C'était toujours la même chose pour les préfets : une fois par semaine, ils devaient effectuer un tour de ronde jusqu'à minuit dans les couloirs du château. Tâche ô combien rébarbative, puisque cela les privaient d'heures de sommeil non négligeables en plus de leur imposer la montée et descente de tous les étages de Poudlard. L'inconvénient, quand on était préfet de Poufsouffle ou, en l’occurrence, de Serpentard, était qu'il fallait toujours que l'un des membres du binôme se dévoue pour commencer la ronde tout en haut du château, au septième étage. En effet, il n'était pas rare d'y croiser quelques insomniaques ou têtes brûlées de chez les Gryffondors et les Serdaigles. Vous l'aurez compris, ce soir là c'est Cruz qui avait dû se taper les sept étages à monter. Elle espérait bien retirer un maximum de points possible, tant qu'à faire, histoire de rentabiliser le trajet. C'était donc d'un pas assuré mais discret, à l’affût du moindre bruit, que la jeune femme avait entamé sa garde. La seule trace de sa présence résidait dans la petite pointe de lumière qui éclairait son chemin au bout de sa baguette, résultat d'un Lumos lancé avant de quitter sa salle commune.

En effet, depuis l'événement organisé pour Halloween, Cruz était devenue relativement mal à l'aise avec l'obscurité. Elle n'avait pas peur du noir, loin de là, mais une certaine angoisse la prenait à la gorge lorsqu'elle y était confrontée. Sa gorge, d'ailleurs, parlons en : la jeune femme ne s'était pas encore résolue à porter à nouveau son écharpe, malgré le froid qui s'était installé en ce mois de Novembre. Trop peur que quelqu'un la sert jusqu'à l'étrangler, elle ne voulait pas revivre cela une deuxième fois. Depuis Halloween, des cauchemars venaient ponctuer ses nuits. D'après le peu que la Serpentard avait entendu, elle s'en était plutôt bien tirée dans sa manière de mourir : d'autres avaient eu droit à des décès beaucoup plus sanglants. En réalité, ce n'était pas tant la mort en elle-même qui perturbait Cruz, mais plutôt le choix qui lui avait été imposé. La vie d'Isidore ou la sienne, tel avait été le dilemme. Et pour l'aider à choisir, on lui avait donné dix secondes sinon les deux adolescents mourraient tous les deux. Que de réjouissances en perspective. Isidore l'avait suppliée de se choisir elle et de le laisser mourir, invoquant une raison stupide selon laquelle Cruz méritait plus de vivre que lui. Mais l'Espagnole n'avait pas pu se résoudre, en entendant les dernières paroles qu'il voulait qu'elle transmette à ses proches et notamment à sa mère. Non, elle n'avait pas pu l'arracher à tous ces gens, elle l'orpheline que personne n'attendait à la maison. Ce fut l'instant de la prise de conscience, de la révélation : Cruz s'était vraiment trompée sur toute la ligne. Elle qui disait n'avoir besoin de personne s'était retrouvée désespérément seule face à la mort. La jeune femme revoyait la scène de sa mort fictive, dans ses cauchemars, entourée de plusieurs personnes : Isidore, Madison, Ashley, Edward, une femme qui ressemble à Cruz et un homme au visage dissimulé, qu'elle identifie comme ses parents. Ils tournaient autour d'elle, lui répétait qu'elle était insignifiante et qu'elle avait échoué à devenir importante, que c'était normal si personne n'avait jamais voulu d'elle, qu'elle était pitoyable. Ensuite, la prothèse d'Isidore se mettait en mouvement et venait lui serrer la gorge. C'est à ce moment qu'elle se réveillait, toujours, le front trempée de sueur et le cœur battant à cent à l'heure.

Des bruits de pas tirèrent Cruz de ses sombres pensées. Ils étaient discrets, mais bien réels. Un élève se trouvait hors de son dortoir. La Serpentard braqua sa baguette devant elle et s'avança en direction des bruits. Elle ne mit pas longtemps à coincer l'élève dans un cul-de-sac, ce qui la fit sourire. Elle connaissait le château comme sa poche, ce genre de bévue ne lui serait pas arrivée, à elle. La jeune femme leva sa baguette vers le visage du fuyard et fut aussi surprise que ce dernier. Enfin, plutôt cette dernière puisque ce n'était autre que Casey, son amie du Club, qui lui faisait face. Celle-ci, passé l'instant de stupeur, la salua. Ses traits tirés trahissait son état de fatigue, ou de préoccupation. Comment savoir ? « Bordel Casey, qu'est-ce que tu fous là ?! » Lui demanda la préfète, mi agacée mi heureuse de cette rencontre. La dernière chose dont elle avait envie, c'était d'enlever des points à la Serdaigle.

Autant retirer des points à des élèves méprisables et horripilant était l'un des petits bonheurs du statut de préfet, autant en retirer à ses amis devenait une torture. C'était d'ailleurs pour ça que chaque préfet évitait de trop traîner du côté de sa propre salle commune, de façon à éviter les potentielles connaissances pouvant le mettre dans l'embarras. Ce dernier se traduisit, chez Cruz, par un vocabulaire quelque peu vulgaire qu'elle ne dévoilait pratiquement jamais. La jeune femme, qui cherchait par dessus tout à cacher ses origines sociales, savait n'en faire usage qu'en compagnie des personnes "comme elle" : autrement dit, avec un passé lourd. C'était le cas avec Ashley, avec Isidore et, bien entendu, avec la petite fugueuse de ce soir. Casey ne semblait pas au mieux de sa forme, en témoignait la facilité avec laquelle elle s'était laissé prendre. En temps normal, cela ne lui serait certainement pas arrivé. Après les salutations de rigueur, Cruz lui demanda ce qu'elle faisait hors de son dortoir, autant par curiosité que parce que c'était son rôle de préfète de s'informer de la situation. « Je n’arrivais pas à dormir. » Lui répondit sa camarade, en haussant les épaules. Cruz lui répondit par un lever de sourcil dubitatif : cela semblait effectivement évident qu'elle n'arrivait pas à dormir, sinon elle n'aurait pas préféré le froid du couloir à la chaleur de son lit. La vraie question que Cruz se posait, c'était pourquoi Casey n'arrivait pas à dormir. Était-ce pour les mêmes raisons que l'Espagnole ? Celle-ci ne tarda pas à en avoir le cœur net. « Depuis Halloween, j’ai du mal à trouver le sommeil. » Nous y voilà donc, le fameux Halloween. Cruz avait beau eu tourné les choses dans tous les sens, elle n'arrivait toujours pas à comprendre ce qui était passé par la tête de la direction pour leur faire subir un pareil traumatisme. Comme si ce qu'ils avaient vécu durant toute l'année passée ne comptait pas, comme si c'était un jeu. La Serpentard, qui avait échappé au cachot grâce à son statut de de sang et une certaine discrétion, ne pouvait qu'imaginer l'enfer que cela avait été pour les nés-moldus de se retrouver dans une réalité virtuelle pleine de dangers. « Je comprends. » Se contenta de lui répondre la préfète. Elle ne voulait pas forcer Casey à se confier si elle n'en avait pas envie, alors elle lui laissait simplement une porte ouverte : en dire juste assez pour que la Serdaigle devine qu'elles étaient dans le même bateau, sans pour autant s'étendre. Ce n'était pas le genre de Cruz de s'épancher sur ses malheurs.

« Tu fais une ronde ? » Questionna la quatrième année, certainement pour changer de sujet puisque la réponse était des plus évidentes, surtout pour une jeune femme aussi intelligente qu'elle. Quiconque connaissait un temps soit peu l'Espagnole savait qu'elle préférerait se couper un bras plutôt que d'enfreindre le règlement avec risque de se faire prendre. La précision avait toute son importance car, soyons honnêtes, quand elle était sûre de ne pas être prise en flagrant délit, Cruz ne se gênait pas. Et cela pouvait arriver plus souvent qu'on ne pouvait le croire. « Oui. J'ai dû monter des cachots pour ensuite me taper les sept étages, je suis au comble du bonheur. » Lui répondit Cruz, avec cet humour sarcastique mais jamais malveillant qui la caractérisait. L'orpheline pourrait toujours se consoler en se disant qu'elle avait fait son sport de la journée. Et cet effort n'était pas peine perdue, après tout cela lui avait permis de tomber sur Casey. Celle-ci pouvait d'ailleurs s'estimer heureuse de s'être fait prendre par Cruz, puisque l'Espagnole ne comptait pas lui enlever des points pour son manquement au règlement. Non seulement la Serdaigle était son amie, mais Cruz estimait également qu'elle avait des circonstances atténuantes. « Tu accepterais un peu de compagnie ou tu vas me renvoyer dans mon dortoir après un retrait de points ? » Lança Casey, avec un sourire que lui rendit Cruz. Au moins, ses insomnies ne lui avaient pas fait perdre le nord. C'était presque à se demander si elle n'essayait pas d'amadouer Cruz pour ne pas risquer de faire perdre des points à sa maison. Heureusement, la Serpentard savait à qui elle avait affaire. Même si cela avait toujours été implicite entre elles, Cruz savait qu'elles se ressemblaient davantage que les apparences pouvaient le laisser croire. Qui plus est, c'est vrai que ce n'était pas drôle d'arpenter les couloirs seule ... « Je vais te renvoyer dans ton dortoir après un retrait de point bien sûr, pour qui me prends-tu ? » Commença l'Espagnole, avec un sourire qui s'agrandissait au fur et à mesure de ses paroles. « Si Burgess nous surprend, elle va m'étriper. Si jamais quelqu'un nous voit, on dit que je t'ai trouvé en crise de somnambulisme et que je te reconduis à ton dortoir. » Conclut la Serpentard avec un clin d’œil. Les deux jeunes femmes sortirent du cul-de-sac dans lequel elles se trouvaient et la ronde de Cruz pu reprendre en bien meilleure compagnie qu'elle n'avait commencé. « Tu devrais demander une potion de sommeil à l'infirmerie, à ce rythme tu ne vas pas tenir longtemps. » Dit Cruz sur le ton de la conversation, comme si elle parlait de la météo. Mais le soucis qu'elle se faisait pour son amie était réel, malgré son apparente indifférence.

Casey demeurait silencieuse tandis que Cruz lui répondait. Un silence qui se révélait aussi bruyant que si elle avait poursuivi la conversation. Le genre de silence que Cruz connaissait. Une compréhension muette des choses, une analyse de la situation afin d'adopter le comportement opportun. L'Espagnole avait usé de cette technique toute sa vie durant, il n'y avait pas trente-six façon de survivre en se faisant respecter quand on grandit dans un orphelinat. D'autant plus lorsque l'on est une fille, mignonne de surcroît. Plusieurs fois, lors des échanges qu'elle avait eut avec Casey, la Serpentard s'était demandé ce qu'elle avait pu vivre de son côté. Elle en avait déjà une petite idée, de par l'échange qu'elles avaient eu lors de leur première rencontre. Une bagarre, déclenchée pour une obscure raison, qui avait débouché sur une égalité de part et d'autre. Lorsque la Serdaigle avait complimenté Cruz sur son jeu de poings, celle-ci n'avait pas pu s'empêcher d'avouer qu'elle n'avait pas eu le choix, d'un ton acerbe. Et Casey avait compris. C'était bien la première fois que quelqu'un comprenait Cruz aussi facilement, que quelqu'un la comprenait tout court. Ce soir, les rôles s'inversaient mais le constat était le même : les deux jeunes femmes se comprenaient toujours aussi bien, sans avoir besoin de trop parler. Pour Cruz, c'était presque un soulagement de pouvoir arrêter de se travestir, au moins quelques minutes, en sa présence. Et pourtant, elles ne savaient encore presque rien l'une de l'autre.

La Serpentard accepta bien évidemment que Casey l'accompagne durant son tour de ronde, à la condition que celle-ci se fasse discrète et la suive dans ses mensonges si jamais elles venaient à croiser un professeur. « Crise de somnambulisme, ça ne devrait pas être trop compliqué à jouer. » Lui indiqua la quatrième année. Parfait, mieux valait couvrir ses arrières. Ce n'était vraiment pas le moment, avec tout ce que Cruz avait dans la tête, de perdre en plus le statut pour lequel elle avait en partie travaillé durant toutes ses années. Si le rôle de préfet était une corvée pour certains, l'Espagnole savait qu'il serait un tremplin pour servir ses ambitions futures. Ne jamais perdre son objectif de vue, telle était la clé du succès. Et la jeune femme s'était déjà bien assez éparpillée ces derniers temps. Les deux amies reprirent donc leur marche, côte à côte. Cruz savait où elle devait aller mais, maintenant qu'elle était accompagnée, la perspective de coller des points en moins a des têtes brûlées l'emballait beaucoup moins. Il y avait plus intéressant, et surtout plus urgent, à s'occuper. En effet, Cruz était préoccupé par l'état de santé de Casey. Celle-ci ne pouvait que très difficilement cacher son état de fatigue général, signe qu'elle n'avait pas dormi pendant plusieurs nuits d'affilées. La raison de cette insomnie était plus qu'évidence, c'est pourquoi la préfète lui conseilla d'avoir recours à une potion pour trouver le sommeil. « Je crois que Lennox va en avoir marre de moi. » A ces mots, Cruz tourna vivement la tête en direction de la Serdaigle. Comment ça, en avoir marre d'elle ? La Serpentard baissa les yeux sur les mains de Casey qui trituraient ses manches, comme pour les tirer jusqu'à ses doigts. Signe de nervosité ou réelle volonté de cacher quelque chose ? Cruz n'avait jamais fait attention aux poignets de Casey, elle était d'ailleurs incapable de se rappeler si elle les avait vus un jour. Mais inutile de perdre son temps en questions, la préfète savait d'avance qu'elle ne tirerait rien de sa camarade. « Mais ça va, quand mon corps sera trop fatigué, il laissera venir le sommeil. » Admettons. La Serdaigle était une grande fille après tout, elle savait ce qui était bon pour elle ou pas. Cruz n'était pas du genre à imposer ses choix à autrui, encore moins à une amie. La décision appartenait à Casey et à elle seule, l'Espagnole n'allait pas la forcer. Même si elle s'inquiétait. « C'est toi qui vois. » Se contenta de répondre l'Orpheline, tout en veillant à observer malgré tout les environs pour ne pas faillir à sa tâche.

Elle-même avait des petits yeux et des cernes qui commençaient à se voir. Faire le même cauchemar tous les jours, qui se termine de la même manière au même endroit, devenait vraiment fatiguant à la longue. Pire que ça, l'angoisse de rêver à nouveau de cela prenait le pas sur le sommeil. Les rondes nocturnes obligatoires des préfets étaient donc une aubaine pour Cruz, qui repoussait ainsi de quelques heures la rencontre avec ses démons. Alors que le silence commençait à s'installer entre les deux jeunes femmes, Casey prit la parole. « C’était quoi ton cauchemar à toi, ce soir-là ? » Ainsi, elles n'avaient pas pu échapper longtemps au sujet qui hantait implicitement leur conversation. Le fameux événement d'Halloween, théâtre de nombreuses morts plus sanglantes les unes que les autres. En comparaison, Cruz s'en était vraiment bien sortie et n'avait pas vraiment de raison de se plaindre. Elle avait juste eu à faire un choix et était morte en âme et conscience. Sur le papier, c'était une mort douce et enviable. Mais en réalité, les raisons de ce choix torturaient Cruz depuis l'instant où elle l'avait fait. Se sentait-elle la force d'en expliquer les tenants et les aboutissants à Casey ? Pas tout de suite en tout cas, mais peut-être que cela allait venir au fil de la conversation. « Une pièce, comme une chambre d'hôpital, avec une femme à moitié morte dans un lit. J'ai été aspirée à l'intérieur d'une armoire avec Isidore, je ne sais pas si tu vois qui c'est. On s'est retrouvé dans une pièce dont les murs ont failli nous écraser. C'était presque drôle, au début. » Commença à narrer Cruz. « La pièce s'est révélée être un ascenseur qui nous a emmené dans une salle style jugement dernier. Des tas de mains squelettiques m'ont attachée à une chaise et c'est là que je suis morte, étranglée. » Rien que de repenser à la situation, Cruz en eut un frisson. Plus jamais, plus jamais, plus jamais. « Et le tien ? » On était bien loin des discussions classiques entre deux adolescentes de quinze et seize ans. Et dire que des jeunes enfants de onze ans avaient eux aussi été confrontés à ça ... Ecole de tarés.

Le souvenir de cette soirée d'Halloween risquait de hanter les participants pendant longtemps. Mourir, même si c'était fictif, restait une expérience des plus traumatisantes. Et encore, on ne parlait pas d'une jolie mort dans son sommeil. Oh non, cela aurait été beaucoup trop simple. A la place, les élèves de Poudlard avait eu droit au must de ce qui pouvait se faire en matière de mort sanglante : tronçonneuse, ventilateur trancheur ... Non, vraiment, ils n'avaient vraiment pas de quoi se plaindre. D'ailleurs, à côté, la mort de Cruz paraissait presque trop simple. Un petit étranglement, même pas devant les yeux de son camarade. Un petit étranglement de rien du tout. Forcément, quand la jeune femme comparait son expérience à celles de ses amis, cela n'impressionnait personne. Parce que personne n'était au courant du terrible choix qu'elle avait dû faire ce soir là, en son âme et conscience. Un choix qui lui torturait l'esprit nuit et jour, qui avait remis en question tout ce qu'elle pensait savoir. Ne pas en parler à quiconque n'aidait pas les choses, d'autant que l’Espagnole n'en avait même pas discuté avec Isidore, qui était quand même le premier concerné. Cruz avait pensé que le jeune homme viendrait la voir, histoire de discuter des événements à tête reposée. Après tout, il semblait quand même assez soucieux de son sort et déconcerté par le choix qu'elle avait fait : il aurait donc dû vouloir des explications, c'était logique non ? Mais rien, aucune nouvelle, pas de signe de vie : Izzie n'était pas venu la trouver. Il avait donc laissé la préfète à ses interrogations et à ses cauchemars. Clairement, le fait qu'il apparaisse dedans et qu'elle meurt de sa main, ça n'arrangerait rien au trouble de la jeune femme. Bien au contraire.

« Isidore… Il a perdu… une main l’année dernière, c’est bien lui ? » Ah tient, quand on parle du loup ... De toute évidence, Casey ne connaissait pas bien Isidore. Tant mieux, cela serait plus facile de parler de lui si jamais les confidences étaient poussées juste que là. Rien n'était moins sûr pour l'instant, mais c'était rassurant de le savoir. En effet, Cruz se voyait mal parler de cela avec quelqu'un comme Narcissa, par exemple, qui méprisait Izzie de tout son être. La Serpentard pouvait entre d'ici les remontrances de sa camarade : « Tu as donné ta vie pour ce navet ? Ah non mais c'est tellement débile Cruz. A ta place je me serais bien évidemment choisie, pourquoi donner une chance à ce bouffon alors que tu es mille fois mieux ? » Ce n'était clairement pas ce qu'elle voulait entendre, ni ce dont elle avait besoin. Narcissa était une fille brillante et intéressante, mais pas vraiment le genre à qui on confie ses problèmes. De toute manière, Cruz ne confiait jamais ses problèmes à personne. « Oui, c'est Izzie. Avec lui aussi, je me suis battue la première fois. » A l'évocation de ce souvenir, l'Espagnole eut un léger sourire. Ils avaient passé leurs premières années à Poudlard à se battre comme des chiffonniers, n'omettant jamais une occasion de chercher l'autre, et voilà qu'aujourd'hui ils auraient donné leur vie l'un pour l'autre. Ses bagarres débouchaient toutes sur une jolie amitié, cela ne pouvait pas être une coïncidence. Bon, sauf avec Keagan, avec lui elle pourrait se battre cent fois qu'elle le détesterait toujours autant. C'était l'exception qui confirmait la règle.

La discussion se poursuivit par l'évocation du cauchemar de Casey. Il n'avait vraiment rien à voir avec ce que Cruz avait vécu. La Serdaigle expliqua à sa camarade ce qu'était les armes à feu moldues avec une certaine pédagogie que Cruz ne lui connaissait pas. L'Espagnole savait ce qu'était des coups de feux pour avoir déjà regardé un film moldu avec Ashley, lors celle-ci l'avait invité à séjourner chez elle. N'en ayant jamais vu pour de vrai et ne sachant pas vraiment comment cela marchait, Cruz écouta avec attention les propos de sa camarade. Elle ne pouvait qu'imaginer l'horreur de la situation qu'elle avait vécu. Être pourchassé par quelqu'un qui veut vous tuer, c'était définitivement bien plus effrayant que la pièce dans laquelle Cruz et son groupe avaient atterri. Devait-elle s'estimer chanceuse ? Sûrement. La suite du récit de Casey la conforta dans sa réflexion. Ainsi donc, la Serdaigle avait vu l'une de ses camarades mourir par pendaison ... Rien que d'imaginer la scène, Cruz porta instinctivement la main à sa gorge. Elle savait ce que ça faisait de sentir ce poids qui étouffe, qui prive du moindre souffle de vie et qui vide lentement les poumons. Par pendaison, cela devait être encore pire puisque la mort devait être encore plus lente et pas forcément assurée. Le récit de Casey semblait profondément impacter la jeune femme, qui montrait des signes d'anxiété. Elle parla enfin de sa mort à elle, rouée de coups. Cruz s'arrêta alors, puis se tourna pour faire face à la Serdaigle, qui la regardait également. Ses poings étaient serrés et il était facile de discerner de l'angoisse dans sa voix. L'Espagnole avait déjà pris quelques coups bien placés, à plusieurs reprises, elle n'avait donc aucun mal à s'imaginer les atroces souffrances dans lesquelles Casey était morte. Même si c'était pour de faux, il était normal qu'elle en soit marquée psychologiquement. Voire même traumatisée, ce n'était pas étonnant. Mais peut-être que ce n'était pas tout et que Cruz ne voyait que la partie émergée de l'iceberg. Peut-être qu'il y avait un lourd passé derrière cette angoisse, qui transparaissait implicitement dans cette histoire. Oui, peut-être. Mais Cruz ne pouvait pas transformer ces peut-être en des certitudes sans l'aide et le consentement de sa camarade. « C'est vraiment horrible, ce qu'ils t'ont fait subir. Ce qu'ils nous ont fait subir. » Se corrigea l'Espagnole. « Surtout après les événements de l'année dernière. Quand on connaît le passé de quelqu'un, on devrait éviter de lui faire revivre des horreurs. » Lança Cruz, innocemment. Encore une main tendue, une porte ouverte pour que Casey puisse s'y engouffrer. Mais, comme à son habitude, Cruz ne forçait pas les confidences. Si la quatrième était aussi bornée qu'elle, c'était vraiment la dernière chose à faire. Qui plus est, Cruz avait une question qui lui occupait l'esprit depuis plusieurs jours et se sentait enfin assez en confiance avec quelqu'un pour oser la poser. « Dis ... est-ce que ... est-ce que l'une de vous a dû faire un choix ? Je veux dire, quelqu'un vous a forcé à choisir qui allait mourir ? » Cruz se mordit la lèvre inférieure. Elle n'était vraiment pas à l'aise avec ce questionnement. Et pourtant, elle avait besoin de savoir. Jusqu'à présent, elle n'avait entendu aucun récit faisant état d'un pareil choix. Était-elle donc à la seule à qui on avait imposé ce terrible dilemme ?

Dans son malheur, Cruz avait quand même eu la chance de se retrouver dans le même groupe qu'Isidore. Elle avait entendu, ça et là, que certains de ses camarades ne connaissaient absolument personne lors de leur Halloween cauchemardesque. D'ailleurs, si l'Espagnole n'avait dû être qu'avec Perrin et Elliot, elle n'aurait pas su quoi faire. Elle connaissait vaguement le premier car il était le préfet des Gryffondor mais n'avait jamais rencontré le second. Pour faire naître une cohésion de groupe dans ces conditions, c'était plus que mal parti. Mais, heureusement, elle avait eu Izzie. Malgré leur petit accrochage aux Trois Balais, ils avaient su mettre leur fierté dans leur poche pour s'allier contre les pièges mortels qu'ils avaient rencontrés. Cela avait commencé dès le début, quand ils avaient été aspirés dans cette foutue armoire qui les avait séparés de Perrin et Elliot. Les deux Serpentard avaient tout fait pour se protéger l'un et l'autre et ce, jusqu'à la toute fin. Jusqu'à-ce que Cruz prenne la terrible décision qui la hantait depuis. Non, elle ne regrettait pas : bien au contraire, c'était la meilleure décision qu'elle pouvait prendre et elle en était convaincue. Mais toutes les raisons qui l'avaient conduite à ce choix tournaient en boucle dans sa tête. Elle avait failli tout perdre ! Elle avait toujours cru n'avoir besoin de personne pour faire son chemin, que compter sur elle-même uniquement était la meilleure des solutions. Ce soir là, elle s'était rendue compte de son erreur : elle ne voulait pas perdre Madison, ni Isidore, ni Casey, ni Edward, ni Narcissa et tant d'autres ... Mais, a contrario, l'Espagnole restait persuadée qu'elle n'aurait manqué à personne, si elle était vraiment morte dans cette pièce circulaire. Et c'était sans doute cela qui la hantait le plus.

« C’est un ami ? » La questionna la Serdaigle. Oui, cela devait sembler évident vu la façon dont Cruz parlait de lui. Bien sûr qu'elle le considérait comme un ami, plus encore cette année que les autres. Même s'ils continuaient de se prendre la tête, de s'engueuler pour rien, même si elle n'était pas toujours d'accord avec ses décisions. Elle serait toujours là pour lui, d'ailleurs elle avait donné sa vie pour lui. « Oui, un très bon ami. » Répondit Cruz, sans développer davantage. Ce n'était pas faute d'en avoir envie, mais l'Espagnole ne savait pas vraiment comme définir cette amitié. Cela n'avait jamais été simple entre eux, tantôt amis, tantôt ennemis, tantôt à la limite du jeu de séduction ... Oui, leur amitié n'était pas un long fleuve tranquille comme en témoignait son long silence depuis Halloween. « Il s’est bien remis de cette soirée ? » Comme si Casey avait lu dans ses pensées ... Et pourquoi cela faisait-il si mal, de ne pas avoir de ses nouvelles ? Avant, ils passaient souvent quelques semaines sans se parler et cela ne les dérangeait pas. Leur amitié restait intacte sans qu'ils aient besoin de l'alimenter quotidiennement. Mais là, Cruz aurait vraiment aimé avoir une discussion avec lui. Leurs adieux fictifs avaient été déchirant et la jeune femme avait besoin de revenir dessus avec lui. Mais visiblement, ce n'était pas le cas du Serpentard. « Euh oui, je crois. On ne s'est pas vraiment reparlé depuis ... » Avoua Cruz, mal à l'aise. Sacrée définition de l'amitié, deux personnes de la même maison et de la même année qui ne sont même pas foutues de se parler alors qu'elles se croisent tous les jours. De vrais handicapés sociaux, ces Serpentards.

Casey, quant à elle, n'avait pas donné le nom des camarades de son groupe. Il fallait sûrement en déduire que ce n'était pas des amis de la jeune femme. Et quand bien même, avoir osé faire vivre un cauchemar pareil à des nés-moldus déjà très traumatisés par leur séjour aux cachots de l'an dernier, c'était au mieux de l'inconscience pure et simple. Au pire, du véritable sadisme associée à une folie dangereuse. Cruz n'avait encore jamais eu affaire à leur nouveau directeur, Neville Londubat, mais elle doutait de plus en plus de la légitimité de cet homme à la tête de leur école. La préfète de Serpentard fit part de ses pensées à Casey, lui confiant que c'était vraiment horrible de leur faire revivre ça. Surtout si l'on prenait en compte le passé de chacun, et Cruz se doutait qu'elle n'était pas la seule à avoir eu une enfance chaotique. Elle savait, implicitement, que Casey avait dû lutter pour s'en sortir. Comment, contre quoi, cela elle l'ignorait. Mais ça ne devait pas être du joli, pour sûr. La réaction de la Serdaigle, qui se crispa en entendant les paroles de sa camarade, confirma les suppositions de Cruz : elle était encore plus marquée par les événements qu'elle ne voulait le faire voir. Elle répondit qu'elle avait renoncé à comprendre les intentions de la direction. C'était effectivement ce qu'il y avait de plus sage à faire. Cruz avait beau eut tourné les choses dans tous les sens, elle n'était pas arrivée à les comprendre. Peut-être parce qu'il n'y avait rien à comprendre et c'était bien ça le pire, sans doute.

Enfin, Cruz sentit que c'était le moment de poser la question qui l'empêchait de dormir. Cette question qui ne l'avait pas quittée depuis son réveil dans la Cabane Hurlante et pour laquelle elle n'avait pas encore obtenue de réponse. N'avait-on vraiment demandé qu'à elle de choisir entre sa vie et celle d'un autre ? Et si oui, pourquoi elle précisément ? Qu'avait-elle donc fait pour mériter cela ? La voix, dans la salle, leur avait dit qu'ils étaient tous les deux coupables. Mais coupables de quoi ? Tant de questions qui restaient sans réponses et qui n'étaient sans doute pas pour rien dans les cauchemars de Cruz. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, signe qu'elle était stressée, alors qu'elle osait poser cette question à Casey. Si seulement la Serdaigle pouvait répondre par l'affirmative et ainsi délivrer sa camarade de la bataille qui se livrait à l'intérieur d'elle. « Non. Je veux dire… Personne ne nous a posé la question en nous mettant face à deux d’entre nous. Mais au final, je crois qu’on a tous fait le même choix… Entre regarder quelqu’un mourir, tenter de l’aider, fuir… » Déception. Personne n'avait dû faire ce choix dans le groupe de Casey. Les choix dont la jeune femme parlait étaient certes très durs, mais il n'y avait là rien de comparable à celui que la Serpentard avait dû faire. Il fallait donc se rendre à l'évidence, Cruz était vraiment la seule élève dans ce cas. « Toi oui, n’est-ce pas ? » Lui demanda Casey. La Serpentard se remordit la lèvre inférieure : comment sa camarade faisait-elle pour être aussi perspicace ? Elle lui laissait ainsi l'occasion de pouvoir déballer tout ce qu'elle avait sur le coeur, de libérer le poids qui pesait sur ses épaules depuis ce 31 octobre. D'habitude, Cruz n'était vraiment le genre à confier ses tracas au premier, ou la première en l’occurrence, venue. Mais elle avait de plus en plus de mal à trouver le sommeil et, en l'absence d'Isidore pour discuter de la chose, il fallait qu'elle arrive à en parler à quelqu'un d'autre. Casey semblait être la bonne personne et l'Espagnole espérait ne pas se tromper. « Oui. » Commença Cruz, marquant une petite pause pour inspirer une grosse bouffée d'air avant de reprendre. Courage Cruz. « Je ... je ... j'ai dû choisir. Je n'avais pas le choix ... si je ne l'avais pas fait on ... on serait morts tous les deux. Il m'a implorée de le sacrifier lui et de me sauver moi ... je ... enfin j'ai ....» Nouvel arrêt. Nouvelle inspiration. Cruz essayait tant bien que mal de retenir les larmes qui commençaient à perler à ses yeux. Sa voix devenait de plus en plus faible et ses lèvres étaient prises de tremblements. Non, elle n'allait pas se mettre à pleurer maintenant. Elle n'était pas une de ces filles qui pleurent pour un oui ou pour un non. Elle était plus forte que ça et elle allait le prouver. Une autre inspiration, encore plus longue que la précédente. « Je ... je n'ai pas pu. Je ne pouvais pas ... pas lui enlever tout ça. J'ai choisi ... » Cruz ravala ses larmes, elle allait enfin le dire. Elle ne devait pas en avoir honte, elle avait pris la bonne décision. Elle le savait. « J'ai sauvé Isidore en donnant mon nom à la voix. » Voilà, c'était dit. Le souvenir de ce moment faisait trembler Cruz de tout son corps. Ces mots, qu'elle gardait au fond d'elle depuis ce soir là, étaient enfin sortis. Et ça faisait tellement de bien, de partager ce fardeau avec quelqu'un. Elle n'attendait d'ailleurs rien de plus de la part de Casey : juste son écoute et son silence. Il n'y avait, après tout, rien à comprendre. Cruz avait fait le choix qui s'imposait, le bon choix.

Quatre jours ... Quatre longues journées pendant lesquelles Cruz avait retourné son cauchemar d'Halloween dans tous les sens. La jeune femme détestait avoir ce genre de comportement totalement irrationnel. Ce silence d'Isidore n'avait rien d'exceptionnel, bien au contraire. Les deux sixièmes années n'étaient pas si proches que ça, dans le fond. Enfin si, un peu quand même. Mais il leur arrivait souvent de passer largement plus d'une semaine sans se voir en tête-à-tête ni discuter. Qui plus est, l'événement d'Halloween qu'ils avaient vécu ensemble était quasiment équivalent à un mois passé ensembles, tant leurs péripéties s'étaient enchaînées à une vitesse folle. La jeune femme n'avait d'ailleurs aucune idée de comment cela avait fini, pour le reste de son groupe. Après sa mort fictive, Cruz avait vaguement essayé de s'intéresser à la mort d'Elliot, son coéquipier. Mais celui ne s'était montré ni bavard ni coopératif. Quant à Perrin, la Serpentard ne l'avait pas encore croisé durant ses rondes. Merlin sait quelles épreuves ils avaient dû surmonter, de leur côté. Peut-être qu'ils s'en sortaient très bien, après tout, tandis que Cruz était au trente-sixième dessous. Impossible de le savoir. Eux aussi avaient eu la chance de vivre cette morbide expérience en amis : la jeune femme avait en effet crû comprendre que les deux garçons se connaissaient plutôt bien. En bon esprit cartésien, Cruz s'était d'ailleurs demandé quels avaient été les critères qui étaient rentrés en compte pour la composition des équipes. Apparemment, Casey ne connaissait absolument personne dans la sienne : l'affinité n'avait donc joué aucun rôle. Alors quoi ? Les compétences magiques ? Ils n'avaient pas eu droit à leur baguette, cela n'avait aucun sens. Rien de tout cela n'avait de sens. Ni même la conversation que Cruz entretenait avec Casey depuis plusieurs minutes. Elles n'auraient pas dû parler de ça, elles n'auraient jamais dû ressentir le besoin de se confier l'une à l'autre. Elles n'étaient pas censées vivre dans la tourmente depuis ce 31 Octobre, pas plus qu'elles n'étaient censées s'appuyer l'une sur l'autre dans une situation pareille. Pourquoi la direction n'avait-elle pas mis en place une cellule psychologique ? Pourquoi avait-elle organisé un cauchemar pareil ? C'était bien beau, de les faire participer à des entraînements visant à les préparer en cas d'attaque : bravo, quelle honorable attention. Mais encore aurait-il fallu commencer par le commencent, c'est à dire s'assurer que les élèves ne garderaient pas de séquelles de ce qu'ils avaient vécu. Au lieu de ça, ils en avaient créé de nouvelles. Ce Neville Londubat était vraiment un bel abruti.

Casey interrogea Cruz sur les raisons du silence qui régnait entre elle et Isidore, en émettant l'hypothèse d'une possible rancœur entre eux. Cruz n'en voulait pas à Isidore, bien au contraire. Il avait tout fait pour la sauver, il avait même voulu donner sa vie pour elle. Il lui avait dit tellement de jolies choses, avant qu'elle fasse ce terrible choix. Comment lui en vouloir ? Elle n'oublierait jamais ce geste. Par contre, la Serpentard s'était effectivement demandée si son camarade avait une quelconque raison de lui en vouloir. Pendant un temps, elle s'était imaginée qu'Isidore lui en voulait par rapport à son choix. Qu'elle l'avait sûrement déçue en allant à l'encontre de ce qu'il lui suppliait de faire. Et, en un sens, ce n'était peut-être pas si éloigné de la vérité que ça. Cruz n'en savait rien et c'était justement cela qui la rongeait de l'intérieur. Ne pas savoir, ne pas avoir la réponse, elle n'aimait pas ça. Et, pour l'instant, aucune de ses questions n'avaient eu droit à un début d'explication. C'était l'horreur. « Je ne sais pas. » Osa avouer Cruz, alors que cette perspective l'angoissait. « Je ne lui en veux pas, bien au contraire. Lui, je ne sais pas. » Comme pour Madison lors de la bataille de la Salle de Bal, l'an dernier, Isidore avait été prêt à donner sa vie pour sauver la sienne. Elle lui serait éternellement loyale, même si elle avait en quelque sorte rembourser sa dette en se sacrifiant. A se demander si l'Espagnole n'aurait pas eu sa place chez les jaunes, au final.

Après cet échange plus ou moins banal, histoire de développer la conversation, des sujets beaucoup plus sérieux furent abordés. Casey semblait très perturbée par son cauchemar et sa mort, mais n'avait pas l'intention de se confier pour l'instant. Elle restait très évasive sur le sujet, bien que certains signes corporels trahissaient son angoisse et son mal-être. Quant à Cruz, elle aussi était nerveuse. Plus encline à se lancer dans les confidences, fait étonnant puisque ce n'était absolument pas le genre de la demoiselle en temps normal, Cruz décida de briser le silence en se lançant la première. Elle commença par demander si Casey avait dû faire un choix, lors de son cauchemar. Après la réponse négative de la Serdaigle et son invitation à développer, l'Espagnole avait déballé son sac. Non sans peine, Cruz avait commencé à narrer les conditions de son dilemme. Le timing qui l'avait obligée à se décider rapidement, les supplications d'Isidore pour qu'elle donne son nom, ses supplications quand elle avait fait exactement l'inverse. L'évocation de ce souvenir troubla l'Espagnole plus qu'elle ne l'aurait voulu. Les larmes lui montèrent aux yeux mais elle réussit à les contenir par contenir. Des tremblements incontrôlables s'emparèrent de Cruz, tant et si bien que Casey dû lui proposer de s'asseoir. C'était toujours aussi subtile : elle ne la mettait pas en cause mais prétextait un mal de jambes. La Serpentard lui en était reconnaissante et les deux jeunes femme se posèrent donc sur un rebord de fenêtre, Cruz étant un peu guidée par sa camarade. Une fois installée et après plusieurs inspirations, les tremblements de la préfète se calmèrent et son pouls reprit un rythme normal. Une fois qu'elle fut complètement calmée, Casey lui posa prudemment une nouvelle question. Non, elle ne regrettait pas sa décision. Bien au contraire. C'était beaucoup plus complexe que ça. Ce n'était pas des regrets, mais plutôt une prise de conscience. La jeune femme avait réalisé que cette mort prématurée était ... presque un soulagement. Le fait de savoir que personne ne l'attendait, que sa disparition n'impacterait personne ... Elle était morte deux fois ce soir là. « Je ne regrette pas. Si c'était à refaire, je ferais la même chose. Izzie aurait pu être estropié des deux bras et des deux jambes que cela n'y aurait rien changé. » Répondit Cruz calmement. La jeune femme essayait de peser ses morts pour ne pas repartir dans une crise de panique. Casey essaya de la rassurer et alla même jusqu'à lui confier qu'elle aurait sûrement fait la même chose à sa place. C'était gentil et ça partait d'une bonne intention, mais la Serdaigle n'avait pas été à la place de Cruz. Et cette dernière ne le lui souhaitait pas, par ailleurs. L'Espagnole était certaine d'avoir fait le bon choix, il n'y avait pas besoin de revenir là-dessus ni de la conforter dans sa décision : elle savait qu'elle avait fait ce qui était juste. L'Orpheline était aussi consciente qu'elle n'avait pas forcément était limpide dans ses explications et qu'il était donc normal que Casey ne comprenne pas tout. Elle n'avait pas toutes les cartes en main, il fallait donc que Cruz se montre plus explicite. Même si cela lui coûtait énormément. « Je sais que j'ai fait le bon choix. Le problème ce n'est pas ça. » Inspiration, encore. Cruz n'allait pas se laisser emporter cette fois-ci, mais les explications restaient difficiles. « Il m'a dit plein de choses gentilles, tu sais. Plein de bonnes raisons pour lesquelles je devais rester en vie. Puis, il m'a demandé de dire au revoir à ses proches et sa maman pour lui. Et ... » Le pouls de Cruz repartait à hausse, elle attendit encore quelques secondes avant de reprendre. « Je n'ai pas pu briser toutes ses vies. Moi, au moins, ce n'était pas grave. Même si je disais adieu à mes objectifs et à mes rêves. Je voulais laisser l'occasion à Izzie de prouver qu'il était génial, à lui-même comme à ceux qui lui sont chers. Moi, personne n'aurait pleuré ma mort alors, c'était pas important. » Voilà, c'était sorti. Cruz était d'ailleurs étrangement calme après cette révélation. Comme si le formuler à haute voix la libérait d'un poids, lui permettait d'être en paix avec elle. La jeune femme regardait droit devant elle, les mains bien à plat sur les cuisses. Cruz n'avait pas formulé clairement qu'elle était orpheline. Enfin, pas vraiment orpheline : abandonnée à la naissance. Mais elle savait que Casey comprendrait et, étonnamment, elle n'en était pas angoissée. Son secret était bien gardé, elle en était certaine.

C'était bien une drôle de nuit qu'était en train de vivre Cruz. Elle qui pensait devoir arpenter les étages supérieurs du château, machinalement, à la recherche d'élèves à l'âge rebelle, avait croisé le chemin de Casey Beckett. L'Espagnole croyait au destin et au fait que, si les choses arrivaient, c'était forcément pour une bonne raison. Même si elle admettait que certains facteurs, comme le travail acharné par exemple, pouvaient influencer ce fameux destin. Dans le cas présent, la jeune femme était persuadée que ce n'était pas une coïncidence si elle avait rencontré la Serdaigle. Elles étaient destinées à passer un moment ensemble, cette nuit, parce qu'elles en avaient besoin. Peut-être était-ce à des échelles différentes, mais la nécessité était bien là. Personne n'aurait parié une noise sur leur amitié et ce, avec raison. Les deux jeunes femmes paraissaient si différentes, au premier abord. Casey était une fille qu'on pourrait qualifier de mystérieuse, un peu sauvage d'apparence. On pouvait s'imaginer facilement que tout n'avait pas toujours été tout rose dans sa vie, car elle le portait sur elle. Mais on ne se serait pas risqué à lui demander quoi que ce soit, de peur de se faire remballer plus ou moins pacifiquement. Quant à Cruz, ce n'était clairement pas la même chose. Préfète, excessivement studieuse et bonne élève, qui donnait l'air d'avoir confiance en elle et à qui tout réussissait. Si elle perdait patience et montrait les poings, c'était juste parce qu'elle avait un fort caractère. On n'aurait jamais crû qu'elle traînait autant de casseroles derrière elle, car elle faisait tout pour que ça ne se sache pas. Mêmes mécanismes de défense chez les deux demoiselles, utilisés différemment. Seule l'une pouvait se voir en l'autre et inversement. Elles entretenaient ainsi une sorte d'amitié privilégiée, car elle n'appartenait qu'à elles. C'était peut-être ce qui les avait poussées à partir sur le chemin des confidences, à la lumière de la lune. Cruz ne se serait pas risquée à parler ainsi de ce qui la tourmentait avec n'importe qui d'autre, sauf peut-être Isidore. Mais comme cet idiot n'avait pas daigné prendre des nouvelles, alors que c'était quand même la moindre des choses, c'était donc finalement Casey qui avait endossé le rôle de l'oreille attentive dont Cruz avait besoin.

C'était ainsi que la Serdaigle et la Serpentard en étaient venues à se raconter mutuellement leurs cauchemars d'Halloween qui s'étaient inéluctablement soldés par leur mort. L'une comme l'autre avaient été marquées par cet événement, qui pourtant s'était déroulé différement pour chacune d'elles. Cruz la première avait montré des signes évidents du traumatisme qu'elle avait subi, alors qu'on lui avait demandé de choisir entre sa vie et celle de son ami. L'expliquer à Casey lui avait fait perdre le contrôle : la jeune femme s'était retenue à grande peine d'exploser en sanglots, alors que cela ne lui arrivait jamais en temps normal. Parcourue par des spasmes incontrôlables, elle avait été obligée de s'asseoir sur un rebord de fenêtre avec la quatrième année. Cela lui avait permis de se calmer un peu, de respirer un peu mieux et de contrôler ses tremblements. Cruz avait conscience que sa réaction pouvait être un peu impressionnante et elle-même n'arrivait pas vraiment à expliquer pourquoi cela la mettait dans un tel état. Comme elle n'arrivait pas expliquer pourquoi Izzie et elle ne s'étaient toujours pas parlé depuis le 31 Octobre. A force de tourner tout cela dans sa tête, les choses se mélangeaient et elle n'arrivait pas à en tirer quoi que ce soit de logique. Alors elle avait abandonné et s'était laissée happée par ses cauchemars. Et par ses tremblements, pour revenir sur sa réaction précédente.

Une fois que Cruz fut totalement apaisée, elle put répondre aux questions de sa camarade avec un peu plus de précision. La jeune femme se lança donc dans l'explication de son geste, des raisons qui l'avaient poussée à faire ce choix et conclut par une phrase qui aurait pu résumer l’entièreté de sa vie : personne n'aurait pleuré sa mort. Cruz Rosewood n'était importante pour personne, en fait elle n'était personne. Elle avait toujours eu du mal à l'accepter et pourtant, c'était inscrit en elle. C'est peut-être d'ailleurs pour cela que l'Espagnole avait réussi à l'énoncer de façon aussi claire et calme, sans ciller. Parce que même si elle se battait contre ça, cela faisait partie d'elle. La révélation de Cruz impacta presque plus Casey qu'elle-même. En effet, la Serdaigle devint anormalement nerveuse à la fin des explications de l'Orpheline. Parce que cela faisait écho à sa propre situation ? Même si les deux jeunes femmes n'en avaient jamais parlé explicitement, elles savaient qu'elles avaient toutes deux vécu des situations peu évidentes durant leurs enfances respective. Ce qui pouvait expliquer qu'elles se comprenaient aussi bien. « Ce n’est pas parce que personne n’aurait pleuré ta mort que ta vie vaut moins que celle d’un autre. » Cruz tourna vivement la tête en direction de sa camarade. Elle comprenait ce que voulait dire la Serdaigle et elle savait que cette dernière avait raison. Une vie vaut une vie, c'était le principe de base. Mais quand même, la mort d'Isidore n'aurait pas brisé une seule vie : il y en aurait eu au moins une deuxième, celle de sa mère, d’anéantie. Sans parler de tous les dommages collatéraux, de ses proches et amis qui auraient du faire leur deuil. Alors se sacrifier, c'était beaucoup simple : pas de famille, pas de cris, pas de larmes. « Tu as raison. Mais, au moins, mettre fin à ma vie n'aurait pas impacté celle des autres. » La tempête émotionnelle était passée, Cruz s'exprimait désormais d'une façon parfaitement calme. Ce qui n'était pas forcément révélateur des tourments qui s'agitait en elle mais qui avait le mérite de donner un ton un peu moins dramatique à la situation. Surtout que Casey commençait vraiment à montrer des signes d'agitation : elle se mordait, par exemple, frénétiquement la lèvre inférieure. Au tout de la préfète d'être calme pour deux.

« C’est ça qui t’angoisse tellement ? D’avoir… pris conscience que ta mort n’affecterait personne, ou, en tout cas, de le croire furieusement ? » Comment faisait-elle pour toujours viser aussi juste ? Il y avait tellement de vérités dans les paroles de Casey. A croire que cette fille était un véritable miroir pour Cruz. Ses mots touchèrent la Serpentard au plus profond de son être. Oui, c'était tout à fait ça. Et, en même temps, Cruz sentait qu'il n'y avait pas que ça. C'était aussi cette douloureuse impression de ne pas avoir laisse une trace de son passage sur Terre, de ne pas avoir marqué les esprits comme elle aurait aimé le faire. De mourir en n'ayant pas réussi à devenir quelqu'un, en n'ayant pas fait regretter à ses parents biologiques de l'avoir lâchement abandonnée et laissée dans le piètre orphelinat où elle avait grandi. Merlin qu'elle pouvait haïr ses géniteurs pour ça. « Un peu oui, peut-être. Surtout d'avoir pris conscience que je n'étais personne, aux yeux des autres comme aux miens. » Répondit Cruz, assez mal à l'aise à l'évocation de ce sentiment si personnel. Elle se mettait complètement à nue face à Casey et c'était quelque chose de totalement nouveau pour elle. Mais la jeune femme savait qu'elle devait en passer par là pour pouvoir repartir du bon pied. Il fallait arriver à se débarrasser du passé pour avancer sereinement vers l'avenir et, pour cela, il fallait qu'elle en parle à quelqu'un. A cette amie si précieuse qu'était Casey. Cette dernière semblait de plus en plus agitée, comme en témoignait la façon dont elle jouait avec le bout de ses manches. La Serdaigle ramena ensuite la conversation sur le silence qui régnait entre Isidore et Cruz depuis ce fameux soir, en traitant le Serpentard d'idiot. Cela arracha un sourire à la préfète : oui, c'était vraiment le mot idéal pour caractériser son ami. Un idiot qu'elle adorait, même s'il la faisait régulièrement sortir de ses gonds. Malgré son mécontentement, Cruz n'arrivait pas à en vouloir complètement à Izzie. Certes, elle lui reprochait des choses mais elle savait aussi que ça ne durerait pas. Pas s'ils arrivaient finalement à se parler, l'Espagnole espérait qu'il n'était pas trop tard pour ça. « J'ai donné ma vie pour un idiot, quelle ironie ! » Déclara Cruz en souriant à sa camarade. Il fallait bien essayer de faire un peu d'humour pour détendre l'atmosphère, on se serait crû à un véritable enterrement. Même si l'Orpheline n'était pas totalement débarrassée de ce qui l'angoissait - elle ne le serait qu'en parlant avec le principal concerné - elle se sentait déjà beaucoup mieux après avoir vidé son sac. Cruz aurait aimé que Casey se sente assez en confiance pour en faire de même, la Serpentard voyait bien qu'elle en avait besoin. Mais la Serdaigle préféra poser une autre question à Cruz, toute aussi personnelle mais quand même nettement moins sujette aux réactions imprévisibles. Que faisait l'Espagnole durant ses étés ? Vaste question, aucun été ne se ressemblait vraiment. Mais Cruz voyait bien où sa camarade voulait en venir : Casey voulait plus savoir où elle passait ses étés plutôt que ce à quoi elle occupait son temps durant ceux là. En temps normal, la Serpentard arrivait assez bien à détourner la conversation pour ne pas avoir à répondre à cette question. Mais elle en avait déjà dit tellement à Casey ... un détail de plus ou de moins, quelle importance ? La Serdaigle ne se sentirait en confiance que si Cruz se livrait totalement à elle, la jeune femme le sentait. « Hmm ... ça dépend. Parfois, comme cet été, je passe du temps chez une amie. Sinon, je rend la vie infernale à mes collocs et à la directrice de cet orphelinat miteux qui me sert de résidence. C'est long, deux mois. » Répondit Cruz, les yeux dans le vague. Oui, c'était bien long deux mois à tourner en rond entre quatre murs. Même si elle sortait, même si elle s'amusait à faire tourner en bourrique tout le monde, elle finissait par se lasser. D'ailleurs, elle se demandait bien à quoi sa camarade occupait les siens, d'étés. « Et toi, alors ? » Lui demanda doucement la Serpentard, en plantant son regard dans celui de Casey. Elle n'était pas obligée de lui répondre, Cruz ne la forcerait jamais. Mais, quand même, elle lui avait confié assez de choses pour espérer un peu d'honnêteté de sa part, non ?

« On ne le saura pas, puisque tu es bien en vie. » C'était peut-être bien cela le problème, ne pas savoir. Rester dans le doute permanent, ce doute qui bouffait Cruz de l'intérieur. Elle était bel et bien vivante mais est-ce que cela changeait vraiment quelque chose, dans le fond ? Le simple fait d'avoir pensé mourir suffisait, parce que la jeune femme avait vraiment crû que tout cela était réel. Elle revoyait dans ses cauchemars ces horribles mains qui l'attrapaient de partout pour la coller sur cette chaise de malheur, elle entendait encore la voix grave et sourde qui lui imposait de choisir qui allait être châtié pour ses crimes. Cette impression qu'elle allait tout perdre, que sa vie allait se terminer alors qu'elle venait de commencer. Le sentiment, plus complexe, d'être parfaitement à la place où elle aurait dû être depuis le début. Étrange sensation, pour être honnête. L'enfant qui n'aurait jamais dû naître se retrouvait condamné à mort pour avoir osé croire qu'il avait le droit de vivre. « Sans doute. » Parler de tout cela avec Casey, en plus de la soulager, permettait à Cruz de décortiquer plus précisément tout ce qu'elle avait ressenti en cet instant fatidique. La conclusion était là : elle avait trouvé une certaine justice dans sa mort. L'Espagnole avait toujours eu l'impression d'être encombrante, de ne pas être destinée à vivre. Était-ce vraiment pour cela qu'elle avait été jugée coupable ? Et si c'était le cas, quels avaient été les crimes d'Isidore ? Ils méritaient tous les deux une sanction, d'après la voix. Qu'est-ce que le jeune homme cachait ? Il fallait absolument qu'ils aient une discussion tous les deux, ça commençait à urger.

Tandis que cette discussion semblait avoir un effet apaisant sur Cruz, elle produisait l'effet inverse chez Case. La Serdaigle montrait de plus en plus de signes d'agitation : si cette dernière continuait à se mordre la lèvre inférieure de cette façon, elle allait finir avec la bouche en sang. Et ses pauvres bouts de manches qu'elle chiffonnait sans ménagement ... Non, il y avait vraiment quelque chose qui n'allait pas. Comme si les mots que prononçaient Cruz résonnaient en Casey, tel un miroir d'émotions. En témoignait la réaction de la quatrième année lorsque sa comparse lui expliqua qu'en plus d'avoir réalisé que personne ne pleurerait sa mort, elle s'était rendue compte qu'elle n'avait pas réussi à devenir celle qu'elle aurait voulu. La Serpentard était sur le bon chemin, elle le savait, mais il lui restait tellement de choses à faire avant d'enfin pouvoir être satisfaite d'elle-même. T’as pas besoin des autres pour leur montrer que t’es capable de changer le monde. Les paroles qu'avaient prononcé Izzie, lors de leur rendez-vous aux Trois Balais, lui revenaient en mémoire. C'est vrai qu'elle n'avait pas besoin des autres, pour ça. Mais elle avait besoin de croire en elle-même et cette confiance s'était envolée en même temps que le souffle lui avait manqué. Lorsque Casey lui posa une nouvelle question, Cruz détourna le regard et observa le ciel étoilé. Est-ce qu'elle n'aimait pas ce qu'elle était ? Ce n'était pas une question facile. La jeune femme avait toujours eu un rapport assez particulier avec elle-même. Elle connaissait son potentiel, savait qu'un jour elle deviendrait quelqu'un d'important et d'influence. Mais de là à dire qu'elle s'aimait ? Elle en était qu'au stade de la chrysalide, dans son ascension vers le sommet de l'échelle sociale et il lui restait encore plusieurs étapes à franchir avant de se transformer en papillon. Quant au reste ... Cruz avait beaucoup de mal avec son apparence : si on l'avait abandonnée, c'était parce qu'elle n'était sûrement pas assez bien. Si on ne l'avait jamais adoptée, c'est parce qu'elle était la petite fille la moins jolie de tout l'Orphelinat, tout un tas de trucs comme ça. La cause de tout cela était le vide affectif qu'elle n'était jamais arrivée à combler et pour lequel elle avait perdu tout espoir d'y arriver un jour. « Je pourrais faire mieux, je crois. Mourir maintenant laisserait un goût d'inachevé. Je sais pas, c'est compliqué. » Cruz ne détailla pas ses pensées plus que ça. Parce qu'elle-même n'arrivait pas encore à mettre des mots sur tout ça. Elle avait intériorisé toutes ces choses depuis si longtemps, cela faisait partie d'elle maintenant. Les faire remonter à la surface risquait d'être douloureux et elle avait eu assez de peine comme ça ce soir.

« J’espère pour toi qu’il gagnera en intelligence rapidement, alors. » Les deux jeunes femmes recommençaient enfin à sourire. La réplique de sa comparse arracha même un petit rire à Cruz. Isidore était un garçon extrêmement intelligent, elle le savait. Mais au niveau de tout ce qui touchait aux relations sociales, ce mec était une vraie bille. Cruz n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi gaffeur, d'aussi maladroit dans ses tournures de phrases. A croire qu'il avait été programmé pour faire exactement l'inverse de ce que la norme sociale imposait. C'était peut-être ce qui faisait son charme au fond, il avait le mérite de faire rire. Avec ou sans sa prothèse, aux yeux de Cruz il était resté le même. Ce n'était d'ailleurs pas pour rien qu'elle avait choisi de donner sa vie pour lui, sans aucune hésitation. Parce qu'il méritait de se persuader que lui aussi était capable de changer le monde. Bon sang, il y avait tellement de choses qu'elle aurait aimé lui dire et le silence du jeune homme l'en empêchait. Pourquoi ne la contactait-il pas ? Qu'avait-il donc de mieux à faire ? C'était insensé. « Je ne voudrais pas briser tes espoirs, mais avec Izzie rien n'est moins sûr. Tu l'apprécierais, je crois. » Casey, Cruz, Isidore ... Tous trois étaient fait de la même trempe. Chacun d'eux traînait un lourd passé derrière lui, dont il essayait tant bien que mal de s'affranchir. Chacun d'eux nourrissait une rage sourde mais intense, qui ne demandait qu'à sortir. Ils étaient pareils, dans le fond. Cruz espérait ne pas s'être trop avancée en faisant cette suggestion à Casey : après tout, les relations humaines étaient tellement compliquées.

Après cette parenthèse humoristique, les confidences reprirent rapidement le dessus. Casey demanda à Cruz ce qu'elle faisait de ses étés. Encore une question qui faisait étrangement écho à celle que lui avait posé Isidore, quelques semaines plus tôt. Mais cette fois-ci, contrairement à ce qu'elle avait répondu au Serpentard, Cruz ne chercha pas à se cacher. Elle était allée bien trop loin dans les confidences pour botter en touche maintenant. Alors la jeune femme raconta à sa camarade sa vie à l'Orphelinat, durant les deux longs mois que duraient les vacances scolaires. Mais, pour la première fois de la soirée, Cruz ne faisait pas de confidences gratuites. Si elle osait parler de ce passé si savamment dissimulé jusque là, elle espérait bien que Casey lui donnerait quelque chose en retour. Il ne fallait pas avoir des dons de divination pour comprendre qu'elle aussi avait un passé compliqué. La Serdaigle ne déçut pas sa camarade. L'entendre raconter sa vie dans sa famille d'accueil, c'était comme si Cruz trouvait un écho à sa propre situation. Elle se comportait exactement pareil, à Londres. Mis à part qu'elle aimer faire des coups en douce à ses camarades, bien sûr. Toutes deux attendaient impatiemment la rentrée et détestaient quitter Poudlard. Parce que le château était le seul endroit où elles se sentaient vraiment chez elles. La jeune femme se demandait bien d'ailleurs pourquoi Casey était placée en famille. L'assistance sociale l'avait retirée à la garde de ses parents ou n'avait-elle tout simplement plus de parents ? Encore une situation bien délicate. La Serdaigle demanda ensuite à Cruz depuis combien de temps elle vivait à l'Orphelinat. Comme quoi, l'Espagnole n'était pas la seule à se poser des questions. Cruz prit une inspiration et tourna la tête vers sa camarade pour lui répondre. « Oh non, je devais bien avoir deux semaines quand ma mère m'a laissée là bas. » Répondit la brune avec une pointe d'ironie. Elle n'avait aucun souvenir de cette personne qu'elle appelait mère, ne savait même pas si cette jeune femme l'avait aimée. A l'époque, elle avait le même âge que Cruz aujourd'hui. Est-ce qu'une adolescente était capable d'éprouver un instinct maternel ? Cruz ne pouvait imaginer attendre un enfant, elle ne s'en sentait absolument pas capable. Alors, elle au moins, elle évitait de se faire engrosser par le premier venu, histoire d'éviter de pourrir la vie d'un innocent bébé qui n'avait jamais demandé à venir au monde. « Tu as toujours vécu dans une famille d'accueil ? » Un petit jeu de question-réponse se mettait en place entre les deux jeunes femmes : comme pour vérifier qu'elles étaient bien identiques, toutes les deux.

L'orage était passé, la tempête émotionnelle qui s'était emparée de Cruz, lorsqu'elle s'était mise à expliquer les tenants et les aboutissants de son choix morbide de la nuit d'Halloween, avait pris fin aussi vite qu'elle était apparue. Est-ce que cela voulait dire pour autant que ses cauchemars et ses tourments s'étaient envolés avec elle ? Rien n'était moins sûr. Seule une vraie discussion, de sincères explications avec le principal concerné seraient le remède aux blessures de l'âme de Cruz. Mais ses confidences avec Casey avaient eu le mérite de mettre la jeune femme sur la voie de la guérison, ce qui était déjà beaucoup. Cruz avait plusieurs fois passé en revue les différentes personnes auprès desquelles elle aurait été susceptible de se confier. Narcissa n'aurait pas compris car elle détestait Isidore. Anoushka avait ses propres problèmes à régler en plus d'être en froid avec le Serpentard. Ashley, même si elle était gentille, n'était pas du genre hyper compatissante. Madison aurait été parfaite mais Cruz préférait être certaine qu'elle allait bien de son côté avant de lui confier ses peines. Quant à Edward, ce n'était pas le garçon qui donnait envie de se confier et en plus ce n'était pas dans leurs habitudes. Il aurait resté Izzie, en temps normal, à qui Cruz aurait pu confier ses peines : mais il était absent, alors Cruz s'était retrouvée seule face à ses démons. Pas une seule seconde, la jeune femme n'avait pensé à Casey. C'était tellement idiot de sa part, aux vues de la tournure qu'avait pris leur marche commune.

Au fil de la nuit, alors qu'elles se promenaient dans les couloirs de ce château humide et froid puis maintenant qu'elles se trouvaient toutes deux assises sur le rebord d'une fenêtre, leur relation avait évolué d'une étrange façon. Personne n'aurait pu prévoir que les deux jeunes femmes se rapprocheraient autant, simplement en parlant de ce qui leur était arrivé à Halloween. Ni qu'elles s'ouvriraient autant l'une à l'autres, elles qui restaient si souvent refermées sur elles-mêmes. Cruz avait l'impression que Casey la comprenait sans qu'elle n'ait même besoin de parler. C'était comme si elle s'adressait à son propre reflet, aussi troublant que cela pouvait paraître. Pourtant, à mesure que la nervosité de la jeune femme disparaissait, celle de la Serdaigle devenait de plus en plus visible. C'était comme si les mots, les confidences de Cruz résonnaient en elle et réveillaient des choses douloureuses. La quatrième année n'avait pas encore parlé de ce qu'elle ressentait par rapport aux horreurs qu'elle avait vues et vécues durant son cauchemar d'Halloween. L'Espagnole ne souhaitait pas forcer sa comparse à la confidence, ce n'était pas dans ses habitudes. Mais, tout de même, elle avait de la peine pour la lèvre inférieure de Casey qui menaçait de saigner à tout instant. Ainsi, Cruz mit fin à ses propres confidences concernant le mal-être qui était le sien suite à cette nuit du 31 Octobre (et peut-être bien plus antérieur à cela), car c'était trop compliqué d'expliquer pourquoi elle ne s'aimait pas vraiment. Complexe mais surtout douloureux et la jeune femme détestait être la seule personne à parler d'elle pendant des heures. Avec toute la douceur dont elle était capable, un peu comme si elle s'était adressée à Madison, Cruz se risqua à questionner la Serdaigle. « Et toi, tu ne veux pas en parler ? » C'était très subtil, assez subtil pour que Casey puisse habilement esquiver la question en faisant comme si elle ne comprenait pas. Mais l'Espagnole savait que sa comparse était bien assez intelligente pour deviner que sa question portait sur ce qui la tourmentait et lui faisait se mordre la lèvre.

La conversation prit par la suite un ton plus léger lorsque les deux jeunes femmes abordèrent le cas Isidore. Et il y en avait des choses à dire sur ce spécimen rare, c'est moi qui vous le dit. D'ailleurs, Cruz se risqua même à émettre l'hypothèse que le Serpentard et la Serdaigle pouvaient s'entendre. Après tout, Casey était comme un miroir pour Cruz. Son deuxième miroir, avec Isidore. « Ah bon ? Pourquoi donc ? » La Serdaigle semblait interloquée par le choix de sa camarade. A bien y réfléchir, il y avait de quoi : après lui avoir dépeint Izzie comme le dernier des salauds, capable de se rendre invisible alors qu'une amie avait donné sa vie pour lui, voilà que Cruz suggérait à la Serdaigle qu'elle était faite pour s'entendre avec lui. Cela pouvait presque en être vexant. Mais Cruz était intimement convaincu que cela pourrait fonctionner. Certes, au début ils se prendraient la tête sans arrêt voire se battraient comme des chiffonniers parce que de tels caractères étaient obligés de s'affronter. Mais après, cela laisserait sûrement place à quelque chose de sympa. Du moins, cela valait le coup d'essayer. « Parce qu'il a beau faire celui que rien ne peut atteindre, il est bourré de fêlures. » Commença par expliquer la Serpentard. « C'est un mec génial, même s'il est intimement persuadé du contraire. » Poursuivit la jeune femme en jetant un nouveau coup d'oeil au ciel étoilé qui veillait sur les deux adolescentes. « On est pareils. » Lâcha Cruz, finalement. Isidore et Cruz étaient pareils, Cruz et Casey étaient pareilles, Casey et Isidore étaient pareils. Cela valait pour ces trois trios, libre à la Serdaigle d’interpréter cela comme elle le voulait, encore une fois.

Ce passage un peu plus léger de leurs confidences n'était cependant pas fait pour durer. Après avoir ouvert leurs coeurs sur ce qui les rongeait depuis la soirée d'Halloween, les deux jeunes femmes en étaient venues à parler d'un passé sombre qui avait en grande partie déterminé qui elles étaient aujourd'hui. Cruz était une enfant de nulle part, une fille de personne et sa vie passée dans un Orphelinat miséreux entourée de gamins ayant subi des horreurs ou ayant des problèmes (ou les deux ...) avait contribué à nourrir cette rage qui l'habitait et qui la guidait depuis toujours. La jeune femme avait tellement pris l'habitude de garder cette part de sa vie pour elle, de n'en parler à personne, que mettre son passé en mot s'avérait plus compliqué que prévu. Plus douloureux aussi, quelque part. Ce n'était pas simple de reconnaître qu'on vivait comme une moins que rien, considérée par personne. A part durant les deux premières semaines de sa vie. Et encore, à cette époque là Cruz n'avait certainement été qu'un fardeau pour celle qui lui avait donné la vie. « Et tu ne la connais pas, ni ton père ? » Demanda Casey, visiblement éberluée par la vérité que la Serpentard lui balançait au visage. Oui, sa mère l'avait abandonnée. Mais son père avait fait pire encore, puisqu'il n'avait même pas cherché à la voir et avait préféré sa perspective de carrière à son enfant. Quel genre de monstre pouvait faire ça, au juste ? Rejeter une femme et son enfant qui avaient traversés la France et l'Espagne pour le retrouver avec pour seule raison une carrière prometteuse, c'était tout simplement dégueulasse. A cette pensée, Cruz serra les poings de rage sur ses cuisses. Merlin, qu'elle détestait cet homme. « Non, je n'ai aucun souvenir de ma mère. Quant à mon géniteur, je ne l'ai même jamais rencontré. » Inconsciemment, Cruz avait toujours fait une très nette différence entre sa mère et son père. Elle n'avait jamais appelé ce dernier autrement que comme "Mon géniteur". Parce que c'était tout ce qu'il était, il s'était contenté d'engendrer l'enfant qu'elle était. Sa mère, au moins, s'était occupée d'elle même si ce n'était que durant deux semaines. Et puis, il y avait eu les neuf mois avant. D'après la lettre qu'elle avait laissé pour Cruz, cette dernière devinait qu'au fond sa mère l'aimait. Ce qui n'excusait en rien l'abandon et rien ne l'excuserait jamais. L'Espagnole posa ensuite la même question que Casey lui avait posé précédemment, à savoir si la Serdaigle avait toujours vécu en famille d'accueil. Cette dernière lui répondit par la négation, lui précisant qu'elle avait été placée lorsqu'elle avait neuf ans. Ainsi, elle avait quand même passé neuf ans avec sa famille avant de devoir la quitter. C'était toujours mieux que rien, se disait Cruz. Mais si Casey avait été enlevée à ses parents, c'était sûrement qu'ils faisaient des trucs pas nets avec elle. La Serpentard avait vu trop de mômes abusés par leurs parents faire des séjours express dans son Orphelinat. « Et tu as toujours des contacts avec ta famille ? » Cruz se doutait déjà de la réponse mais préférait quand même l'entendre de la bouche de sa camarade. Rares étaient les enfants placés depuis aussi longtemps qui avaient encore le droit de passer du temps avec leur famille.

En parler. Mettre des mots sur cette souffrance, cette tristesse, cette peur qui les habitaient depuis cette fameuse soirée. Ils avaient vu leurs amis mourir dans d'atroces souffrances, avaient crû que leur dernière heure était venue. Ce n'était pas réel, cela se passait dans leur tête et pourtant la souffrance de la mort, ils l'avaient ressenti dans leur chair. Ils avaient eu mal : physiquement et moralement. Cette dernière souffrance ne les avait pas quittés depuis ce jour. Mais les élèves n'étaient pas habités par ce seul sentiment, bien qu'il prenne une place infinie dans tout leur être. Non, il y avait également de l'amertume et une colère grandissante en eux. Parce que ce n'était pas normal qu'ils aient eu à vivre des choses aussi affreuses, si rapprochées dans le temps avec ce qu'ils avaient affronté l'année dernière. Parce qu'ils avaient fait confiance au nouveau directeur et au corps professoral de Poudlard pour les protéger de tout ça. Ces gens qui étaient responsables de leur sécurité les avaient trahis. C'était inhumain d'avoir osé faire vivre cela à des enfants et des adolescents déjà traumatisés. C'était juste complètement stupide et inconscient de leur part. Cruz leur en voulait, elle leur en voulait terriblement. Pas tant pour ce qu'elle avait eu à vivre de son côté, parce qu'elle s'en remettrait et parce qu'au final, elle n'avait rien vu de si traumatisant que ça. Mais c'était surtout par rapport à ce que lui avait raconté Madison. Ce qu'avait eu à vivre cette adorable gamine, du haut de ses douze ans, c'était à vomir. Elle qui était toujours heureuse, toujours enjouée, se retrouvait assaillie de cauchemars à cause de ces adultes à la con. Cruz ne leur pardonnerait jamais ça, jamais. Et elle ne se pardonnerait pas non plus d'avoir insisté auprès de la famille de Madison pour qu'elle revienne à Poudlard. Elle avait promis de la protéger et elle avait échoué. La Serpentard les détestait tous, autant qu'elle se détestait elle-même. Lorsqu'elle proposa à Casey de se confier, de parler de ce qu'elle avait vécu de son côté, l'Espagnole n'avait pas grand espoir. C'était compliqué de mettre des mots sur ses émotions, elle le savait. Les mots de la Serdaigle ne vinrent que confirmer ce que pensait sa camarade. Ils avaient vécu leur cauchemar en pensant que c'était la réalité. Si on leur avait dit avant que ce n'était qu'un monde virtuel, l'impact n'aurait pas été le même. La plupart n'y seraient pas allé et tout irait maintenant pour le mieux. C'était à se demander ce qui était passé par la tête de Neville Londubat, pour organiser une pareille chose. « Tu as déjà pensé à partir d’ici ? » Lui demanda soudainement la quatrième année. Cruz la fixa avec des yeux étonnés. Non, elle n'y avait jamais pensé. Elle n'était pas encore à ce niveau de haine envers cette école qu'elle considérait comme sa maison. Puis, partir pour aller où ? Dans cet horrible orphelinat dans lequel elle ne faisait que survivre ? Non certainement pas. Cruz avait des projets et elle ne comptait pas céder à la panique : elle touchait au but, il était hors de question de tout faire foirer maintenant. « Non, l'idée ne m'a même pas traversé l'esprit. Je ne suis pas de ceux qui fuient. » Des mots forts, teintés de reproches. Cruz comprenait pourtant que certains préféraient fuir plutôt que d'affronter ça encore et encore. Mais elle ne partageait pas leur avis. Elle avait beaucoup trop de fierté en elle pour ça.

Les deux jeunes femmes étaient si semblables, c'en était presque troublant. Elles avaient passé cinq années dans le même château, à se côtoyer, à discuter, à s'entraîner au lancer de sortilèges sans jamais se rendre compte de cette ressemblance frappante. Bien sûr, elles se doutaient qu'elles étaient plus proches qu'on n'aurait pu le croire au premier abord. Mais pas que ça allait aussi loin, ça elles ne s'en étaient jamais aperçues. C'est bien à cause de cette ressemblance que Cruz suggéra à Casey que cette dernière pouvait bien s'entendre avec Isidore. Le fameux Isidore, origine des tourments de la Serpentard. Cette suggestion sembla intriguer la Serdaigle, qui demanda à en savoir davantage. « S’entendre ou se détester, alors. » Réagit-elle aux informations que lui donna l’Espagnole, ce qui provoqua un léger rire chez cette dernière. Sa relation avec Isidore était parfaitement résumée en cette seule phrase. Elle passait la moitié de son temps à le détester et l'autre moitié à l'adorer, jamais de juste milieu. Certainement parce qu'ils étaient trop semblables au fond et, tels des aimants, ils passaient leur temps à s'entrechoquer. Cruz mentirait si elle disait qu'elle n'aimait pas ça. Casey, qui ne voyait pas vraiment qui était Isidore jusque là, sembla soudainement mettre un visage sur le jeune homme puisqu'elle demanda à Cruz s'il n'était pas le petit ami de cette peste prétentieuse et sans cervelle (bon, ça c'est moi qui le rajoute) de Savannah Caldwell. Rien qu'à entendre ce nom, Cruz sera les dents. Ça faisait un moment qu'elle ne l'avait pas eu dans les pattes, cette mégère, et elle s'en félicitait. Se séparer d'elle était la meilleure chose qui pouvait arriver à Isidore. « C'était. Ils ne sont plus ensembles. » Se contenta de répondre la Serpentard. Elle ne savait pas exactement quelle était la relation entre Casey et Savannah, aussi préféra-t-elle ne pas émettre de jugement sur cette dernière. Du moins, pour l'instant.

C'était marrant de voir que les deux amis en étaient venues à parler famille. L'une comme l'autre n'était pas gâtée de ce côté là. Encore un point de ressemblance important entre elles. Cruz se trouvait presque plus chanceuse que sa camarade. Au moins, elle n'avait jamais connu ses parents dont elle n'avait jamais souffert de leur absence. Du moins, ils ne lui manquaient pas. La jeune femme n'avait pas subi leur attitude, elle était bien trop jeune pour s'en souvenir. Seule la lettre dont elle avait pris connaissance le jour de ses dix ans avait remué un douloureux sentiment en elle : l'abandon avait quand même laissé des traces en elle, même si elle n'était qu'un bébé à l'époque des faits. Quand Casey lui expliqua qu'elle n'avait plus de contact avec sa famille et qu'ils ne méritaient d'ailleurs même pas ce qualificatif, Cruz comprit. Elle savait ce que ça faisait, même si leurs situations n'étaient pas tout à fait semblables en tout point. Même si l'Espagnole n'avait jamais connu ceux qui lui avaient donné la vie, elle avait souvent pensé à eux. Ne serait-ce que devant son miroir, lorsqu'elle passait des heures à décortiquer son visage pour savoir d'où elle pouvait bien venir. Il n'y avait pas que de l'Espagne, dans ses traits, elle en était certaine. Ressemblait-elle à sa mère ou à son père ? Quelles étaient ses vraies origines ? Tant de questions restaient sans réponse. Est-ce qu'elle cherchait retrouver ses parents ? Non, pas du tout. Ou plutôt, pas encore. « Non. J'attends d'être devenue quelqu'un d'important, d'avoir réussi dans la vie. Pour le montrer que je n'avais absolument pas besoin d'eux pour devenir quelqu'un. » Répondit Cruz, avec une lueur dans les yeux. Oui, un jour elle mettrait le monde à ses pieds, comme elle l'avait dit à Izzie. Un jour, tout le monde connaîtra le nom de Cruz Valentia Rosewood. Même ceux qui n'avaient pas voulu d'elle. « C'est toi qui a coupé les ponts ou ce sont eux ? Ou peut-être qu'on vous a obligé ? » Cruz savait que dans certains cas, l'aide sociale interdisait aux parents et enfants de se parler pour d'obscures raisons. Qu'en était-il de Casey ?

Cruz avait eu l'occasion d'entendre, ça et là, des rumeurs qui racontaient que certains élèves avaient envie de quitter le château. Comment leur en vouloir ? Le coup foireux de la direction, rajouté au traumatisme de l'an passé et notamment pour les nés-moldus, avait de quoi donner la poudre d'escampette aux plus fragiles d'entre eux. L'Espagnole n'était personne pour les juger et pouvait comprendre, sans pour autant approuver, ceux qui souhaitaient partir. Cela faisait tant de choses à encaisser, pas étonnant que la coupe finisse par déborder. Mais la jeune femme ne faisait pas partie de ces gens là. Fuir n'était pas dans son tempérament, c'est pourquoi elle ne put s'empêcher de répondre sur un ton presque accusateur à Casey. Non pas qu'elle reprochait à la jeune femme quoi que soit, certainement pas, elle ne se le serait pas permis. Mais elle espérait tout de même que la Serdaigle ne soit pas le genre de personne à abandonner aussi facilement, à fuir plutôt que se battre et vaincre ses démons. Parce que Cruz allait faire exactement le contraire et prouver à tout le monde, si besoin était, qu'elle était bien plus forte que ça. La direction pouvait bien lui faire subir ce qu'elle voulait, la torturer physiquement et psychologique, la Serpentard ne lâcherait jamais rien. Elle était une battante et survivre était ce qu'elle savait faire de mieux. Elle savait encaisser, peu importe les épreuves et les obstacles. Elle leur montrerait qu'elle était plus forte que ça. Parfois, la jeune femme se demandait ce à quoi aurait pu ressembler sa vie si elle n'avait pas eu cette rage de s'en sortir au fond d'elle. Avait-elle vraiment envie de le savoir, d'ailleurs ? Quoi qu'il en soit, Cruz eut pour seule réponse un soupir de la quatrième année. La Serpentard n'avait pas dû lui apporter ce qu'elle recherchait en lui posant la question. Il faut dire que Cruz avait toujours eu en général des avis bien tranchés sur les choses et bon courage à celui qui aurait voulu lui faire changer d'avis. Cependant, elle ne voulait pas que Casey croit qu'elle portait un jugement négatif sur ceux qui pensaient à cette éventualité. Chacun était différent, chacun avait ses raisons. Cruz prêchait uniquement pour sa paroisse. « Je ne dis pas que c'est mal, d'y songer. Chacun a le droit de décider de son destin. » Rajouta la jeune femme. Oui, chacun avait le droit de choisir ce qui était bien pour lui. Ce fameux droit dont ils ne semblaient plus pouvoir disposer depuis maintenant plus d'un an.

Cruz se surprit à imaginer le genre de trio qu'elle pourrait former avec Casey et Isidore. Ils auraient de la gueule, ensemble, pour sûr ! Trois écorchés vifs, trois caractères à la con, trois passés compliqués. Ils y auraient des engueulades et des prises de becs, ça c'était certain. Comme éviter d'en arriver à cette extrémité, avec leurs grandes gueules et leurs fichus caractères ? Mais ce serait aussi, très certainement, ce qui ferait le charme de leur relation. Quand toutes les émotions étaient démultipliées, on se sentait d'autant plus vivant. C'était en tout cas ce que ressentait Cruz en présence d'Izzie. Bien sûr, c'était compliqué entre eux et le silence du jeune homme depuis Halloween en était la preuve. Ils n'étaient jamais d'accord sur rien et semblaient ne pas pouvoir se supporter mais, au fond, ils s'appréciaient beaucoup. L'Espagnole pouvait même s'avouer que, sans la présence du Serpentard dans sa vie, elle ressentirait un certain manque. Parce que ça faisait terriblement du bien de côtoyer des gens comme soi, c'était peut-être aussi pour ça que Cruz appréciait autant cette soirée en compagnie de Casey. Parce qu'elle avait l'impression de se voir en elle, et elle avait l'impression que c'était réciproque. La conversation dériva un peu par hasard sur la relation entre Savannah et Isidore. Rien que d'y penser, la Serpentard se sentait vaguement nauséeuse. C'était le pire couple de l'histoire de l'humanité et encore, les mots ne lui semblaient pas assez fort. Elle était bien contente de leur séparation, même si c'était mesquin de sa part. Izzie était bien mieux sans cette bécasse, il n'y avait pas photo. La réponse de Casey, très neutre, laissa supposer à l'Espagnole que cette dernière n'était pas vraiment proche de Savannah. Tant mieux, avoir un ami qui la plaçait sur un piédestal était déjà largement suffisant : pas sûr qu'elle puisse en supporter davantage. « Il est mieux sans elle. » Répliqua la jeune femme, en balayant d'un revers de la main l'air, comme pour chasser cette histoire de leurs discussions. Elle avait déjà dit le fond de sa pensée concernant cette rupture au principal concerné. Il était temps de passer à autre chose.

La Serpentard se dévoilait entièrement à son acolyte, contrairement à ses habitudes. Parler de son passé à quelqu'un, c'était inédit. Jamais personne n'avait su, à part Ashley, par la force des choses. Jamais personne ne s'était douté de quoi que ce soit, Cruz avait tout fait pour qu'il en soit ainsi. Et pourtant, cela lui faisait du bien de pouvoir en parler à quelqu'un qui comprenait. Elle savait que Casey comprenait. Elle lui parla aussi de ses ambitions, de son désir de revanche sur la vie et sur ceux qui la lui avaient donnée. Chaque fois qu'elle songeait à cela, la brune se transformait : elle avait les yeux qui pétillaient et un sourire qui en disait long. Elle avait un but dans la vie et c'était aussi pour ça qu'elle avait cette rage de vivre en elle, c'est ce qui lui permettait de ne pas abandonner. Qu'en était-il de Casey ? La Serdaigle restait silencieuse face au discours de sa camarade. Son visage ne trahissait aucune émotion particulière et Cruz ne chercha pas à en savoir davantage. Elle avait posé assez de questions indiscrètes pour la nuit. La jeune femme se contenta donc de s'adonner au jeu de question-réponse qui s'était mis en place entre les deux brunes et demanda à Casey si elle avait toujours des contacts avec sa famille. Celle-ci lui expliqua qu'elle avait été emmenée par les services sociaux et que, par conséquent, elle n'avait plus de relation avec sa famille et ne cherchait pas à en avoir. Cela avait le mérite d'être claire et que Cruz ne chercha pas à en savoir davantage, du moins pour l'instant. La nuit avait été assez riche en émotions comme cela. « Je vois. » Répondit simplement la Serpentard. Elle n'avait pas la prétention de croire qu'elle pouvait comprendre, n'ayant jamais été dans cette situation et ne connaissant pas tous les détails de l'histoire. « Je te remercie de m'avoir écoutée. C'était vraiment chouette, de parler toutes les deux. » Conclut la jeune femme, en souriant à son amie. Oui, décidément cela avait été une soirée pleine de surprises. Une soirée que Cruz avait apprécié, la première sans doute depuis cette nuit cauchemardesque d'Halloween. Et tout ça grâce au hasard d'une rencontre. Il y aurait de la magie là dessous que ça ne m'étonnerait pas !