La plume est l'arme des lettrés

Dans la pagaille qui accompagnait souvent les heures où les élèves quittaient précipitamment la bibliothèque en se souvenant brusquement qu’ils avaient cours, Charli soupirait. La plupart du temps, ils laissaient tout en plan sur les tables et c’était à lui de ranger. Pas qu’il était payé pour ça, mais presque. Avec son regard désabusé habituel, il laissait ses yeux balayer la grande salle pour trouver par où commencer.
Ce jour-là n’avait pas fait exception à la règle. Avec un agacement même pas dissimulé, il s’était mis à ramasser les ouvrages éparpillés aux quatre coins de la bibliothèque soudainement désertée. Et dans sa hâte d’en finir avec ce bazar qui l’horripilait, il emporta également quelques parchemins. Il n’était pas rare que des élèves peu attentifs oublient leur notes de cours. Il lui était même arrivé de trouver des lettres destinées à d’autres élèves, coincées entre deux volumes épais. Evidemment, dans sa curiosité maladive naturelle, Charli ne pouvait pas s’empêcher de les lire – avant de les remettre à leur place pour qu’elles trouvent tout de même leur destinataire, il était joueur mais pas cruel. Cependant, les lettres étaient souvent inintéressantes ou mièvres, voire complètement stupides. Il repartait alors, la déception au visage mais sans regret.
Les mains prises, Charli jeta un rapide coup d’oeil à sa trouvaille du jour, qui de loin ne ressemblait étrangement ni à une lettre ni à une prise de notes. Un léger sourire aux lèvres, il se jura de lire ça plus tard au calme, l’intérêt piqué à vif.

Alors que la fin de journée approchait et son travail s’achevait pour aujourd’hui, Charli se rappela soudain des parchemins qu’il avait laissé sur son bureau pour occuper ce genre de moments. Souvent, quand les élèves les plus étourdis oubliaient des choses ici, ils rappliquaient en vitesse dès qu’ils s’en apercevait et il le leur rendait sans trop de questions. Mais là, personne n’était venu réclamer son dû.
Confortablement installé en tailleur sur une table alors que la bibliothèque était presque vide à cette heure tardive de la journée, Charli entreprit d’étudier le trésor qu’il avait trouvé plus tôt. Sa première surprise concernait le support. Lui qui avait toujours préféré les feuilles libres ou les carnets ne comprenait pas cette obsession qu’ils avaient tous à Poudlard avec les parchemins. Ce n’était pas pratique, ce n’était pas agréable, et ça se perdait facilement – la preuve. Décidément, le monde sorcier avait des habitudes bien étranges. Passé sa perplexité, il se mit à lire. Rapidement, il se rendit compte qu’il n’avait pas là le début d’un devoir d’histoire de la magie ou un exercice d'artithmancie, mais bien ce qui ressemblait au milieu d’un roman.
D’abord sans jugement, il parcourut rapidement les lignes écrites à la main pour découvrir le contexte qu’il peinait un peu à comprendre sans avoir le début de l’histoire. Ce n’était pas si mauvais que ça, mais le médiéval n’avait jamais été son époque favorite. A travers les mots écrits délicatement à la plume, il découvrit un genre d’aventure héroïque et fantasque. Rapidement, Charli étant souvent fidèle à lui-même, il nota mentalement tous les passages qu’il pensait devoir être revus et se demanda si le propriétaire allait un jour oser pointer le bout de son nez pour récupérer ces parchemins. Ecrire était souvent un acte personnel et que beaucoup considéraient comme honteux longtemps avant de pouvoir en parler à leurs proches – et encore plus avant de pouvoir montrer leurs écrits – il était bien placé pour le savoir. Lui qui avait lu des milliers de livres en tous genres n’avait pourtant jamais voulu – ou pu – écrire, il avait donc un certain respect pour cet inconnu qui avait abandonné son œuvre ici.

Soudainement interrompu par un raffut sans nom, il leva légèrement la tête pour faire acte de présence en tant que gardien du silence des lieux. Charli fit la moue en découvrant le frère de Bennett s’agiter sans raison autour des tables et des rayons – pourtant parfaitement rangés ! – de la bibliothèque.
Il leva un sourcil ; il commençait à relier les choses entre elles, et ces choses là prévoyaient d’être intéressantes. Il replongea dans sa lecture, l’air de rien, avant de s’autoriser une remarque sarcastique habituelle.

« On calme ses ardeurs dans la bibliothèque, monsieur Tiedoll. » dit-il sur un ton faussement las, sans lever les yeux du parchemin.

La plume est l'arme des lettrés

Ravi de pouvoir constater qu’après sa remarque acerbe, le jeune Serpentard avait effectivement calmé sa hargne contre les précieux livres de la bibliothèque, Charli se remit à sa lecture nouvelle. Pour lui qui connaissait presque par coeur la plupart des ouvrages entreposés ici, un peu de fraîcheur ne faisait jamais de mal – aussi immature et inachevée soit-elle. L’écrit sur le parchemin n’était pas parfait, mais pas si mauvais non plus. Pas forcément son style, mais assez intéressant pour qu’il ne jette pas simplement les feuillets au feu ; ce qu’il aurait probablement fait, en d’autres circonstances.
Soudain, l’attention du Serpentard sembla changer de point. Il s’approcha de lui sans hésitation et lui demanda d’un ton sans appel de lui rendre ses parchemins. Ainsi donc, monsieur Tiedoll avait assez de temps libre pour écrire un roman entre ses heures de cours – information fort intéressante. Charli abaissa légèrement les pages pour adresser une moue perplexe et un regard suspicieux au garçon. Après l’avoir observé quelques secondes, ses yeux dérivèrent vers la bibliothèque et les étagères dérangées. Il leva le menton vers son interlocuteur qui lui promettait de tout remettre à sa place quand il aurait récupéré ses affaires. Voilà qui n’arrangeait pas Charli ; il n’avait pas fini de lire, et en plus, il n’avait pas lu le début – ce qui était somme toute assez frustrant pour un lecteur aussi avide que lui, malgré les défauts du texte. La façon si polie et soutenue avec laquelle il avait formulé sa demande ne fut pas sans lui rappeler sa sœur, qu’il aurait préféré ne pas se remémorer. Il réprima un frisson d’horreur et força son esprit à se concentrer sur la situation.

« Mmmh mh. Pas une trace, j'y compte bien. Non, en fait... vous savez ce qu’on va faire plutôt ? Enfin, ce que vous allez faire. » demanda-t-il d’un air faussement ingénu, hochant légèrement la tête pour lui montrer à quel point il ne plaisantait pas. « Vous allez d’abord ranger la bibliothèque, et ensuite, je vous rendrai votre, euh… vos parchemins. »

Charli lui envoya un sourire narquois, les yeux rivés sur les pages qu’il tenait encore. Il était bien difficile de résister à la tentation d’abuser de son autorité pour ce genre de chose, surtout quand c’était aussi facile. Incapable de s’empêcher d’en rajouter une couche, il s’autorisa un sarcasme de plus en désignant d’un vague geste de la main les livres éventrés sur les tables et entre les étagères.

« Et bon courage dans votre tâche, monsieur Tiedoll. » dit-il le plus naturellement du monde, avec sa suffisance habituelle quand il s’adressait aux élèves. « D’ailleurs, si vous avez le début sous la main, je prends. C’est un peu compliqué de tout situer quand il manque des morceaux d’histoire, vous comprenez bien. »

Il tapota légèrement la table pour lui indiquer où il devait déposer son œuvre, et plus vite que ça. Sur un malentendu, il finirait peut-être par avoir l’histoire entière au bout du compte. Délaissant le Serpentard beaucoup trop poli, Charli se réinstalla confortablement sur sa chaise pour terminer sa lecture. L’idée de mettre les pieds sur ta table en exigent la suite lui traversa l’esprit, mais il se retint. Il tenait quand même à ce que l’ordre soit respecté ici. Discrètement, il jeta un dernier coup d’oeil au garçon pour vérifier s’il allait vraiment s'en occuper – ou pas.

La plume est l'arme des lettrés

Visiblement pas ravi par le fait que Charli ait décidé de faire de ses parchemins sa récréation, le Serpentard allait bien vite en besogne. Entre le ton complètement mordant, l’attitude pressante et la panique qui l’avait suivie quand il était entré dans la bibliothèque pour y mettre un bazar monstrueux, Charli était bien servi.

« En fait, je n’ai jamais parlé d’obligation. » finit-il par dire, faussement perdu dans ses pensées. « Vous pensez vraiment que quelqu’un qui porte de l’intérêt à ce que vous écrivez, c’est déplacé ? Vous avez une façon décidément bien étrange de prendre la chose. »

Très heureux de voir l’élève s’exécuter avec application à sa tâche, Charli fit mine de continuer à lire les parchemins alors qu’en réalité, il les avait déjà fini deux fois. Du coin de l’oeil, il l’observait se démener à s’en essouffler avec une pointe de plaisir non feinte. Si on lui avait un jour dit que son travail serait aussi épanouissant, il ne l’aurait sans doute pas cru.
Charli ne manqua pas de remarquer le ton qui effleurait l’insolence ; si quelqu’un avait une attitude déplacée ici, c’était lui plutôt que le bibliothécaire. Pas de chance pour le Serpentard, c’était le genre de situation dont il se délectait.

« Mais c’est parfait, monsieur Tiedoll. » déclara-t-il d’un ton teinté de sarcasme, avec un petit sourire en coin. « Vous êtes très doué en rangement de bibliothèque, je ferais appel à vous plus souvent. »

Un peu surpris, Charli leva un sourcil quand une remarque acerbe fusa à son attention au lieu d’une demande poliment formulée à laquelle il s’attendait. Il n’était pas déçu. Si la sœur de Tiedoll lui tapait très souvent sur les nerfs avec ses manies, ses formules de politesse, ses moyens détournés et ses demandes incongrues, lui agissait de manière bien plus directe et se laissant emporter par ce jeu auquel il venait d’être invité. Si souvent il avait du le faire sortir de la bibliothèque – presque de force – alors que le couvre-feu approchait, et aujourd’hui il découvrait un nouvel aspect de sa personnalité qui n’était pas pour lui déplaire. Il avait tendance à s’ennuyer quand les élèves les plus disciplinés n’osaient même pas lui adresser la parole, mais une part de lui devait également se faire respecter – et il n’aurait pas manqué une telle occasion d’abuser de son autorité.

« Je ne suis pas certain d’avoir bien entendu. » dit-il très sérieusement en inclinant sa tête sur le côté, comme pour réellement tendre l’oreille alors qu’il avait parfaitement compris ce que le Serpentard avait lâché.

Avec un sourire malsain, il le regarda droit dans les yeux pour exposer le fond de sa pensée. Si l’élève ne s’embarrassait pas de politesse, du minimum de respect pour être cordial ou même de retenue, alors il ferait de même – tant pis pour lui, il l’avait bien cherché.

« A partir du moment où il n’y a personne à qui demander, je ne vois pas pourquoi je prendrais cette peine. » lança-t-il sans le quitter du regard. « Vous êtes responsable de vos affaires, si vous les abandonnez… et bien, dommage pour vous. N’importe qui aurait pu tomber dessus, vous avez de la chance que ça soit moi, d’ailleurs. Si ces écrits sont si précieux pour vous et que vous ne voulez pas qu’on les lise, alors vous devriez y faire plus attention, tout simplement. Mais de ce que je vois, ils n’ont pas l’air d’avoir tant de valeur que ça pour que vous les laissiez à la vue de tous à la bibliothèque, non ? »

Il lui adressa un dernier sourire qui se voulait des plus provocateurs, de celui qui sait qu’il a le pouvoir sur la situation. Si au début il aurait été enclin à accéder à sa requête, il n’avait maintenant plus aucune intention de les lui rendre, ses foutus parchemins.