Le temps s’était écoulé à une vitesse folle depuis le mois de février. Liu Xi avait apprécié sa ‘’permission’’ du week-end du nouvel an chinois, elle avait enfin pu voir ses parents et leur donner des nouvelles de vive voix. Cela n’avait pas été très agréable au premier abord, elle avait laissé son tact habituel de côté pour leur décrire sa situation, leur expliquer ses nouvelles contraintes, son besoin de construire quelque chose – quelque chose de différent, de peut-être plus ‘’plan plan’’ encore à leurs yeux qu’une herboristerie – après tout ce qui s’était passé. Elle ne détenait pas la vie population en détresse entre ses mains, mais sa propre vie, et jusqu’à preuve du contraire, ils n’avaient pas été là pour tendre les leurs, il était un peu facile de juger ses choix aussi durement. Le ton était monté, mais finalement chacun avait fini par voir la situation par les yeux de l’autre, par faire amende honorable et s’excuser pour les propos durs qui avaient été tenus. Le week-end s’était ensuite déroulé dans une décontraction certaine, jusqu’à ce que Fergus ait une légère crise d’arthrite, ce qu’il avait appelé un simple bobo aux mains. Liu Xi avait interrogé son père pour savoir depuis quand la douleur était là, essayé de tirer les vers du nez de sa mère mais tout deux s’accordaient sur l’aspect bénin de la chose. La jeune femme avait tenté de ramener ses géniteurs à la raison, quitte à être en ville, autant prolongé leur séjour d’une journée et faire quelques examens pour obtenir un traitement, même si ce n’était pas grave cela valait mieux que souffrir inutilement le jour où une crise se déclarerait. Son père l’avait envoyé balader, elle avait bruyamment soupiré et traduit à sa grand-mère qui avait répondu malicieusement : ‘’ la vraie vieillesse, c’est quand on n’est trop vieux pour prendre soin de soi-même et qu’on se comporte comme un enfant ‘’. Mei avait lancé un regard courroucé à sa propre mère, refusant de traduire l’affront, contrairement à Liu Xi qui prit un malin plaisir à contrarier son père. ‘’Puisque tu as apparemment réussi ton diplôme de médecine depuis notre dernière visite, je suppose que je peux te laisser examiner mes mains ma fille’’ avait-il dit avec la même malice. Cela avait un peu rassuré l’herboriste. Elle pouvait sentir les inflammations, mais ce n’était effectivement pas un état grave. Bien entendu, une radio aurait confirmé cela et permis de voir l’étendue des dégâts bien plus que ses petites mains ouvrières, mais elle ne tirerait pas plus de son père ni de sa mère. Elle se demandait ce qui pouvait bien les attacher à ce point à ce coin perdu du monde. Leur faire perdre à ce point leur bon sens, leur faire oublier de prendre soin d’eux. Elle n’aurait probablement pas la réponse avant d’avoir trouvé un moyen d’y mettre les pieds.

Aussitôt rentrée à Poudlard, elle commença à préparer un dossier de demande de visa pour le Yémen. Ce ne serait pas simple, il faudrait qu’elle trouve de bons arguments et de bons circuits… Elle avait le temps d’y réfléchir avant les vacances d’été. Elle avait parlé de son projet à Blake à son retour, car comme promis, elle lui avait ramené un plat débordant de raviolis et de victuailles de nouvel an. L’infirmier connaissait bien ses parents, et elle ne voyait pas l’intérêt de lui mentir, d’autant que même si elle trouvait que son père prenne une telle distance avec sa propre santé, il ne lui semblait pas en danger. Juste trop imprudent, même pour un MacDougall. La vie au château avait continué, elle avait pris des nouvelles régulières de sa famille, tout en préparant la serre contre la simulation d’attaque, assurant les cours et les ateliers… Elle avait même trouvé le temps de sélectionner quelques maisons en banlieue de Londres, de profiter de la cuisine de Blake (après tout, chacun son tour ! ) et de sa présence. L’arrivée d’un assistant lui laissait sans doute un peu plus de temps libre ? A moins qu’il ait trouvé intéressant d’en libérer pour elle ? Elle saurait se laisser séduire par l’idée, si elle écoutait cette pensée. Mais malheureusement, son esprit fut de nouveau occupé par d’autres préoccupations. Elle avait reçu courant mars un appel de son père, lui demandant si à tout hasard, elle ne pouvait pas lui faire parvenir un quelconque remède à base de plantes pour ses mains. Il ne souffrait soi-disant pas le martyr, mais c’était un peu handicapant pour travailler. Soit. Liu Xi n’y voyait pas d’inconvénient, même si elle ne manqua pas de plaisanter sur le fait que n’ayant pas fait médecine, il lui était difficile de trouver le bon traitement sans un bon diagnostique. Elle était d’ailleurs étonnée que ce genre de traitement ne soit pas disponible pour les patients sur place. Est-ce que l’association avait encore été limitée en budget pour les médicaments ? Elle s’était renseignée rapidement sur les possibilités d’envoi d’un colis par les voies normales poste et autre transporteur, mais les chances d’aboutir étaient tellement faibles qu’elle avait rapidement renoncé. Alors Liu Xi avait pris le parti de téléphoner à un ami de la famille, aux états-unis. Connor était un vétéran, un jeune vétéran, gravement blessé, dont les parents de Liu Xi s’étaient occupé… Elle aussi d’une certaine manière, après tout, une petite romance avec la fille du médecin n’avait jamais tué personne ! Ils avaient gardé contact tous les quatre, Connor s’occupant depuis son accident de la réinsertion d’autres soldats dans le civil. Les MacDougall conseillaient souvent sa fondation à leurs patients dans le besoin, Liu Xi donnait un coup de main pour les démarches si certains souhaitaient s’installer au Royaume Uni. Appeler pour un service même après des mois de silence était une affaire courante, et quand le militaire avait su la raison de son appel, c’est à peine s’il avait pris la peine de lui faire les habituelles remontrances et blagues sur l’irrégularité de leur coup de fils. Il avait promis de faire passer le colis à un convoi militaire qui se rendrait là-bas dès que possible. Il lui avait fait jurer de bien étiqueter l’ensemble des produits par un traducteur assermenté pour qu’aucun soupçon de contrebande n’ait sa place. A contre cœur, Liu Xi avait également envoyé un hibou du château, espérant qu’il ne lui arriverait rien sur un trajet aussi chaotique. Elle attendait à présent anxieuse des nouvelles de son père.

Nouvelles qui n’arrivaient pas, et la faisait se sentir aussi seule qu’impuissante. Aussi quand Blake lui proposa de la rejoindre un samedi début avril pour une séance d’escalade, elle eu l’impression qu’on lui offrait une bouffée d’air. Elle accepta avec plaisir.

Samedi. Liu Xi avait passée une nuit plus paisible que les précédentes, la perspective de ne pas passer son week-end à Pré au Lard à attendre un éventuel SMS de ses parents mais de s’occuper en bonne compagnie se dit-elle. La jeune femme avait contemplé sa garde-robe de sportive quelques instants, songeuse… Quelle tenue mettre pour crapahuter à l’aise sur un mur ? Son choix se porta sur un cuissard de yoga en coton qui resterait agréable avec un baudrier, sans être trop chaud. Généralement la température au château était stable compte tenu de l’épaisseur des murs, mais en plein effort… On ne savait jamais à quoi s’attendre. Elle enfila une de ses brassières de sport à zip frontal et un débardeur blanc, attacha ses cheveux en une queue de cheval. Elle en fila des chaussettes antidérapantes qui lui laissaient les orteils libres et chaussa ses baskets : si la semelle était trop dure, il lui suffirait de monter avec ses petons. Après tout, c’était une technique efficace pour les singes et elle connaissait suffisamment ses points d’équilibre grâce au Qi Gong pour s’y risquer. Elle enfila une robe printanière pour couvrir un peu tout cela et traverser les couloirs jusqu’à la salle sur demande. Six étages, c’était parfait pour l’échauffement !

Elle passa trois fois devant le tableau et la magie opéra…ouf il n’aurait plus manqué que la salle soit capricieuse, songea-t-elle amusée. Elle poussa la porte et trouva Blake qui l’attendait déjà. Liu Xi lui sourit, radieuse. La présence de l’infirmier l’apaisait : elle savait qu’il n’y aurait pas de faux semblants, qu’il la sûrement chahuterait avec humour… Elle appréciait les moments qu’ils passaient ensemble, elle trouvait les choses simples. Est-ce qu’il en était de même pour lui ? La jeune femme avait en tout cas l’impression qu’il ne s’ennuyait pas en sa compagnie – même si elle était bien moins expansive et fofolle que la plupart de ses amis –, la recherchait-elle ? Elle n’arrivait pas à le déterminer, mais pour l’instant cela n’avait pas vraiment d’importance. Elle comptait bien profiter du moment et s’amuser avec lui. « Salut ! J’espère que je ne t’ai pas fait attendre ! Tu as passé une bonne semaine ? » lui demanda-t-elle. Elle regarda autour d’elle et après avoir trouvé un rebord de fenêtre où la déposer, elle retira sa robe sans faire de manière. Les tenues de sports étaient de manière générale si moulante qu’il lui semblait un peu hypocrite de jouer la pudeur. « Je ne savais pas trop comment m’habiller, alors j’ai fait simple et confortable, dis-moi si ça ne convient pas. Je peux toujours aller me changer vite fait ! » Elle tourna sur elle-même en une parodie de défilé. « Alors, dis-moi tout professeur ! Comment suis-je censée arrivée là-haut, sans m’étaler comme une crêpe ? » dit-elle en contemplant le mur d’escalade. C’était évidemment moins haut qu’une falaise abrupte, mais ça restait quand même une distance certaine à parcourir. Cela ne l’effrayait pas outremesure, au contraire, elle avait plutôt envie de relever le défi et de se dépasser. Comme une sorte de compétition avec elle-même. Les yeux brillants d’excitation, elle attendait les explications de Blake.

Blake était déjà dans la salle mais pas depuis longtemps…ouf. Il avait une petite mine, ce que confirma sa réponse. Liu Xi lui sourit gentiment, elle savait que son nouvel apprenti lui causait quelques problèmes. Nul doute que Dante essayait de faire de son mieux, qu’il était plein d’enthousiasme, mais bien souvent l’adage ‘’l’enfer est pavé de bonnes intentions’’ est on ne peut plus vrai. La jeune femme ne pouvait pas grand-chose pour aider l’infirmier dans ce nouveau rôle… La seule personne qu’elle avait envisagé de prendre en apprentissage était Milo, car elle savait qu’il serait aussi perfectionniste qu’elle. Et elle l’avait longuement prévenu sur son caractère intransigeant. Ce n’était pas un défaut dans ce genre de métier, mais une preuve de sérieux, une condition pour exercer efficacement. Il fallait déjà mettre tant d’énergie et de concentration dans les diagnostiques, les préparations, que si en plus il fallait passer son temps à corriger les erreurs d’inattentions et les petits ‘’il n’y a pas mort d’homme’’ d’un élève, c’était très difficile à gérer. Il n’y aurait pas mort d’homme uniquement si quelqu’un prenait le temps de réparer les petits écarts.
La jeune femme tapota avec compassion l’épaule de son ami : « Les joies de la formation pas vrai ? ». Evidemment, c’était différent d’enseigner à Poudlard que de former un professionnel. Les enjeux n’étaient pas les mêmes, mais au final, c’était tout de même assez intense en terme d’investissement. « Allez courage, on oublie tout ça le temps du week-end. Je suis sûre que Dante s’en sortira à merveille pendant quelques heures. Et si jamais tu as envie de le jeter par la fenêtre, envoie le moi, il révisera ses plantes médicinales dans le jardin le temps que ça te passe. » dit-elle en riant. C’était peut-être un peu…infantilisant de parler ainsi de l’assistant. Comme on propose de garder quelques heures un bambin récalcitrant pour que ses parents se reposent. Mais ce n’était pas méchant. Elle n’avait rien contre Dante, il fallait bien qu’il apprenne, mais si Blake avait besoin de quelques heures de répit dans la semaine, elle pouvait bien le décharger un peu.
Quant-à elle ? Que répondre ? Elle était toujours dans l’attente de cette fichue lettre, et en parler ne changerait pas grand-chose à cela, si ce n’est à ramener cette désagréable sensation d’anxiété. Et elle comptait bien la laisser dehors pour l’instant ! « Oh, et bien je dois avouer que j’ai accueilli la fin de mon dernier cours avec autant de joie et de bonheur que les élèves je pense ! Je suis ravie de pouvoir me changer les idées en ta compagnie.»

Liu Xi pouffa en entendant la réponse de Blake quant à ses vêtements… A quoi s’attendait-elle franchement ? Mais s’il voulait partir sur ce ton là, elle pouvait tout aussi bien suivre… « J’ai hésité, mais je me suis rendue compte que je n’en avais pas. Promis, j’investirai pour le cours de surf ! Allez au diable le confort ! » dit-elle en faisant mine de retirer son t-shirt. Dans les faits, les tenues de sport étaient tellement près du corps qu’elles ne laissaient pas vraiment de doute quand à la physionomie de la jeune femme. Il s’agissait clairement plus d’une seconde peau que d’un camouflage, sa brassière de sport pouvait tout à fait se porter visible, aussi n’était-elle pas gênée de rentrer dans le jeu de l’infirmier. Mais cela aurait été un petit peu trop facile de s’exécuter. Elle donna l’air de se raviser, « Ce n’est pas que je ne veux pas améliorer le paysage, mais je ne voudrais pas créer un trop grand déséquilibre entre nos tenues tu comprends. ». dit-elle avec un sourire charmeur au coin des lèvres. Elle n’avait rien contre se rincer l’œil aussi, même dans les faits, elle allait surtout contempler la paroi : c’était une question de principe.
L’infirmier continua sur sa lancée, lui donnant probablement le conseil le plus pertinent de l’année. Elle l’accueillit en reprenant son plus grand sérieux : « Oh, c’est donc comme ça qu’on fait. Si avec ça je n’arrive pas jusqu’en haut, je ne sais pas ce qu’il me faut ! ».

La jeune femme sourit à Blake. Leurs problèmes étaient effectivement bien dérisoires, et probablement qu’un peu de bonne volonté et de motivation suffirait à les reléguer à leur juste place. Mais parfois, l’esprit humain était un peu contradictoire, et préférait de loin chercher la petite bête. Elle ne parvenait pas plus que Blake à faire abstraction de ses petites contrariétés. « Attention, si tu commences à radoter et à faire remarquer qu’une bonne guerre ne nous ferait pas de mal, histoire d’avoir de bonnes raisons de râler, je te file un déambulateur ! » plaisanta-t-elle à son tour. Nul doute qu’il appréciait autant qu’elle avoir le loisirs de se plaindre de choses plus ou moins futiles, la bataille de l’année dernière s’ajoutait à la longue liste de celles qu’il avait suivi dans sa carrière et elle ne l’imaginait pas vraiment avoir ce genre de sortie. Mais elle aussi était d’humeur taquine. Tampis si c’était au détriment de Dante, elle n’était pas du genre à jouer les vipères dans le dos des gens, mais l’apprenti ne serait que de passage et ne brillait pas par son talent, aussi, n’avait-elle pas trop mauvaise conscience. Et puis, le jeune homme aspirait à un métier où l’on ne devait pas simplement être pétri de bonnes intentions, mais également de rigueur, de volonté et de sérieux, ce qui ne semblait pas être son cas. Elle comprenait que Blake qui mettait tout en œuvre pour que les élèves soient en bonne santé ne soit pas particulièrement jouasse d’avoir un jeune chiot en train de lui mordiller les godasses.
Et en parlant de jeune chiot… l’infirmier se lança dans une petite crise de caprice bien plus vraie que nature ! Elle se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire – elle imaginait soudain Blake jetant Dante tel Hulk par la fenêtre avec l’exagération toute propre aux comics - et se concentra pour répondre complètement blasée à sa petite scène.

«Bon bon… d’accord, ne tape pas du pied ! Tu me demandes de couvrir tes méfaits alors ? C’est bien parce que c’est toi, et que si vraiment il n’est pas résistant, j’ai toujours quelques plantes à nourrir grâce au programme délirant de cette école ou du compost à renflouer ! Je lui mettrais un joli p’tit lit quelque part dans l’appartement ou bureau ou quoi que…directement dans le jardin, il sera bien là, à m’écouter bavasser sur mes plantes vertes ! » Elle marqua une pause, et pris un air horrifié alors qu’elle prenait conscience de la réalité des choses. Elle avait signé pour une petite leçon, un peu de babysitting certes, mais ça dépassait un peu le contrat de base. « Hey, mais ça veut dire que je vais devoir jouer les infirmières si tu l’abîmes ? Tu crois qu’il est du genre à souffrir en silence, à réclamer toute l’attention du monde ou à ne vouloir aucun soin ? » demanda-t-elle espiègle. Puis elle fit mine de réfléchir… « Tu me diras, une fois qu’il sera suffisamment réparé, il pourrait s’entraîner à faire les soins sur lui-même, ça lui permettrait de se rendre compte de l’étendu de ses talents. C’est une méthode comme une autre… » dit-elle pas mécontente de sa trouvaille. C’était un peu sadique comme procédé, certes. Mais après tout, personne n’était mort de devoir se faire une injection ou quelques points de sutures, ça permettait d’apprendre à se concentrer malgré la douleur, à aller vite et de ne pas dire à tout bout de champs à ses patients ‘’bah prenez sur vous ça pique juste un peu.’’ Liu Xi n’était pas infirmière mais elle avait appris auprès de ses parents les bases du métier, pour pouvoir aider en cas de besoin. Un bandage, une injection, réduire une fracture simple… Cela n’était pas des tâches ardues, de la grande médecine, mais cela importait peu : il fallait tout de même le faire avec soin. Une plaie bénigne mal désinfectée pouvait devenir une vraie catastrophe en quelques jours. Tout avait des conséquences. Néanmoins, elle s’imaginait mal pouvoir breveter la technique, elle n’était pas très pédagogique.

« C’est pour ça que je cours tous les matins : pouvoir les laisser sur place en deux temps trois mouvements et siroter un cocktail les doigts de pieds en éventail pendant qu’ils rangent avant d’entamer leur week-end. Il faut savoir profiter de sa position. » répondit-elle en riant. Bon dans les faits, elle n’avait pas siroté de cocktail, et il était hors de question que les élèves mettent le bazar dans son organisation avec leurs logiques de rangement hasardeuse. D’autant qu’en général, il n’y avait pas tant de choses à ranger que cela, un peu de nettoyage, les outils qui ne faisaient pas partie du trousseau du parfait petit élève de Poudlard et le tour était joué. Quand à soigner ses plantes, c’était plus un plaisir que du travail, et elle mesurait sa chance.
« Ou peut-être que mon côté femme des bois ne s’embarrasse pas de Bikini, qui sait » dit-elle l’air mystérieux. Dans tous les cas, elle n’en avait pas utilisé pour se laver dans la rivière de sa forêt cet été, ce n’était pas un mensonge ni un effet de style. Et par la suite cela n’avait pas été une priorité dans ses achats par la suite : après tout, des après-skis étaient plus rentables à Poudlard. Elle n’y avait tout simplement pas pensé. Mais la perspective de traîner en maillot sur la plage ne lui déplaisait pas aujourd’hui, un grand soleil, un peu de sable, de l’eau pour se rafraîchir… Bon sang, le doux parfum des vacances. Elle n’était pas spécialement fan des stations balnéaires, mais elle ne dirait pas non à quelques jours passés à lézarder sur une plage un bouquin à la main, avec vue sur les surfeurs de temps à autre. « Mais promis, j’investirai dans l’uniforme adéquat ! Et puis, je pourrais toujours le rentabiliser, pour mon cocktail du vendredi soir au bord du lac. » dit-elle avec le plus grand des sérieux. Comment ça ce n'était pas approprié pour une professeure?

Liu Xi éclata de rire quant à la réplique de Blake, à ce train là, on en serait à discuter de hauteur de pic et de falaise dans peu de temps… Ce qui ne l’empêcha pas de lui lançant à son tour « Oh vraiment ? Heureusement pour toi que j’ai plus d’expérience dans ce type d’ascension alors ! Je me demande bien lequel des deux style est le plus exigeant ! ». Reprenant l’air pervers de son ami, elle le détailla de haut en bas, fine connaisseuse. Après tout, elle n’avait pas eu l’image, mais ses mains gardaient un (trop – pour être honnête et parfaitement dénué d’intérêt - ) bon souvenir du massage prodigué plus tôt dans l’année. Puis elle reprit un peu son sérieux…

« … Je ne voudrais surtout pas te décevoir » dit-elle en approchant la paroi, et en saisissant avec un soin exagéré l’une des prises. « Ça va comme ça ? » continua-t-elle avec une mine de première de la classe. « Mais oui, tu es parfait, je pense que tu peux commencer le dossier… Avec des consignes aussi simples, je ne vois pas comment on pourrait te reprocher d’être un mauvais instructeur, Dante c’est juste le pourcentage d’erreur, pour faire un peu plus réaliste dans les statistiques ! » dit-elle en riant. Le pauvre devait avoir les oreilles qui sifflaient.

« Que veux-tu, mon deuxième prénom c’est Austère. On n’est pas là pour s’amuser. » dit-elle en prenant un air irrité, ne cédant pas un pouce à son adversaire, avant de lui sourire. Elle doutait fort qu’il trouve son idée si géniale, et était probablement tout à fait d’accord avec Liu Xi Austère. Personne au monde n’avait besoin d’une bonne guerre, et cette adjectif ne pourrait jamais s’accoler à un conflit. La jeune femme regarde Blake avec un air de conspiratrice. Entre les compétences médicales de l’infirmier et sa force, et ses propres atouts –un jardin, un discours adapté à chaque situation - ils pourraient devenir un couple infernal et faire disparaître bien du monde en toute discrétion. Mais dans les faits, Liu Xi n’était pas du genre à souhaiter la mort des gens. Bien sûr, elle n’a pas la naïveté de penser qu’elle est plus vertueuse que quelqu’un d’autre. S’il l’avait fallu, elle aurait achevé sans état d’âme le premier Mangemort à sa portée pour sauver l’un de ses amis, abattu un soldat près à attenter à la vie de ses parents, et elle était certaine que sous le coup de l’émotion, elle l’aurait fait sans se poser aucune question éthique. Les questions et les interrogations seraient sûrement venues après, mais elle n’était pas persuadée d’y ajouter des remords. Mais, fomenté un plan pour se débarrasser de quelqu’un, c’était une autre histoire. Sa nature même la pousserait à chercher une solution loin de tout conflit déclaré. « Le monde n’a qu’à bien se tenir ! » ajouta-t-elle simplement, un sourire triomphant aux lèvres.

« Le fantasme de l’infirmière, il a tout les défauts ce petit, on y rajoute le manque d’originalité ! Quand il verra ma grosse aiguille, il retrouvera sûrement la raison ! » dit-elle en plaisantant. Elle était une soignante dévouée, mais sûrement pas à ce point. Enfin ou en tout cas pas dans un contexte professionnel. Et en parlant de professionnalisme, Blake semble tout à fait réceptif à l’idée de soirée cocktail au bord du lac. Il n’avait probablement pas tord en disant qu’Aaron serait sûrement le premier à venir se joindre à elle, elle imaginait beaucoup moins Morgana faire confiance aux élèves pour ranger ses précieux chaudrons et fioles d’ingrédients. « Ecoute, je vais lui soumettre l’idée pour la semaine prochaine, je te tiendrais au courant si tu veux nous rejoindre : je te prépare un virgin mojito ! » dit-elle en riant à son tour.
Que porte une femme des bois ? Très bonne question. Dans son cas précis, elle avait simplement porté les vêtements qu’elle avait sur elle les jours de l’incendie, elle avait fait sa lessive quotidiennement, en essayant de se débrouiller pour ne pas être trop crasseuse le temps de trouver le courage de se racheter une tenue. Ce n’est donc pas réellement un mensonge lorsqu’elle répond amusée : « Et bien rien, ou alors des jolis pagnes en feuilles si on en a à portée de main. Les vêtements, c’est de la triche, ça ne pousse pas dans la forêt ! »… peut-être qu’elle pourrait suggérer au groupe dont elle s’occupe pour les ateliers un petit cours sur les vêtements naturels et bio dégradables et lancer une nouvelle mode dans Poudlard ? Il serait cependant difficile de respecter les couleurs des maisons, pas de problème pour le vert, le jaune ce n’était pas très compliqué, mais le rouge et le bleu, il allait falloir faire quelques recherches pour les pigments. Quant à prendre un cocktail avec les élèves en maillot de bain, elle imaginait sans peine le moment de gêne ultime que cela représenterait pour elle. Finalement, même si elle ne trouvait pas cela très élégant, les robes de sorcier avaient au moins l’avantage de ne pas trop en dévoiler. Certaines étaient même carrément très couvrantes, presque monacales. La professeure n'avait pas spécialement envie d'attirer tous les regards, en tout cas pas ceux de ses élèves, mais elle ne ressentait pas non plus le besoin de se cacher. Quant aux élèves, ils battaient de toute façon des records de vitesse en fin de semaine quand il s’agissait de quitter les cours, même sans la perspective de la voir en maillot de bain. Peut-être faudrait-il organiser une compétition à l’occasion, un petit sprint jusqu’au lac ? Mais trêve de divagation, il est temps de se mettre à grimper.

Sur la paroi, pour l’instant en tout cas ! « Tu ne m’en veux pas, mais je vais commencer par le plus difficile. » dit-elle en plaisantant à son tour, jetant un regard au grand mur d’escalade. Du bout du pied, elle tâte la mollesse du tapis, a priori, si elle tombe, elle fera juste un magnifique plat comme à la piscine et serait un peu ridicule, mais elle n’en mourrait pas. L’échec, aussi désagréable soit-il, faisait partie de l’apprentissage. Et Liu Xi n’était pas du genre à se décourager parce que les choses pouvaient paraître difficiles. Au contraire, elle avait d’autant plus envie d’essayer de se dépasser. C’est donc tout à fait motivée qu’elle laisse Blake la préparer pour sa première ascension, un mot peut-être un peu exagéré compte-tenu des conditions, on était bien loin de l'Everest, mais il s’agissait malgré tout de grimper. Elle écoute avec attention les consignes de l’infirmier. Elle essaye de visualiser ce qu’il entend par là, et même si elle n’y aurait probablement jamais pensé toute seule, cela lui parait logique, et ça l’arrange bien : elle a clairement plus de force dans les jambes que dans les bras. Peut-être a-t-elle une chance d’arriver en haut. « Mmh, ok je crois que je vois le principe. »
Liu Xi observe avec attention les prises sur le chemin, elles lui paraissent également distribuée sur la surface, elle devrait pouvoir grimper en ligne droite ? Mais peut-être qu’une fois le nez contre le mur, les choses perdront cette netteté. Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, alors elle se lance. « J’essaye de monter un peu, et tu me dis ce qu’il faut que je corrige ? » dit-elle en prenant ses premières prises en main. La jeune femme essaye de suivre les conseils de son moniteur, plaçant d’abord ses pieds avant d’attraper un peu plus haut. Elle ne prend pas trop de risques pour l’instant, s’habituant à la sensation de grimpe et aux textures sous ses mains et ses pieds. Cela lui parait un peu étrange que d’avancer de la sorte, la position n’est pas très naturelle, et c’est un peu difficile de savoir où poser les pieds. Elle n’est pas très sûre d’elle, mais la présence de Blake derrière elle la rassure, elle ne craint pas de tomber. Une fois qu’elle sera en plus haute, ce sentiment de sécurité disparaîtra peut-être, mais elle tient bon pour l’instant. Elle ne va peut-être pas en ligne très droite, mais elle a repéré le point de clippage et compte bien l’atteindre. Une fois qu’elle y est elle ne sait pas trop ce qu’elle doit en faire. Elle se tourne légèrement vers Blake, c’est aussi l’occasion de voir si elle a le vertige après tout… Bon, elle ne resterait pas des heures à bavarder dans cette position, et elle se cramponne avec force, mais à cette hauteur en tout cas, elle ne se sent pas attirée par le vide. « Alors, est-ce que je concours pour le titre de ‘’pire élève de toute ta carrière ‘’ ? » demande-t-elle avec un sourire timide, en attendant les commentaires et conseils de son ami.

« Tu t’en remettrais ou je te consolerai !» dit-elle en riant. Elle imaginait mal Blake s’enliser dans le marasme pour avoir été contredit. Sans même mentionner le sujet : certes il y avait des pompiers pyromanes, mais l’infirmier était bien trop droit dans ses bottes, bien trop altruiste pour faire partie de ceux-là. Il avait vécu des choses bien pires, et d’après ce qu’il lui avait raconté, s’était sorti de situation bien plus difficiles psychologiquement que ces simples contrariétés… Et il semblait malgré son agacement envers son nouvel assistant, avoir trouvé son équilibre au château. La présence de Tasha n’y était sûrement pas pour rien. Tout cela pour dire, qu’il y avait peu de chance qu’il finisse effondré dans les bras de Liu Xi dans un avenir proche et tant mieux ! Elle préférait passer l’après-midi à rire avec lui. Pourtant, elle espérait qu’il savait que ce n’était pas qu’une plaisanterie, et qu’elle saurait être une oreille attentive, si un jour il en ressentait le besoin.

Evidemment, il saisit la perche que la professeure lui tend : difficile de louper une de cette taille. « Que veux-tu, je suis une professionnelle bien équipée, j’ai des aiguilles de toute taille ! Mais je suppose que je ne peux pas concurrencer ton équipement.» se pouffa-t-elle, un air malicieux sur le visage. Mais pour faire fuir Dante, l’idéal est tout de même de sortir la plus monstrueuse… Ce serait dommage pour lui qu’il ait peur des aiguilles, mais ce serait tout de même très drôle. Quant à la concurrence de Blake…fallait-il réellement commenter ? Liu Xi faisait évidemment référence au matériel médical que l’on trouvait immanquablement à l’infirmerie, c’était tout à fait crédible.

Presqu’autant que Blake laissant à l’agonie ses petits protégés pour venir se prélasser au bord du lac. Et si la jeune femme n’avait pas prévu de retourner jouer les filles des bois dans l’immédiat, l’idée de le faire en compagnie de l’infirmier n’était pas déplaisante. Elle chassa les images de baignade dans les rivières gelées en tenue d’Eve de son esprit, avant de conclure le marché à son tour avec le plus grand des sérieux: « Avec plaisir, je suis sûre que l’immersion totale te permettra de conduire ton étude avec d’autant plus de rigueur ! ». Parce qu’il ne fallait tout de même pas qu’il s’imagine pouvoir éviter le déshabillage ou la fabrication du pagne, elle comptait elle aussi profiter de la vue, ce n’était qu’égalité !

Il était temps de laisser ces paroles distinguées derrière, et de passer aux choses sérieuses. L’escalade s’avérait peut-être un peu plus compliquée que prévue, Liu Xi avait eu l’impression de bien mémoriser le trajet qu’elle devait effectuer, mais une fois sur la paroi, la perspective changeait et tout n’était plus aussi clair. Elle était parvenue à grimper sans trop de mal jusqu’au point d’ancrage, et ne ressentait pas spécialement de vertige pour l’instant, mais elle avait du mal à voir par où continuer. Elle n’était même pas sûre d’être réellement partie en ligne droite ! Blake la rassure, il n’a pas l’air mécontent de sa performance, bien qu’il confirme qu’il aurait sûrement fallu prendre la peine de mémoriser l’itinéraire plutôt que de se contenter de le regarder. Elle prend bonne note, essayant de se repérer sur le mur. Se placer plus face à la paroi ? La professeure essaye de faire basculer son poids un peu plus sur sa jambe droite et de se mettre bien droite. Elle n’est pas sûre de sentir la différence, ce sera peut-être plus flagrant en continuant de grimper ? « C’est mieux-là ? » demanda-t-elle avec sérieux. Elle étudia les propositions que son moniteur du jour lui faisait. Travailler la technique, cela lui paraissait vraiment trop ambitieux pour l’instant, aller vers le haut, c’était déjà une bonne chose. Mais Blake avait soulevé un point intéressant : à un moment il faudrait bien redescendre. De préférence sans faire de saut à l’élastique. Mais redescendre maintenant, alors qu’elle n’était pas si haut… c’était peut être choisir trop de facilité non ? Et elle devait bien s’avouer qu’elle avait envie de voir le monde d’un peu plus haut. La sensation était agréable ! « Je crois que je vais essayer de grimper encore un peu, pour l’instant, je n’ai pas l’impression d’être si haut » dit-elle en risquant un regard vers l’infirmier derrière-elle. Cela ne la fit pas perdre l’équilibre, et même si le vide prenait un peu de place autour d’elle, il ne semblait pas l’attirer vers le bas. « Et j’essaie de redescendre, là où le mur commence à s’incliner… Je ne me sens pas de jouer les Spiderman pour l’instant. » dit-elle en lui souriant avant de regarder de nouveau au-dessus d’elle. Elle se voyait mal se déplacer sur le plan incliné, ses fesses subissant la dure loi de la gravité et essayant de l’entraîner vers le bas. Bon, maintenant qu’elle avait formulé son objectif, elle ne pouvait plus vraiment se débiner. Il fallait espérer qu’elle n’avait pas surestimé ses forces.

Veillant à bien rester face à la paroi, elle reprit de nouveau l’escalade. Pendant un temps, elle sembla avoir trouvé son rythme, pousser avec les jambes, attraper une prise avec sa main, absorbée dans ses mouvements en faisant abstraction de tout ce qu’il pouvait y avoir autour. Puis, cela lui parut plus compliqué. Si ses jambes ne lui posaient pas vraiment de problème, la course à pied aidant, ses bras étaient tout de même moins habitués à supporter son poids. Elle était musclée, mais clairement, ce n’étaient pas le genre de mouvement et de répartition de l’effort dont elle avait l’habitude, et elle commença à sentir les entraves de son propre corps. Et les prises n’étaient-elles pas plus espacées maintenant ? « C’est moi qui subit les effets de la haute altitude, ou il y a moins de prises maintenant ? » dit-elle en se tournant légèrement vers Blake, avant de reprendre bien vite sa position initiale.

Maintenant, elle sentait le vide. Elle se risqua, bêtement peut-être, à jeter un regard vers le bas pour estimer sa position. Effectivement : c’était un peu haut quand même ! Elle regarda la distance qui la séparait du dernier point de clippage avant l’inclinaison : quelques mètres et elle aurait atteint son but. Ce serait dommage de faire un blocage maintenant, ou de paniquer, ou d’abandonner, ou d’écouter les crampes dans ses bras. Liu Xi n’était pas du genre à renoncer, mais tout de même… L’espace autour d’elle semblait maintenant avoir un poids, une matière, et s’il ne la tirait pas à proprement parler vers le bas, si elle ne se sentait pas irrésistiblement attiré par lui… elle ressentait tout de même une sorte de pression. Son corps, ses sens semblaient lui signaler que ce n’était pas vraiment l’endroit où elle était censée se trouver. Que sa place était au sol et pas sur ce mur, et que c’était un peu dangereux tout de même, cette absence de solidité derrière elle. Elle resta immobile un instant, reprenant solidement appui sur ses deux jambes, essayant de s’enraciner sur le petit espace que constituait ses prises. Doucement, elle détendit ses doigts, ses poignets et ses bras, veillant à rester solidement accrochée. Puis, elle regarda vers le haut, mémorisa chacune des prises sur son chemin jusqu’à l’ancre, et reprit l’ascension.
Si pendant un temps, elle avait eu la sensation d’avoir gagner de la fluidité, elle était maintenant sûre d’avoir la grâce d’un éléphant. Il fallait qu’elle arrête les cookies avec le thé. Mais, même si sa propre lenteur l’exaspérait, elle ne força pas l’allure. Si elle voulait y arriver, ce n’était sûrement pas en laissant s’exprimer sa frustration que ce la fonctionnerait. Elle finirait par louper une prise ou mal se positionner et à perdre encore plus de temps. Sans compter la fatigue de ses muscles. Il fallait faire preuve de patience et de ténacité. En silence, elle grimpa les quelques mètres restant, s’attachant au dernier point avec un soulagement certain. Elle prit un temps pour reprendre son souffle, avant de regarder vers Blake. Quelle idée d’aller se fourrer aussi haut ! « Reste à descendre maintenant… J’ai comme l’impression que ça va être plus…acrobatique ! »dit-elle avec sur le visage un air de dépit et d’amusement mêlé…

Savoir où poser les pieds allé relever du casse-tête. Elle ne pouvait décemment pas regarder vers le bas tout temps, elle sentait son courage vaciller en même temps que l’image du tapis au sol. Il faudrait qu’elle tâtonne… Et qu’elle mémorise vraiment mieux son trajet la prochaine fois. Si ce n’est pour monter, au moins pour retenir l’emplacement pour ses pieds lors de la redescente. Elle avait les derniers mètres franchis encore bien en tête, aussi, avec une infinie précaution (un éléphant dans un magasin de porcelaine aurait été fier d’elle), descendit-elle un pas après l’autre. Elle avait régulièrement besoin de faire une pause pour reprendre son souffle et calmer sa nervosité. Ses mouvements n’étaient plus très sûrs… C’était peut-être un peu ambitieux comme programme. Maintenant, elle ne se souvenait plus très bien du chemin à suivre. Liu Xi risqua donc un regard vers le bas, essayant de choisir son itinéraire. Tâche difficile : elle avait l’impression de loucher. Sans trop y croire, elle tâtonna avec son pied et rencontra une prise, elle fit de même avec le second. Est-ce que ce premier essai lui avait donné l’impression d’avoir des ailes ? Est-ce que la fatigue l’avait déconcentrée ? Est-ce que le fait de s’être retournée pour trouver son chemin l’avait déséquilibré ? Toujours est-il qu’après avoir jeté un nouveau coup d’œil au sol, et essayé de poser son pied droit sur la prise repérée, les choses ne s’étaient pas réellement enchaînées comme espérées… Son pied était probablement trop faible sur son appui, trop décalé par rapport à la prise, si bien que lorsqu’elle descendit son pied gauche un peu plus bas, tout en descendant une main… Il ne fit que frôler le mur, avant de se retrouver dans le vide… Sa position était probablement trop précaire et avant qu’elle n’ait le temps de se rattraper elle se sentit tomber.

Liu Xi poussa un léger cri de surprise en fermant les yeux, avant de se rendre compte que ce n’était pas comme ça qu’elle allait pouvoir se rattraper. Elle avait l’impression que son cœur et son estomac allait ressortir par sa bouche et rester au plafond… et son cerveau ne semblait pas prêt de répondre à la question ‘’comment on s’arrête’’…Elle tenta bien de rattraper une prise au vol, ou de se rapprocher du mur, mais sans succès. Après ce qui lui sembla durer une éternité, mais qui dans les faits avaient dû représenter quelques secondes – le temps de passer d’élève pas trop mal à sac à patate en chute libre – Blake trouva le moyen de stopper la chute d’une manière ou d’une autre. Encore un peu sonnée, elle trouva néanmoins un peu de ressource pour plaisanter d’une petite voix… « Je crois que j’étais un peu trop pressée de te rejoindre ! T’as filmé j’espère ? ».

Liu Xi laissa derrière elle leurs plaisanteries pour se concentrer sur la paroi. La première partie de l’escalade avait paru convaincre Blake : apparemment, elle était parvenue au premier point d’ancrage sans se ridiculiser et faire de grosses erreurs. Il fallait qu’elle soit plus vigilante quant à sa position, ne pas se mettre trop en biais, éviter de trop coller la paroi si elle veut voir où elle va. Cela lui semblait plus facile à dire qu’à faire, mais elle faisait de son mieux pour parvenir à un résultat. Elle avait l’impression que cela lui demandait de fournir plus d’effort, mais c’était peut-être parce que ses mouvements ne sont pas encore les bons. Elle écouta avec attention la remarque de Blake, et essaya de baisser la tension dans ses bras. Comme au Qi Gong, il fallait éviter de tendre au maximum les membres et garder une certaine souplesse. Maintenant qu’elle l’entendait, ça lui paraissait tout à fait logique… sans pour autant être facile. Mais elle s’appliqua « je vais essayer de me corriger ! » promit-elle en reprenant son ascension sous l’œil vigilant de son moniteur du jour.
La jeune femme appréciait qu’il la laisse assez autonome, la guidant uniquement quand elle prend une mauvaise décision. Cela lui donnait un certain sentiment de liberté, un peu effrayant mais très enivrant. Sans se lasser, elle grimpa vers le haut du mur, commençant néanmoins à sentir les effets de l’altitude et de la fatigue dans ses bras. « Prendre appui sur le mur… » répéta-t-elle pour indiquer qu’elle avait bien compris et essayer la manœuvre. Elle se décala légèrement sur la gauche, et leva sa jambe droite, essayant de ne pas se laisser déséquilibrer et impressionner par le vide. Son cœur battit la chamade, mais elle prit une grande inspiration et parvint à atteindre la prise qu’elle visait. Elle entendit les applaudissements de Blake et en profita pour reprendre son souffle en levant le pouce dans sa direction : il n’était pas encore question de lâcher ses deux mains ! « Merci » lui souffle-t-elle dans un sourire « je vais y aller doucement ». Par la force des choses, il lui aurait été difficile de faire une descente express : elle sentait la fatigue dans ses membres et avait bien du mal à repérer le chemin. Et si les premiers mètres se passent sans encombre, elle finit par glisser. Un bruit de plastique se vidant d’air l’accueillit.

Liu Xi reprit son souffle, elle ne semblait pas vraiment avoir mal, aussi, essaya-t-elle de plaisanter. Elle ne se leva néanmoins pas tout de suite, vérifiant mentalement son intégrité physique. Tout au plus avait-elle perdu un peu de dignité sur le chemin !
« Oh je suis vraiment désolée, je ne pense pas pouvoir reproduire une cascade aussi réussie à tous les coups. Et puis ce son - absolument pas ridicule - du sac de patate qui tombe sur un tapis, jamais je n’obtiendrais de nouveau une telle harmonie. » dit-elle en acceptant la main tendue de bonne grâce. Elle ne s’était pas fait mal, mais elle était tout de même un peu…sonnée.
« Tu veux dire, à part l’immense déception de ne pas avoir une réception digne des plus grands films, où je serais tombée dans tes bras en te lançant un regard énamouré et un discours à base de ‘’oh mon héro, comment puis-je vous montrer mon éternelle gratitude pour ce sauvetage ?’’»dit-elle en se blottissant contre lui, à la manière d’une mijaurée de film d’amour, battant de ses longs cils… Liu Xi n’était vraiment pas du genre à attendre d’être sauvée par un homme, mais l’image la faisait rire, et elle savait bien que Blake ne la prendrait pas au sérieux. Il devait bien se douter qu’elle n’était pas vraiment une grande romantique. L’herboriste ne voyait aucun mal à la galanterie ou à la prévenance dans les contextes un peu officiel, quand il était important de respecter les convenances sociales établies et que chacun garde la face. Mais elle avait toujours lancé un regard circonspect aux rares petits amis qui avaient systématiquement tenus à prendre sa veste, reculer sa chaise, ouvrir sa portière ou porté le moindre de ses petits bagages. C’était certes mignon, mais elle en était tout à fait capable. Elle appréciait qu’on lui propose de l’aide quand elle était visiblement en difficulté bien sûr, ou qu’on fasse attention à elle, mais cela ne devait pas vouloir dire la prendre pour une petite chose fragile. Liu Xi imaginait mal quelqu’un d’aussi indépendant et débrouillard que Blake tomber dans ce genre de travers, aussi, n’était-elle pas gênée de jouer ce petit rôle. Elle s’écarta, avant de répondre plus sérieusement : « J’aime beaucoup ! D’ailleurs, je crois que c’est une bonne chose que je me sois étalée comme une crêpe au premier round… Je ne dis pas que c’était agréable mais…au moins je connais la sensation de chute, mon corps l’a expérimenté une fois, il y aura sûrement moins de craintes la prochaine fois que je serais en l’air. » dit-elle avant d’étirer ses bras encore contractés et endoloris par l’effort. Un petit bain à l’huile d’arnica et il n’y paraitrait plus…peut-être ? Elle ne craignait pas les courbatures pour ses jambes qui étaient habituées à courir, ni pour son postérieur qui présenterait quelques bleus tout au pire… Mais clairement, un peu d’entraînement ne nuirait pas pour le reste. « Parce qu’il y aura forcément une prochaine fois, c’est quand même quelque chose d’être là-haut, de devoir à la fois être très concentrée sur le mouvement présent tout en gardant en tête le prochain pas… Il faut à la fois être très clairvoyant mais aussi… un peu détaché. C’est tout de même difficile, surtout de se repérer…et dans mon cas de manquer un peu de muscle dans les bras. Sans compter qu’il faut redescendre : bon j’y suis arrivée vite, mais je ne suis pas sûre que ce soit la méthode conseillée » dit-elle en riant. « La perspective est très déstabilisante et il faut quand même accepter de mettre le pied dans le vide le temps d’atteindre quelque chose. En tout cas, c’est un super challenge. Quand tu es en pleine nature, tu dois voir des choses magnifiques de tout là-haut» dit-elle pleine d’enthousiasme. « Et toi, ça te convient, cette petite leçon d'escalade ?»