Je me suis souvent demandée s’il y avait d’autres créatures que le colossal calmar dans le Lac Noir. Certains m’avaient dit qu’au fond de celui-ci, là où l’obscurité régnait et où aucun humain ne se rendait vivait paisiblement un peuple d’êtres de l’eau essentiellement composé de sirènes et de strangulots. Ces derniers ne me disaient rien qui vaille mais James Potter m’avait affirmé qu’ils étaient cool et que l’on pourrait même faire un petit tour dans l’eau pour aller jouer avec eux. Bon, je n’étais pas convaincue par cette idée mais je devais avouer que l’inconnu me séduisait.

Je commençais à tracer les contours des collines qui entouraient le Lac. Elles étaient jolies avec leur teinte orangée, colorées par la saison d’automne. Ce n’était pas la période de l’année que j’affectionnais le plus mais cela me donnait beaucoup d’inspiration puisqu’elle modifiait tout un décor de façon si spectaculaire. Chaque saison apportait son lot de couleurs. Même l’hiver était magnifique, bien que son froid puisse nous faire préférer les cheminées. Je prenais beaucoup de plaisir à dessiner les arbres sans feuilles, les sols du parc sans végétation et la cabane du garde-chasse avec son joli toit maculé du blanc pur de la neige. Mes recueils à dessins étaient remplis, c’était le moins que l’on puisse dire.

J’en fus bientôt à devoir creuser le relief pour former le Lac quand un bruit ou plutôt un cri de protestation attira mon attention près du chemin pour se rendre au Lac. Je laissai tomber mon crayon à côté de sa boite et jetai un coup d’œil en direction du tapage. Ils étaient cinq. Il y avait quatre Serpentard reconnaissables à leurs capuches à l’intérieur vert et une tête qui m’était drôlement familière. En plissant les yeux, je pus reconnaître Perrin et un soupir s’échappa de mes lèvres. Ne pouvait-il pas la fermer un peu ? Je bossais, moi !

« Qu'est-ce qu'il y a moucheron, on arrive pas à récupérer son amoureuse ? »

Son amoureuse ? Décidément, quelque chose clochait car Perrin avait l’air contrarié alors que les Serpentard riaient de bon cœur. N’aimant pas être déconcentrée en pleine inspiration, je finis par me lever, les mains sur les hanches, furieuse. Je plaçai un support au-dessus de mes feuilles pour ne pas qu’elles s’envolent au premier coup de vent et je quittai ma place, ma baguette serrée de ma main gauche. Je m’approchai ensuite du groupe qui se disputait, la mine déterminée par mon agacement.

« Hé ! Ca vous dérangerait pas d’aller faire votre cirque ailleurs ?! J’ai besoin de calme pour travailler, moi !
‒ Depuis quand les Gryffondor travaillent ? Tiens, attrape ! »

Une chose marron, grosse velue et dotée de plein de pattes fut lancée vers ma direction et elle me retomba en pleine poitrine. Ca ressemblait à… Morelle ?! La bête parvint à s’accrocher à mon vêtement, totalement tétanisée par la peur et en stress. Malheureusement, à la vue de cette araignée géante, ce fut moi qui paniqua totalement. Je laissai échapper un hurlement de terreur et sautai sur place en courant tout autour d’un rocher jusqu’à ce que l’araignée retombe au sol, perdant ses moyens sous mes brusques agissements.

« Nan mais vous êtes malades ! » M’exclamai-je, reprenant mon souffle difficilement.

Ils se fendaient la poire, à l’exception de Perrin. Les Serpentard étaient pliés en deux, riant aux éclats incessamment, les larmes aux yeux. Des frissons continuaient de me parcourir au souvenir de cette affreuse bestiole s’accrochant à moi. Je baissai les yeux en direction de ma poitrine, contemplant mon haut avec dégoût ; à cet emplacement précis, cette énorme boule dégueulasse avait posé ses pattes… Brrr, quelle horreur ! Les sourcils froncés, les joues rougies, je m’en pris à mon camarade.

« Arrêtez de rire ! Perrin, tu m’expliques ?! Pourquoi tu as crié, toute à l’heure ? Et surtout, pourquoi tu laisses cette chose traîner n’importe où ?! »

J’étais vraiment remontée.
 

△everleigh

   

J’étais obnubilée par mon exaspération d’avoir connu une telle frayeur à cause de ces quatre boulets. Je m’étais approchée de Perrin tout en gardant mes distances ; il semblait couver son araignée comme si elle était mourante mais, selon moi, elle avait dû tenir le coup. Ca va, je l’avais juste fait tomber au sol… Normalement, elle ne devrait pas être blessée, non ? Bon, peut-être que je l’avais secouée dans tous les sens en courant, en sautant tout en hurlant mais comment pouvait-on ne pas réagir face à une telle monstruosité ? N’importe qui flipperait et je devais être certainement soft par rapport à d’autres qui n’hésiteraient pas à la tuer pour s’en débarrasser. Bref, j’étais toujours rougie par la colère, les bras croisés et tremblant de temps en temps en repensant à cette scène apeurante. Le deuxième année ne tarda pas à me répondre, les larmes aux yeux. Des larmes de rage et de peine. Il disait n’avoir rien fait et que ces Serpentard avaient décidé de s’en prendre à sa bestiole en la lui volant pendant qu’il enterrait une araignée qu’une fille avait tué en cours de Botanique. Je roulai des yeux, mes émotions fortes prenant le dessus sur ma compassion. Sérieusement, je n’aimais pas que l’on maltraite des animaux mais enterrer une araignée ! C’était vraiment loufoque comme idée. Et puis, les araignées étaient horribles, fourbes et elles pouvaient piquer avec leurs crochets, alors, personnellement, je n’avais pas vraiment d’empathie pour elles… Il m’était déjà arrivée d’en écraser lorsqu’elles apparaissaient trop près de mon espace vital. Toutefois, je ne considérais pas cela comme un crime. C’était tout simplement dans les mœurs… On ne se souciait pas des petits insectes.

« T’en as de drôles d’idées, quand même ! Tu es le seul que je connaisse qui fasse ce genre de choses. Ca ne m’étonne pas qu’ils s’en soient pris à toi, du coup. »

Je ne pus m’empêcher d’esquisser une grimace de dégoût et de peur en voyant le garçon serrer sa goliath contre lui. Dorloter un arachnide… Non, vraiment, je le comprenais pas. Il y avait beaucoup de jolis animaux dans le monde. La plupart des enfants aimaient bien commencer des élevages de crapauds, de rats ou de oiseaux. Chez les moldus, on adoptait aussi des souris, des lapins, toutes sortes d’oiseaux et même des poissons ! C’était bien moins affreux qu’une araignée. Quoi que… il y avait quelques moldus assez loufoques pour acheter des tarentules et des serpents… Des Perrin en puissance, sûrement. Cependant, je n’allais pas l’insulter pour autant à cause du fait que je n’étais pas en phase avec sa passion. C’était sa vie et il en faisait ce qu’il voulait. Moi, je demandais juste à ce qu’on tienne cette chose loin de moi. Je me souvenais encore de l’avoir aperçue près de mon oreiller, le lendemain du soir où je m’étais disputée avec Perrin à son sujet. Je l’avais très mal pris !

« Ils s'en prennent toujours à moi, tu sais? Habituellement, je les laisse faire sans rien dire. Ça ne me dérange pas trop. Ils peuvent m'appeler "Bugs Freak" autant qu'ils veulent, sauf que je ne les laisserai plus jamais s'en prendre à ma Morelle. Ils sont cruels tu sais ? »

Il avait dit cela d’une voix tremblante qui fit dissiper ma grimace. Quand même, le pauvre ne menait pas la vie facile. A sa place, je n’aurais jamais laissé quelqu’un me donner des surnoms débiles. Bugs Freak, c’était juste pitoyable.

« Bugs Freak ? Je dois avouer que ta Morelle, comme tu dis, me fait peur et que j’ai pas envie de m’en approcher et que, comme beaucoup d’élèves le pensent, tu es fou d’adopter ça. Mais tu devrais te défendre, les prochaines fois. Si tu ne dis rien, ils vont prendre confiance et continuer… C’est un cercle vicieux ! Et puis, en plus d’être cruels, ils sont déloyaux car ils attaquent toujours en bande. Il faut leur montrer de quel bois tu te chauffes ! »

Je disais ça avec franchise. Tout n’était ni noir, ni blanc entre moi et Perrin et je ne lui adressais pas souvent la parole mais face à une telle scène, il fallait bien qu’il se rende compte de certaines choses. Se faire traiter comme une victime est juste intolérable à mes yeux. Après, je devais tout de même relativiser. Le garçon n’avait que douze ans et à cet âge-là, on est pas encore très fort et on manque d’expérience et d’assurance. Pour ma part, je m’étais plutôt bien débrouillée en deuxième année mais j’avais été très bien entourée par mes amis et mes frères, ainsi que ma soeur. Quand on osait s'en prendre à moi, on le payait très cher.
 

△everleigh

   

Perrin répondit que ce n’était pas parce qu’il était la seule personne à enterrer une araignée que c’était une idée drôle et que c’était simplement juste et équitable. Il disait aussi que l’espèce n’avait pas d’importance sur le droit d’une vie en paix et d’une mort calme et que le monde serait plus rassurant si les gens pensaient comme lui. Mouais, je n’étais convaincue par sa réponse qu’à moitié, car, à mes yeux, enterrer une araignée restait quelque chose de peu commun. Ce n’était pas comme si on devait enterrer un chien ou un hamster. Peut-être que c’était moi qui étais bizarre mais je ne crois pas me tromper en affirmant que tout le monde se ficherait bien du sort d’une araignée, mis à part ceux qui en élevaient. Très franchement, c’était un sujet sur lequel je n’arrivais pas trop à m’ouvrir et c’était sans doute ma peur qui m’empêchait de vouloir comprendre Perrin et ses idées loufoques. En tout cas, je devais quand même reconnaître que le monde se tiendrait mieux avec des personnes comme lui plutôt que comme ces idiots de Serpentard. S’ils étaient capables de nuire à une petite bête, ils pouvaient très bien le faire sur un pauvre chat.

« C’est vrai mais… c’est quand même une araignée. Moi, ça ne m’inspire pas confiance. » Dis-je avec une nouvelle grimace.

A Poudlard, on en voyait souvent. Ce n’était pas bien difficile, en plus, puisque l’on vivait dans un château vieux de plusieurs centaines d’années. Tout n’était pas nettoyé parfaitement, il y avait toujours des endroits ou même des pièces qui n’avaient jamais vu un seul poil de balai depuis des décennies. Et forcément, la poussière attire les acariens et les araignées… J’en voyais même parfois dans notre dortoir et elles nous faisaient suffisamment peur pour qu’on les tue ou qu’une âme courageuse ne veuille bien les jeter par la fenêtre. C’était sans parler des espèces qui pouvaient piquer, voire même nous atteindre mortellement.

« T'sais, c'pas parce que je suis doux et gentil qu'ils ont la permission de m'agresser gratuitement. Je suis une personne avec des sentiments tout comme eux. J'ai pas les mêmes valeurs, ni les mêmes passions, mais c'pas une raison. On aurait pas à trouver normal de s'en prendre aux gens qui sortent de sentiers battues. C'est ça qu'y n'est pas normal, pas mon besoin d'enterrer des petites araignées mortes avant leur temps. »

Il avait dit cela d’une voix calme et rêveuse et je m’étais étonnée qu’il ne m’ait pas engueulée pour ce que je venais de dire. D’habitude, nous nous prenions la tête à ce propos et cela finissait en chacun de son côté, en train de bouder. Mais là, j’étais attentive à ce qu’il disait. Au fond, je savais quand même être à l’écoute, bien que je ne me sois pas toujours bien entendue avec lui. Il avait raison sur ce coup là, c’était bien vrai. Personne ne devrait l’agresser alors qu’il ne faisait de mal à personne et même s’il ne pensait pas comme les autres.

« Je sais bien mais c’est le genre de lourdauds qui ne s’en prennent qu’aux faibles. Enfin… Je ne veux pas dire que tu es faible mais je… Euh, disons que tu leur parais un peu trop gentil. Peut-être qu’ils prendront de la maturité avec le temps même si j’en doute… » Répondis-je maladroitement.

J’espérais qu’il n’allait pas le prendre mal, mais bon, il fallait se le dire : c’est bien plus simple de s’en prendre à quelqu’un qui est différent. Nous en vînmes ensuite à parler de son surnom horrible de Bugs Freak. Il haussa les épaules après que je lui ai dicté mes conseils mais c’était comme s’il pensait autrement. Je n’arrivais pas à comprendre comment il ne pouvait pas vouloir en jeter dans le Lac Noir et le regarder galérer. Ou même leur jeter un maudit sortilège pour leur faire peur. Le deuxième année me répondit alors qu’il n’aimait pas la violence et que cela n’arrangerait pas les choses, puisqu’en ne faisant rien, ils finiraient par se lasser. Personnellement, je n’étais pas d’accord. Je pensais le contraire. Plus une personne ne dit rien et plus on l’embête juste parce qu’on ne sait qu’on aura rien de fâcheux en retour.

Je l’observai en train d’inspecter sa goliath qui me forçait à me tenir un peu à distance du duo. Quand je pense que cette chose a atterri sur ma poitrine… j’en ai encore des frissons. Je ne le vis pas tout de suite mais des larmes étaient visibles dans les yeux de Perrin.

« Je veux plus qu'ils lui fassent du mal ! Ce sont de vrais monstres... » Dit-il en sanglotant.

Je ne me sentais pas bien pour lui. En fait, j’avais même l’impression de culpabiliser dans son malheur même si je savais que ce n’était pas de ma faute. Peut-être était-ce simplement de l’empathie ?

« T’en fais pas, au pire, on aura qu’à se veng… »

Je ne pus continuer la suite de ma phrase puisque sa Morelle venait de se redresser sur ses huit pattes, ce qui me valut un sursaut et un mouvement de recul. Mon dieu, qu’elle ne refasse plus jamais ça ! Mais sans que je ne m’y attende ‒ et mon camarade non plus ‒ la bestiole s’échappa de son maître et fila à toute allure dans la forêt interdite. Quand je vous dis que ces bêtes sont flippantes ! Elles savent courir vite, comme des pestes. Il ne manquerait plus que la nature les dote d’ailes et ce serait la fin pour les arachnophobes.

« Merde. Mais qu’est-ce qu’il lui a pris ? » Demandai-je, hébétée par la scène.

Perrin se tourna à son tour vers la Forêt Interdite en hurlant le nom de son amie et en partant à sa suite. Moi, je restai sur place, indécise. Est-ce que j’étais censée venir avec lui ou bien je pouvais continuer mon dessin ? Je n’aimais pas trop laisser mes affaires près du pont, sans quelqu’un pour les surveiller. Mes crayons n’étaient pas un accessoire donné, franchement ! Je craignais qu’un type sournois et malhonnête ne me les vole pour en faire je ne sais quoi… Après tout, ce n’était qu’une araignée, non ? Elle n’allait pas mourir alors qu’une forêt luxuriante pourrait lui fournir un toit et à manger.

Non, non, je ne dois pas penser comme ça. C’est une simple araignée pour moi, mais pour Perrin, c’est une amie…

« Allez viens !Il faut la suivre ! Je veux pas la perdre !» S’exclama-t-il alors que j’hésitais encore.

J’avais l’impression d’être devenue sa pote en deux secondes, comme si nous devions nous lancer dans une aventure à deux alors que je n’étais jamais restée plus de cinq minutes en tête à tête avec Perrin ‒ ben oui, à force de nous disputer. Son regard appuya ses propos, insistant pour que je vienne.

« Euh… Bon d’accord. » Fis-je, un peu étonnée.

Je courus à ses côtés, observant les herbes à la recherche de la petite boule à huit pattes. Elle allait beaucoup trop vite et même si c’était une énorme araignée, la nature ne nous aidait pas à bien la repérer. Il suffisait qu’elle prenne un virage autour d’un arbre pour qu’elle échappe à mon champ de vision. En tout cas, Morelle paraissait bel et bien vouloir s’en aller vers la forêt et ça, c’était assez inquiétant. Si elle s’y rendait, il y aurait de grandes chances que l’on ne puisse plus la revoir. Tout en continuant de courir, je me tournai vers Perrin.

« Dis-moi, elle a déjà réagi comme ça ? Car là, si elle atteint la forêt interdite, je crois que c’est foutu… tu crois qu’elle va rejoindre un nid d’Acromentules ? Ca peut vivre ensemble ? »

 

△everleigh