Je réfugie ma tête sous mon oreiller et sens le matelas bouger lorsque Jill saute sur mon lit. Elle me secoue, tire la couverture dans laquelle je me suis enroulée pour me mettre en sécurité. J'ai pas envie d'y aller. J'ai pas envie de l'affronter. Je me sens tellement vulnérable par rapport à lui, il me brise en un regard. Elle reprend la lettre et tente à nouveau de décoder les ratures sans rien ajouter de nouveau. J'ai la boule au ventre et l'impression qu'une bestiole s'amuse à me grignoter de l'intérieur. Super. En plus, je sais même quoi porter. J'ai juste envie d'enfiler le premier pull-over qu'y me tomberait sous la main. À la fois, j'ai juste envie d'enfiler les fringues les plus sexy que je possède pour lui foutre la rage. Qu'il voit ce qu'il a perdu. Mais je crains sa réaction excessive si j'ai le culot de m'arranger de la sorte. De toute façon, c'est décidé, j'irai pas.
Treize heure, je suis revenue du dîner. J'ai eu le temps de réfléchir. J'ai eu le temps de croiser son regard. J'ai eu le temps de me mettre des gifles mentales pour me forcer à y aller. Je peux pas me défouler. Impossible de lui laisser le dernier mot. J'échange un regard à Jill, j'ai presque envie de m'excuser déjà de l'état dans lequel je vais rentrer. Je vois son regard à la fois peiné et à la fois encourageant ; je souris. Franchement, je peux pas rêver d'un meilleur support pour le moment. Tout va de travers dans ma vie, mais pour une fois, j'ai l'impression d'aller droit. Tant pis si ça s'effondre, on reprendra les bases et on reconstruira là-dessus. Des fondations solides, sur lesquelles je pourrai m'appuyer, sur lesquelles je pourrai appuyer mes valeurs. Je me mords la lèvre devant le miroir et remarque mon faciès grave et expressif. Impossible de contrôler ça, mais c'est pas mon but non plus. Je veux juste pas m'écrouler. Je veux juste pas finir broyer par un de ses regards déroutant. J'enfile ma tenue et reçois les remarques de Jill avec le sourire. C'est une plaisanterie, je sais, mais je doute de mon choix. Un tour sur moi-même et je me rends compte qu'elle a raison. C'est trop gentil, c'est trop innocent, c'est plus trop moi. Je suis plus la petite fille innocente et inconsciente qu'il a connue autrefois. J'en ai peut-être l'air, mais j'ai traversé l'enfer. Il n'était pas à mes côtés pour le voir, mais j'ai survécu. Je suis une guerrière affirmée, à présent. J'ai mûri, j'ai évolué, et je suis encore plus têtue qu'auparavant. Il allait défendre son camp et ses intérêts comme j'allais défendre les miens. J'espérais simplement que cette conversation ne tourne pas une nouvelle fois en rond. On est têtu tous les deux, ça veut dire aussi qu'on se fait du mal aussi. On est pas d'accord, et il va falloir accepter notre désaccord pour trouver un accord. Je ne sais pas si c'est malheureux ou heureux dans le fond. J'ai tendance à dire qu'être nous-même et croire en nos convictions sont forcément un signe qu'on est tous les deux bien dans nos têtes. Maintenant, est-ce qu'on se respecte assez mutuellement pour se mettre des limites, afin de ne pas blesser l'autre ? Je ne sais plus. On s'est martyrisé, ces deux dernières années. Je me sens légèrement coupable, c'est vrai, mais je l'avouerai à la seule condition qu'il l'avoue également.

Les cheveux lâchés, mon cadeau entre les mains, je revêts un body noir en dentelle prêt-du-corps et un jeans boyfriend à trous. À la mode moldue, pour bien marquer la différence entre son monde et le mien. Pour bien démarquer son entourage du mien. J'essayais de ne penser à rien. J'essayais de ne pas m'emballer sur quoi que ce soit. Le contenu de sa lettre me revient en tête et à vrai dire, je ne sais pas si ça me veut du bien ou du mal. Je ne sais même pas si lui savait où il allait en écrivant. Je pense juste qu'il a laissé sa plume courir sur le papier. Peut-être la première approche d'un dialogue un peu constructif ? Je n'ai plus qu'à espérer. Je ne sais même pas si je veux qu'il soit aimable avec moi. Je ne sais pas si c'est le mieux qu'on continue à ré-apparaître dans nos vies respectives pour bousculer la balance alors qu'on venait de trouver un équilibre à peu près stable. C'est peut-être le plus facile, qu'il m'ignore si je le déteste. C'est peut-être le moins douloureux, de savoir qu'il n'y a plus rien à faire. J'en sais rien, mais j'étais prête à le découvrir.
Je fais demi-tour en pensant à ne pas être dérangée. Bernabas le Follet me lance un regard désespéré et je remarque que ses trolls préfèrent se taper dessus qu'apprendre la chorégraphie de danse classique qui a été présentée. Mon visage semble montrer qu'il ne faut pas perdre espoir et je repasse en sens inverse, ne quittant pas l'idée principale de vouloir ne pas être dérangée. Les traits d'une porte semblent se dessiner dans le mur de briques et je m'immobilise devant la porte. Personne n'est présent dans le couloir et le bruit des élèves les plus proches sont étouffés. J'ignore si Elijah se trouve déjà à l'intérieur. Je frappe trois fois, n'entends pas de réponse et entre, incertaine. Je referme la porte vers moi et cherche le serpentard du regard. Mon regard se balade sur la pièce et je ne prends même pas le temps de me familiariser à ce décor. Le contenu de la salle m'intéresse moins que le contenu de la tête de mon ancien ami. J'avais besoin de réponses, d'explications. J'avais besoin de me faire pardonner de mes erreurs, j'avais besoin de faire valoriser mes bonnes actions. C'était un peu l'heure du jugement. « Elijah ? » Je passe une main dans ma chevelure blonde et enroule une mèche autour de mon index pour me rassurer. Ça va bien se passer ... Je le cherche du regard et m'avance au centre de la pièce.