Heather commençait à s’ennuyer sincèrement dans cette ferme où les rescapés vivaient les uns sur les autres, dans une inactivité bien plus éprouvante que celle dont les congés d’été sont habituellement synonymes. Durant les premiers jours, mademoiselle von Tiensenhausen s’était occupée comme le pouvait en effectuant ce qu’elle estimait être son devoir : passer du temps à l’infirmerie pour s’occuper des blessés et aider les médicomages dans le peu de tâches qu’elle était capable d’effectuer. Mais, rapidement, on lui avait fait sentir que sa présence gênait plus qu’autre chose : les petits bobos étaient guéris et ceux qui restaient à l’infirmerie avaient besoin de calme et de soins qu’elle était incapable de prodiguer. Elle écrivait à son père deux fois par jours, demandant des nouvelles de l’extérieur et lui garantissant qu’elle faisait de son mieux pour sauver son honneur : les réponses étaient brèves et insatisfaisantes, lui fournissant des nouvelles plutôt bonnes mais trop imprécises aux yeux de sa fille qui aurait voulu connaître dès aujourd’hui la date précise où elle pourrait rentrer au manoir.

Ce mercredi matin, Heather avait reçu un mot par hiboux de la part de Tracy Bennet qui lui proposait de se retrouver à la bibliothèque vers dix-sept heures. Heather sourit en lisant cette lettre très formelle dans laquelle sa camarade trouvait important de préciser qu’elle espérait ne pas la déranger au milieu d’activités plus importantes… Comme si elle eût pu avoir la moindre chose importante à faire ici ! Heather avait passé ces derniers jours assez isolée, s’abritant dans les coins les moins fréquentés du à l’extérieur de la ferme pour lire seule, cherchant à éviter tout ceux qui auraient pu se plaindre de leur situation ou lui reprocher son attitude durant ces derniers mois. Elle n’était guère faite pour la vie en communauté, et l’autonomie dont elle jouissait à Poudlard lui manquait autant que la solitude du manoir familial.

A sa grande surprise, cette invitation lui fit particulièrement plaisir. Après que Tracy Bennet eut aperçu – ou, du moins, elle en était presque sure – un de ses livres peu recommandables le jour de son arrivée à la ferme, Heather avait cherché à l’éviter pour se donner le temps de trouver un moyen de la faire taire si elle n’arrivait à lui faire oublier tout bonnement ce qu’elle avait vu. Si mademoiselle von Tiesenhausen avait aimablement proposé à la première née-moldue avec qui elle eût vraiment parlé à la ferme de l’aider à passer dans la classe supérieure, c’était avant tout pour faire preuve de bonne volonté et se racheter l’image d’une personne fréquentable. Mais en apercevant dans la ferme des individus comme les Rosenberg, Narcissa ou le professeur Shafiq, Heather von Tiensenhausen se disait qu’elle était, après tout, loin d’être en danger ici et que le zèle dont elle avait fait preuve auprès des blessés – allié au fait qu’elle n’avait jamais professé positivement une opinion favorable aux Néo-Mangemorts – plaidait déjà suffisamment sa cause et qu’elle n’avait donc plus vraiment besoin de sauver son honneur. Mais la perspective d’aider Tracy lui paraissait plus agréable à présent qu’elle avait passé plusieurs jours isolée au milieu de cette ferme où elle n’avait envie de parler à personne.

A quelle heure arriverait-elle au rendez-vous ? Cette question avait hanté l’esprit d’Heather, très habitué aux calculs mondains de ce genre, durant la majeure partie de la journée. En temps normal, elle aurait opté sans hésitations pour au moins quarante minutes de retard : l’approximation « vers » ne l’invitait absolument pas à arriver à l’heure ; et il convenait de faire sentir à une fille si insignifiante qu’elle avait mieux à faire. Mais en ce temps où il s’agissait de se faire bien voir et où Heather s’ennuyait à mourir, mademoiselle von Tiesenhausen eut peur que son interlocutrice ne s’impatiente et quitte la bibliothèque avant son arrivée. Ne pouvant tout de même pas se permettre d’arriver à l’heure, elle avait donc calculé d’avance son trajet pour arriver précisément à dix-sept heures et sept minutes – huit si jamais elle trainait. Elle avait préparé d’avance un sac particulièrement lourd, dans lequel elle avait mis l’ensemble des livres qui pourraient aider sa camarade – en faisant attention à n’y placer que des livres strictement au programme de quatrième année – pas un mot à propos du reste ; jouer l’incompréhension si Tracy s’aventurait sur le sujet. En début d’après-midi, la jeune Serdaigle avait fouillé dans sa malle à la recherche de l’un de ses plus beaux chapeaux pour faire honneur à sa nouvelle connaissance, puis elle avait attendu l’heure du rendez-vous au bord de l’étang, cherchant vainement quelque chose qui puisse lui occuper l’esprit.

Heather était presque arrivée en haut de l’escalier qui montait à la bibliothèque lorsqu’une idée lui traversa l’esprit. Elle regarda sa montre : dix-sept heures six… Mademoiselle von Tiesenhausen redescendit l’escalier, retourna dans sa chambre, fouilla dans sa valise et remonta. Elle serait un peu plus en retard, certes, mais rien ne valait mieux qu’un peu de diplomatie, après tout… pensait-elle. Heather trouva sa nouvelle connaissance à l’écart, presque cachée derrière une étagère, une plume à la main, dans une attitude studieuse qui lui fit peu présager de la profondeur de l’échange qui allait s’en suivre. Après tout, elle était simplement là pour aider une petite fayotte à retrouver son niveau perdu. Sans s’adonner à cette déception qui commençait à poindre en elle, Heather adressa à Tracy un large sourire, déposa non sans bruit son sac pesant sur la table et s’assit en face d’elle : « Alors ? Déjà au travail ? Tu vas mieux, j’espère… On dirait en tout cas. Ca me fait plaisir de te voir prête à travailler. »

Heather eut un petit sourire ironique en voyant l’ensemble des livres et des fiches étalés devant Tracy. D’autant plus que sa condisciple avait l’air de n’y voir qu’un simple préambule : « Oh, Heather, bonjour ! Je préparais simplement le terrain, j’ai trié quelques fiches en Défense, mais je t’attendais pour commencer. » On se calme, voyons… Elle n’avait que trois mois à rattraper et Heather riait intérieurement d’imaginer son attitude si elle avait été enfermée depuis le début, comme les autres nés-moldus. Elle ne s’était guère trompée en pensant qu’elle avait probablement affaire à une travailleuse – qui tenait sans doute à son rang au sein de sa classe et vouait une admiration aveugle à ses professeurs. Peut-être était-ce pour cela, d’ailleurs, qu’elle avait eu ces paroles si étranges à l’intention et à propos du professeur Shafiq ; elle devait être fayotte au point d’être tout bonnement incapable d’imaginer un professeur qui ne fût pas blanc comme neige. Heather sentait qu’elle allait s’amuser.

« Ça va mieux, merci. Encore quelques séances de routine, mais rien d’alarmant… » Effectivement, Tracy semblait en bien meilleur état : l’absence de béquille lui laissait présager qu’elle marchait dorénavant convenablement et, psychologiquement, malgré l’ensemble de fiches étalées devant elle qui témoignaient de sa nervosité quant à son avenir scolaire, elle semblait tout de même plus calme, plus reposée. « Et toi, comment tu t’occupes par ici… ? » « Moi ? » fit Heahter avec un rire qu’elle n’aurait su expliquer. Après tout, son interlocutrice ne pouvait pas savoir qu’elle n’appréciait pas vraiment ce moment d’internement estival passé dans l’incertitude vis-à-vis de l’avenir et de ce qui se passait à l’extérieur et sans grande envie de se lier à des élèves dont elle ne partageait pas un traumatisme dont elle se sentait partiellement responsable. Et puis, après tout, si sa condisciple l’interrogeait, cela devait bien être qu’elle en était venu à la même conclusion qu’elle, à savoir qu’il n’y avait pas grand-chose à faire dans cet endroit assez déprimant. « A vrai dire je m’ennuie assez, dit-elle dans un moment de vérité après avoir pensé esquiver la question. Il n’y a pas grand-chose à faire ici, rien à voir avec Poudlard. Et puis, tout le monde est fatigué, sur les nerfs, traumatisés pour certains – d’autres ne demanderaient qu’à sortir pour aller se battre mais n’en ont pas l’âge… Et moi, au milieu de tout ça, j’attends avec impatience de sortir. Et pour tuer le temps, je lis, je m’occupe de ceux qui ont besoin de soin, je m’ennuie. Enfin, je ne sais pas de quoi je me plains. » Heather s’était un peu trop laissée aller – avait dit à Tracy ce qu’elle n’osait se dire à elle-même depuis quelques jours – et ne souhaitait pas que sa nouvelle connaissance s’apitoie sur son sort – qui était, après tout, tout à fait enviable. « Et toi ? Tu ne fais que travailler ou tu t’accordes des moments de répit ?

« En tout cas je te remercie d’être venue ! Je te serais sacrément redevable, j’espère que je pourrais te rendre ce coup de main… ! » Tracy se répandait en remerciement et Heather se posait des questions. Etait-ce un trait de comportement habituel chez elle, ce qui aurait témoigné d’un important déficit de confiance en soi, d’un complexe d’infériorité ou quelque chose dans ce genre-là – peut-être la cause (ou la conséquence) de ces années passées à se faire passer pour ce qu’elle n’était pas – ou bien était-ce le signe de son attachement au savoir et à sa situation scolaire qui faisaient que ce coup de main avait une grande importance pour elle ? « J’espère bien, répondit Heather du tac-au-tac, sans réfléchir et de l’air le plus sérieux du monde. Je compterai bien sur toi pour m’aider la prochaine fois que je passerai trois mois enfermée dans un cachot. »

Malgré les soins médicaux et ses efforts pour retrouver le niveau qu’elle avait pu avoir avant d’être enfermée dans les cachots, Tracy semblait partager l’ennui que cet enfermement estival faisait éprouver à Heahter. « Je comprends. Les activités sont un peu limitées, et si les rattrapages occupent une bonne partie de mes journées, j’arrive rapidement à court. Les infirmiers doivent être ravis que tu leur apportes de l’aide. Tes lectures sont intéressantes… ? » Ce n’était pas avec aussi peu de finesse qu’Heather von Tiesenhausen se laisserait prendre au jeu. Certes, elle s’était laissée aller à parler un peu vite sincèrement, elle avait prononcé ce qu’il ne fallait pas – le vice ultime durant cette conversation, la lecture – mais elle n’allait tout de même pas tomber dans le piège aussi facilement ; et si son interlocutrice voulait lui faire parler de ce qu’elle avait sans doute vu la dernière fois, il lui faudrait employer de ruses bien plus finement élaborées. Quant aux infirmiers… Par les temps qui courent, ils lui faisaient plutôt comprendre que sa place n’était plus à l’infirmerie, qu’elle devrait se reposer, que les blessés avaient besoin de soins complexes, qui demandaient une maîtrise magique dont elle devait bien malgré elle s’avouer incapable. Mais il était tout de même vrai que son aide avait été appréciée, notamment dans les premières heures qui avaient suivies la bataille et durant lesquelles, immédiatement après avoir été avertie par son père, elle n’avait pas ménagé ses efforts, effectuant des bandages, nettoyant des plaies, plaçant des élèves inconscients ou trop faibles pour se relever sur des brancards. Mieux valait insister là-dessus. « Je suis de moins en moins utile à l’infirmerie. Au début, pour soigner les blessés immédiatement après la bataille, pour déplacer ceux qui n’avaient pas la force de le faire par eux-mêmes, pour faire toutes les petites choses faciles mais utiles dont je suis capable, ils étaient bien contents de me trouver. Mais maintenant je ne suis plus vraiment utile : je sais changer un bandage, mais eux aussi ; et je ne sais pas soigner ceux qui sont le plus atteints. » A propos de ses lectures, Heather chercha à déplacer la conversation : « Je lisais des articles sur les animaux fantastiques au bord du lac cette après-midi. Cela me fait du bien de sortir un peu, j’ai besoin de prendre l’air. »

Heather s’était permise de s’étaler, de raconter un peu trop sa vie et ses petits problèmes personnels alors que son interlocutrice attendait peut-être une aide scolaire – et avait d’ailleurs des peines probablement bien plus sérieuses et bien plus importantes. « J’ai pris un retard considérable, mais j’arrive à assimiler ce que j’ai manqué, même s’il y a encore du travail. Et je dois continuer mes visites chez le psychomage. Je ne comprends pas pourquoi ils insistent, je peux régler mes problèmes toute seule. » Mademoiselle von Tiesenhausen partageait tout à fait le jugement de son interlocutrice et comprenait bien son agacement : eût-elle dû subir une épreuve de ce type, Heather von Tiesenhausen n’aurait jamais accepté qu’on lui impose la moindre séance chez le psychomage ! Certaines personnes étaient peut-être plus faibles que d’autres, pouvaient ressentir le besoin de se faire aider, de parler, mais – malgré tous les efforts qu’elle faisait pour ne pas mépriser ceux qui n’étaient pas assez forts pour surmonter par eux-mêmes le traumatisme – Heather aurait trouvé dégradant pour sa personne d’y mettre les pieds et aurait été bien mécontente qu’on lui fasse perdre son temps pour de telles foutaises ! « Je te comprends tout à fait, lui fit-elle avec un sourire complice. Je ne devrais peut-être pas t’inciter à rejeter les soins, mais moi non plus, je ne supporterais pas qu’on m’impose des séances infantilisantes comme ça si je pense pouvoir m’en sortir toute seule. » Quant à ses problèmes scolaires et son « retard considérable », il ne fallait peut-être pas exagérer ! Tracy n’avait, après tout, manqué que trois mois et semblait s’en faire beaucoup plus que certains qui avaient manqué la quasi-totalité de l’année. « Je suis sure que tu vas rattraper ton retard… On va y arriver, j’en suis sure. Par quelle matière veux-tu commencer ? » Heather voulait lui montrer sa bonne volonté et bien lui faire comprendre qu’elle pouvait compter sur elle pour rattraper son retard. Elle s’ennuyait pas mal, à vrai dire, et ne serait pas réticente à l’idée de venir aider Tracy de nouvelles fois dans les prochains jours. Et puis, tout cela lui permettrait de fortifier ses connaissances et son avance, de s’assurer qu’elle ne se faisait pas d’illusion lorsqu’elle pensait avoir déjà assimilé l’ensemble du programme de l’année suivante. Mademoiselle von Tiesenhausen doutait que son aînée eût beaucoup de choses à lui apprendre : elle semblait dans un tel état de détresse pour trois simples mois à rattraper en deux mois d’été qu’elle devait déjà avoir quelques difficultés avant de passer aux cachots. Il était alors de son devoir, elle en était persuadée, de l’aider à surmonter ces difficultés amplifiées par l’internement aux cachots et à retrouver le niveau – aussi moyen qu’il pouvait être – qu’elle avait eu durant toute l’année.

Mais son aînée s’intéressait aussi – peut-être un peu trop – à sa personne. « Qu’est-ce que tu vas faire quand tu rentreras chez toi ? » C’était une bonne question – à laquelle il aurait été bien difficile à Heather de donner une réponse concrète, même sans mentir. Le manoir familial qui l’avait vue grandir – qu’elle ne regrettait guère durant l’année scolaire – commençait à manquer à Heather maintenant qu’elle n’était plus dans l’excitation des études et les mystères de Poudlard. Les nouvelles qui venaient de l’extérieur étaient plutôt positives – quoiqu’incertaines – et Heather attendait avec impatience le moment où elle pourrait retrouver son domaine et son sang. Les longues après-midi dans le parc, passées seule à s’entraîner ou à lire, les étalages de la bibliothèque familiale où elle pouvait facilement trouver des livres anciens et fascinants, pour la plupart interdits à Poudlard, la perspective de visiter de nouveau la maison de son oncle, les longues soirées d’été où elle pourrait discuter avec son père de la marche du monde lorsque celui-ci n’était pas pris par son travail évoquaient pour elle la sécurité et la fin de la guerre, bien plus que l’ensemble des Aurors qui les entouraient et au milieu desquels elle ne se sentait pas en sécurité. Son père n’avait pas, à sa connaissance, eu de place de choix dans le système Blackman : il ne risquait donc guère d’être inquiété, d’autant plus que le nouveau régime aurait probablement besoin de son carnet d’adresse pour rétablir des relations pacifiques avec le monde moldu. Mais on n’était jamais trop prudent ; et, tant que mademoiselle von Tiesenhausen n’aurait pas parlé de vive voix à son père, elle se sentirait en danger – et le saurait plus en danger qu’elle. Si tout allait bien, si la paix était rapidement rétablie, la famille von Tiesenhausen irait certainement passer quelques jours à Londres, dans le monde moldu peut-être, et Heather se souvenait avec une certaine nostalgie des garden-parties de son enfance où elle y fréquentait l’élite moldue… Ils seraient probablement invités à beaucoup d’endroits, par des sorciers aussi. Peut-être y croiserait-elle Victoire, Imogena ou Roxy. Mais Heather espérait trop – ce n’est pas aussi vite que la paix serait rétablie et que l’on pourrait faire comme si rien ne s’était passé. « Je ne sais pas, fit-elle après un petit moment de silence où se mélangeaient l’inquiétude et la mélancolie. Elle décida de dire la vérité, au moins en partie. Si seulement la paix venait vite, je voudrais rentrer au manoir et m’assurer de la sécurité de tout le monde. Puis passer quelques jours de vacances pour oublier tout cela. A Londres ou ailleurs. Mais j’espère peut-être un peu trop. Et toi ? Je sais que tu vas travailler, mais peut-être as-tu d’autres projets ? » Heather espérait bien voir Tracy se reposer un peu durant ces vacances. Certes, elle avait du travail à rattraper, mais les trois mois qu’elle avait passé aux cachots n’avaient tout de même pas été de tout repos.

Tracy Bennet semblait assez hermétique à son humour, ce qui déconcerta assez mademoiselle von Tiesenhausen. L’enfermement aux cachots avait-il donc annihilé toute forme d’intelligence chez cette Serdaigle ? Elle avait répondu péniblement quelque chose qui manquait terriblement d’esprit : « Oui, ou alors quand tu en auras besoin, peu importe que ce soit dans les cachots ou non… ? » Comme si Heather von Tiesenhausen allait avoir besoin d’elle sous peu ! Enfin… peut-être ne fallait-il pas cracher trop vite sur une offre de service ! Shafiq avait l’air de plutôt bien se servir de cette proie facile, qu’il avait mis de son côté en un temps record, et dont il cherchait probablement à s’assurer le témoignage en cas de procès. C’était habile – et qui sait ce que l’avenir nous réserve… Elle laissa échapper un rire. « Je plaisantais… Bien sûr, mais en attendant, rattrapons le temps perdu ! »

Heather eut assez froid dans le dos lorsque Tracy lui raconta son expérience à l’infirmerie. « Je n’aime pas du tout cette infirmerie. L’atmosphère y est caverneuse. Et… Il parait que les O’Riordàn commencent à refiler des poux à tout le monde, un peu plus et j’allais devoir me raser la tête. » L’infirmerie n’était, à coup sûr, pas le lieu où Heather eût rêvé de passer ses vacances ! Et Tracy n’avait pas l’air d’y avoir passé de bons moments… Et puis, qui pourrait vraiment affirmer apprécier les infirmeries ? « Tu t’intéresses à la médicomagie ? » Cette question surprit assez Heather… Dans de telles circonstances, avait-on besoin de s’intéresser particulièrement à la médicomagie pour proposer son aide ? Mais, après tout, Tracy ne pouvait pas savoir… Elle ne pouvait pas savoir que mademoiselle von Tiesenhausen considérait comme son devoir personnel d’être auprès deux ce qui avaient souffert… souffert pendant qu’elle attendait bien sagement dans son dortoir que l’année finisse, sans se soucier vraiment du sort des nés-moldus. Et à ce devoir moral s’ajoutait le devoir familial de sauver l’honneur, de montrer que la famille von Tiesenhausen était du bon camp et passait du temps auprès de ceux qui avaient le plus souffert du régime Blackman – et Heather n’arrivait pas vraiment à faire la différence entre les deux. « Jusqu’à maintenant, je ne m’y était absolument pas intéressée. Mais bon… avec tout ce qui s’est passé, je commence à comprendre à quel point cela peut être important. On ne sait jamais. Enfin, pour l’instant je n’y connais toujours rien. Dommage que l’on n’ait pas de cours là-dessus. » Heather fut satisfaite de constater que son interlocutrice partageait son opinion sur les soins qu’elle ne voulait pas se voir infliger si elle ne pensait pas en avoir besoin. Elle avait peut-être été imprudente en allant un peu trop dans son sens, mais c’étaient exactement les paroles qu’elle aurait aimé entendre si elle avait été dans le même cas que Tracy.

Heather avait tenté d’orienter la conversation vers le besoin d’assistance scolaire de son aînée afin d’éviter les questions gênantes, et elle fut servie. Avant de répondre à sa question, Tracy avait pris soin de passer en revue l’ensemble de ses fiches, probablement afin de voir par où il était le plus urgent de commencer. « Je remarque qu’il me manque une bonne partie de l’année en botanique. Tu t’y connais un peu ? » Bon… La botanique était loin d’être la matière préférée d’Heather. Certes, elle y excellait presque autant que dans les autres matières, elle avait pris un petit peu d’avance, mais ce n’était certainement pas dans ce domaine qu’elle apprécierait disserter des heures durant sur l’arrosage des chrysopes ou l’entretien de l’aconit. Elle était bien heureuse, lors d’une balade en forêt de tomber sur un géranium dentu ou de savoir reconnaître un plant d’ellébore, mais de là à donner des cours particuliers… Cependant, sa camarade sortait déjà son exemplaire des Arbres Carnivores du Monde et Heather se prit au jeu et prit plaisir à faire de nécessité vertu. « Mais oui : c’est vrai qu’il y a les arbres carnivores en quatrième année ! Cela doit être assez impressionnant – dommage que l’on n’ait pas de serre. D’ailleurs je me demande comment ils vont vous faire passer l’examen si vous n’avez pas de serre pour travailler. Si ce n’est que de la théorie, cela ne devrait pas trop de poser de problème : d’après ce que je sais, il faut les nourrir régulièrement, avec des cadavres de petits animaux… Ce n’est pas toujours le même type de chair ni les mêmes quantités en fonction des espèces. Et il faut garder sa baguette à portée de main pour jeter un Petrificus Totalus en cas d’attaque… » Heather réfléchissait à voix haute, se demandant bien comment un examen aussi complexe que des soins à des arbres carnivores pourrait avoir lieu avec des élèves qui n’avaient pas eu le temps de faire des travaux pratiques. Alors qu’elle tournait les pages du livre qu’elle avait pris des mains de son aînée pour chercher les pages spécifiques aux soins à apporter aux arbres carnivores et aux précautions à prendre pour s’en protéger, Heather se rappela qu’elle avait amené quelque chose pour brosser sa nouvelle connaissance dans le sens du poil. « Au fait, fit-elle soudain. Je t’avais apporté un petit quelque chose. » Elle fouilla dans son sac qu’elle avait négligemment laissé traîner sur la table – comme pour montrer, peut-être inconsciemment, qu’il ne contenait, cette fois-ci, rien qu’elle eût souhaité cacher – et en tira un petit sachet de confiserie. « Ce sont des chocolats de chez Honeydukes. Il paraît que cela peut accélérer certaines guérisons – de manger du chocolat. En tout cas je me suis dit que cela pourrait être bien de manger en travaillant. »

Au fond, et malgré le fait qu’elle essayait de faire passer cela pour une attention sans importance, Heather était particulièrement heureuse de partager quelque chose avec Tracy. Elle avait acheté ces chocolats à la dernière sortie à Honeydukes, les avait plus ou moins oubliés dans son armoire – elle n’aimait pas vraiment le chocolat – et les avait emportés avec elle en quittant le château sans savoir ce qu’elle en ferait. Elle aurait bien aimé trouver quelqu’un avec qui les partager depuis ces quelques jours où le soleil les faisait fondre et où elle se sentait chaque jour de plus en plus isolée, mais l’occasion ne s’était pas présentée.

« Oh, j’espère que ta famille va bien alors. Qu’est-ce que tu voudrais voir à Londres ? Ça fait longtemps que j’ai bien envie de passer voir le Victoria & Albert Museum pour voir les tapisseries, je demanderais à mon père de m’y emmener quand je rentrerais. Il parait que la Wallace Collection vaut aussi le coup d’oeil. Et peut-être passer par le chemin de Traverse chercher quelques livres. » Décidément, cette Tracy avait le chic pour poser les questions auxquelles Heather n’aurait pas pu, même en toute honnêteté, répondre spontanément. Des questions assez banales, pourtant, mais qu’Heather refusait de se poser. Elle savait pertinemment ce qu’elle devrait faire si elle accompagnait son père à Londres durant l’été, mais n’avait aucune idée de ce qu’elle aimerait y voir. De fait, elle se contenterait probablement de suivre l’emploi du temps de son père – Heather n’avait pas la moindre idée du degré d’anormalité qu’il y avait à avoir un emploi du temps durant ses vacances. Elle rendrait visite à sa famille, aux amis de sa famille, à tous ces londoniens dont elle connaissait par cœur le degré d’importance sans être exactement capable d’en expliquer la raison ; elle ferait bonne figures aux réceptions où son père la conduirait, tâchant de passer le plus de temps possible en compagnie des sorciers les plus puissants ou des moldus les plus amusants, évitant ceux qui l’ennuyaient, méprisant ceux qu’elle pouvait se permettre de mépriser ; elle se tiendrait au courant des nouveautés des mondes magique et moldu ; entendrait probablement de fines analyses sur la reconstruction d’un nouveau régime après la chute de Blackman ; et passerait le moins de temps possible au Chemin de Traverse (plus le temps passait, plus elle méprisait les petits premières années aux yeux émerveillés venus acheter leur première baguette magique chez Ollivander), sauf si son père lui proposait de se rendre chez Barjow & Beurk ou si elle trouvait une amie avec qui passer une heure ou deux chez Florian Fortarôme.

« La Wallace Collection ? » Heather ne s’attendait pas à trouver un tel nom dans la bouche de Tracy Bennet. Certes, cette demoiselle passer son temps à broder et avait quelque goût pour ce genre de choses, mais Heather n’avait pas encore pris l’habitude de l’imaginer mener une vie de moldue durant les vacances et elle ne put réprimer un léger sourire en faisant l’association de ce lieu et des idées que Tracy avait fait semblant de soutenir durant quatre ans et avec lesquelles Heather l’identifiait encore malgré elle. « Je l’ai visitée, il y a longtemps, quand j’étais petite. C’était un très beau lieu – à l’époque – de très belles collections, surtout pour la peinture hollandaise. » Elle se souvenait effectivement d’une après-midi – elle devait avoir sept ans, huit ans au plus – passée avec son père à regarder un portrait de Frans Hals et resta quelques temps à rêvasser. « Quant à moi, je n’ai aucun plan bien défini, décida-t-elle d’avouer dans ce qui, il fallait bien le dire, était tout de même un mensonge par omission. « Oh, bien sûr, il y a des amis de mes parents que j’irai voir, sans doute. Et j’aurais peut-être besoin de quelques fournitures au Chemins de Traverse. On s’y croisera peut-être. Mais, au fait, habites-tu Londres ? » demanda Heather en se rendant compte que son interlocutrice l’avait sous-entendu sans qu’elle ne s’en rende compte. Mademoiselle von Tiesenhausen ne savait rien de Tracy – elle s’en rendait compte à présent. Et, maintenant qu’elle n’avait plus grand-chose à craindre et qu’elle pouvait parler en toute sécurité, Heather aurait été bien curieuse de l’entendre raconter sa vie de londonienne née-moldue.