Le regard fasciné, les lèvres s’étirant en un ravissant sourire, j’observe la noble bête qui se trouve devant moi. Si majestueuse, si pacifique, si incroyable. Cela me donnerait presque l’envie de m’envoler loin d’ici avec elle et de souffler un peu, de m’enfuir de ce monde rempli de crétins et de tyrans. Au moins, les créatures magiques ‒même non magiques ‒ ne cherchent jamais le conflit pour des raisons égoïstes ou cruelles. La plupart des prédateurs ne le font que par envie de protéger leur territoire d’inconnus ou bien pour se nourrir parce qu’elles ne peuvent faire autrement.

Sincèrement, j’ai toujours pensé que je me suffisais à moi-même et que je n’avais pas besoin d’un quelconque don particulier pour être la meilleure mais si je devais en choisir un, ce serait sans doute celui de me transformer en animal ; un beau cygne ou une belle colombe pour représenter ma perfection et m’éloigner de ce monde pourri.

L’Hippogriffe relève la tête et se retourne, se déplaçant fièrement jusqu’à son enclos. Je l’observe s’étirer les ailes, avant de saluer une dernière fois le professeur Johnson. S’il y a bien une chose que j’apprécie chez ce professeur, c’est autant pour sa connaissance des animaux que pour le fait qu’il me laisse approcher les approcher en fin d’heure. Je me suis finalement réconciliée avec depuis quelques mois même si ça n’a pas été facile et que j’ai tout de même voulu garder le secret ma fausse allégeance à Blackman pour moi.

« Vous donnerez ceci à miss Lodge, s’il vous plait. » Me dit le professeur de Soins aux Créatures Magiques en me tendant une enveloppe scellée.

J’acquiesce de la tête et lui souhaite une bonne fin de journée. Alison… Alison… je n’ai pas trop envie de la voir, aujourd’hui. Mais bon, il faut bien lui donner cette fichue lettre. Je ne sais pas ce qu’elle contient mais je sais qu’Ali’ n’a jamais apprécié ce cours alors je serais curieuse d’apprendre qu’elle ait cherché un éventuel entretien avec Johnson. Quoi qu’il en soit, je me décide tout de même à expédier ce courrier le plus vite possible pour en être débarrassée. La raison pour laquelle je me sens peu motivée à aller voir mon « amie » (oui oui, les guillemets sont nécessaires), c’est parce que je sais que je peux me prendre la tête avec elle assez facilement et que, pour aujourd’hui, j’ai surtout besoin de me détendre pour oublier les événements actuels. Jouer les espions au sein des Mangemorts et mimer les garces, c’est franchement chiant et j’ai toujours détesté cette idée de jouer un rôle qui ne m’est pas naturel. Je le joue très bien, je vous rassure. La preuve ; j’ai perdu la majorité de mes amis ‒ Aimie, Anthea, Zach ‒ qui me prennent pour une méchante pro sang-pur. Cela dit, plus les mois passent et plus je me sens isolée. Je n’ai plus que Naïa en amie et je ne peux pas dire qu’elle soit une véritable amie à mes yeux puisque je sais qu’elle est trop extrémiste. Qui me reste-t-il ? Plus personne. Alison, peut-être… Mais elle non plus, n’aime pas l’idée que je « supporte » Blackman parce qu’elle ignore la vérité à ce sujet. Toutefois, je la sais intelligente et je vois bien qu’elle a des doutes au sujet de mes intentions. Quant à Meg, le soutien de sa part est assez récent donc je ne peux pas trop m’avancer.

Je remonte le chemin menant jusqu’au parc de l’école sur un air détendu. J’aime bien traîner dehors, ces temps-ci. Je me sens moins prise dans les histoires du château, moins confrontée aux imbéciles qui font guise de camarades et qui ne cessent de me jeter des regards noirs à cause de mon double-jeu. C’est lassant et ils me font plus pitié qu’autre chose. Je passe trop de temps à batailler contre eux en confrontant nos réparties et, au bout d’un moment, je me fais tellement chier que je préfère rester seule, dehors. Les gens sont tellement cons…

Sans un sourire, j’arpente le hall d’entrée, cherchant par hasard si Alison ne serait pas loin. A vrai dire, je n’ai aucune idée de là où elle pourrait être mais j’imagine que la salle commune ou la bibliothèque serait des endroits idéaux pour qu’elle puisse étudier ou faire ce qu’elle veut. Dans le doute j’interroge quelques élèves de ma maison et l’un d’eux finit par m’indiquer qu’elle est encore dans la Grande Salle, attendant l’heure du dîner qui ne devrait pas tarder à arriver. C’est drôle parce que je n’ai pas spécialement faim.

Dans une démarche gracieuse, j’entre dans la place, mes yeux balayant la cinquantaine d’élèves déjà présente. Il ne m’est pas bien difficile de trouver ma destinataire qui est, à mon grand plaisir, seule dans une des extrémités de la table des Serdaigle.

« Hé, Ali’ ! »

Je l’interpelle avant d’arriver à sa hauteur, mon regard océan croisant le sien. Je lui tends l’enveloppe, cachant ma curiosité.

« Johnson a tenu à ce que je te donne ça. Je rêve ou tu lui as demandé des cours particuliers ? » Dis-je sur un ton espiègle.

Cela se voit qu’elle ne s’est attendue à me voir et aussitôt, elle baisse le regard sur l’enveloppe que je lui tends. Elle l’ouvre et lit le message de Johnson. Pendant ce temps, je jette un regard à l’ensemble de la Grande Salle, constatant qu’il y a déjà un bon paquet de monde qui attende pour manger. C’est sans doute pour cette raison qu’Alison s’est placée sur l’une des extrémités de la table des Serdaigle ; ici, au moins, elle risque de ne pas être trop gênée par la cacophonie. C’est ce que je fais aussi pour travailler en toute tranquillité même s’il n’y a pas meilleur endroit que la bibliothèque pour mieux se concentrer et être productif au beau milieu des bouquins.

Lorsqu’elle soupire, mon attention se concentre de nouveau sur elle. Cela ne doit pas être une bonne nouvelle pour elle si elle se met à soupirer et j’imagine bien que recevoir du courrier de la part d’un professeur n’est pas aussi excitant que de recevoir une invitation pour une soirée ou quelque chose de ce genre. Un sourire moqueur en coin, elle me répond :

« Oui, des cours particuliers. Je me suis dit que tu n'étais pas la seule qui pouvait bénéficier d'avantages avec ce cher Professeur. Et puis maintenant, ça t'ajoute une rivale dans ta quête vers son cœur... »

Je souris à mon tour, répondant à son petit air de défi qu’elle aime tant afficher face à moi. Apparemment, il s’agit bien de cours particuliers mais ce qui m’amuse avant tout, c’est qu’elle parle de fameux avantages provenant de ce professeur. Dans un sens, elle n’a pas tort. Il y a quelques années, lorsque Johnson a sorti un best-seller sur ses recherches concernant les créatures magiques, je me suis mise à correspondre avec lui pour en savoir plus. Il m’avait répondu durant un moment, avant de disparaître du monde magique pour des raisons personnelles. Et depuis qu’il avait pris un poste d’enseignant à Poudlard, il reconnaissait à quel point j’étais douée en la matière et il me laissait approcher les animaux en fin d’heure, pour que je l’aide à m’en occuper. En tout cas, j’aime beaucoup cela et c’est d’une meilleure compagnie que celle des autres que je peux côtoyer dans mon quotidien. Ce n’est pas quelque chose que j’avoue à n’importe qui car j’ai toujours été quelqu’un de renfermé et que je m’en fous de ce que pensent les autres. On peut bien diffuser des rumeurs à mon sujet ‒ comme celle qui dit que je viens en petite tenue dans le bureau de Blackman le soir ‒ mais elles ne me font ni chaud, ni froid. Au contraire, ces rumeurs font parler de moi et peu importe si elles sont positives ou non, cela alimente mon narcissisme plus qu’autre chose.
Demeurant debout, je réplique sur un air narquois :

« Je te laisse volontiers son cœur, si tu veux. Après tout, n’est-ce pas après Blackman que je suis censée courir si on écoute les derniers potins ? »

Je roule des yeux avant de reprendre mon sourire, pour lui montrer à quel point tout ceci, c’est n’importe quoi.

« Par contre, je crois pas que ma rivale puisse faire grand-chose face à moi. » J’ajoute en lui faisant un clin d’œil présomptueux.

Je jette un regard à un parchemin sur lequel est griffonné différents devoirs à rendre et à faire pour la semaine prochaine. Je me permets de mettre la main dessus tout en détaillant les différentes tâches à accomplir. Il est vrai qu’à l’approche des BUSEs, nous sommes plutôt blindés. C’est comme si les professeurs tenaient absolument à nous tuer à la tâche, tout en sachant pertinemment que nous devons réviser nos cours à côté. Pour ma part, je m’en sors très bien puisque j’ai pris énormément d’avance sur le programme depuis des mois mais je sais bien que pour les élèves bien moins forts que moi, cela doit être un véritable parcours du combattant. Tant pis pour eux. Ils n'avaient qu'à se bouger le cul durant l'année.

« J’ai déjà tout terminé, pour ma part. Miss Lodge voudrait-t-elle un peu d'aide ? » Demandé-je en mimant un air provocateur, tout en reposant le parchemin.

« Si tu te mets à écouter tout ce que les autres racontent, tu n'as pas fini d'entendre des choses plus idiotes et assommantes les unes que les autres. »

Elle dit vrai. Ce château est un trou à gossips et les gens ne sont tellement pas crédibles dans ce qu'ils avancent que cela en devient risible. Combien de fois on s'est tous pétés une barre parce qu'une rumeur n'était juste pas cohérente ? Il y en a qui n'ont vraiment pas de vie au point de vouloir nuire aux autres mais dans ce cas-là, quand on essaie de faire quelque chose, il faut au moins faire en sorte d'aller jusqu'au bout en soignant sa diffamation. Là, ça fait juste pitié.

« Je te rassure, j'écoute distraitement mais ça ressort bien vite par l'autre oreille. » Je réponds avec assurance.

Il n'empêche que certaines rumeurs restent drôles quand elles concernent quelqu'un que l'on aime pas. Par exemple, Ashley. Elle, je n'ai aucun scrupule à raconter de la merde sur elle même si ce n'est pas mon genre de jouer au petit jeu des petites connasses et des petits connards qui ne savent pas créer de vrais potins. Mais je m'amuse à la descendre autant dans son dos qu'en face, parce qu'elle est mon Némésis. Tout simplement.

Après avoir proposé le coeur de Johnson à Alison, cette dernière me dit qu'elle ne s'est jamais intéressée à lui parce qu'elle n'aimait pas ce qu’il enseignait. Je ne comprends pas comment elle peut penser ça, en fait. Soigner et apprendre à connaître des créatures non-humaines, c’est tout de même fascinant et curieux. Mais peut-être bien qu’Alison n’est pas aussi ouverte que je ne l’aurais cru ? Les animaux font partie de l’une des vocations que je vise donc, forcément, cela reste un incontournable à mes yeux.

« Plus passionnant ? Qu’est-ce que tu ne trouve pas passionnant dans sa matière par rapport à une autre ? » Demandé-je en fronçant les sourcils, franchement perplexe.

Son clin d’œil ne me dit rien qui vaille et je sais pourtant qu’elle a très bien pu me dire ça pour me charrier. C’est tout à fait notre genre quand on se parle. Après avoir jeté un œil à sa liste de devoirs, je lui propose ironiquement mon aide même si je sais très bien qu’elle n’en a pas besoin. C’est toujours marrant de la « vexer » en faisant comme si je la sous-estimais. Enfin, de toute manière, s’il y a bien une chose d’irréfutable, c’est sûrement le fait que dans notre promotion, c’est moi la meilleure et que personne ne me détrônerait. Il faut se le dire : j’ai passé tout mon temps à bosser quand je n’étais pas occupée à réaliser des croquis de nouvelles fringues à coudre ou à faire des parties d’échecs version sorciers avec Tracy ou Naïa. Mais maintenant que Tracy est enfermée dans les cachots pour sa trahison, je n’ai plus que Naïa pour jouer à des jeux stratégiques.

« Non, merci... Je pense que je m'en sortirais seule ! »

Prévisible, comme réponse et son regard noir me confirme bien qu’elle est trop fière pour accepter ce genre d’offre. C’est pour ça que je peux l’apprécier, quand même. Si elle disait « oui » à tout, elle ne serait pas intéressante comme fille. J’aime bien le fait qu’elle ait un minimum de caractère et qu’elle soit totalement franche avec moi, même si, parfois, ça me casse les ovaires quand on commence à s’enflammer l’une contre l’autre.

« C'est vrai que ça ne m'arrangerait pas qu'on ait la même note. »

Avec un petit sourire, je l’observe remettre son parchemin dans son sac avant de poser ses coudes sur la table, calant son menton sur les paumes de sa main. Je la quitte brièvement du regard pour constater qu’encore plus de monde transite vers la Grande Salle. C’est assez chiant ce vacarme. Je m’assieds à ses côtés, résignée à rester ici jusqu’à la fin du dîner. Il est évident que les elfes ne tarderont pas à faire apparaître les menus du soir.

« Tu m’as l’air encore plus blasée que moi devant le cours d’étude des moldus. » Fais-je remarquer.

Se tournant vers moi, Alison me répond le plus simplement possible : « Personnellement, je ne vois pas quel intérêt je vais tirer de savoir avec quelle plante ou quel truc je vais pouvoir prendre soin d'une bestiole ridicule... »

Je ne peux m’empêcher d’afficher un rictus. C’est quand même triste de ne pas trouver l’intérêt de connaître la manière d’entretenir un animal. C’est une des matières les plus fascinantes de l’école, pourtant. Les gens n’ont peut-être pas le même avis que moi mais on sait tous que le mien importe plus que le leur. Ils ont des goûts franchement douteux, c’est tout. Je pense sérieusement que c’est en négligeant les animaux que l’Homme devient un salaud égoïste et cupide. Quand on ne se préoccupe pas de ce qui est plus petit que nous ou tout simplement différent, on pense plus à notre cul qu’à autre chose. Il n’y a qu’à voir entendre son appellation « bestiole ridicule ». Très honnêtement, c’est plutôt Alison qui me parait ridicule à voir les choses de cette manière. Nous avons à la fois des divergences et des similitudes mais je lui déplore sincèrement tout ce qui peut l’éloigner de moi. Cela gâche ses qualités. D’ailleurs, c’est ce qui nous mène à tenir une sorte d’amitié instable. Un jour, tout va bien et d’une seconde à l’autre, on s’énerve et on s’embrouille pour des conneries. Pourtant, ce sujet que l’on vient d’aborder n’est pour moi pas une connerie, justement.

J’ai eu envie de lui répondre un truc du style : « C’est vrai que les cours d’enchantements avec Winslow ‒ enfin plus maintenant mais passons ‒, c’est nettement plus intéressant qu’étudier en plein air » mais elle ne m’en a pas laissé le temps. Dommage. Ca aurait été drôle de la tacler sur l’une de ses matières préférées et comme on sait tous que je trouve le professeur Winslow, aujourd’hui enfermé dans les cachots, assez risible avec sa manière de copiner avec les élèves, cela m’est plus simple de l’attaquer là-dessus. Il faut dire qu’en potions, la professeure est irréprochable et qu’elle a toujours rendu ses cours de grande qualité. Dois-je vous rappeler que Winslow aurait apparemment… « aurait », mais que dis-je…non, ce n’est même pas une rumeur, c’est la vérité… Winslow a fait apprendre à ses sixième année le sort de Têtenbulle dans le Lac Noir, en obligeant ses élèves à se mettre en maillot de bain. Ca s’est mal passé. Il y a eu pas mal de plaintes. Tout ça pour dire que, contrairement à lui, Johnson assure bien mieux. Je crois que j’ai même encore de travers ma convocation avec lui. Ben oui, l’enseignant des sortilèges est également le Directeur de Serdaigle, alors, quand je me suis bagarrée contre Ashley en début d’année, il a eu l’intense gentillesse de m’accueillir dans son bureau pour me faire la leçon. Eh bien, aujourd’hui, le karma joue contre lui. Il n’y a qu’à voir où il loge. C’est une pensée mauvaise que j’ai là mais au vu de tout ce que j’ai fait depuis que j’ai faussement rejoint Blackman, je m’en fous un peu. Je suis trop rancunière.

« J'adore les animaux... Mais ceux qu'on peut domestiquer, surtout. Ceux qu'on étudie dans les cours de Johnson sont rarement des spécimens que j'aurais envie de ramener chez moi et qui me donneraient envie de m'occuper d'eux. Je me demande plutôt qu'est-ce qui peut bien te passionner dans une telle matière... à moins que ce ne soit tout simplement la créature la plus intelligente du cours, le Professeur... »

Au moins, elle nuance un peu la mauvaise image que je viens d’avoir d’elle, c’est plutôt positif. Elle n’est passionnée que par les créatures dont elle peut s’occuper de manière légitime et sans que cela ne nous mette en danger. Personnellement, je ne suis pas contre ce point de vue mais je trouve que les plus fascinants animaux sont ceux qui seront toujours inaccessibles et que l’on ne pourra jamais véritablement dompter. Son petit trait d’humour à la fin a fini par me détendre un peu.

« Il est doué ouais, mais il n’est pas mon genre, tu peux le garder, je réponds avec sourire. Et pour répondre à ta question, ce qui me passionne c’est tout cet inconnu et ces mystères que les animaux non-domestiques représentent. Sérieusement, un chat c’est mignon mais il n’y a aucun intérêt à avoir cours là-dessus alors qu’un crabe de feu, c’est déjà plus enrichissant comme expérience. »

Très bientôt, nous en venons au sujet de l’étude des moldus. Un sujet que j’ai moi-même lancé pour comparer sa lassitude à la mienne. C’est un bon outil de comparaison cette matière, non ? Depuis qu’on a ce professeur Ziegler complètement loufoque, je dois avouer que je n’attends plus grand-chose de la partie pratique de ce cours. En soit, la théorie est intéressante mais faire du théâtre avec les autres, franchement ! C’est du n’importe quoi.

« Hm ? Je ne sais pas de quelle manière les cours d'Etudes des Moldus te blasent, mais encore une fois nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes... Je ne suis pas blasée, je suis surtout de plus en plus fatiguée par ces cours et cette atmosphère quotidienne... »

Je roule des yeux : je sais pas comment elle fait pour aimer jouer au Roméo et Juliette dans cette salle de classe. De plus, elle doit bien penser qu'en ayant retourné ma veste en faveur du nouveau directeur, j'ai clairement craché sur mon intérêt à suivre ce type de cours.

« Le théâtre, c’est sans moi, voilà tout. Je n’aime pas jouer avec des gens dont je me fiche de l’existence, c’est de l’hypocrisie. »

Je fais une courte pause avant de reprendre la parole en mesurant mes mots. Par cette atmosphère pesante, elle parle sûrement des Mangemorts mais vu que je suis censée être avec eux, je ne peux pas m’en plaindre ouvertement. Je dois donc jouer mon rôle…

« Je comprends. Ca me fatigue aussi de devoir donner des ordres à des sang-de-bourbe qui sont incapables de les exécuter correctement mais bon, c’est comme ça. Oh ! Le repas arrive. »

Des paillettes de lumière apparaissent doucement sur la table, formant le contour des assiettes, des mets, des coupes et des boissons qui émergent des cuisines grâce à la magie des elfes. Il est temps de manger tous ensemble.

A force de répéter la même rengaine, Alison finit par ne plus y croire. A vrai dire, moi aussi. Elle aussi m’a renvoyée la balle, je ne lui fais que la lui rendre. Je ne réponds rien, mon expression passant de l’espièglerie à la neutralité lorsqu’elle m’annonce qu’elle est d’accord sur le fait que cette idée de théâtre est assez ridicule. En même temps, il faut vraiment être désespérant pour prendre plaisir à jouer un rôle fictif. Je ne vois pas en quoi c’est amusant. Tu te mets dans la peau d’un personnage pathétique qui ne sera jamais mieux que toi-même. Enfin, non. Disons qu’aucun personnage ne sera jamais mieux que moi. Peut-être que c’est pour cela que les gens apprécient cette activité puisqu’ils ont une existence misérable ? On dit que le théâtre décoince les gens timides pour leur faciliter une certaine sociabilité. En soi, ce n’est pas faux mais je trouve ça lamentable d’en être réduit à faire ça pour se bouger le cul et s’affirmer.

« Bizarrement, je suis d'accord avec toi pour cette idée de théâtre. Moi non plus je ne suis pas enchantée de faire ça, ni de devoir être en groupe avec des gens dont je me fous totalement.
‒ Voilà qui me rassure comme quoi tout le monde n’est pas fait de guimauve et de fausse bonté. » Dis-je en soupirant.

« Cependant, ce qui m'intéresse dans ce cours, au-delà de tout ce qu'on pouvait y apprendre avant, c'est justement le fait de pouvoir interagir avec « hypocrisie » comme tu dis, avec des gens qui ne représentent aucun intérêt pour moi. Je trouve que c'est un bon entraînement, si je puis dire... et toi-même, tu pourrais t'en servir. Interpréter des scénarii, un rôle totalement aux antipodes de toi avec quelqu'un que tu méprise, cela pourrait t'aider pour le jeu quotidien que tu fais. »

Mouais, je ne suis pas vraiment convaincue. Je crois pas que j’ai besoin de m’entraîner pour réussir à manipuler quelqu’un. De toute façon, je ne suis pas du genre à vouloir embobiner une personne pour obtenir quelque chose. Il y a, selon moi, des moyens plus conventionnels de le faire et, pour preuve, j’ai juste eu besoin de jouer les méchantes pour m’attirer les gentils pro-moldus à dos. Peut-être que j’ai naturellement ce talent. Fort possible. Toutefois, sa dernière phrase est assez ambigüe. Je n’ai jamais avoué à Alison que je jouais un double-jeu avec Blackman alors qu’elle pense cela me fait comprendre qu’elle doute de mes intentions. Je ne peux malheureusement pas lui donner raison sur ce point-là. Si elle était certaine à cent pour cent que je ne croyais pas en les idées de Blackman, cela pourrait me retomber dessus. Admettons que des soupçons pèsent sur moi et que l’on interroge des personnes à qui j’ai l’habitude de parler. Alison y passerait. Que ce soit par le sortilège Doloris ou par le Véritaserum, elle cracherait le morceau. Voilà pourquoi je ne peux pas lui faire confiance, car le cerveau et le corps ne résistent pas à ces magies-là.

« Un jeu quotidien ? Mais ce n’est pas un rôle, je n’ai pas trahi le camp de McGonagall pour le délire. J’ai vraiment ouvert les yeux. Enfin, de toute façon, je ne pense pas avoir besoin de jouer un rôle pour m’en prendre aux sang-de-bourbe. Un bon coup de baguette, ça les remet en place. »

Le repas apparaît enfin et je n’attends pas plus longtemps pour me servir d’un jus de cranberry et du même type de mets qu’Alison, à savoir du poisson ainsi que des pommes de terre frites. Les elfes auraient pu nous faire quelque chose d’un peu plus diététique, quand même… Je me suis attendue à mieux et c’est avec un regard un peu blasé que j’entame ma première fourchette.

« Si ça te fatigue autant, pourquoi continues-tu alors ? Tu as sans doute trop peur des représailles si tu change ton fusil d'épaule, n'est-ce pas ? » Me demande-t-elle en agrémentant sa réponse d’un clin d’œil.
Je ne sais pas ce qu’elle cherche à faire. A me faire cracher le morceau ou à m’intimider ? Ou simplement pour m’embêter ? Par précaution, je joue la carte de la prudence.

« Peur ? Quelle drôle d’idée. Comme je te l’ai dit, je n’ai pas l’intention de retourner ma veste, je me plais bien là où je suis. Disons juste que ça m’ennuie de faire la même chose. Au début, c’était drôle d’emmerder ces sang-de-bourbe mais là, j’ai l’impression que ça devient trop répétitif. »