûrement beaucoup d’autres encore après. L’accouchement se déroula sans le moindre incident et je fus chaleureusement accueilli en cette famille, moi premier-né de la dernière génération au sang si pur. Malgré le titre pompeux et honorifique auquel j’avais désormais le droit de prétendre, ce n’était pas non plus un rôle facile.
Mes premières années furent quelconques et je n’en garde aucun souvenir ; les seules anecdotes auxquelles je peux revendiquer avoir participé m’ayant été relaté par mes parents. Au final, mon premier véritable souvenir c’est eux : Finnbjörn et Erin, les jumeaux qui virent le jour dans la même pièce que moi un peu plus de deux ans plus tard. Je me souviens de leurs cris et de l’extase de mes grands-parents pour cette famille qui continuait de croître tandis que Mère était laissée aux bons soins des mages. Malheureusement cette euphorie fut de courte durée : les jumeaux étaient bien plus faibles que n’importe quel bébé et leur état inquiétait grandement les adultes. Beaucoup de choses que je ne comprenais alors pas et qui pourtant auraient un tel impact sur notre famille. Moi, je me contentais de grandir, d’apprendre et d’écouter tout ce que l’on avait à m’enseigner. De l’histoire de notre famille, encore plus vieille que la demeure dans laquelle nous vivions, à la destinée de chacun des membres représenté sur notre immense arbre généalogique. Je me devais de tout retenir, de tout savoir afin de comprendre mon rôle dans cette histoire et de l’endosser avec brio au moment venu.
Quatre ans après ma naissance ce fut au tour de Judith de venir agrandir notre fratrie. Cette fois je me souviens clairement de ce trente-et-un août où Mère prit à nouveau la direction de sa chambre, accompagnée par plusieurs sorcières ainsi que par Grand-Mère afin de se délivrer de ma cadette. J’étais excité par l’arrivée de ma sœur et j’avais hâte de la rencontrer. Elle aussi, tous comme tous les autres Sørensen, aurait une destinée bien précise. Toutefois la joie apportée par l’arrivée de Judith fut entachée par le diagnostic de la maladie des jumeaux. Erin et Finnbjörn étaient voués à s’éteindre, leur cœur étant bien trop faible pour subvenir à tous leurs besoins. Je me souviens de Grand-Père qui convoquait alors de nombreux sorciers de sa connaissance et qui s’enfermait avec eux dans son immense bureau, en compagnie de Grand-Mère et de mes parents. Ensemble, ils tentèrent de trouver le moyen d’améliorer la santé de mon frère et de ma sœur des jours durant, tandis que moi je continuais d’apprendre.
- HIVER 2017
J’étais tranquillement en train de lire dans le grand-salon lorsque je remarquai l’étrange remue-ménage qui se déroulait dans le jardin, me faisant perdre le fil de ma lecture. Intrigué, je me souviens m’être dirigé vers l’immense fenêtre à côté de laquelle se trouvait le piano où Erin s’amusait à jouer de temps à autres afin de comprendre ce qui se passait. L’état des jumeaux s’était aggravé récemment, et je savais que Grand-Mère avait longuement cherché parmi ses grimoires un moyen de leur venir en aide. D’après ce que je pouvais voir de mon observatoire, elle semblait avoir trouvé une solution. Mon aïeule avait tracé un immense cercle rouge qui contrastait avec la pâleur de la neige et un corps se trouvait étendu au milieu. Je retins une grimace lorsque je cru reconnaître un moldu qui traînait régulièrement dans les environs. Grand-Mère devait être sûre d’elle pour avoir fait pénétrer ce genre de chose ici. La préparation dura encore un moment avant que Père ne revienne en compagnie d’Erin. Comme captivé par la scène qui se déroulait devant mes yeux, je restai planté là à observer la magie du rituel opérer tandis que ma sœur poussait des hurlements à en glacer le sang. L’instant me sembla avoir duré à la fois des heures et tout juste une minute avant que ce ne soit au tour de Finnbjörn. Cette fois-ci, je détournais la tête pour me diriger à nouveau vers le fauteuil que je venais de quitter afin d’y reprendre ma lecture. Les jumeaux vivraient, j’en étais certain. Tout irait bien désormais.
- ÉTÉ 2019
« Je ne pense pas que tu aurrras besoin de cape, Hannibal. »
La voix de Mère me vint aux oreilles alors que je terminais ma valise. Ma rentrée pour Poudlard approchait à grand pas et il allait être temps pour moi de quitter ma Norvège natale afin de rejoindre Grand-Père dans son appartement à Londres. Même si j’étais attaché à Kristiansand et à mes habitudes ici, le départ semblait beaucoup moins dur pour moi que pour Finnbjörn qui est également du voyage. Je savais que l’idée de passer du temps en Grande-Bretagne le répugnait presque autant que de respirer le même air qu’un moldu mais c’était ainsi : nous ferions nos études à Poudlard, comme nos aïeuls avant nous.
« Dépêche-toi, ajouta-t-elle avec un sourire maternel, il ne faut pas manquer le Porrrtoloin. »
Depuis que notre départ avec les jumeaux avait été décidé en juillet dernier, Père et Mère avaient fait l’effort de revenir à l’anglais pour discuter avec nous. Comme si la transition avec Londres allait être moins rude après avoir entendu cette langue pendant un peu plus d’un mois… De toute façon les cours que me dispensaient Grand-Père depuis un certain temps afin de parfaire la maîtrise de la langue m’avaient permis d’atteindre un certain niveau ; loin de me débarrasser de mon horrible accent nordique, j’étais néanmoins capable de comprendre tout ce que l’on avait à me dire. Ma scolarité à Poudlard n’en serait donc pas affectée.
« Je me dépêche, disais-je en laissant néanmoins ma grosse cape en fourrure au fond de ma malle, je suis en bas dans une minute. »
Mère hocha docilement la tête et quitta les lieux, me laissant seul avec moi-même dans mon immense chambre. Avec ce qui pouvait s’apparenter à de la nostalgie, je m’approchais de la fenêtre afin de regarder le jardin. Il n’avait pas connu d’autre rituel depuis celui que j’avais observé deux ans plus tôt, et d’après ce que j’avais entendu Grand-Mère dire, Finnbjörn et Erin étaient tranquilles pour au moins un an encore. Je devais admettre que la santé de mes cadets s’était améliorée au-delà de toutes les espérances depuis ce fameux jour, et la considération que je vouais déjà à Grand-Mère n’avait fait que s’accentuer depuis.
Je parcouru la pièce du regard une dernière fois afin d’être certain de n’avoir rien oublié puis je fermai ma malle d’un geste sec. Il fallait partir.
- ANNÉE SCOLAIRE 2019-2020
Grand-Père m’avait prévenu avant même mon entrée à l’école : cette année, pas de Minerva McGonagall et ses méthodes d’enseignements douteuses à la tête du château, non. À la place j’eus le plaisir de découvrir Menesis Blackman lors du discours de bienvenue, et là où mes camarades affichaient un air de surprise et d’hébètement non feints mon visage était imperturbable. Lors du mois passé à Londres en compagnie de Grand-Père, Finnbjörn et Erin, mon aïeul m’avait confié les desseins de Blackman et la comédie qu’il avait jouée au cours de l’été avec un prétendu voyage en yacht pour les élèves de l’école. Cela n’avait été qu’un moyen comme un autre de les classer en fonction de leur statut, et bien que rudimentaire cela s’était avéré efficace. Je savais donc ce que cet homme avait derrière la tête et je me contentais de suivre avec un certain recul les évènements qui se déroulèrent au cours de l’année. Non pas que je n’approuve pas les idéaux de mon directeur : bien entendu que les sang-de-bourbes méritaient d’être séparés de nous autres, sang-purs depuis aussi loin qu’il était possible de remonter. Leur statut n’était pas le même et ils n’avaient pas à fouler le même sol que moi ainsi que d’avoir accès aux mêmes privilèges néanmoins… Quelque chose me gênait avec la façon de procéder de Blackman. Je ne savais pas encore quoi à l’époque, alors je me contentais de rester sur mes gardes et aux aguets tout en suivant les recommandations de Grand-Père. Cet homme se comportait comme si tout était gagné, marquant au fer rouge les né-moldus comme du bétail, provoquant l’allégresse de ceux qui se faisaient appeler Néo-Mangemorts et la révolte de la pseudo Armée de Dumbledore. Et au milieu de tout ça : le sorcier moyen, celui qui ne veut pas prendre parti et qui assiste, impuissant aux évènements. C’est alors que j’ai commencé à comprendre : c’est ainsi que je mènerai mon propre combat : de l’intérieur.
- ANNÉE SCOLAIRE 2021-2022
Deux ans après ma propre entrée à Poudlard – et deux ans après l’échec lamentable de Menesis Blackman à la tête de l’établissement soit dit en passant – les jumeaux me rejoignirent à bord du train en ce premier septembre afin de commencer leur scolarité. J’ai profité du voyage en train pour les rejoindre dans leur propre compartiment afin de discuter sérieusement avec eux. Inutile de dire que l’engouement qu’ils vouèrent pour la rentrée était égal à l’amour qu’ils portaient au pays donc je me devais d’intervenir.
Aucun de nous trois n’était sans savoir que Blackman n’avait pas dit son dernier mot et que cette année serait certainement la dernière que nous passerions dans un tel climat de laxisme et de favoritisme à l’égard des sangs-de-bourbe. Si je restais dubitatif quant à la réussite de Blackman, j’étais surtout inquiet par rapport au comportement de mon frère et de ma sœur. Erin avait toujours été très entière et peu mesurée dans ses propos, et j’étais persuadé que le fait de côtoyer ribambelles de sang-mêlés, traitres à leur sang et autres infamies présentes à Poudlard n’allait guère l’aider à garder sa langue. J’avais fait mon possible pendant deux ans pour maintenir la réputation de ma famille tout en tissant des liens avec les bonnes personnes en cas d’embûches, hors de question de les laisser tout gâcher.
Au moment de quitter le train je rattrapai rapidement la frêle silhouette de mon frère et je le retins par le bras.
« Tiens-toi corrrectement, d’accorrrd ? lui marmonnais-je discrètement à l’oreille avant de soutenir son regard vide et froid, et surrrrveille ta sœurrr. Horrrs de question de nous attirrrer des ennuis, pas si prrrès du but ! »
La suite de la journée aura été un véritable choc pour la famille. Alors que la répartition battait son plein, le nom d’Erin fut appelé en premier et je la regardai s’avancer dignement vers le Choixpeau, un air de défi affiché sur son visage pâle. Le couvre-chef lui tomba devant les yeux et je dû retenir ma surprise en entendant sa répartition. J’eus tout juste le temps de me remettre de mes émotions et d’afficher à nouveau un visage impassible lorsque Finnbjörn fut appelé à son tour. Nous échangeâmes un regard et, à nouveau, le Choixpeau tomba sur sa tête, dissimulant son visage. Cette fois-ci ma mâchoire manqua de tomber en entendant son verdict et je le regardai, impuissant, rejoindre la table des Gryffondor où il fut acclamé et salué à grands cris.
- ANNÉE SCOLAIRE 2022-2023
Une fois encore, au bout de seulement quelques mois monotones passés au château, Menesis Blackman se retrouva derrière la grande table après un combat acharné. Son regard froid et calculateur parcourait la Grande Salle d’un air déterminé avant d’annoncer l’envoi de tous les sang-de-bourbes, professeurs y compris, aux cachots après s’être vus délestés de leur baguette. Les langues se délièrent et la liesse était à son comble parmi les partisans de Blackman, Erin la première. Toutefois une part de moi-même ne peut s’empêcher d’être dubitatif ; depuis le dernier passage de cet homme au château, j’ai eu le temps d’étudier. Beaucoup de sorciers avant lui ont revendiqués les mêmes idées et tentés de la même façon de les mettre en place, en faisant régner la peur et la force. Toutes ces histoires ont un point commun : l’échec. Aucune de ces personnalités, aussi puissante soit-elle, n’est parvenue à maintenir la suprématie des sang-purs. J’ai beaucoup lu depuis, et la solution a fini par m’apparaître, aussi limpide que logique. Nous ne parviendrons à rien en agissant par la force. Toute la puissance d’une telle action résidait dans ses fondations, hors Menesis Blackman n’en avait aucune. Certes, il avait assassiné Minerva McGonagall et il tenait désormais le château et tous les jeunes sorciers qu’il contenait, mais c’était tout. Ils torturaient les né-moldus au grand plaisir des gens comme ma sœur, mais ce qu’il ne voyait pas, c’est qu’il perdait le soutient de la majorité. Le sorcier moyen, ni d’un côté, ni de l’autre, peu certain de ses idéaux. Le sorcier à convaincre, le sorcier à rallier à sa cause, et le sorcier qui voyait dans les sang-de-bourbes, traînés aux cachots et torturés au moindre signe de rébellion, des martyrs. La solution était pourtant simple : pour que nos idéaux perdurent et demeurent, il fallait réformer la société, s’immiscer au Ministère, jouer des lois, flatter les esprits et finalement faire passer l’impensable pour beaucoup de sorciers comme la solution logique et inévitable à la prolifération de notre peuple.
Ainsi donc, je ne me réjouissais pas trop vite et je ne manquai pas une occasion de me faire de précieux alliés si un jour Menesis Blackman venait à échouer. Je faillis succomber à l’allégresse lorsque, en décembre, j’appris grâce à un hibou de Grand-Père que le Ministère était tombé et que Joshua Gates se trouvait désormais à sa tête. Tout semblait aller pour le mieux. Était-il possible que je me sois trompé et que l’ère des sang-purs ne fasse que commencer ?
Malheureusement, ni Grand-Père ni personne ne sembla voir venir ce qui se passa le soir du bal de fin d’année. J’avais revêtu ma robe de sorcier des grandes occasions et je déambulais parmi les sang-purs et sang-mêlés qui étaient conviés à ce fameux bal, me contentant d’éviter du regard les sang-de-bourbes qui devaient nous servir pour la soirée. Ce genre d’occasions était une aubaine pour moi, je me sentais totalement à l’aise dans cet univers pseudo-mondain où l’on se devait de converser mais aussi surtout de plaire à tout le monde. Je cultivais les relations que j’avais fait naître cette année, offrant quelques œillades et sourires charmeurs aux sorcières ainsi que des poignées de mains viriles et des tapes amicales aux sorciers. J’étais dans mon élément, quand soudain la première détonation se fit entendre. Il n’en fallut que quelques autres pour que je comprenne ce qui se passait : la guerre avait commencé, on tentait de reprendre le château. Je dégainais aussitôt ma baguette en cherchant mon frère et ma sœur du regard : ce n’était clairement pas le moment de faire des vagues, pas si tout le système manquait de s’effondrer. Je tentais malgré tout de venir discrètement en aide aux défenseurs du château, en me faisant le moins visible possible tout en gagnant le hall d’entrée. Là-bas je finis par retrouver Erin et Finnbjörn et nous fumes transportés rapidement au Ministère afin d’y être interrogés. Malheureusement, je n’avais aucune fichue idée d’où les opposants au régime de Blackman pouvaient bien se cacher et je ne pouvais m’empêcher d’être furieux : une fois encore, tout avait échoué parce que rien n’était préparé. Même si j’avais tenté de ne pas me laisser gagner par la certitude d’une victoire définitive, j’avais fini par prendre goût à cette vie. Et surtout, j’avais fini par croire à cette fameuse victoire. J’avais tort.
- SEPTEMBRE 2023, ANNÉE SCOLAIRE 2023-2024
La convocation du Minsitère n’avait été une surprise pour personne. Si beaucoup à ma place aurait probablement paniqué, ce n’était pas le cas pour moi. Depuis plus d’un an, j’avais travaillé activement à me construire un réseau susceptible de me venir en aide en cas de coups durs. Il était temps de voir si mes talents allaient me servir. Avant notre départ pour Poudlard, Grand-Père m’avait convoqué dans son bureau en prévision des éventuelles retombées quant à notre implication auprès de Blackman.
« Assieds-toi Hannibal. » m’invita-t-il en désignant le siège d’acajou qui lui faisait face.
Je m’exécutais puis pendant plusieurs minutes, je l’écoutai me parler des sanctions que le Ministère pourrait se décider à prendre.
« Grrrand-Pèrrre, commençais-je lorsqu’il eut fini de parler, je m’étais prrréparrré à cette éventualité. J’ai assurrré mes arrrièrrres, sois en certain. »
Grand-Père ne répondit pas et me fixa pendant de longues secondes avant de se lever et de se diriger vers la fenêtre de son bureau afin de contempler la rue.
« Je suis fier de toi, Hannibal, me dit-il soudain après un moment de silence, il est parfois difficile pour moi de voir que vous avez un pied dans nos affaires maintenant. Je te fais confiance pour limiter les retombées, dans ce cas. Je m’occuperai de Finnbjörn et d’Erin. »
Et il me fit confiance. Lorsque je fus appelé dans la salle d’audience du Magenmagot, j’offris aux jurés une prestation criante de vérité où je leur rappelai sans aucune pudeur que je n’étais qu’un enfant à la merci de nombreux Mangemorts et qu’à ma place, la majeure partie d’entre eux se serait également rangée. Mon témoignage fut appuyé par ceux des camarades que je m’étais efforcé de séduire et de manipuler pour m’offrir divers alibis au cours de l’année et je fus relaxé. Grâce à l’aide de Grand-Père il en fut de même pour les jumeaux et nous pûmes retourner à Poudlard, où toute la fratrie Sørensen était désormais réunie. L’année se déroula calmement et nous tentâmes du mieux possible d’évoluer de façon discrète. Notre temps viendrait, j’en étais certain.