Allée pavée d'embuches
Jack & Misha

C’est une démarche experte que de connaitre la meilleure façon d’esquiver les passants. Un pas sur le côté, une épaule subtilement décalée au dernier moment, le tout, en baissant savamment les yeux, pour éviter tout contact visuel dérangeant. L’agitation régnait, en ce jour, sur le Chemin de Traverse, comme la veille et l’avant-veille, comme toujours, en fait. Foule de sorciers, jeunes et moins jeunes, s’agitaient à leurs commissions, certains assurément touristes. Ceux-ci se délectaient d’abondance de sons et couleurs dont débordait ce lieu profondément empreint de vie. Et, au milieu de tous, fantôme parmi les ombres, Misha se déplaçait avec une connaissance précise de sa destination. Lui-même l’avait été un jour, touriste. Et encore aujourd’hui, il n’était pas certain de ne plus freiner sa course au détour d’une échoppe, pour jeter un regard admiratif à quelque nouvel outil magique ou bien, à la vue d’une créature méconnue. Le Chemin de Traverse regorgeait de secrets et merveilles, assurément lieu d’enchantement pour tout jeune sorcier, et qui réveillait, quelque part, l’enfant qu’il avait été, qu’il était toujours d’une certaine manière.

D’un geste lent, l’homme sortit un papier de la poche de son manteau noir. Il faisait encore frais en ces mois de début d’année et, tout de sang polonais qu’il était, le professeur s’était toujours connu comme extrêmement frileux. Ainsi, malgré sa veste, son écharpe et son pull passé par-dessus sa chemise de laine, espérait-il mener ses courses rapidement et rentrer avant la fin de l’après-midi. Dans un soupir, il crut déceler une infime buée de froid. Comme quoi, l’omniprésence de la foule, en ce week-end, ne parvenait pas complétement à réchauffer l’air ambiant. D’échoppe en vitrine, de vitrine en échoppe, le professeur d’étude de runes suivait le parcourt tracé par les mots inscrits soigneusement au sein de sa liste. Limitant les contacts à leur strict nécessaire, il saluait poliment les vendeurs, propriétaires de ces magasins de magie, demandait après ses outils quand il ne les trouvait pas lui-même, payait, et filait aussitôt après de brefs remerciements tout juste balbutiés. Misha pouvait paraitre rude, nonobstant ses formules de politesse, dans la façon qu’il avait de s’exprimer, d’apparaitre. Néanmoins, certains, force de voir sa frimousse fatiguée aux boucles folles régulièrement, s’étaient habitués à ses manières maladroites, parfois sèches.

Au fur et à mesure de l’avancée de ses courses, la sacoche sanglée posée contre sa hanche grossissait à vue d’œil. Il avait aussi deux épais grimoires qu’il gardait, faute de n’avoir pu les glisser dans son sac, contre son cœur et, tandis que le professeur sortait d’une énième boutique, ce qui paraissait être une minuscule cage métallique, cachée sous un voile de tissu, dont il tenait la boucle du majeur et de l’index s’ajouta à l’addition de ses achats. Un choc cependant, avec un passant qu’il n’avait vu en passant la porte, manqua de le faire basculer et les épais livres de sorts tombèrent au sol pendant qu’il préféra préserver l’équilibre de la cage couverte, qui émit une certaine lueur, au travers du tissu, quand Misha se fit bousculer. Un soupir de soulagement se mêla à des grommellements. Grommellements qu’il émit dans sa barbe quand il remarqua que l’autre homme ne s’était même pas retourné après l’avoir heurté. Certaines pages volantes s’étaient échappées des grimoires alors, le professeur de runes commença à les récupérer une à une, fronçant le nez quand il en trouva une à moitié humidifiée par une flaque entre les pavés. Au moins, il n’avait fait tomber son autre objet.

Allée pavée d'embuches
Misha & Jack

Ce n’était pas un week end comme les autres.

En ce début d’année fraîche et revigorante, les vacances d’hiver semblaient de plus en plus loin. Au fur et à mesure que les cours se déroulaient, le temps se faisait plus clément. La neige de Décembre laissait place à la brise glacée de Février, préparant le terrain de Mars, avec ses premiers bourgeons et ses premières lueurs pleines de chaleur. Les élèves commençaient à sortir de plus en plus, le Parc semblait plus animé que le mois précédent, et encore le mois d’avant. On sentait même une ambiance pleine de sourires, de joie, et d’un peu de printemps d’avance. C’était ma première année ici, et assister à ce spectacle me mettait en joie. Pas le type de joie que l’on avait avec ses parents, après le dîner, autour d’un thé. Mais plutôt celui que l’on voulait garder pour soi, comme ce cercle d’amis et de doux secrets que l’on aurait.

Ce n’était pas un week end comme les autres.

Pour la première fois depuis le début de ma scolarité, mon père m’emmenait sur le Chemin de Traverse.
Cela faisait suite aux vacances d’hiver où, remarquant mon intérêt pour certaines matières plus que d’autres, mon père avait décidé d’étoffer ma collection de livres sur les différents sujets.

« ça tombe bien en plus, on doit s’occuper d’aller chercher de quoi s’occuper de Sand, peut être que ta maman fondera pour un petit frère ou une petite sœur pleine de poils au passage ! ». Quand il faisait un sourire pareil, je savais qu’ils en avaient déjà parlé avant. J’aimais bien les voir heureux, juste comme cela. Sur des moments simples. « Je ne viendrai pas avec vous aujourd’hui, j’ai pas mal de choses à faire. J’ai été obligée de ramener du travail à la maison, je suis désolée mes trésors. ». Une légère déception sembla se lire sur le visage de mon père, mais vite disparue devant la journée qui s’annonçait avec son fils.

De la poudre de cheminette plus tard, et nos pas foulèrent le sol du chemin de Traverse.

Le bruit de la foule, les piétinements encombrés de monde, il était difficile pour un enfant de mon âge de suivre les pas de mon père, surtout quand il était déterminé à se rendre dans une boutique précise.
Malheureusement, ce dernier ne prenait plus autant son temps qu’avant. Je me souvins que l’on pouvait passer une matinée entière juste dans la rue piétonne de Lucan, à flâner et à regarder les passants. S’imaginer leur histoire, leur monde, leurs rêves. Mais aujourd’hui, il avait l’air pressé.

Avant même de s’occuper des livres, mon père voulait se renseigner pour un nouveau chat, comme une présence supplémentaire à la maison maintenant que Sand était à Poudlard avec moi. Cela devait faire longtemps qu’il n’était pas venu ici, les boutiques n’avaient pas l’air de l’inspirer. Et quand on connaissait son sens de l’orientation, une carte du chemin de Traverse n’aurait pas été de trop.

Alors qu’il cherchait la ménagerie, à deux pas devant moi, mon père bouscula un homme. Tellement concentré dans sa tâche de trouver le magasin qu’il cherchait, il ne prit même pas la peine de s’arrêter ou de se retourner.

« Papa, attends, Tu as… ».

Au moment où mon regard se posa sur le bousculé, je reconnus sans peine le professeur d’Etudes de Runes de l’école, arrivé récemment. Monsieur Warch…W… Mais pourquoi fallait-il que les professeurs aient un nom pareil? War. Schaw. Ski. Toujours était-il que je le reconnu, baissé pour rattraper les affaires tombées dans la malencontreuse bousculade. Même s’il passait inaperçu de par sa discrétion et son allure, il avait une mine fatiguée et marquée par la triste réalité des épreuves de son Histoire. Dès la première apparition en public, je l’imaginais très bien dans un décor d’histoire de films policiers en noir et blanc, ceux que mon père adorait me montrer.

Je me précipitai pour l’aider à ramasser ses pages volantes sur les vieux pavés piétinés.

« Je suis désolé professeur, mon père est parfois tête en l’air et quand il cherche quelque chose, tout son petit monde prend le dessus sur celui de la réalité. Je suis Jack, en première année chez les Serpentards. On n’a pas encore eu cours ensemble, ce sera dans deux ans si tout se passe bien. ça va aller ? Je veux dire, pour les feuilles mouillées, ce n’est pas trop grave ? ».

Je tâchai de détourner mon regard de la cage recouverte d’un voile, même si ma curiosité intérieure me poussait à me rapprocher de la vile tentation de découvrir ce qu’il y avait en dessous.

Codage par Libella sur Graphiorum

Allée pavée d'embuches
Jack & Misha

Maladresse incandescente. L’homme avait l’impression d’avoir déjà vécu cette situation plusieurs fois. Une sensation bien étrange, comme s’il s’était retrouvé bloqué dans la boucle d’un Retourneur de Temps. Rien de réel, en soit, simplement perturbant. Sentiment lointain de chute et de choc. Surtout quand il était plus jeune. Au moins, cette fois-ci il était certain que ça n’avait été fait avec une mauvaise attention à son égard. Juste le hasard. Malheureux.

Le professeur haussa un sourcil, léger, surpris, quand son champ de vision capta la présence d’une seconde paire de mains – juvénile – qui s’affairaient à récupérer ses affaires. Alors il leva les yeux vers ce petit brun qui, à ses paroles, semblait être élève à Poudlard. Pas un de ceux de ses classe, ce que la suite son discours confirma.
« Oh…votre père… » Misha inspira profondément. Il ne pouvait pas lui en vouloir, il savait comme il était capable de se faire oublier et puis, il n’avait pas fait complètement attention en sortant non plus. « …ce n’est rien. Merci jeune homme. »
Après tout le garçon avait pris le temps de s’arrêter pour l’aider et visiblement, son paternel semblait assez dans son monde pour ne pas l’avoir remarqué. Pour les feuilles, l’homme y jeta un œil, réfléchissant à la question. Il prit quelques longues secondes, pas par doute, mais parce qu’il mettait de l’ordre dans les mots à prononcer. « …Rien qu’un sortilège ne pourrait réparer. Ça ira. Au moins… » il glissa les feuilles volantes dans sa sacoche avec précaution, puis, tapota du bout des doigts la cage que le plus jeune paraissait éviter du regard «… mon Feu-Follet n’est pas tombé. » et il aura suffi que de ce contact pour qu’une lueur transparaisse au travers du tissu. Encore une fois.

C’est à cet instant seulement qu’il tiqua un certain détail dans le discours de ce dénommé Jack. Dans deux ans si tout se passe bien ? Il attrapa ses grimoires, les calant dans le creux de son coude en se redressant, juste le temps pour lui de remonter ses lunettes fines sur son nez. « Vous êtes intéressé par le Cours d’Etude des Runes monsieur Jack ? » il était surpris d’entendre ça de la bouche d’un si jeune élève. Ce dernier était en première année, de ce qu’il avait dit. Généralement, les étudiants ont plus à cœur leur premier cours de vol en balais. Rien que d’y songer, Misha eut un frisson désagréable. Enfin, il existe des exceptions partout, lui-même l’avait été.
Il fut un temps.

Allée pavée d'embuches
Misha & Jack

Mon père n’avait pas encore remarqué que je ne le suivais plus. Je me demandais combien de temps il allait mettre pour s’en apercevoir. J’avais de quoi être joignable au cas où de toutes les manières. Mais ce que je me demandais surtout, c’était les raisons pour lesquelles il avait tant changé. D’habitude, ma mère était obligée de nous attendre régulièrement pour avancer. Le voir comme cela n’était pas commun, ce qui m’interrogeait sur un quelconque tracas. J’avais créé une certaine distance depuis que j’étais à Poudlard. Je ne pouvais pas les voir au quotidien, je n’étais donc pas au courant de tout ce qu’il pouvait se passer à la maison. Nous échangions des lettres, mais les relations épistolaires ne reflétaient pas pour autant la réalité. Surtout entre parents et enfants.

Me focalisant sur l’instant présent, les questions viendraient après, je tentais d’aider le professeur du mieux que je pouvais. Autour de nous, les passants ne s’arrêtaient pas, nous contournaient sans broncher, comme un obstacle naturel que l’on évitait. Comme des automates programmés pour aller d’un point A vers un point B, personne ne baissait le regard sur notre scène. Comme un banc de poissons qui s’écartait et se divisait pour laisser passer les gros prédateurs. Nous étions tous les deux autour de cette masse bruyante.

Je pris tout de même le temps de m’excuser pour ses feuilles que l’on ne pouvait pas rattraper.

« J’espère qu’il n’y avait rien d’important là-dessus. C’est dommage qu’on ne puisse pas faire sécher et retrouver la trace par un sortilège, alors que nous avons des formules qui nous servent à tuer dans d’atroces douleurs. Je me demande souvent comment les sorciers ont préféré se battre plutôt que réparer l’irréparable. ». Ma réflexion était venue à l’improviste. Je ne m’étais jamais posé la question, moi qui détestais me battre. Je ne m’étais jamais penché sur la question, n’utilisant jamais les sortilèges de combats et de défenses. Cela m’avait d’ailleurs porté préjudices pendant les cours de Défense Contre les Forces du Mal. Je me souvenais du professeur Mandrake, avec son imposant charisme, nous apprendre le sortilège de protection, où j’avais été d’une fastidieuse prestation.

Mais j’avais bien entendu, dans ma remarque, que le professeur parlait d’un Feu-Follet. Je n’en avais jamais vu de près, ni en vrai. Je m’étais intéressé aux créatures magiques il y avait peu, dans les livres comme à mon habitude, et mon père m’en avais parlé dans un de ses articles, mais rien qui n’allait approfondir le sujet. Mais dans ma curiosité maladive, j’avais lu des jolies choses sur le sujet.

« Vous êtes intéressé par le Cours d’Etude des Runes monsieur Jack ? »

Monsieur Warschawsi m’avait appelé Monsieur. Moi, Jack, un enfant de onze ans. Je n’étais pas du tout habitué à cette marque de respect pour ma personne. La surprise était totale, même si de courte durée. Je me focalisai sur la question que ce dernier me posait. Si j’étais intéressé ? A dire vrai, tout m’intéressait dans la vie. Tout ce qui pouvait s’apprendre, se retenir, se lire, et s’imaginer, m’intéressait. Toutes les histoires que l’on pouvait inventer autour de chaque sujet, ce travail de création d’une histoire, c’était mon passe-temps favori. Alors quand le professeur me demandait si l’étude des Runes m’intéressait, ma réponse était toute trouvée.

« Bien sûr, professeur. Quand je suis arrivé à Poudlard, j’ai été un peu déçu que l’Etude des Runes ne soit accessible qu’aux troisième année. Mais je me suis fait une raison, ça doit être dangereux et impliquer de trop grandes conséquences pour un élève de mon âge. Mais je suis toujours intéressé, de ce que j’ai lu en tout cas. J’ai pu lire le Rúnabók, ce qui m’a donné les bases, mais je n’ai jamais eu l’occasion de mettre en pratique, mes parents ne préféraient pas prendre le risque vu qu’ils ne savaient pas vraiment comme s’y prendre. Mais je serais vraiment curieux d’essayer ! »

Codage par Libella sur Graphiorum