Vendredi, dix-neuf heures. Je venais de conclure le cours de rattrapage de Potions des cinquième année, le troisième cours de la semaine. D’habitude, ils n’avaient pas cours avec moi ce jour-là mais certaines malheureuses circonstances avaient ralenti la productivité de la plupart et je pouvais le comprendre. J’avais donc décidé de rattraper les deux heures perdues du jeudi. Le cours avait porté sur la potion de somnifère et à la fin de leur concoction, j’avais pris quinze minutes pour les interroger sur d’anciens chapitres que l’on avait étudié quelques semaines auparavant et qu’ils étaient censés avoir assimilé. Globalement, la partie pratique s’était plutôt bien déroulée et je n’avais pas eu affaire à des catastrophes comme l’année dernière, avec l’ancienne promotion des cinquième année. L’absence de Kaya Taylor a mes cours me permettait de ne pas user ma voix inutilement en lui hurlant dessus. Dans l’ensemble, la matinée commençait en douceur mais je n’en avais pas terminé avec une certaine personne. Je levai un regard vers une table composée de Serpentard et m’adressai à l’une d’entre eux.

« Miss O’Connell, vous resterez un instant. »

Mon ton était neutre, aucune émotion ne trahissant quoi que ce soit. Ce que je comptais lui dire ne regardait personne d’autre et je ne voulais pas attirer leur attention alors que l’entrevue que je lui imposais était personnel. Tout en formant une belle pile de copies au coin de la table et en faisant disparaître le contenu des chaudrons que j’utilisais en guise de modèle pour les élèves, j’attendis que ces derniers ne quittent la salle. Ils allaient sûrement se rendre à la Grande Salle pour se délecter du repas et oublier cette journée chargée. Nous étions désormais en week-end et cela devait les réjouir. Lorsque je levai les yeux en direction des chaises et des tables, la jeune Serpentard se tenait là, s’approchant de mon bureau. D’un coup de baguette, j’arrangeai les tables mal remises en place, avant de lui accorder mon attention en faisant léviter une des chaises en face de mon bureau.

« Asseyez-vous. »

Je le dévisageai durant quelques secondes. Il ne fallait pas être voyant pour deviner qu’elle n’était pas dans son assiette. Son visage semblait égaré, son regard quasiment vide par tant de préoccupations lourdes qui devaient l’empêcher de rester bien concentrée. Durant les deux heures de cours, j’avais dû la reprendre sur des petites erreurs qu’elle ne commettait pourtant pas d’habitude. J’avais été un peu sèche sur le coup mais c’était ainsi que je procédais et elle devait bien deviner à mon regard que je ne l’avais pas convoquée pour lui prendre la tête au sujet de ses difficultés du jour. Non, je voulais lui parler de ce qu’il s’était passé dans la Grande Salle, ce soir-là. Ce soir si terrible et inattendu où la souffrance avait encore frappé injustement. Encore une fois, personne ne l’avait venu venir et les victimes n’avaient pas compris pourquoi on venait les punir deux fois pour une erreur qu’il avait faite en janvier. Voir Scorpius se faire torturer ne m’avait pas fait du bien. Je m’étais sentie coupable et impuissante, comme si c’était de ma faute si O’Connell avait dû le fouetter. Pourtant, je savais que je n’aurais rien pu faire pour empêcher cela mais étant une proche de l’entourage du Serpentard, je me sentais toujours impliquée dans son bien-être.

« Je voudrais vous parler de ce qu’il s’est passé dans la Grande Salle. Je me doute bien que c’est la raison qui vous rend si mélancolique et peu concentrée cette semaine, mais je voudrais que vous sachiez que ce n'est en rien de votre faute. »

Je voulais être claire là-dessus. Si je pouvais me permettre de culpabiliser parce que j’étais une sorcière adulte au beau milieu des rangs du personnel, cette jeune dénommée Jude n’avait pas à s’en faire. Personne ne pouvait lui en vouloir, elle avait fait son choix. Un choix judicieux et qui était favorable à son intérêt. De plus, le fouet était sûrement préférable à l’usage d’un Endoloris. Les Mangemorts étaient sans pitié et j’aurais été doublement inquiète et apeurée de le voir souffrir de leur main. Oui, d’un certain point de vue, heureusement qu’elle l’avait fait…